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Phonétique d’un parler irlandais de Kerry/3-3

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Troisième partie. Le groupe. La syllabe. Le mot. La phrase.
Chapitre III. — Voyelle svarabhaktique



Chapitre III
Voyelle Svarabhaktique

§ 244. Si l’on veut donner une idée exacte du développement actuel de la voyelle svara­bhaktique dans le parler, il faut avoir soin de distin­guer deux ordres de faits.

Certains groupes médians ou finaux constitués par une liquide ou un n () suivi d’occlusive sonore non homor­ganique, de nasale, de χ, v, (et aussi f, < vh, vʹh) ont développé, là où ces groupes 'sont précédés de voyelles brèves, une voyelle svara­bhaktique. Ce phénomène, qui n’est pas limité à notre parler, mais s’étend aux autres dialectes irlandais, est le résultat d’une tendance ancienne dont les effets sont désormais acquis, non l’ex­pression d’un développe­ment en cours. Dans des exemples comme : bɔləg (bolg) « ventre » ; marʹɩgʹ (mairg) « pitié, malheur » ; fɔrəməd (formad) « envie » ; bɑləv (balbh) « bègue, muet » ; fɔnəvər (fonnmhar) « désireux » ; dʌrəχə (dorcha) « sombre », etc. (cf. les exemples cités chap. 1, passim), on ne peut parler d’une voyelle svara­bhaktique que si l’on se place au point de vue histo­rique.

Dans ces cas nous avons affaire à d’anciens groupes finaux ou médians (implosifs ou implosivo-explosifs), consti­tués par une liquide ou une nasale suivie d’une consonne de moindre sonorité.

§ 245. Il en va autrement dans toute une série de cas, auxquels il a été fait allusion plus haut (chap. 1), où on assiste au développe­ment d’un sommet sylla­bique secon­daire, plus ou moins net selon les cas, les sujets et la rapidité de l’élocution, à l’intérieur de beaucoup de groupes médians (donc implosivo-explosifs), consti­tués par une liquide, une nasale ou même une spirante sonore précédée d’une consonne de moindre sonorité.

Il est à remarquer que les groupes qui, en position médiane, développent une voyelle réduite, se main­tiennent en position initiale (c’est-à-dire lorsqu’ils sont explosifs).

Exemples :

§ 246. Occlusive suivie de liquide (cf. §§ 215 et 228) : αgᵊlə (eagla) « crainte », mais glɑ̃:n (glán) « propre » ; ɔkᵊrəs (ocras) « faim », mais krɑ: (crádh) « contra­riété ».

Sifflante suivie de liquide (cf. §§ 215 et 228) : la voyelle furtive est peu déve­loppée.

lɑsᵊrəχ (lasrach) « éclair », mais srɑ:ⁱdʹ (sráid) « rue ».

Spirante suivie de liquide (cf. §§ 215 et 227) :

ɑχᵊrən (achrann) « difficulté », mais ə χrɑ: (do chrádh) « contrarier ».

h, suivi de liquide (cf. §§ 215 et 231) :

fʷɪ:hɩrʹəχ (faoithireach) « moquerie » ; αhɩrʹɩʃ (aithris) « imitation », mais də hrʹi·əl (do thriall) « le but de ton voyage ». La voyelle furtive est parti­culière­ment développée.

Nasale suivie de liquide (cf. §§ 215 et 226) :

ʃaᴜmᵊrə (seomra) « chambre », mais mraχtɩnʹtʹ (mrach­taint) « vivre ».

§ 247. Occlusive suivie de nasale (cf. § 215, 2º ; § 229, 2º) ; dans ce cas et dans ceux qui suivent, la voyelle furtive est plus déve­loppée que devant liquide : αgʹɩnʹɩ (aigne) « esprit », mais gnʹi:ᵊv (gníomh) « action ».

h suivi de nasale (cf. §§ 215 et 231) : fʷɪhɩnʲəχ (foithi­neach) « abrité ».

Nasale suivie de nasale (cf. §§ 215, 2º et 226) :

imʹɩnʹi: (imshníomh) « souci », mais mnɪ: (mnaoi), dat. de αn (bean) « femme ».

Le cas de nm (nʹmʹ), groupe qui ne se rencontre pas en position initiale, diffère du cas de mn (mʹnʹ), et a été mentionné § 244.

§ 248. Occlusive suivie de spirante sonore (cf. §§ 215, 4º et 229, 3º) : ɑdᵊvʷɪ:mʹ (ad­mhuighim) « j’avoue », mais gvɑ:ⁱlʹtʹ (gabháilt) « prendre » (cf. § 279).

§ 249. Les groupes dont il s’agit ont donc une double pronon­ciation, selon qu’ils sont initiaux (explosifs) ou médians (implosivo-explosifs). Il semble cependant qu’il y ait tendance à prononcer les groupes médians comme s’ils étaient initiaux (sans voyelle furtive, quoique avec une explosion audible), là où ces groupes sont suivis de voyelle longue, la voyelle précé­dente étant brève, c’est-à-dire là où l’accent frappe la syllabe suivante. Ainsi : əbrɑ̃:n (Abrán) « Avril », comme brɑt (brat) « châle », non comme ɑbᵊrɩmʹ ; de même əblɑ:ⁱlʹ (abláil) « faire un travail léger, bricoler » ; əprᴜ:n (aprún) « tablier » ; αdrɑ̃:nəχ (leadránach) « paresseux, trainard », comme drα (draid) « fait de montrer les dents », non comme αdᵊrɩnʹ (eadrainn) « entre nous » : poklʹe:mʹ (pocléim) « saut », comme klʹe:rʹəχ (cléireach) « sacri­stain », non comme pʹi·əkᵊləχ (cf. § 246) ; ɛbʹrʹᴜ: (oib­riughadh) « tra­vailler », mais ebʹⁱrʹɩ (oibre), gén. de ɔbʷɩrʹ (obair) « travail» ; il arrive qu’on entende αmʹⁱlʹi:ᵊχt (aim­lidheacht) « mala­dresse », à côté de αmʹⁱlʹɩhɩ (aimlithe) « maladroit » (mais aussi αimʹlʹi:ᵊχt).

Sans doute faut-il expliquer de même l’opposition entre : αhɩnʹɩ (aithne) « connais­sance » et αnʹhi:m pour *αhnʹi:m (aith­nighim) « je reconnais ».

De même αhərər (ceathrar) « quatre personnes », mais αrhᴜ: (ceath­ramha) « quart » (ou aussi αhərᴜ:).

Pour les groupes de trois consonnes, cf. § 232.

§ 250. Métathèse : Certains faits de métathèse demandent à être rappro­chés des faits que nous venons de passer en revue : ce sont ceux où la consonne apparem­ment déplacée est un r. Il faut cependant distin­guer deux séries de cas :

Des faits signalés au § 244, et parti­culière­ment de rχ > χ, il faut rapp­rocher les cas où l’on a : voyelle + r + χ > r + voyelle + χ.

χo:ⁱdʹ (urchóid) « désastre » ; χo:ⁱdʲəχ (urchóid­each) « désas­treux » ; χər (urchor) « jet ».

Actuellement ce genre de métathèse est un fait accompli qui appartient à l’histoire du parler.

En revanche, dans un autre cas (type bərka·χ, à côté de brəka·χ) on saisit sur le fait une tendance actuelle. Mais comme l’appa­rition de la métathèse est alors sub­ordonnée à la place de l’accent, ces faits seront signalés plus loin, chap. vi.