Page:Zola - Vérité.djvu/601

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très énergique dans ses rapports avec les enfants. Un des faits qui achevèrent de montrer alors combien l’opinion publique évoluait, ce fut toute une petite révolution intérieure, à la papeterie Milhomme. On y vit un jour Mme Édouard, la maîtresse absolue, s’effacer devant Mme Alexandre, disparaître au fond de l’arrière-boutique, où celle-ci s’était tenue pendant tant d’années. Mme Alexandre prit place au comptoir, servit la clientèle ; et personne ne s’y trompa, c’était que cette clientèle changeait, indiquait peu à peu le triomphe de l’école laïque sur l’école congréganiste ; car Mme Édouard, dans sa ferme attitude de bonne commerçante, n’avait jamais eu d’autre souci que d’être avec la majorité de ses acheteurs ; et elle était femme assez énergique pour céder la place à sa belle-sœur, s’il s’agissait de sauver la caisse. Voilà comme quoi la présence de Mme Alexandre, au comptoir de la papeterie Milhomme, devint pour tous un signe certain que l’école des frères devait être bien malade. En outre, Mme Édouard avait de grands chagrins avec son fils Victor, qui sortait de cette école, et qui, après avoir atteint le grade de sergent, venait de se trouver compromis dans une vilaine histoire ; tandis que Mme Alexandre pouvait se montrer très fière de son fils Sébastien, un ancien élève de Simon et de Marc, un camarade de Joseph à l’École normale de Beaumont, instituteur adjoint depuis trois ans, à Rouville. Et toute cette jeunesse, Sébastien, Joseph, Louise, après avoir poussé ensemble, arrivait de la sorte à la vie active, apportait une raison élargie, une amabilité et une intelligence mûries dans les larmes, pour continuer l’œuvre si âprement disputée des aînés.

Une année s’écoula, Louise venait d’avoir vingt ans. Chaque dimanche elle se rendait à Jonville, elle passait la journée près de son père et de sa mère, Et là, souvent, elle trouvait Joseph et Sébastien, restés grands amis, qui