Page:Zola - Travail.djvu/460

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Et elle mettait dans ces simples mots l’émotion de tout ce qui s’était passé depuis douze ans, leur séparation à peine coupée de rares et muettes rencontres, la vie cruelle qu’elle avait vécue à son foyer outragé et souillé, surtout l’œuvre qu’il avait accomplie pendant ce temps, qu’elle avait suivie de loin, d’une âme enthousiaste. Il devenait un héros, elle lui rendait un culte, elle aurait voulu s’agenouiller, panser ses blessures, être la compagne qui console et qui aide. Mais une autre était venue, elle avait tant souffert de Josine, que son cœur d’amante désormais était mort, enseveli dans cet amour ignoré de tous, dont elle-même ne voulait plus savoir s’il avait existé. Et, de voir son dieu devant elle, cela faisait remonter toutes ces choses des secrètes profondeurs de son être, en un attendrissement éperdu qui mouillait ses yeux et agitait ses mains d’un petit tremblement.

«  Oh  ! mon ami, mon ami, vous voilà donc, il a suffi que je vous appelle  !   »

Chez Luc, frémissant d’une pareille sympathie, les souvenirs évoquaient de même tout le passé. Il l’avait sue si malheureuse, sous l’outrage de la maîtresse, de la corruptrice, presque installée dans sa maison  ! Il l’avait sue si digne, si héroïque, ne voulant pas céder la place, défendant l’honneur du nom en restant à son foyer la tête haute, pour son fils, pour elle-même  ! Aussi, malgré la séparation, jamais elle n’était sortie de son esprit ni de son cœur, toujours il l’avait vénérée et plainte davantage, à chaque nouveau chagrin dont il la savait frappée. Bien souvent, il s’était demandé comment aller à son secours, de quelle aide il pouvait lui être. Il aurait éprouvé une si grande joie à lui donner la preuve qu’il n’avait rien oublié, qu’il était demeuré l’ami d’autrefois, le complice discret de ses bonnes actions  ! Et c’était pourquoi il accourait si vite au premier appel, plein de cette affection inquiète, qui maintenant, devant elle, lui gonflait