Page:Zola - Vérité.djvu/431

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et souriant, était également là, assise dans la cour, en train de raccommoder du linge.

— Eh bien ! Fernand, êtes-vous satisfait, les blés sont-ils beaux, cette année ?

Fernand gardait sa face épaisse, le front étroit et dur, la parole lente.

— Oh ! monsieur Froment, on ne peut jamais être satisfait, il y a trop d’ennuis avec cette sacrée terre, qui retient plus qu’elle ne donne.

Son père, à cinquante ans à peine, se sentait déjà les jambes lourdes, ravagées de douleurs ; et lui, en rentrant du service, avait résolu de l’aider, au lieu de se louer ailleurs. C’était toujours l’ancienne et âpre lutte, la famille vivant de père en fils sur le même champ, dont elle semblait née, s’acharnant à un labeur aveugle, dans son ignorance têtue de tout progrès.

— Et, reprit Marc gaiement, vous ne songez pas encore au petit homme qui viendra chez moi user ses culottes à son tour ?

Lucile se mit à rougir comme une innocente, tandis que Fernand répondait :

— Ma foi, monsieur Froment, je crois bien qu’il est en train de pousser. Mais il ne sera pas pour vous de si tôt, n’est-ce pas ? et qui sait où nous serons tous, quand ce gaillard-là apprendra ses lettres !… Puis, vous n’en êtes pas plus content, vous qui avez tant d’instruction !

Marc sentit là un peu du mépris goguenard du mauvais écolier, crâne obtus, intelligence endormie, qui avait tant de peine jadis à retenir une leçon. Il y vit aussi une allusion prudente aux événements dont le pays était bouleversé, et tout de suite il en profita pour se rendre compte de l’état d’esprit où se trouvait son ancien élève. Aucune question au monde ne le passionnait davantage.

— Oh ! je suis toujours content, dit-il avec un nouveau rire, quand mes gamins font à peu près leurs devoirs