Page:Zola - Vérité.djvu/208

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gaie, qui lui fut une musique, parmi les voix grosses et moqueuses des autres.

L’appel était terminé. Toute la classe, sur un signal de Mignot, s’était mise debout, pour la prière. Depuis le départ de Simon, Méchain avait laissé s’introduire la prière, au commencement et à la fin des classes, cédant au sourd travail de Mlle  Rouzaire, qui, donnant sa pratique en exemple, prétendait que la peur du bon Dieu faisait tenir ses fillettes plus tranquilles. En outre, ça plaisait aux familles, et l’inspecteur primaire Mauraisin voyait ça d’un bon œil, bien que ce ne fût plus dans les programmes. Mais Marc coupa court, en disant de son air paisible et résolu :

— Asseyez-vous, mes enfants. Vous n’êtes pas ici pour dire des prières. Vous les direz chez vous, si vos papas et vos mamans le désirent.

Interloqué, Mignot le regarda, de son air de curiosité goguenarde. Ah bien ! cet instituteur-là ne pèserait pas lourd à Maillebois, s’il commençait par supprimer la prière ! Marc comprit parfaitement, car c’était là le sentiment général qu’il sentait naître autour de lui, depuis son arrivée : la certitude où l’on était de son échec complet et prochain. Salvan l’avait d’ailleurs averti, en lui recommandant la plus grande prudence, toute une tactique de tolérance opportune, pendant les premiers temps. Et, s’il risquait la suppression de la prière, c’était comme premier essai, après y avoir réfléchi. Il aurait voulu décrocher tout de suite le grand crucifix, que Méchain, par lassitude, avait laissé pendre derrière lui au-dessus du tableau noir. Mais il eut conscience qu’il devait s’installer solidement d’abord ; car, pour lutter, il fallait avant tout être maître du terrain. De même, quatre tableaux, violemment enluminés, accrochés aux murs, l’irritaient : sainte Geneviève délivrant Paris, Jeanne d’Arc écoutant ses voix, Saint Louis guérissant