Il restait si stupéfait de la voir se déranger ainsi, qu’il continuait à la regarder, béant. Elle-même, alors seulement, sentit l’inexplicable inconvenance de sa démarche, et elle ne s’en inquiéta pas davantage, elle ne s’attarda pas à vouloir l’excuser, allant droit au but.
« Je désirais vous demander si vous consentiriez à ce que votre femme vînt faire chez moi quelques journées. J’ai besoin de quelqu’un, j’ai songé à elle. »
Du coup, Ragu oublia l’étrangeté d’une pareille visite. Un flot de colère aveugle fit bourdonner tout son sang dans son crâne.
« Ma femme ! vous voulez ma femme ? Ah ! tonnerre de Dieu ! prenez-la donc, et ne me la rendez pas, qu’elle crève ! »
C’était cette violence que Fernande attendait. Elle feignit la surprise, la pitié, la désolation attendrie.
« Ça ne va donc pas mieux dans votre ménage ? Je croyais que vous aviez pardonné, que les choses s’arrangeaient, en attendant le pauvre petit qui va naître.
— Pardonner quoi ? cria Ragu, sous ce nouveau coup de fouet dont elle le cinglait en pleine blessure jalouse. Pardonner l’enfant que la garce s’est fait faire ? La garce aurait le plaisir, tandis que, moi, ici, je m’userais le tempérament !
— Sans doute, votre femme a été légère, elle est si jeune, si jolie, c’est si naturel à son âge d’aimer le plaisir, de céder aux beaux messieurs qui la cajolent ! »
Il ferma les yeux, devant l’ardente vision qu’elle évoquait, s’affolant, grondant sourdement :
« Je lui en donnerai, des messieurs pour la cajoler ! Et vous voulez madame, que je pardonne, que je le nourrisse, son bâtard, dont elle est revenue pleine, comme une sale chienne qu’elle est ?
Alors, Fernande affecta un vif étonnement, lâcha tout, d’un air de parfaite innocence.