d’airain des réalités existantes. Et voilà que, le soir même du jour où il revenait à Beauclair, amené par un brusque incident, il retombait sur cette scène sauvage, cette triste et pâle créature jetée à la rue, mourante de faim, par la faute du monstre dévorateur, dont il entendait le feu intérieur gronder et s’échapper en fumée de deuil, sous le ciel tragique !
Une rafale passa, quelques gouttes de pluie volèrent, dans le vent qui se lamentait. Luc était resté sur le pont, la face tournée vers Beauclair, tâchant de reconnaître le pays, à la lueur mourante tombée des nuages de suie. À sa droite, il avait l’Abîme, dont les bâtiments bordaient la route de Brias ; sous lui, roulait la Mionne tandis que plus haut, sur un remblai, à sa gauche, passait le chemin de fer de Brias à Magnolles. Et tout le fond de la gorge était ainsi occupé, entre les derniers escarpements des monts Bleuses, à l’endroit où ils s’élargissaient, pour s’ouvrir sur l’immense plaine de la Roumagne. C’était dans cette sorte d’estuaire, au débouché du ravin sur la plaine, que Beauclair étageait ses maisons, une misérable bourgade de masures ouvrières, que prolongeait, en terrain plat, une petite ville bourgeoise, où étaient la sous-préfecture, la mairie, le tribunal et la prison, tandis que l’église ancienne, dont les vieux murs menaçaient de crouler, se trouvait à cheval entre la cité neuve et le vieux bourg. Ce chef-lieu d’arrondissement ne comptait guère que six mille âmes, sur lesquelles près de cinq mille étaient de pauvres âmes obscures, dans des corps de souffrance, broyés et déjetés par l’inique travail. Et Luc acheva de se reconnaître, lorsqu’il aperçut, au-delà de l’Abîme, le haut fourneau de la Crêcherie, à mi-rampe du promontoire des monts Bleuses, et dont il distinguait encore le profil sombre. Le travail, le travail ! qui donc le relèverait, qui donc le réorganiserait, selon la loi naturelle de vérité et d’équité, pour lui rendre son rôle de toute-