Page:Zola - Vérité.djvu/503

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d’arrêter l’humanité en marche. Dès lors, il put se rendre compte de la terreur pesant sur la ville, du morne aspect des maisons, aux persiennes closes, comme en temps d’épidémie. Rozan, peu animé d’ordinaire en été, semblait s’être vidé davantage. Sous le grand soleil, les passants se hâtaient, l’œil inquiet, les boutiquiers restaient derrière leurs vitres, à inspecter la rue, ayant l’air de redouter quelque massacre. Surtout, l’élection du jury avait bouleversé cette population tremblante, on citait les noms des jurés avec des hochements de tête mélancoliques, c’était un désastre évident que d’en compter un dans sa famille. Beaucoup pratiquaient, petits rentiers, industriels, commerçants de cette ville cléricale, où le manque avoué de religion constituait une tare honteuse, très préjudiciable aux intérêts. Et l’on s’imagine la furieuse pression des mères, des épouses, sous la conduite des curés, des abbés, des moines sans nombre, peuplant les six paroisses et les trente couvents, aux cloches toujours sonnantes. À Beaumont encore, jadis, l’Église avait dû mettre quelque discrétion dans son travail sourd, car on se trouvait là en présence d’une ancienne bourgeoisie voltairienne et de faubourgs révolutionnaires. Mais à Rozan, dans cette vieille cité endormie, aux seules traditions dévotes, pourquoi se serait-on gêné ? Les femmes d’ouvriers y allaient à la messe, les bourgeoises y faisaient toutes partie d’associations pieuses, et ce fut ainsi la croisade sainte, pas une ne refusa d’aider à la défaite de Satan. Huit jours avant le procès, la ville entière devint un champ de bataille, il n’y eut plus une maison où un combat ne fût livré pour la bonne cause, les misérables jurés s’enfermaient, n’osant sortir, parce que, sur les trottoirs, des inconnus les abordaient, les terrifiaient de regards, de mots jetés en passant, avec la menace sous-entendue de les châtier dans leurs affaires ou dans leur