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Page:Zola - Travail.djvu/498

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Tranquillement, Bonnaire s’expliqua.

«  J’aurais préféré que le garçon fît un autre choix. Mais il a près de vingt-quatre ans, je ne vais pas, dans une affaire de cœur, lui imposer ma volonté. Il sait ce que je pense, il agira pour le mieux.

— Ah  ! bien  ! reprit violemment la Toupe, tu es de facile composition, tu as beau te croire un homme libre, tu finis toujours par dire comme les autres. Depuis bientôt vingt ans que tu es ici, avec ton M. Luc, tu répètes qu’il n’a pas tes idées, qu’il aurait fallu commencer par s’emparer des outils du travail, sans accepter l’argent des bourgeois  ; mais tu n’en cèdes pas moins aux moindres désirs de ton M. Luc, tu en es peut-être même aujourd’hui à trouver très bien tout ce que vous avez fait ensemble.  »

Et elle continua, elle tâcha de le blesser dans sa foi dans sa fierté, sachant où était le point sensible. Souvent, elle l’avait exaspéré, en s’efforçant de le mettre en contradiction avec lui-même. Cette fois, il se contenta de hausser les épaules.

«  Sans doute, ce que nous avons fait ensemble est très bien. Je puis regretter encore qu’il n’ait pas suivi mes idées. Seulement, tu devrais être la dernière à te plaindre de ce qui existe ici, car nous ne savons plus ce que c’est que la misère, nous sommes heureux, pas un de ces rentiers dont tu rêves n’a autant de bonheur.  »

Elle ne céda pas, elle s’irrita davantage.

«  Ce qui existe ici, tu serais bien aimable de me l’expliquer, car tu sais, je n’y ai jamais rien compris. Si tu es si heureux, tant mieux  ! moi, je ne suis pas heureuse. Le bonheur, vois-tu, c’est quand on a beaucoup d’argent, qu’on se retire et qu’on ne plus rien. Avec toutes vos histoires, vos partages des bénéfices, vos magasins où l’on se fournit au rabais, vos bons et vos caisses, Ça ne fera jamais que j’aie cent mille francs à