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Page:Zola - Vérité.djvu/388

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sur l’extraordinaire force de résistance montrée jusque-là par son frère. Il le connaissait, il les rassura tous, les fit rire, en racontant des histoires de leur jeunesse, des traits de Simon, replié sur lui-même, méthodique et méticuleux, avec une singulière puissance de volonté, dans le souci de sa dignité et du bonheur des siens. Et l’on se sépara, résolu à ne témoigner ni inquiétude, ni impatience, comme si la victoire, déjà, se trouvait acquise.

Dès lors, Marc s’enferma dans son école, tout à ses élèves du matin au soir, se donnant à eux avec une abnégation, un dévouement qui semblaient croître au milieu des obstacles et des souffrances. En leur compagnie, pendant les classes, tant qu’il était leur grand frère, s’efforçant de leur partager le pain du savoir, les certitudes de la vérité, il oubliait un peu de ses tortures, il sentait moins la plaie toujours saignante de son cœur. Mais, le soir, quand il se retrouvait seul dans la maison vide de son amour, il retombait à une désespérance affreuse, il se demandait comment il continuerait à vivre, sous le froid noir de son veuvage. Louise, en revenant de chez Mlle Mazeline, lui apportait quelque soulagement ; et, pourtant, lorsque la lampe était allumée pour le repas du soir, quels longs silences entre le père et la fille, qui chacun avait conscience de sa misère inconsolable, cet abandon de l’épouse, de la mère, dont le regret les hantait ! Ils tâchaient d’échapper à l’obsession, de causer des menus faits de la journée ; puis, tout les ramenait à elle, ils finissaient par ne parler que d’elle, rapprochant leur chaise, se prenant les mains, comme pour se réchauffer dans leur solitude ; et toutes leurs soirées s’achevaient ainsi, la fille sur les genoux du père, un bras passé à son cou, l’un et l’autre en larmes, et frissonnant, près de la triste lampe. Le logis était mort, l’absente en avait emporté la vie, la chaleur et la lumière.