Page:Zola - Travail.djvu/618

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de l’heureuse aurore prochaine. Et il se produisit alors un incident délicieux tous les oiseaux du voisinage, des fauvettes, des rouges-gorges, des pinsons, de simples moineaux, s’abattirent sur la table, avant d’aller se coucher parmi les verdures assombries. Il en arrivait de partout en un vol hardi, se posant sur les épaules, descendant becqueter les miettes de la nappe, acceptant des friandises de la main des enfants et des femmes. Depuis que Beauclair devenait une ville de concorde et de paix, ils ne l’ignoraient pas, ils ne craignaient plus rien des bons habitants, ni pièges, ni coups de feu  ; et ils s’étaient familiarisés, ils faisaient maintenant partie des familles, chaque jardin avait ainsi ses hôtes, qui, aux repas, venaient prendre leur part de la nourriture commune.

«  Ah  ! voici nos petits amis  ! cria Bonnaire. Comme ils jasent  ! Ils savent bien que c’est jour de fête… Alice, émiette-leur donc du pain.  »

Et Ragu, la face noire, les yeux douloureux, continuait à regarder les oiseaux s’abattre de toutes parts, en un tourbillon de petites plumes légères, que doraient les derniers rayons. Il en descendait sans cesse des branches, certains s’envolaient, puis revenaient. Le dessert en fut égayé, tant il y eut de petites pattes sautant lestement parmi les cerises et parmi les roses. Et rien encore, depuis le matin, au milieu des félicités et des splendeurs visitées, n’avait dit à Ragu, d’une façon aussi charmante et aussi claire, combien ce peuple naissant était paisible et heureux.

Il se leva brusquement, s’adressant à Bonnaire.

«  J’étouffe, j’ai besoin de marcher… Et puis, je veux voir encore, je veux tout voir, toutes les tables, tous les convives.  »

Bonnaire comprit bien. N’était-ce pas Luc et Josine qu’il voulait voir, auxquels aboutissait sa curiosité