Page:Zola - Vérité.djvu/443

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ans, très occupée à terminer des fleurs de perles, qu’elle devait livrer le soir même. Depuis son malheur, Savin ne semblait plus rougir de laisser voir sa femme besognant en simple ouvrière, comme s’il y avait eu là une expiation de sa faute. Elle pouvait bien porter des tabliers et contribuer à l’entretien de la famille, elle dont il s’était montré si fier, quand elle sortait avec des chapeaux de dame. D’ailleurs, lui-même, se négligeait, délaissait la redingote. Et, tout de suite, il fut brutal.

— Tu as encore envahi la pièce ! Où veux-tu que je fasse asseoir M. Froment ?

Très douce, très craintive, un peu rougissante, elle s’empressa de ranger ses bobines et ses cartons.

— Mais, mon ami, quand je travaille, il me faut pourtant un peu de place. Je ne t’attendais pas si tôt.

— Oui, oui, je sais, tu ne m’attends jamais.

Ces mots, qui pouvaient être une cruelle allusion, achevèrent de la troubler. Ce qu’il ne lui pardonnait pas, c’était le beau mâle aux bras duquel il l’avait trouvée, lorsqu’il se sentait si petit, si ravagé par son étroite existence de bureau, sans aucun espoir d’avancement ni de fortune. Maladif, quinteux, envieux, il enrageait de lire dans ses yeux clairs son excuse, la tentation fatale à laquelle sa chair faible d’amoureuse avait succombé, après l’avoir comparé, maigre et chétif, au gaillard florissant dont il lui avait imposé l’approche. Elle baissa la tête sur son ouvrage, en se faisant toute petite.

— Asseyez-vous, monsieur Froment, reprit-il. Je vous disais donc, que ce grand garçon que vous voyez là, me désespère. À vingt-deux ans bientôt, il a déjà tâté de deux ou trois métiers, et il n’est guère bon qu’à regarder sa mère travailler et à lui passer des perles.

Philippe, en effet, se tenait dans un coin, silencieux, l’air effacé. Mme  Savin, humiliée, avait levé sur