Page:Zola - Travail.djvu/620

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

au nouvel état de choses, levant parfois les bras au ciel, en patron étonné de ne plus l’être, parlant du passé avec une mélancolie de vieil homme, au point de regretter les cérémonies du culte catholique, la première communion et les processions, l’encens et les cloches, lui qui avait tant mangé du prêtre autrefois. Châtelard, au contraire, s’était galamment endormi dans la peau de l’anarchiste, poussé peu à peu sous sa diplomatique réserve, accomplissant son destin tel qu’il l’avait voulu, heureux, oublié au milieu de ce Beauclair reconstruit et triomphal, disparaissant en silence avec le régime dont il menait si complaisamment les funérailles, comme englouti lui-même dans la chute du dernier ministère. Mais il était une mort plus haute, plus belle, celle du président Gaume, dont le souvenir s’évoquait là par la présence de son petit-fils André, de ses arrière-petites filles Hélène et Berthe. Lui avait vécu jusqu’à quatre-vingt-douze ans, seul avec son petit-fils, dans la désolation de sa vie manquée, torturée. Le jour où l’on avait fermé le tribunal et la prison, il s’était senti délivré de la hantise de toute son existence de juge. Un homme jugeant des hommes, acceptant d’être la vérité infaillible la justice absolue, malgré les infirmités possibles de son intelligence et de son cœur, cela le faisait frémir, le jetait maintenant à des scrupules excessifs, à des remords épouvantés, pris de la terreur d’avoir été un mauvais juge. Enfin, la justice qu’il attendait, qu’il craignait de ne pas voir, était donc venue, non pas la justice d’un ordre social inique, régnant par le glaive dont elle défend les quelques spoliateurs et dont elle frappe la foule immense des misérables esclaves, mais la justice d’homme libre à homme libre, talonnant à chacun sa part du bonheur légitime, apportant la vérité la fraternité et la paix. Et, le matin de sa mort, il fit appeler un ancien braconnier, condamné par lui autrefois à une dure peine,