Page:Zola - Une farce, 1888.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

toujours pour des affaires de femmes. Il faut l’écouter raconter chaque duel avec des détails effrayants. Il a embroché l’un de part en part ; il a fendu le nez à l’autre ; il a crevé les deux yeux à un troisième. Chaque fois, c’est un raffinement de vengeance à donner froid au plus brave. Et, pendant ce temps, Louise affecte de chercher la main de Planchet, ou bien elle lui jette une jambe en travers des siennes. Le malheureux, grelottant de peur, a beau se reculer. Il ne veut pas paraître trop lâche, il tient bon. Cette Louise est si jolie ! Alors, on se décide aux grands moyens.

Un soir, Louise donne rendez-vous à Planchet dans une île. La société doit aller à Bennecourt, un village voisin. Mais elle se dira malade, et, quant à lui, il pourra rester, sous le prétexte de terminer une étude. Les choses s’arrangent à merveille. Planchet prend le bac, pendant que Louise passe dans le canot de la mère Gigoux. Une fois dans l’île, elle commence à le promener durant une heure ; elle affecte de se méfier de tous les trous de verdure ; chaque fois qu’il veut s’arrêter, elle murmure :

— Oh ! non, pas là, on nous verrait.

Enfin, quand elle l’a entraîné à l’extrémité de l’île, elle consent à s’asseoir, au bord de l’eau. Mais à peine est-il allongé près d’elle que des voix s’élèvent.

— Mon Dieu ! s’écrie-t-elle, c’est Morand. Il va nous tuer tous les deux… Sans doute, il aura soupçonné quelque chose et il nous a suivis… Mon Dieu ! Mon Dieu ! cachez-vous vite !

Et, comme Planchet effaré se trouve acculé à cette pointe extrême de l’île, il n’a qu’un moyen de se cacher, celui d’entrer dans l’eau.

— Enfoncez-vous davantage, murmure Louise. Encore, encore, jusqu’au cou !… Là, maintenant, mettez des feuilles de nénuphar sur votre tête. Et ne bougez plus !

Morand semble stupéfait de trouver Louise en cet endroit. Puis il s’emporte, il lui crie qu’elle ne devait pas être seule, et il se jette dans les buissons voisins. Planchet, sous ses nénuphars, est blanc comme un linge. Mais le pis est que la société s’installe. Morand paraît convaincu qu’il s’est trompé. On est bien là, on est très gai, on reste une heure sur l’herbe à se lancer dans des théories sans fin. Un instant même, Chamborel prend des cailloux et fait des ricochets. Planchet, condamné à l’immobilité, a une peur affreuse d’être éborgné. Enfin, la société s’en va, et le pauvre diable peut rentrer en courant, trempé et ruisselant comme un fleuve. Il reste un jour au lit avec une assez forte fièvre.