Page:Zola - Vérité.djvu/407

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— J’ai parlé parce que mon cœur à la fin saigne et proteste. Nous n’avons pas le droit de cacher à Marc l’adresse de la nourrice… Oui, oui ! c’est abominable, ce que nous faisons !

— Tais-toi ! cria furieusement la grand-mère.

— Je dis que c’est abominable d’avoir séparé la femme du mari d’abord, et maintenant de séparer d’eux l’enfant. Jamais Berthereau, mon pauvre mort, qui m’a tant aimée, n’aurait accepté ce meurtre de l’amour, s’il avait vécu.

— Tais-toi ! tais-toi !

Et la vieille femme, l’air grandi, dans la sécheresse vigoureuse de ses soixante-treize ans, avait répété ce cri d’une voix si impérieuse, que sa fille en cheveux blancs, prise de terreur, céda, courba de nouveau la tête sur son ouvrage de broderie. Et il y eut un silence lourd, pendant qu’un petit tremblement convulsif l’agitait et que des larmes lentes ruisselaient le long de ses pauvres joues, dévastées par tant d’autres larmes secrètes.

Marc était resté saisi, devant l’éclat brusque de ce drame intime, si poignant, qu’il avait seulement soupçonné jusque-là. Une immense sympathie lui venait pour la triste veuve, hébétée, écrasée depuis plus de dix ans sous ce despotisme maternel, exercé au nom d’un Dieu de jalousie et de vengeance. Et, si la pauvre femme n’avait point défendu sa Geneviève, si elle les abandonnait, elle et lui, à la rage noire de la terrible grand-mère, il lui pardonnait cette lâcheté frissonnante, tant il la voyait souffrir elle-même.

Tranquillement, Mme Duparque s’était reprise.

— Vous le voyez, monsieur, votre présence ici est une cause de scandale et de violence. Tout ce que vous touchez se corrompt, votre souffle suffit même à pervertir l’air du lieu où vous êtes. Voilà ma fille, qui ne s’est jamais permis d’élever la voix contre moi, et dès que vous entrez, elle tombe dans la désobéissance et dans