Page:Zola - Travail.djvu/27

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ouvriers fainéants qui empêchent les honnêtes gens de faire leurs affaires… Quand on ne travaille pas assez pour manger de la viande, on n’en mange pas. »

Il s’occupait de politique, était avec les riches, les forts, très redouté, borné et sanguinaire ; et ce mot « la viande » prenait dans sa bouche une importance considérable, aristocratique : la viande sacrée, la nourriture de luxe réservée aux heureux, lorsqu’elle devrait être à tous.

« Vous êtes déjà en retard de quatre francs, de l’été dernier, reprit-il. Il faut bien que je paie, moi ! » Natalie s’effondrait, insistait, d’une voix basse, éplorée. Mais il se passa un fait qui acheva sa déroute. Mme Dacheux, une petite femme laide, noire et insignifiante, qui, disait-on, arrivait quand même à faire son mari abominablement cocu, s’était avancée avec sa fillette Julienne, une enfant de quatre ans, saine, grasse, d’une gaieté blonde épanouie. Et, les deux enfants s’étant aperçus, le petit Louis Fauchard avait commencé par rire, dans sa misère tandis que l’opulente Julienne, amusée, n’ayant sans doute pas encore conscience des inégalités sociales, s’approchait, lui prenait les mains. Si bien qu’il y eut un brusque joujou, dans l’enfantine allégresse de la réconciliation future.

« Sacrée gamine ! cria Dacheux hors de lui. Elle est toujours dans mes jambes… Veux-tu bien aller t’asseoir ! »

Puis, se fâchant contre sa femme, il la renvoya brutalement à son comptoir, en lui disant qu’elle ferait mieux de veiller sur sa caisse, pour qu’on ne la volât pas, comme on l’avait volée l’avant-veille. Et il continua, s’adressant à toutes les personnes qui se trouvaient dans la boutique, hanté par ce vol, dont il ne cessait de se plaindre et de s’indigner depuis deux jours.

« Parfaitement ! une espèce de pauvresse qui s’était