Chapitre IV. — La syllabe
§ 251. La constitution de la syllabe est actuellement en train de se modifier par l’effet du développement de voyelles à l’intérieur de nombreux groupes consonantiques signalé au chapitre précédent.
On ne peut songer ici qu’à esquisser une description sommaire.
§ 252. Frontière syllabique. — L’hiatus n’existe pas, à l’intérieur du mot. La limite entre deux syllabes est donc constituée par une consonne ou un groupe de consonnes.
Une consonne intervocalique appartient à la deuxième syllabe (consonne explosive, ou « à tension croissante », cf. Grammont, Dissimilation). On a vu, à propos des consonnes, qu’il n’existe pas de géminées, à part les cas de sandhi, ou dans quelques composés où la géminée subsiste dans la mesure où la composition est encore sentie.
Lorsque deux syllabes sont séparées par un groupe de deux consonnes, la première consonne appartient à la première syllabe, la deuxième à la deuxième syllabe (groupe implosivo-explosif, ou « à tension complexe ») : kɑp-tᴇ̈:n (captaon) « capitaine » ; ɑk-fʷɩ-nʲəχ (acfuinneach) « énergique » ; kʹαr-tᴜ: (ceartughadh) « corriger » ; kõ:r-sə (comharsa) « voisin » ; kʲo:l-vər (ceólmhar) « gai » ; tʹi:ᵊr-gɑ:ⁱlʹtʹ (tiorgáilt) « se préparer » ; kainʹ-tʲəχ (cainnteach) « bavard ». Mais ma-tʹʃənə (maitseanna) « allumettes », cf. § 91.
Ceci est le cas même lorsqu’il s’agit de groupes de sonorité et d’ouverture croissantes, comme occlusive + liquide, groupes qui tendent, dans la plupart des langues, à appartenir entièrement à la deuxième syllabe, c’est-à-dire à devenir d’implosivo-explosifs (« à tension complexe »), explosifs (« à tension croissante »). C’est ainsi qu’on doit diviser :
kʹi:ᵊk-ᵊrəχ (cíocrach) « avide » ; tɑg-ᵊrɩmʹ (tagraim) « je mentionne » ; i:ʃ-ⁱlʹɩ (ísle), comp. de i:ʃəl (íseal) « bas » ; αfʹ-ⁱrʹən (aifreann) « messe » ; sg̬ᴀᴜn-rə (scannradh) « terreur », etc.
Cependant, nous avons vu (chapitre iii) que là où un groupe implosivo-explosif est d’ouverture et de sonorité croissante, il tend à se créer un sommet syllabique secondaire entre l’implosive et l’explosive. Dans les cas les plus nets la syllabation est actuellement modifiée chez tous les sujets : il faut compter α-gʹɩ-nʹɩ (aigne) « esprit » comme trisyllabique. Mais il existe toute une gradation de cas intermédiaires : le cas de αg-ᵊlə (eagla) « crainte » ; ɔk-ᵊrəs (ocras) « faim », est déjà moins net, l’évolution étant sensiblement moins avancée (après occlusive et nasale) devant liquide que devant nasale. Après sifflante, la voyelle est moins développée encore, et tous les sujets prononcent lɑs-ᵊrəχ non lɑ-sə-rəχ.
Un groupe consonantique séparant une voyelle atone d’une voyelle tonique tend à appartenir à la syllabe suivante (à être explosif). C’est le cas dans les exemples signalés § 249, où les groupes sont traités, au point de vue du développement de la voyelle svarabhaktique, comme s’ils étaient initiaux, ce qui s’explique par le fait qu’on a là des groupes explosifs, comme à l’initiale ; ə-brɑ̃:n (Abrán) « avril » ; ɛ-bʹrʹᴜ: (oibriughadh) « travailler » ; ɔ-χlɑ̃:n (ochlán) « abattement » ; etc. (ce qui n’empêche pas que la consonne ne soit unie à la voyelle précédente par jonction étroite « fester Anschluss »).
§ 253. Dans les composés, le sentiment de la composition peut maintenir la syllabation telle qu’elle était dans les termes isolés :
nʹα-vʹrʹɑ: ou nʹα-mʹrʹɑ̃:, non nʹαvʹ-rʹɑ: (neamhbhreágh) « laid » ; c’est ainsi qu’on a dans des composés comme ɑnə-hrᴇ̈:ᵊχtə (ana-thraochta) « très fatigué », des groupes qui sont communs à l’initiale, c’est-à-dire là où ils sont explosifs, mais ne se rencontrent pas normalement en position médiane, où ils devraient être implosivo-explosifs.
§ 254. Dans les groupes de trois consonnes les deux premières appartiennent normalement à la première syllabe, la troisième à la seconde : ɑmp-ᵊlə (ampladh) « dévorer » ; αχt-ᵊrə (eachtra) « aventure » ; kʹinʹʃ-tʹər (cinstear) « fragments ». Il faut faire exception pour les groupes signalés § 232, 2º où h commence la deuxième syllabe : to:r-hnʲəχ, etc.
Par ailleurs, les deux dernières consonnes peuvent appartenir à la dernière syllabe, là où, si le groupe ne comportait que deux consonnes, ces deux consonnes appartiendraient à la deuxième syllabe : gʹαl-χrɪ:ᵊχ (gealchroidheach) « au cœur droit, généreux » ; kɔs-tʹrʹλma·χ (costriomach) « précautionneux » (litt. « aux pieds secs »).
§ 255. Début et fin de syllabe :
Une syllabe peut commencer soit par une voyelle, c’est-à-dire par une ouverture complète, sans resserrement glottal, l’attaque vocalique étant douce, mais cela seulement à l’initiale ; soit par une consonne ou par un groupe de consonnes. Un relevé portant sur 500 syllabes d’un texte de folklore (compte non tenu des chutes et élisions) m’a donné une moyenne de 72 syllabes pour 100 commençant par une consonne. Le groupe de consonnes qui commence la voyelle est, dans la plupart des cas, d’ouverture et de sonorité croissantes, mais ce principe comporte deux exceptions :
1º s, ʃ peuvent précéder des occlusives sourdes on assourdies : stɑd (stad) « arrête » (cf. § 215, 5º).
2º h peut précéder une liquide ou une nasale ; à l’initiale absolue h est sourde, mais la consonne qui suit est au moins partiellement sonore, si bien que le groupe, quoique d’ouverture décroissante, est de sonorité croissante : hn̬ɑ̃:ⁱvʹ ʃe· (shnáimh sé) « il nagea » ; dans le corps de la phrase, après sonore, h est en revanche sonore.
Le caractère particulier de la « sonorité », de l’h explique au reste cette anomalie, la sonorité de l’h « chuchée » (cf. § 87) étant moindre que celle de la nasale ou de la liquide, même partiellement assimilée.
La syllabe peut se terminer par une ouverture complète, par une consonne ou par un groupe de consonnes d’ouverture et de sonorité décroissantes (cf. § 217 sq.) ; les règles qui viennent d’être résumées concernant la frontière syllabique expliquent que la proportion des syllabes fermées soit considérable : un relevé portant sur 500 syllabes d’un texte de folklore m’a donné 44 syllabes pour 100 finissant par une consonne. Ces chiffres ne tiennent pas compte des cas où une voyelle svarabhaktique encore réduite a amorcé le développement d’une nouvelle syllabe. Il va de soi que dans ce cas la dissociation du groupe a pour effet d’ouvrir la syllabe précédente : la tendance générale du parler est donc de diminuer le nombre des syllabes fermées.
§ 256. Malgré cela le trait le plus frappant qu’offre la constitution de la syllabe est l’absence d’un type normal ; tandis que (d’après M. de Groot, B. S. L., XXVII, p. 24) le latin de Caton offre une proportion de 91 syllabes pour 100 commençant par une consonne, de 62 pour 100 finissant par une voyelle, tandis qu’en français l’on a 95 syllabes pour 100 commençant par une consonne, 88 pour 100 finissant par une voyelle, dans notre parler la proportion est, approximativement (dans la mesure où des relevés très restreints donnent une indication exacte), 72 syllabes pour 100 commençant par une consonne, et seulement 56 pour 100 finissant par une voyelle. Des différents types de syllabes possibles représentés par ɑ:rd (árd) « haut » ; grɑ: (grádh) « amour » ; kʹαrt (ceart) « droit » ; e: (é) « lui », il n’en est donc aucun qui prédomine considérablement.
§ 257. Accent syllabique :
La partie vocalique de la syllabe peut être constituée par une voyelle longue ou brève, de timbre uni ou comportant un glide, ou par une diphtongue.
Lorsqu’on a une voyelle, il ne se pose pas de question au point de vue de l’accent : le maximum d’énergie articulatoire concorde obligatoirement avec le maximum d’ouverture.
Il n’en va pas de même lorsqu’on a une diphtongue : nous avons vu qu’il existe deux types de diphtongues ; d’ouverture décroissante : ᴀᴜ, ɔᴜ, aᴜ, ᴀɪ, ai, etc. et d’ouverture croissante (« fausses diphtongues ») : i·ə, i·ɛ, ᴜ·ə, ᴜ·ɛ, ì:a. On sait que c’est sur la première partie de la diphtongue que porte l’accent, à part quelques cas où se manifeste une tendance à faire passer l’accent sur la deuxième partie (cf. §§ 204 et 211).
Il en résulte que, dans les syllabes comportant une diphtongue d’ouverture croissante, l’accent ne coïncide pas avec l’ouverture maximum, et est par ailleurs situé aussi près que possible du début de la syllabe.
§ 258. Durée de la syllabe :
Au point de vue de la durée, comme au point de vue de la constitution, la syllabe varie considérablement en raison de la fréquence des groupes consonantiques, des oppositions quantitatives qu’offre le système vocalique et du fait qu’une voyelle longue peut être suivie de groupes consonantiques aussi bien qu’une voyelle brève. Des exemples comme ceux-ci, où la division des syllabes coïncide avec celle des mots tɑ:ⁱmʹ ɛ sg̬rʹi:ᵊv' (táim ag scríobhadh) « j’écris » ; ə sb̬lᴀᴜŋk (an splannc) « l’éclair » donnent une idée de la variété de forme et de l’inégalité de durée que présentent les unités syllabiques du parler.