Chapitre V. — Voyelles mixtes d’avant
§ 148. Les voyelles mixtes d’avant (dont on peut rapprocher les out-mixed de Sweet) s’articulent sensiblement plus en arrière que les voyelles d’avant, mais plus près cependant de ces voyelles que des voyelles d’arrière, c’est-à-dire (schématiquement) dans la zone postérieure de la moitié antérieure de la cavité buccale. Ces voyelles s’apparentent aux voyelles d’avant par le timbre et par la façon dont elles se comportent vis-à-vis des consonnes, provoquant le développement de glides vélaires lorsqu’elles sont en contact avec des consonnes vélaires et s’unissant sans glides aux consonnes palatales.
ï est une voyelle mixte d’avant, haute, tendue, que l’on ne rencontre que brève.
ï apparaît en syllabe tonique après consonne palatale ou à l’initiale, soit devant consonne vélaire (le plus souvent s ou r suivi ou non de dentale palatale), soit devant h, faisant partie de la même syllabe (cf. § 88).
ïməl (imeall) « bordure » ; bʹïr (bior) « pointe » ; kʹïrtʹɩ (cirte), compar. de kʹαrt (ceart) « juste » ; gʹïtə (giota) « une bonne quantité » ; sg̬rʹïs (scrios) « ravage » ; sg̬rʹïstə (scriosta) « dépouillé, sans un sou » ; glʹïsg̬ərnəχ (glioscarnach) « scintillement » ; pʹrʹïslɩrʹɩ (prioslaire) « personne qui bave » ; mʹïnfrɑ꞉ti꞉ (mionphrátaí) « petites pommes de terre » ; bʹrʹïtə (briota) « petite quantité ». krʹïh (crith) « trembler » ; kʹïh (cith) « ondée » ; dʹrʹïhⁱlʹɩ (drithle) « étincelle ».
Devant s il y a flottement entre i et ï : bʹrʹïsg̬ et bʹrʹisg̬, pʹrʹïslɩrʹɩ et pʹrʹislɩrʹɩ.
§ 150. Devant consonne autre que s, r, h, il y a flottement entre ï et λ ou, à l’initiale, ᴜ : ïməl et ᴜməl, ou λməl ; ɩnʲ λməl (an imeall) « la bordure » ; de même gʹïlə (giolla) « groom » se rencontre à côté de gʲλlə, usuel ; lʹïbərnəχ (liobarnach) « mal soigné, mal tenu (en parlant d’une personne) » à côté de lʹλbərnəχ. Il est difficile de préciser (en dehors du cas devant s ou r) les conditions de répartition de ï et de λ (ce dernier beaucoup plus commun).
§ 151. ɩ (écrit e, i, ai, oi, ui, etc. ou non écrit là où l’ɩ est d’origine svarabhaktique, cf. IIIe partie, chap. iii).
ɩ est une voyelle mixte d’avant, lâche, de hauteur et d’ouverture très variables : haute entre consonnes palatales ; de position moyenne ou tendant vers la moyenne à la finale après consonne palatale, ou entre consonnes vélaire et palatale ; la voyelle ɩ est pourtant toujours sensiblement plus haute que ə (q. v.).
Toute voyelle brève posttonique est de timbre ɩ ou ə ; l’atone prétonique tend vers ɩ ou ə, mais peut conserver son timbre et sa tension propre dans une mesure qui varie principalement en fonction du tempo du langage. On peut donc avoir ɩ, en syllabe non accentuée, dans tous les cas où l’on n’a pas ə (cf. § 161), c’est-à-dire : soit, en toute position, devant consonne palatale, soit à la finale, après consonne palatale, soit même (concurremment avec ə) entre consonne palatale et consonne vélaire, mais cela seulement en syllabe prétonique.
Entre consonne vélaire et ɩ s’insère, s’il y a lieu, un glide w, moins développé cependant qu’en syllabe tonique.
§ 152. En syllabe posttonique :
ɑlɩʃ (alluis), gén. de ɑləs (allus) « sueur » ; kʹigʹɩlʹɩʃ (cigilis) « chatouillement » ; dʲo̤kʷɩrʹ (deacair) « difficile » ; dʹrʹe꞉mɩrʹɩ (dréimire) « échelle » ; dʹirʹɩgʹɩ (deirge), comp. de dʹαrəg (dearg) « rouge » ; fʹiꞏəkʷɩlʹ (fiacail) « dent » ; idʹɩrʹ (idir) « entre » ; lʹαnɩmʹ (leanaim) « je suis » ; mɑ꞉hɩrʹ (máthair) « mère » ; sɔlɩʃ (solais), gén. de sɔləs (solas) « lumière » ; tᴜkʷɩgʹ (tiocfaidh) « (il) viendra » ; ᴜɛgʹɩnʹəs ou ᴜɛgʹⁱnʹəs (uaigneas) « solitude » (cf. IIIe partie, chap. iii).
§ 153. En syllabe prétonique :
ɩlʲɑ̃꞉n (oileán) « île » ; bʹɩʃαꞏχ (biseach) « profit » ; k(ʷ)iʃlʲɑ̃꞉n (caisleán) « château » ; kʷɩrʲᴜ꞉ (cuiriughadh) « envoûtement » ; k(ʷ)ɩtʹi꞉ᵊntə et kətʹi꞉ᵊntə (coitchiannta) « usuel » ; kʹɩnʲɑ꞉l (cineál) « affection » ; fʹɩlʹi꞉ᵊχt (filidheacht) « poésie » ; mʹɩnʲɑ꞉l (muineál) « cou » ; lʹɩtʹⁱrʲᴜ꞉ (leitriughadh) « orthographe » ; même glʹɩmaꞏχ (gliomach) « homard » ; mais, avec conservation du timbre de la voyelle prétonique : ɛbʹⁱrʹi꞉mʹ (oibrighim) « je travaille » ; αʃtʹrʹi꞉mʹ (aistrighim) « je déménage » ; kalʹi꞉nʹ (cailín) « jeune fille » ; talʲu꞉ⁱrʹ (tailliúir) « tailleur », etc.
ɩ prétonique tend à devenir ultra-bref, puis à se syncoper (cf. IIIe partie, chap. vi).
ë ne se rencontre que comme premier élément des diphtongues ëi ou ëλⁱ (cf. §§ 197 et 202).
§ 155. ᴇ̈꞉ (écrit ao, ae, ‑aodha, ‑aogha, ‑aobha, ‑aedhea, é après r, etc.).
ᴇ̈ est une voyelle mixte d’avant, tendue, moyenne, étroite devant consonne palatale, mais large dans tout autre cas. On peut comparer ᴇ̈ pour la hauteur avec l’atone d’anglais better, mais les deux sons diffèrent en réalité non seulement par la tension, mais par la position sensiblement plus en avant de ᴇ̈꞉ ; par le timbre, cette voyelle rappelle un ɛ plus qu’un ə, et, par le point d’articulation, elle se situe entre les deux.
ᴇ̈ ne se rencontre que long. Après ou devant consonne vélaire se développent les glides w et ə, dont la combinaison avec la voyelle produit un effet des plus caractéristiques.
ᴇ̈꞉ se rencontre le plus souvent entre consonnes vélaires ou à l’initiale devant consonne vélaire ; parfois entre consonnes vélaire et palatale : dans ce dernier cas la voyelle est plus haute et fermée, avec tendance à passer à e :
bʷᴇ̈꞉ᵊl (baoghal) « danger » ; bʷᴇ̈꞉ᵊχ (buidheach) « reconnaissant » ; kʷᴇ̈꞉ᵊl (caol) « mince » ; kʷᴇ̈꞉ (caoi) « moyen » ; dᴇ̈꞉r (daor) « cher » ; ᴇ̈꞉ᵊn (aon) « un » ; ᴇ̈꞉r (aer) « air » ; fʷᴇ̈꞉r (faobhar) « tranchant » : gʷᴇ̈ᵊl (gaol) « parenté » ; lᴇ̈ᵊχ (laoch) « héros » ; mʷᴇ̈꞉həl (maothal) « premier lait de la vache qui vient de vêler » ; mʷᴇ̈꞉ᵊl (maol) « chauve » ; nᴇ̈꞉ᵊvo꞉g (naobhóg) « barque » ; pʷᴇ̈꞉ᵊr (paor) « tête de turc » ; rᴇ̈ᵊbə (réabadh) « déchirer » ; rᴇ̈꞉ᵊχt (reidheacht) « vie, situation facile » ; sᴇ̈꞉hər (saothar) « effort, halètement » ; sᴇ̈ᵊl (saoghal) « monde, vie » ; tᴇ̈꞉ᵊv (taobh) « côté » ; tᴇ̈꞉s (taos) « pâte ».
§ 156. Plus fermé devant consonne palatale : sᴇ̈꞉lʹ (saoghail), gén. de sᴇ̈꞉ᵊl (saoghal) « monde, vie » ; rᴇ̈꞉gʹ (réidh) « uni, facile » ; rᴇ̈꞉lʹhi꞉nʹ (réilthin) « étoile ».
Flottement entre ᴇ̈꞉ et e꞉, cf. § 143 ; entre ᴇ̈꞉ et ᴀɪ, cf. § 196.
Ne se rencontre que comme premier élément des diphtongues äi, äɪ, äλⁱ (cf. §§ 197, 198 et 202).