Page:Zola - Travail.djvu/621

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pour avoir tué un gendarme dont il venait de recevoir un coup de sabre, et publiquement il se repentit, il dit à voix haute les doutes qui avaient empoisonné sa carrière, il cria ce qu’il avait caché jusque-là, les crimes du Code, les erreurs et les mensonges de la loi, toutes ces armes d’oppression et de haine sociales, tous ces terrains corromps d’où repoussaient des épidémies de vols et de meurtres.

«  Alors, reprit Ragu, ce ménage qui se trouve assis à cette table, ce Félicien et cette Hélène, chez lesquels nous nous sommes arrêtés un instant, ce matin, sont à la fois les petits-enfants des Froment, des Morfain, des Jollivet et des Gaume  ? … Et tous ces sangs ennemis ne s’empoisonnent pas les uns les autres, dans les veines où ils coulent à présent  ?

— Mais non, répondit tranquillement Bonnaire. Ils s’y sont réconciliés, et la race a pris plus de beauté et plus de force.  »

Une nouvelle amertume attendait Ragu, à la table suivante. Celle-ci était la table de Bourron, son ancien camarade, le bon compagnon de fainéantise et d’ivrognerie, qu’il dominait, qu’il débauchait si aisément. Bourron heureux, Bourron sauvé, lorsque lui restait seul dans son enfer  ! Et Bourron, malgré son grand âge, triomphait en effet, à côté de sa femme Babette, l’éternelle réjouie, dont le bel espoir inaltérable, le ciel obstinément bleu s’était réalisé, sans qu’elle daignât même s’en étonner. Est-ce que cela n’était pas naturel  ? on était heureux, parce qu’on finit toujours par être heureux. Et, à leur entour, le pullulement n’avait plus de bornes. C’était d’abord Marthe, leur aînée, qui avait épousé Auguste Laboque, et qui en avait eu Adolphe, lequel s’était marié avec Germaine, fille de Zoé Bonnaire et de Nicolas Yvonnot. C’était ensuite Sébastien, leur cadet, qui avait épousé Agathe Fauchard, et qui en avait eu Clémentine, laquelle s’était mariée