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Page:Zola - Travail.djvu/90

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« C’est moi, Josine », dit-il très bas, pour qu’elle ne s’effrayât point.

Le petit souffle montait toujours, et il n’y eut pas de réponse. Mais, en un effleurement à peine sensible, la créature de détresse et de mystère passa. Et une petite main fiévreuse saisit la sienne, une bouche brûlante se colla sur sa main, la baisa ardemment, en un élan de gratitude infinie, en un don de tout l’être. Elle le remerciait, elle se donnait, ignorée, voilée, d’une enfance délicieuse. Pas une parole ne fut échangée, il n’y eut que ce baiser muet dans l’ombre, trempé de larmes chaudes.

Déjà, le petit souffle était passé, l’âme légère montait toujours. Et Luc resta bouleversé, possédé jusqu’au fond de sa chair, par cet effleurement de songe ; car le baiser de cette bouche qu’il n’avait pas vue, lui était allé au cœur. Un charme doux et fort lui avait coulé dans les veines, il voulut se croire simplement heureux d’avoir enfin réussi à ce que Josine eût retrouvé un toit, pour dormir cette nuit-là. Mais pourquoi pleurait-elle, assise sur la dernière marche, au seuil de la rue ? Pourquoi avait-elle tant tardé à répondre aux appels de l’homme, en haut, qui lui rendait un gîte ? Était-ce donc qu’elle avait de mortels regrets, qu’elle sanglotait de quelque rêve impossible, et qu’elle cédait, en finissant par monter, à la nécessité de reprendre la vie qu’elle était condamnée à vivre ?

En haut, la voix de Ragu se fit une dernière fois entendre.

« Ah ! te voilà, ce n’est pas malheureux… Allons, grosse bête, viens te coucher. On ne se mangera pas encore ce soir. »

Et Luc s’enfuit, si désespéré, qu’il chercha les raisons de l’amertume affreuse où il tombait. Pendant qu’il retrouvait avec peine son chemin, dans le dédale obscur des immondes ruelles du vieux Beauclair, il discutait,