Page:Zola - Travail.djvu/462

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Et Suzanne dit enfin à Luc pourquoi elle lui avait adressé un si pressant appel. M. Jérôme, dont elle lui conta le poignant réveil d’intelligence, désirait le voir. C’était le vœu d’un mourant, le docteur Novarre croyait à une fin très prochaine. Luc, étonné comme elle, et comme elle saisi d’un vague effroi, à la pensée de cette résurrection, où il était prié si étrangement d’intervenir, répondit qu’il était tout à elle, prêt à faire ce qu’elle lui demanderait.

«  Vous avez prévenu votre mari de ce désir et de ma visite  ?   »

Elle le regarda, avec un léger haussement d’épaules.

«  Non, je n’y ai pas songé, c’est inutile. Depuis longtemps, le grand-père ne paraît même plus savoir que mon mari existe. Il ne lui parle pas, il ne le voit pas… D’ailleurs, mon mari est parti pour la chasse, de grand matin, et il n’est pas encore rentré.  »

Puis, elle ajouta  :

«  Si vous voulez bien me suivre, je vais tout de suite vous conduire.  »

Quand ils entrèrent chez M. Jérôme, celui-ci, assis sur son séant dans le vaste lit de palissandre, le dos appuyé contre des oreillers, avait encore la tête tournée vers la fenêtre, dont les rideaux étaient restés grands ouverts. Il ne devait pas avoir quitté des yeux le parc superbe, le déroulement de l’horizon, avec l’Abîme et la Crêcherie, au flanc des monts Bleuses, là-bas, par-dessus les toitures entassées de Beauclair. C’était un spectacle qui semblait le hanter, une continuelle évocation du passé, du présent et de l’avenir, depuis les longues années que, muet, il avait cet horizon sans cesse devant lui.

«  Grand-père, dit Suzanne, je vous amène M. Luc Froment. Le voici, il nous a fait l’amitié d’accourir tout de suite.  »

Lentement, le vieillard tourna la tête, posa sur Luc ses grands