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Pensées d’août/À M. de Salvandy

La bibliothèque libre.
Pensée d’aoûtMichel Lévy frères. (p. 223-225).


À M. DE SALVANDY

ministre du 15 avril


« ....L’oisiveté est de l’ancien régime. L’isolement est un anachronisme. Avec du talent, personne n’en a le droit. »
Lettre à moi adressée.


Assez d’autres suivront les routes où la foule
Marche et guide, à son tour, qui la voudrait guider ;
Assez d’autres iront à la pente où tout roule,
À ce croissant concours qui va tout commander.

Assez d’autres suivront l’intérêt ou la gloire,
Le bien public aussi, fantôme des grands cœurs,
Idole si contraire aux Pénates d’ivoire,
Et le Forum rouvert, dévorant ses vainqueurs.

Laissez, laissez encor quelques-uns, à leur guise,
Tenir l’étroit sentier et cultiver l’oubli,
Et haut dans la colline où la source se puise,
S’abreuver de tristesse ou d’un rêve embelli.

Il faut aux souvenirs quelques âmes voilées,
S’enchaînant au regret, ou bien au lent espoir.
Aux généreux amis tombés dans des mêlées,
Il faut, plus faible, au moins garder foi jusqu’au soir.


Peut-être à tous les vœux de la jeunesse enfuie
Il ne faut pas toujours dire qu’on a failli.
Pour l’avenir qui naît et pour sa jeune vie
On peut croire au fruit d’or qu’on n’aura pas cueilli.

Il serait bon d’ailleurs (et même pour l’exemple,
Dans les rôles divers, c’en serait un bien sûr),
Que quand tous à la fête, à la ville, à son temple,
Se hâtent, l’un restât, servant l’autel obscur.

Comme moi vous savez une Dame au bocage
(Las ! aujourd’hui luttant contre un mal inhumain !),
Qui ne veut qu’une allée en tout son vaste ombrage,
Et de qui l’on a dit : « Elle est dans son chemin[1] ! »

Oh ! que je fasse ainsi sur ma maigre colline,
Vers les scabreux penchants où la chèvre me suit !
Qu’en mon caprice même un sentier se dessine,
Tournant, et non brisé, de l’aurore à la nuit !

Pourtant la solitude a ses heures amères ;
Des cités, je le sais, parfois un vent nous vient,
Une poussière, un cri, qui corrompt les chimères
Et relance au désir un cœur qui se retient.

Alors tout l’être souffre ! on aspire le monde,
On y voudrait aussi sa force et son emploi.
On dit non au désert, à la verdure, à l’onde ;
Et les zéphyrs troublés ne savent pas pourquoi.

Peut-être, hélas ! l’envie au pauvre cœur va naître,
Et cet amour haineux de l’éclat qu’on n’a pas ;

Mais si soudain alors, vous frappant sous le hêtre,
Un appel éloigné lève et suspend vos pas ;

Si, du prochain cortège où la foule se presse,
Une voix rompt ce cri tout à l’heure importun,
Si, de dessus la haie où l’épine se dresse,
La bienveillance en fleurs envoie un bon parfum,

Alors, tout refusant ce qui n’est point possible,
On est touché du moins, et, d’un cœur non jaloux,
On reprend son sentier et la pente insensible,
Et pour longtemps les bois et l’oubli sont plus doux.

1837.

  1. La duchesse de Rauzan. — Se rappeler les sonnets à elle adressés précédemment.