Phonétique d’un parler irlandais de Kerry/3-11

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Troisième partie. Le groupe. La syllabe. Le mot. La phrase.
Chapitre XI. — L’accent dans la phrase

Chapitre XI
L’accent dans la phrase

§ 313. Un mot peut, soit porter un accent, soit être proclitique ou en­clitique.

Proclitiques :

Sont proclitiques l’article, les adjectifs possessifs, les prépo­sitions et conjonc­tions, les formes du verbe copule, les négations et les diverses parti­cules relatif, particule précédant le vocatif, etc.

Les proclitiques sont traités dans la phrase comme les voyelles pré­toniques dans le mot : la voyelle, quand elle est brève, tend vers ə ou ɩ (cf. §§ 151 et 161), mais peut conserver son timbre propre, plus ou moins obscurci, comme c’est souvent le cas des pro­clitiques go (go) « que » ; mo (mo) « mon » ; do (do) « son ».

də ˈvo: ou do ˈvo: (do bhó) « ta vache » ; ɛg ˈo:l (ag ól) ou əg ˈo:l (ag ól) « buvant » ; ɩs ˈfʹe:dʹɩrʹ (is féidir) « c’est possible » ; ə ˈhᴇ̈:ᵊn, ə ˈdo: (a haon, a dó) « un, deux » ; ˌkɑd ɩ ˈjinʹ ʃe· (cad do dhein sé) « que fit-il ? » ; ə ˈǥʷɪnʹɩ (a dhuine), vocatif de dɪnʹɩ (duine) « personne ».

§ 314. Quand la voyelle d’un proclitique est longue, elle s’abrège mais conserve son timbre :

os ˈkʲᴜ:n' (os ciunn) « au-dessus de » ; o ˈhɑ:ⁱtʹ go ˈhɑ:ⁱtʹ (ó háit go háit) « de place en place » ; nʹiˈfʹe:dʹɩrʹ (ní féidir) « ce n’est pas possible » ; no (nó) « ou » ; (ná) « ni ».

§ 315. La voyelle d’un proclitique, quand elle est brève, peut être syncopée, ou apocopée, si bien que le pro­clitique peut dis­paraître entière­ment, si le maintien n’en est pas néces­saire pour le sens : vɑ:ⁱrʹɩ (a Mháire) « Marie » ; jʹinʹ ˈʃʹe e· (do dhein sé é) « il le fit », à côté de ˈd o:l ʃe· e· (d’ ól sé é) « il le but » ; s ˈfʹe:dʹɩrʹ e: (is féidir é) « c’est possible » ; ˈdʹrʹe:rʹ, à côté de dəˈrʹe:rʹ (do réir) « d’après ».

§ 316. Enclitiques :

Sont enclitiques les particules démonstratives et emphatiques et les pronoms person­nels sujets non empha­tiques.

La voyelle d’un enclitique est traitée comme une voyelle en syllabe post­tonique : brève, elle est de timbre ə ou ɩ, selon la nature de la consonne suivante (ou, à son défaut, de la consonne précé­dente), mais ne se syncope pas, comme il arrive pour les pro­clitiques. Longue, elle tend à s’abréger.

ən ˈfʹαr sə (an fear so) « cet homme » ; ˈmɔlɩmʹ ʃɩ (molaim-se) « je loue » ; ˈdʹᴇrʹɩnʹ ʃe· ou ˈdʹᴇrʹɩnʹ ʃe (deireann sé) « il dit » ; ˈbᴜ·ɛlʹhɩ mʹe ˌhᴜ: (buailfidh mé thú) « je te battrai » ; les pronoms mʹe: (mé) « je », tᴜ: (tú) « tu », ʃe: (sé) « il », ʃi: (sí) « elle », sont ainsi fréquem­ment abrégés en mʹe, tᴜ, ʃe, ʃi.

On peut avoir abrègement même lorsqu’il s’agit, non d’encli­tiques propre­ment dits, mais de formes qui ne portent le plus souvent qu’un accent secon­daire, par exemple : ˈtᴜ:r do e: (tabhair dó é) « donne-le lui ».

§ 317. Place de l’accent dans la phrase :

On ne distinguera ici que trois degrés au point de vue de la force de l’accent : atone (non noté) ; moyen (noté ˌ devant la syllabe) ; fort (noté ˈ devant la syllabe).

Il ne peut être question ici que de signaler quelques cas élémen­taires.

§ 318. Groupe nominal :

Article, adjectif possessif, particule vocative, prépo­sition, négation + nom : le nom porte l’accent : ən ˈfʹαr ou ɩ ˈfʹαr (an fear) « l’homme ».

Nom de nombre + nom : le nom de nombre porte l’accent principal ; ˈtʹrʹi: ˌkʹi:nʹ (trí cinn) litt. « trois têtes », c’est-à-dire « trois » ; ˈʃαχ(t) ˌno:rʃɩ (seacht ndóirse) « sept portes ».

Lorsque le nom de nombre est complexe, le nom étant inséré après les unités, le nom perd son accent secon­daire, en vertu de la tendance rythmique à ne pas avoir plusieurs mots accentués de suite, et l’accent principal se trouve sur la deuxième partie du numéral : ˌdɑ: çaᴜn ˈdʹi:ag (dá cheann déag) « douze ».

Nom + adjectif, adverbe ou génitif déterminatif : l’accent est sur le déter­minatif : ˌkɑpəl ˈlɑ:ⁱdʹɩrʹ (capall láidir) « un cheval robuste » ; ɩnʹ ˌtʹikʹ hi:s (an tigh thíos) « la maison d’en bas » ; αr ɩ ˈtʹi: (fear an tighe) « le maître de la maison » ; comparez : ˌrɪ: ˈmah (rígh maith) « un bon roi », avec ˈrɪ:vah (rígh-mhaith) « excellent ».

Deux substantifs, adjectifs ou qualificatifs, juxtaposés ou co­ordonnés : l’accent est sur le second : bɔg ˈbrᴇ̈:ᵊnəχ (bog braonach) « doux et humide » ; ˌlɑg ɩs ˈlᴀᴜm (lag agus lom) « décou­verte (en parlant de la plage à marée basse) » ; ˌbʹαn ɩs ˈklᴀᴜn (bean is clann) « femme et enfants ».

Dans une phrase attributive deux termes réunis ou non par la copule l’attribut a l’accent principal, le sujet l’accent secon­daire.

iˌnʹi:ᵊn də ˌvʹαn ˈtʹi: ᵊn ˈtɑgartʹ ˌi: ʃinʹ. (inghean do bhean tighe an tsagairt í sin) « c’est la fille de la gouver­nante du curé ». Mais quand un élément est mis en évidence par l’emploi de ɩs, ɩʃ, en tête de phrase, il est fortement accentué : ˈʃe: ᵊn ˌfʹαr ˈkʹì:anə e· (is é an fear céadhna é) « c’est le même homme ».

§ 319. Groupe verbal :

Négation, particule temporelle ou interrogative, conjonction, pronom relatif + verbe : le verbe porte l’accent : nʹi· ˈhᴜkəd (ní thiocfad) « je ne viendrai pas » ; gə ˈdᴜkəχ ʃe· (go dtiocfadh sé) « qu’il viendrait ».

Cependant la négation nɑ: précédant l’impératif est accentuée : ˈnɑ: ˌdʹinʹ (ná dein) « ne le fais pas ! » ; ˈna: ˌhɑbʷɩrʹ e· (ná h‑abair é) « ne dis pas cela ».[W 1]

Verbe + pronom non emphatique sujet ou complément : le verbe porte l’accent : ˈkʷɪrʹɩn ʃe· (cuireann sé) « il place » ; ˈχnᴜk e· (chonnac é) « je l’ai vu » ; ˈlʹᴇgʹ dɔm (leig dom) « laisse-moi tran­quille ».

Verbe + nom ou pronom emphatique sujet ou complément : l’accent est sur le nom ou le pronom : ˌvᴜ·ɛlʹəs ə'dʌrəs (bhuaileas an doras) « je frappai à la porte » ; ˌtɑ:ⁱmʹ əm ˈχɔlə (táim im chodladh) « je suis endormi » ; ˌdʹᴇrʹən ˈtʌsə go… (deireann tusa go…) « c’est toi qui dis… »

Verbe + adverbe : l’accent est sur l’adverbe : ˌhitʹəs əˈnᴜ·əs (thuiteas anuas) « je tombai d’en haut ».

Mais l’impératif peut avoir l’accent principal : ˈsɩgʹ ənˌso (suigh annso) « assieds-toi ici ».

Auxiliaire + forme nominale du verbe : l’accent est sur la forme nominale :

ˌtɑ· ˈbᴜɛtʹ ʌrəm (tá buaidhte orm) « je suis vaincu » ; ˌtɑ: ʃe· ɛg ɩˈmʹαχt (tá sé ag imtheacht) « il s’en va » ; mais tɑ: ˈʃɑ̃:n ɛg ɩˌmʹαχt (ta Seán ag imtheacht) « Seán s’en va ».

Verbe + sujet + complément ou attribut : le complément ou l’attribut est plus fortement accentué que le sujet, sauf si le sujet est un nom, le complé­ment ou l’attribut un pronom : ˌtɑ: ʃe ˈmɑrəv (tá sé marbh) « il est mort » ; ˈǥlɑk ʃe ˌe· (ghlac sé é) « il le saisit ».

§ 320. Il faut toujours tenir compte du fait que des tendances ryth­miques, malaisées à déter­miner, peuvent inter­venir pour contra­rier certaines des règles énoncées. On dira par exemple : nʹi· ˌɑbᵊrən gɑlər ˌfɑdə ˈbʹrʹì:ag (ní abrann galar fada bréag) « une longue maladie ne ment pas » ; le nom sujet n’est pas accentué, à cause du complé­ment qui suit, et afin d’éviter une suite de mots fortement accentués. Mais : vʹi ˈʃɑ̃:n ɛˌdʌl əˈχɔlə (bhí Seán ag dul a chodladh) « Seán allait se coucher ».

Intonation.

§ 321. Une étude systématique de l’intonation sans instruments a paru trop hasar­deuse pour être tentée. Il faut seulement noter que l’into­nation du mot ne joue aucun rôle dans le parler ; non pas qu’il n’existe pas en fait de varia­tions dans l’into­nation, mais celles-ci n’ont aucune valeur caracté­ristique.

L’intonation de la phrase, étudiée, donnerait certainement des résultats curieux : il est constant d’avoir, dans une phrase affir­mative, prononcée sur un ton sensible­ment égal, une remontée de la voix, vers la fin, suivie d’une légère descente sur les toutes dernières syllabes :

vʹi: klᴀᴜ(n) nə gᴜ̃:rsən ɛg i·əsg̬əχ ⸢ɛr fʹα(g)⸣ ⸤ǥɑ: lᴇ̈:⸥ (bhí clann na gcomh­arsan ag iascach ar feadh dhá lae) « les fils des voisins ont été à la pêche pendant deux jours ».

On a l’impression que la phrase s’achève sur un trille. L’into­nation descen­dante finale peut manquer. La phrase s’achève alors sur une into­nation montante :

tɑ: nə prɑ:tɪ: gohɔlk⸣ (ta na prataí go holc) « les pommes de terre sont mauvaises ».

L’impression qu’en reçoit une oreille non accoutumée est que la phrase reste en suspens.

Une phrase interrogative se termine fréquemment par une into­nation descen­dante (l’inter­rogation étant exprimée morpho­logique­ment, ce qui rend une into­nation spéciale superflue) :

vʷɪlʹ ᴇ̈ᵊn ᴜ:rɑ̃:n ə nᴇ̈:ᵊχʌrəgɑt⸥ (an bhfuil aon amhrán i n-aon chor agat ?) « est-ce que tu sais chanter ? ».

Le début d’une proposition nouvelle ou l’ouverture d’une paren­thèse est d’ordinaire marquée par une descente, la fin d’une propo­sition ou la fermeture d’une paren­thèse, par une montée, de l’into­nation :

fʹì:aχ ⸤ə vʷɪlʹᴇ̈ᵊn fʹiŋʹgʹɩnʹɩkʹi⸣ ⸤ɩ çαno:χ⸥ ⸢aᴜn⸣ ⸤dɔm-sə⸥ (feuch an bhfuil aon phinginn aici a cheannóchadh peann dom-sa) « regarde si elle n’a pas un penny, avec lequel je pourrais m’acheter une plume ».

Un exemple de ce genre donne une idée des fréquentes variations de hauteur qu’on ne peut ici que signaler mais qui consti­tuent une des caracté­ristiques du parler les plus remar­quables à première audition.

Notes (Wikisource)
  1. Cette traduction est trop littérale. Ná habair é signifie ‘de rien’ ou ‘il n’y a pas de quoi’.