Page:Zorrilla - Don Juan Tenorio, trad. Curzon, 1899.djvu/194

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lui a donné cette forme sous laquelle elle s’est montrée, et j’en suis venu, aveugle, à croire à la réalité d’un être que fabriqua mon esprit. Jamais pourtant d’une telle manière ma folle imagination n’a, de son pouvoir idéal, fanatisé ma raison. Oui ; j’ai vu quelque chose de surnaturel dans cette Doña Inès si vaporeuse, apparue au travers de l’épaisse frondaison ; mais… bah ! cette circonstance même est le propre d’une ombre. Quoi de plus diaphane et subtil que les chimères d’un songe ? Où trouver rien de plus gracieux, de plus souple et de plus exquis ? Et n’arrive-t-il pas mille fois que, dans une fébrile exaltation, notre imagination voit, comme un être et une réalité, la creuse vanité d’une illusion trop désirée ? — Oui, par Dieu ! ce fut un délire ! — Pourtant sa statue était là. Oui certes ; je l’ai vue et je l’ai touchée, et même j’ai donné au sculpteur je ne sais quoi en présent. Et maintenant je ne vois plus que le piédestal, qui renferme l’urne funéraire ! Ciel ! mon esprit m’échappe-t-il, ou si quelque vertige infernal m’assaille à l’improviste ? — Qu’a-t-elle dit, cette vision ?… Oh ! je l’ai entendue clairement, et sa voix triste et souffrante a retenti dans mon cœur. Hélas ! Et si brèves sont les heures du délai qu’elle nous prédit ! — Non, non ! c’est un délire insensé de ma fièvre chaude ! C’est ma fièvre qui a ouvert le sépulcre de Doña Inès. Fuyez et évanouissez-vous ; fuyez, vapeurs sinistres de mes amours perdues, de mes