Phonétique d’un parler irlandais de Kerry/3-6

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Troisième partie. Le groupe. La syllabe. Le mot. La phrase.
Chapitre VI. — Phénomènes dépendant de l’accent : Syncope et métathèse

Chapitre VI
Phénomènes dépendant de l’accent :
syncope et métathèse

§ 278. On a eu lieu de signaler ailleurs comment l’intensité de l’accent influe sur la quantité des voyelles longues non toniques qui peuvent être à demi abrégées (§§ 125 et 264) et sur le timbre des voyelles brèves qui, en syllabe non accentuée, passent à ɩ (§ 151) et ə (§ 161). L’accent peut de plus entraîner des syncopes de voyelles préto­niques, d’où parfois aussi des méta­thèses.

§ 279. Syncope :

On a vu que si, la voyelle de la première syllabe d’un mot étant brève, la deuxième syllabe contient une voyelle longue ou le groupe ‑aχ(‑aχt), l’accent frappe cette deuxième syllabe. La voyelle devenue atone peut être syncopée, chaque fois que les consonnes mises en contact par cette syncope consti­tuent un groupe de type normal a l’initiale du mot.

Quand les deux consonnes ainsi mises en contact sont de qualité diffé­rente (l’une vélaire, l’autre palatale), la syncope donne lieu à des assimi­lations régres­sives ou progres­sives (cf. § 235). Deux consonnes peuvent au reste conserver chacune sa qualité propre, d’autant plus aisément que subsiste à l’intérieur du groupe un élément vocalique plus net (ceci est parti­culière­ment le cas pour les groupes dont le deuxième élément est une nasale, cf. § 247).

bʹⁱlʲo:g (billeóg) « feuille » ; blah (boladh) « parfum » ; flɑ:ⁱnʹ (folláin) « sain » ; klɑ:ʃtʹɩ ou kᵊlɑ:ʃtʹɩ (coláiste) « collège » ; kᵊlʹα·χ (cailleach) « vieille femme » ; kᵊlʲɑ:n (coileán) « chiot » ; kᵊlʹαχ (cuil­eachta) « compagnie » ; mᵊlaχt (mallacht) « malé­diction » ; pro:ⁱʃtʹɩ ou pᵊro:ⁱʃtʹɩ (paroiste) « paroisse » ; gʹⁱrʹɑ̃:n (gearán) « plainte » ; bʹⁱrʹɑ̃:n ou bʹrʹɑ̃:n (biorán) « pointe » ; gʹⁱrʹαχt (giorracht) « proximité » ; krɑ:ʃtʹɩ et kᵊrɑ:ʃtʹɩ (coráiste) « courage » ; fʹrʹiʃtʹɩ (fuiriste) « facile » ; trʌs (turus) « voyage » ; tʹⁱrʹimʹ (tirim) « sec » ; gvɑ:ⁱlʹtʹ (gabháil) « obtenir ».

Devant nasale l’élément vocalique ne disparaît pas entièrement. On a ainsi :

bʹᵊnaχt (beannacht) « béné­diction » ; tᵊmɑ̃:ⁱnʹtʹ (tiomáint) « conduire (une voiture) » ; mʹⁱnʲɑ:l (muineál) « cou ».

La voyelle réduite est moins développée après spirante, dans : χnᴜk (chonnac) « je vis » ; fᵊnaχt (fanacht) « demeurer » ; en revanche fʹⁱnʲo:g, ou fʹɩnʲo:g (fuinneóg) « fenêtre ».

§ 280. La syncope se produit même là où, à des mots commen­çant par voyelle + liquide, l’article préfixe un t‑ ; on a ainsi : ə trɑ̃:n pour ən tərɑ:n (an t‑arán) « le pain » ; ou même ɩ tʹⁱraχ (an t‑earrach) « le printemps ».

En dehors même de ce cas, l’initiale vocalique tombe dans : rʲᴜ:nəχ, à côté de ɩrʲᴜ:nəχ (oireamh­nach) « conve­nable » et nʲo:səd, à côté de ɩnʲo:səd (inneósad) « je dirai ».

Il est souvent difficile de préciser les raisons pour lesquelles la syncope ne se produit pas dans certains cas, alors qu’elle se produit dans des cas qui parais­sent simi­laires. Les dési­nences a·χ, aχt et les ɑ: des dési­nences en ‑ɑ:ʃtʹɩ et ‑ɑ̃:n parais­sent favoriser parti­culière­ment la syncope de la voyelle précé­dente. On peut rappro­cher de kᵊlʹα·χ le génitif du même mot kalʹi: et le dérivé kalʹi:nʹ (cailín) « jeune fille », où la syncope ne se produit jamais, quoique la place de l’accent soit la même que dans kᵊlʹα·χ.

§ 281. Métathèse :

Certains phénomènes de métathèse, à l’inverse de ce qui se passe pour ceux cités § 250, sont fonction de la place de l’accent. Tels sont ceux où l’on a : occlusive + liquide + voyelle + occlusive (ou sifflante) > occlusive + voyelle + liquide + occlusive (ou sifflante).

C’est ainsi qu’on observe à l’intérieur d’une même flexion l’oppo­sition de : pərˈʃα·χ (praiseach) « gruau d’avoine », dat. ˈpraʃɩgʹ (praisigh) ; de même bərˈdaχ (bradach) « voleur, chipeur », gén. ˈbrɑdɩgʹ (bradaigh).

Certains sujets diront du reste brəˈdaχ comme ˈbrɑdɩgʹ ; mais la forme la plus commune est la forme avec métathèse que l’on retrouve dans : bərˈdɑ̃:n (bradán) « saumon » ; bərˈla·χ (brollach) « giron » ; bərˈka·χ (brocach) « sale » (on entend aussi brəˈka·χ).

Il faut rapprocher ces exemples des cas de syncope que nous venons de voir ; l’oppo­sition de pərˈ'ʃα·χ et ˈpraʃɩgʹ s’expli­quent par un stade *prˈʃα·χ avec syncope de la voyelle atone, puis développe­ment d’un élément sonan­tique devant la liquide ; la métathèse a ici pour effet de fermer la syllabe brève par un groupe conso­nantique dé sonorité décrois­sante en faisant remonter le point de plus grande sonorité vers le début de la syllabe (l’effet des méta­thèses citées § 250 étant inverse).

§ 282. On peut rapprocher de ces exemples un autre cas de métathèse où la dépen­dance vis-à-vis de la place de l’accent n’est sans doute pas aussi rigou­reuse, mais dont les effets sur la syllabe sont analogues. Il s’agit du traite­ment des groupes liquide ou nasale + h. L’élimi­nation de ces groupes donne lieu à un flotte­ment entre formes avec voyelle svara­bhaktique, comme dans : αhərər (ceathrar) « quatre personnes », et des formes à métathèse : αrhᴜ: ou αhərᴜ: (ceath­ramha) « quart », la métathèse s’expli­quant par l’inter­médiaire d’une liquide, ou d’une nasale, soufflée. La métathèse apparaît fréquem­ment devant syllabe accentuée : cf. les cas cités §§ 249 et 231 ; mais il n’en est pas toujours ainsi, comme le prouve, e. g., kɔrhəm (cothrom) « commodité ».

Le cas est donc différent de celui que nous venons de voir tout en présen­tant ceci en commun avec lui, d’éliminer un groupé nasale ou liquide précédé de consonne de moindre sonorité, en faisant appa­raître un groupe de forme inverse, qui ferme la syllabe.