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Page:Zola - Vérité.djvu/444

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lui un regard très tendre, auquel il avait répondu par un faible sourire, comme pour la consoler. Entre sa mère et lui, on sentait une entente de souffrances communes. Pâle, de santé pauvre, l’écolier sournois d’autrefois, poltron et menteur, semblait être devenu un triste garçon, sans énergie, se réfugiant dans la bonté de cette mère d’apparence si jeune encore, une grande sœur souffrante et compatissante.

— Pourquoi ne m’avez-vous pas écouté ? dit Marc. Nous aurions fait de lui un instituteur.

Mais Savin se récria.

— Ah ! non par exemple ! J’aime encore mieux qu’il me reste sur les bras… Est-ce un métier, de se bourrer la tête dans des écoles jusqu’à vingt ans passés, pour gagner ensuite soixante et quelques francs par mois, et n’arriver à en toucher cent qu’après plus de dix années de service ?… Instituteur ! mais personne ne veut plus l’être, les derniers des paysans préfèrent aller casser des cailloux sur les routes !

Marc évita de répondre directement.

— Je croyais vous avoir décidé pour votre fils Léon. Vous ne le destinez donc pas à l’enseignement primaire ?

— Ma foi, non ! Je l’ai mis chez un marchand d’engrais chimique. Il a seize ans à peine, et il y gagne vingt francs déjà… Il me remerciera plus tard.

D’un geste, Marc dit son regret. Il se rappelait ce petit Léon, encore au maillot, entre les bras de sa mère. Et, plus tard, il l’avait eu pour élève, de six à treize ans, un élève d’une intelligence supérieure à celle de ses aînés, les deux jumeaux, et dont il espérait beaucoup. Sans doute, Mme Savin partageait l’ennui de voir son cadet interrompre ainsi ses études, car elle leva de nouveau ses beaux yeux, dans un furtif et triste regard.

— Voyons, reprit Savin, quel conseil me donnez-vous ? Et, d’abord, je vous prie, faites honte à ce