Page:Zola - Travail.djvu/530

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petits chariots de minerai, mus par la vie sans fin, se déversaient un à un. Puis, toutes les cinq minutes, les portes de platine s’ouvraient, les dix jets blancs des dix coulés incendiaient l’ombre, les dix gueuses de fonte, fleuries de bluets parmi des épis d’or, voyageaient, étaient emportées sur le trottoir roulant d’un lent mouvement continu. Et, à la longue, le spectacle devenait extraordinaire, de ces illuminations brusques et comme rythmées, de ces splendeurs d’astres, dont le hangar tout entier flamboyait, à des intervalles égaux.

Petit-Da, jusque-là silencieux, voulut donner des explication. Il désigna, descendant des charpentes, le gros câble qui amenait le courant.

«  Vois-tu, père, l’électricité arrive par là, et c’est d’une force telle, que, si on rompait les fils, tout sauterait, comme dans un coup de tonnerre.  »

Luc, rassuré, en voyant Morfain si calme, se mit à rire.

«  Ne dites donc pas cela, vous feriez peur à notre petit monde. Rien ne sauterait, l’imprudent qui toucherait les fils serait seul en danger. Et puis, le câble est solide.

— Ah  ! ça, oui  ! reprit Petit-Da, il faudrait une fameuse poigne pour le rompre.  » Morfain, toujours impassible, s’était approché, n’avait plus qu’à lever les mains pour atteindre le câble. Il resta là immobile quelques secondes encore, avec sa face desséchée, où rien ne se lisait. Mais, soudainement, une telle flamme s’alluma dans ses yeux, que Luc fut repris d’inquiétude, avec la sourde angoisse de la catastrophe.

«  Tu crois, une rude poigne  ? finit par dire Morfain, se décidant à parler. Voyons donc ça, mon garçon  !   »

Et, avant qu’on eût même le temps d’intervenir, il saisit le câble entre ses mains durcies par le feu, pareilles à des pinces de fer. Et il le tordit, il le rompit, d’un effort surhumain, comme un géant irrité casserait la ficelle d’un