Chapitre XI. — L’accent dans la phrase
§ 313. Un mot peut, soit porter un accent, soit être proclitique ou enclitique.
Proclitiques :
Sont proclitiques l’article, les adjectifs possessifs, les prépositions et conjonctions, les formes du verbe copule, les négations et les diverses particules relatif, particule précédant le vocatif, etc.
Les proclitiques sont traités dans la phrase comme les voyelles prétoniques dans le mot : la voyelle, quand elle est brève, tend vers ə ou ɩ (cf. §§ 151 et 161), mais peut conserver son timbre propre, plus ou moins obscurci, comme c’est souvent le cas des proclitiques go (go) « que » ; mo (mo) « mon » ; do (do) « son ».
də ˈvo: ou do ˈvo: (do bhó) « ta vache » ; ɛg ˈo:l (ag ól) ou əg ˈo:l (ag ól) « buvant » ; ɩs ˈfʹe:dʹɩrʹ (is féidir) « c’est possible » ; ə ˈhᴇ̈:ᵊn, ə ˈdo: (a haon, a dó) « un, deux » ; ˌkɑd ɩ ˈjinʹ ʃe· (cad do dhein sé) « que fit-il ? » ; ə ˈǥʷɪnʹɩ (a dhuine), vocatif de dɪnʹɩ (duine) « personne ».
§ 314. Quand la voyelle d’un proclitique est longue, elle s’abrège mais conserve son timbre :
os ˈkʲᴜ:n' (os ciunn) « au-dessus de » ; o ˈhɑ:ⁱtʹ go ˈhɑ:ⁱtʹ (ó háit go háit) « de place en place » ; nʹiˈfʹe:dʹɩrʹ (ní féidir) « ce n’est pas possible » ; no (nó) « ou » ; nɑ (ná) « ni ».
§ 315. La voyelle d’un proclitique, quand elle est brève, peut être syncopée, ou apocopée, si bien que le proclitique peut disparaître entièrement, si le maintien n’en est pas nécessaire pour le sens : vɑ:ⁱrʹɩ (a Mháire) « Marie » ; jʹinʹ ˈʃʹe e· (do dhein sé é) « il le fit », à côté de ˈd o:l ʃe· e· (d’ ól sé é) « il le but » ; s ˈfʹe:dʹɩrʹ e: (is féidir é) « c’est possible » ; ˈdʹrʹe:rʹ, à côté de dəˈrʹe:rʹ (do réir) « d’après ».
§ 316. Enclitiques :
Sont enclitiques les particules démonstratives et emphatiques et les pronoms personnels sujets non emphatiques.
La voyelle d’un enclitique est traitée comme une voyelle en syllabe posttonique : brève, elle est de timbre ə ou ɩ, selon la nature de la consonne suivante (ou, à son défaut, de la consonne précédente), mais ne se syncope pas, comme il arrive pour les proclitiques. Longue, elle tend à s’abréger.
ən ˈfʹαr sə (an fear so) « cet homme » ; ˈmɔlɩmʹ ʃɩ (molaim-se) « je loue » ; ˈdʹᴇrʹɩnʹ ʃe· ou ˈdʹᴇrʹɩnʹ ʃe (deireann sé) « il dit » ; ˈbᴜ·ɛlʹhɩ mʹe ˌhᴜ: (buailfidh mé thú) « je te battrai » ; les pronoms mʹe: (mé) « je », tᴜ: (tú) « tu », ʃe: (sé) « il », ʃi: (sí) « elle », sont ainsi fréquemment abrégés en mʹe, tᴜ, ʃe, ʃi.
On peut avoir abrègement même lorsqu’il s’agit, non d’enclitiques proprement dits, mais de formes qui ne portent le plus souvent qu’un accent secondaire, par exemple : ˈtᴜ:r do e: (tabhair dó é) « donne-le lui ».
§ 317. Place de l’accent dans la phrase :
On ne distinguera ici que trois degrés au point de vue de la force de l’accent : atone (non noté) ; moyen (noté ˌ devant la syllabe) ; fort (noté ˈ devant la syllabe).
Il ne peut être question ici que de signaler quelques cas élémentaires.
§ 318. Groupe nominal :
Article, adjectif possessif, particule vocative, préposition, négation + nom : le nom porte l’accent : ən ˈfʹαr ou ɩ ˈfʹαr (an fear) « l’homme ».
Nom de nombre + nom : le nom de nombre porte l’accent principal ; ˈtʹrʹi: ˌkʹi:nʹ (trí cinn) litt. « trois têtes », c’est-à-dire « trois » ; ˈʃαχ(t) ˌno:rʃɩ (seacht ndóirse) « sept portes ».
Lorsque le nom de nombre est complexe, le nom étant inséré après les unités, le nom perd son accent secondaire, en vertu de la tendance rythmique à ne pas avoir plusieurs mots accentués de suite, et l’accent principal se trouve sur la deuxième partie du numéral : ˌdɑ: çaᴜn ˈdʹi:ag (dá cheann déag) « douze ».
Nom + adjectif, adverbe ou génitif déterminatif : l’accent est sur le déterminatif : ˌkɑpəl ˈlɑ:ⁱdʹɩrʹ (capall láidir) « un cheval robuste » ; ɩnʹ ˌtʹikʹ hi:s (an tigh thíos) « la maison d’en bas » ; fʹαr ɩ ˈtʹi: (fear an tighe) « le maître de la maison » ; comparez : ˌrɪ: ˈmah (rígh maith) « un bon roi », avec ˈrɪ:vah (rígh-mhaith) « excellent ».
Deux substantifs, adjectifs ou qualificatifs, juxtaposés ou coordonnés : l’accent est sur le second : bɔg ˈbrᴇ̈:ᵊnəχ (bog braonach) « doux et humide » ; ˌlɑg ɩs ˈlᴀᴜm (lag agus lom) « découverte (en parlant de la plage à marée basse) » ; ˌbʹαn ɩs ˈklᴀᴜn (bean is clann) « femme et enfants ».
Dans une phrase attributive deux termes réunis ou non par la copule l’attribut a l’accent principal, le sujet l’accent secondaire.
iˌnʹi:ᵊn də ˌvʹαn ˈtʹi: ᵊn ˈtɑgartʹ ˌi: ʃinʹ. (inghean do bhean tighe an tsagairt í sin) « c’est la fille de la gouvernante du curé ». Mais quand un élément est mis en évidence par l’emploi de ɩs, ɩʃ, en tête de phrase, il est fortement accentué : ˈʃe: ᵊn ˌfʹαr ˈkʹì:anə e· (is é an fear céadhna é) « c’est le même homme ».
§ 319. Groupe verbal :
Négation, particule temporelle ou interrogative, conjonction, pronom relatif + verbe : le verbe porte l’accent : nʹi· ˈhᴜkəd (ní thiocfad) « je ne viendrai pas » ; gə ˈdᴜkəχ ʃe· (go dtiocfadh sé) « qu’il viendrait ».
Cependant la négation nɑ: précédant l’impératif est accentuée : ˈnɑ: ˌdʹinʹ (ná dein) « ne le fais pas ! » ; ˈna: ˌhɑbʷɩrʹ e· (ná h‑abair é) « ne dis pas cela ».[W 1]
Verbe + pronom non emphatique sujet ou complément : le verbe porte l’accent : ˈkʷɪrʹɩn ʃe· (cuireann sé) « il place » ; ˈχnᴜk e· (chonnac é) « je l’ai vu » ; ˈlʹᴇgʹ dɔm (leig dom) « laisse-moi tranquille ».
Verbe + nom ou pronom emphatique sujet ou complément : l’accent est sur le nom ou le pronom : ˌvᴜ·ɛlʹəs ə'dʌrəs (bhuaileas an doras) « je frappai à la porte » ; ˌtɑ:ⁱmʹ əm ˈχɔlə (táim im chodladh) « je suis endormi » ; ˌdʹᴇrʹən ˈtʌsə go… (deireann tusa go…) « c’est toi qui dis… »
Verbe + adverbe : l’accent est sur l’adverbe : ˌhitʹəs əˈnᴜ·əs (thuiteas anuas) « je tombai d’en haut ».
Mais l’impératif peut avoir l’accent principal : ˈsɩgʹ ənˌso (suigh annso) « assieds-toi ici ».
Auxiliaire + forme nominale du verbe : l’accent est sur la forme nominale :
ˌtɑ· ˈbᴜɛtʹ ʌrəm (tá buaidhte orm) « je suis vaincu » ; ˌtɑ: ʃe· ɛg ɩˈmʹαχt (tá sé ag imtheacht) « il s’en va » ; mais tɑ: ˈʃɑ̃:n ɛg ɩˌmʹαχt (ta Seán ag imtheacht) « Seán s’en va ».
Verbe + sujet + complément ou attribut : le complément ou l’attribut est plus fortement accentué que le sujet, sauf si le sujet est un nom, le complément ou l’attribut un pronom : ˌtɑ: ʃe ˈmɑrəv (tá sé marbh) « il est mort » ; ˈǥlɑk ʃe ˌe· (ghlac sé é) « il le saisit ».
§ 320. Il faut toujours tenir compte du fait que des tendances rythmiques, malaisées à déterminer, peuvent intervenir pour contrarier certaines des règles énoncées. On dira par exemple : nʹi· ˌɑbᵊrən gɑlər ˌfɑdə ˈbʹrʹì:ag (ní abrann galar fada bréag) « une longue maladie ne ment pas » ; le nom sujet n’est pas accentué, à cause du complément qui suit, et afin d’éviter une suite de mots fortement accentués. Mais : vʹi ˈʃɑ̃:n ɛˌdʌl əˈχɔlə (bhí Seán ag dul a chodladh) « Seán allait se coucher ».
§ 321. Une étude systématique de l’intonation sans instruments a paru trop hasardeuse pour être tentée. Il faut seulement noter que l’intonation du mot ne joue aucun rôle dans le parler ; non pas qu’il n’existe pas en fait de variations dans l’intonation, mais celles-ci n’ont aucune valeur caractéristique.
L’intonation de la phrase, étudiée, donnerait certainement des résultats curieux : il est constant d’avoir, dans une phrase affirmative, prononcée sur un ton sensiblement égal, une remontée de la voix, vers la fin, suivie d’une légère descente sur les toutes dernières syllabes :
vʹi: klᴀᴜ(n) nə gᴜ̃:rsən ɛg i·əsg̬əχ ⸢ɛr fʹα(g)⸣ ⸤ǥɑ: lᴇ̈:⸥ (bhí clann na gcomharsan ag iascach ar feadh dhá lae) « les fils des voisins ont été à la pêche pendant deux jours ».
On a l’impression que la phrase s’achève sur un trille. L’intonation descendante finale peut manquer. La phrase s’achève alors sur une intonation montante :
tɑ: nə prɑ:tɪ: go ⸢hɔlk⸣ (ta na prataí go holc) « les pommes de terre sont mauvaises ».
L’impression qu’en reçoit une oreille non accoutumée est que la phrase reste en suspens.
Une phrase interrogative se termine fréquemment par une intonation descendante (l’interrogation étant exprimée morphologiquement, ce qui rend une intonation spéciale superflue) :
vʷɪlʹ ᴇ̈ᵊn ᴜ:rɑ̃:n ə nᴇ̈:ᵊχʌr ⸤əgɑt⸥ (an bhfuil aon amhrán i n-aon chor agat ?) « est-ce que tu sais chanter ? ».
Le début d’une proposition nouvelle ou l’ouverture d’une parenthèse est d’ordinaire marquée par une descente, la fin d’une proposition ou la fermeture d’une parenthèse, par une montée, de l’intonation :
fʹì:aχ ⸤ə vʷɪlʹ⸥ ᴇ̈ᵊn fʹiŋʹgʹɩnʹ ⸢ɩkʹi⸣ ⸤ɩ çαno:χ⸥ ⸢pʲaᴜn⸣ ⸤dɔm-sə⸥ (feuch an bhfuil aon phinginn aici a cheannóchadh peann dom-sa) « regarde si elle n’a pas un penny, avec lequel je pourrais m’acheter une plume ».
Un exemple de ce genre donne une idée des fréquentes variations de hauteur qu’on ne peut ici que signaler mais qui constituent une des caractéristiques du parler les plus remarquables à première audition.
- Notes (Wikisource)
- ↑ Cette traduction est trop littérale. Ná habair é signifie ‘de rien’ ou ‘il n’y a pas de quoi’.