Page:Zola - Vérité.djvu/610

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pouvoir entrer quand il lui plairait, sans courir le risque de sonner longtemps, car la pauvre Pélagie, devenue sourde, n’ouvrait souvent pas. Ce fut même à ce moment que les deux femmes, les deux recluses, coupèrent le cordon de la sonnette : à quoi bon garder ce lien avec le dehors ? le seul être vivant reçu avait une clef, elles s’éviteraient le sursaut nerveux de cette aigre sonnerie, à laquelle elles ne voulaient pas répondre. Pélagie était devenue aussi farouche, aussi maniaque que sa maîtresse, comme hébétée d’étroite dévotion. Elle avait d’abord cessé de s’attarder chez les fournisseurs, causant à peine, filant comme une ombre le long des maisons. Puis, elle n’était plus allée aux provisions que deux fois par semaine, sa maîtresse et elle se condamnant à manger des pains rassis, quelques légumes, une nourriture d’ermites au désert. Et, maintenant, les quelques rares fournisseurs venaient eux-mêmes le samedi soir, à la nuit tombée, déposer un panier, qu’ils retrouvaient le samedi suivant, vide, avec l’argent, dans un morceau de vieux journal. Mais Pélagie avait un grand tourment, son neveu Polydor entré comme domestique dans un couvent de Beaumont, et qui venait lui faire des scènes affreuses, pour avoir de l’argent. Il l’effrayait à un tel point, qu’elle n’osait le laisser à la porte, le sachant capable d’ameuter le quartier, de tout enfoncer à coups de pied, si elle ne lui ouvrait pas. Du reste, quand elle l’avait fait entrer, elle tremblait davantage, le sachant capable d’un mauvais coup, si elle lui refusait dix francs. Depuis de longues années, elle caressait le rêve d’employer à ses joies célestes, dans l’autre monde, toutes ses économies, une dizaine de mille francs amassés sou à sou ; et si elle tardait, si le magot était toujours dans sa paillasse, caché avec soin, c’était qu’elle hésitait encore sur le meilleur placement, le plus efficace, des messes perpétuelles pour le repos de son âme, ou bien un petit jardin réservé, un coin modeste, à côté du