Réflexions et prières inédites/Texte entier
RÉFLEXIONS
ET
PRIÈRES INÉDITES.
Mme la duchesse de DURAS.
DEBÉCOURT, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
RUE DES SAINTS-PÈRES, 69.
—
1839.
RÉFLEXIONS
ET
PRIÈRES INÉDITES.
Charité pour de jeunes enfans
Place Sorbonne 2.
RÉFLEXIONS
ET
PRIÈRES INÉDITES.
Mme la duchesse de DURAS.
« Tempus breve est… et qui utuntur hoc modo, tanquam non utantur : præterit enim figura hujus mundi. »
DEBÉCOURT, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
RUE DES SAINTS-PÈRES, 69.
—
1839.
Ce peu de pages ont été laissées par une personne que le monde a aimée et admirée. On y pressent les douleurs que toute âme d’élite, tout esprit supérieur trouve sur les chemins de cette vie, mais avec les apaisemens qu’un cœur aimant et pieux sait faire venir de l’autre. On a cru qu’elles pourraient être un secours à qui souffre aussi et, voulant se replier dans le sein de Dieu, cherche les pensées qui assurent ce divin abri et les paroles qui font descendre la paix du ciel.
Nos peines n’acceptent pas toujours volontiers les consolations offertes par ceux que les longues habitudes d’une vie calme et reposée ont dès long-temps mis à part de la foule. Notre faiblesse se refuse à comprendre qu’on puisse nous bien parler des épreuves qu’on n’a pas subies. Un étranger n’est-il pas comme un peu suspect ? Les âmes qui ont souffert ont des signes auxquels elles se reconnaissent ; elles trouveront ici l’accent de leur patrie.
VEILLEZ ET PRIEZ.
La vie chrétienne tout entière est renfermée dans ces paroles, veillez et priez. Ainsi que tous les mots de l’Évangile, plus on les médite, plus on y découvre un sens profond et étendu. Veillez et priez : ce conseil devrait être toujours présent à notre mémoire ; il n’en est pas de plus salutaire. Veiller, c’est prévenir toutes les pensées, tous les mouvemens que Dieu réprouve ; c’est se dérober aux surprises de l’amour-propre, aux illusions de la vanité. Il est rare que l’homme soit assez perverti pour faire le mal de propos délibéré ; mais nous le laissons faire en nous par l’ennemi, parce que nous ne veillons pas. Presque toutes ces douleurs morales, ces déchiremens de cœur qui bouleversent notre vie, auraient été prévenus si nous eussions veillé ; alors nous n’aurions pas donné entrée dans notre âme à ces passions, qui toutes, même les plus légitimes, sont la mort du corps et de l’âme, Veiller, c’est soumettre l’involontaire ; c’est réduire sous l’empire de la raison et du devoir toutes les folies, les chimères et les vanités de la vie ; et Dieu, comme toujours en nous enseignant sa loi, nous donne le précepte qui seul peut assurer notre bonheur même dès cette vie. En veillant, nous maintenons la paix de notre âme ; en priant, nous nous donnons la force de veiller ; et la prière elle-même, n’est-ce pas une façon de veiller ? C’est ainsi que par un mystère étonnant toutes les vertus chrétiennes sont comme solidaires les unes des autres ; il suffit d’en avoir une pour les avoir toutes, pourvu qu’on la possède complétement. C’est dans ce sens que Jésus-Christ a dit : Aimez, et faites tout ce que vous voudrez. — En effet, la charité chrétienne ne peut exister dans toute son étendue sans la foi, sans l’espérance.
Peut-on aimer sans croire à l’éternité ? Peut-on aimer sans espérer l’éternité ? Veillons et prions, pour conserver la paix en ce monde et pour acquérir le bonheur immortel que Dieu promet à ceux qui auront accompli ses commandemens et glorifié son saint nom !
SUR LES PASSIONS.
Dieu est le but de l’homme ; et pour que l’homme trouve sa paix et son bonheur en ce monde, Dieu doit être son unique but. La passion a un but aussi, et ce but est la créature. De là, les orages et les malheurs qui viennent assaillir nos cœurs quand nous laissons la passion s’en rendre maîtresse. Il y a là une déviation de l’ordre moral qui doit être nécessairement punie ; car si l’homme trouvait son bonheur dans la passion, Dieu deviendrait inutile. La passion comble ce vide immense que Dieu laisse au fond de nos cœurs pour nous faire sentir que sans lui nous sommes incomplets ; et, par la même raison, Dieu a soin de rendre vains tous les efforts que nous faisons pour remplir ce vide par autre chose que par lui.
La passion, souvent si coupable, est moins funeste à l’homme que le vice. Elle use et dévaste l’âme où elle règne, mais le vice la flétrit. L’âme passionnée peut diriger vers Dieu l’ardeur et l’activité qui l’ont égarée ; l’âme vicieuse doit se renouveler entièrement avant d’offrir à Dieu un hommage digne de lui.
Éclairez-moi, ô mon Dieu, enseignez-moi vos voies, et ouvrez mes yeux à votre lumière.
LA PIÉTÉ.
Plus on avance dans la vie, plus on se sent pénétré de cette vérité, qu’il n’y a de paix et de bonheur durable que dans les voies de Dieu. À mesure que l’on pénètre dans les redoutables secrets de l’avenir, les illusions s’évanouissent ; on se voit enlever successivement tous les objets de ses affections ; l’attrait d’un intérêt nouveau, le changement des cœurs, l’inconstance, l’ingratitude, la mort, dépeuplent peu à peu ce monde enchanté dont la jeunesse faisait son idole. Chaque jour rétrécit le cercle, et l’on ne jouit plus de ce qui reste qu’avec amertume ; on a perdu la sécurité. L’âme alors a besoin de chercher un appui plus solide, elle le trouve dans la piété. L’amour et le culte de Dieu peuvent seuls occuper, consoler, ranimer des cœurs que les passions ont dévastés, et la douleur a flétris. Dans la piété on trouve ce qu’on a vainement cherché sur la terre, un amour immense, une admiration sans borne et sans réveil. La piété est faite pour l’homme ; car elle suffit à la fois à son cœur et à son esprit.
Aimer Dieu, c’est aimer tout ce qui est bon, grand, éternel, sublime ; c’est adorer à leur source les perfections que nous croyions trouver dans les créatures et que nous y avons vainement cherchées : ce peu de bien qui se rencontre quelquefois dans l’homme, c’est en Dieu que nous eussions dû l’aimer. C’est Dieu que l’âme pieuse adore dans tout le bien répandu dans la nature. Il est le bien par excellence, et tout, hors le mal, vient de lui.
Quel vaste champ pour l’imagination chrétienne que la pensée de Dieu ; là, elle peut s’étendre sans risque de s’égarer. Le cœur de l’homme aura beau aimer, il n’égalera jamais son amour aux perfections de celui qui l’a créé et qui le conserve. La piété suffit à l’esprit. Quel esprit si vaste, si fécond, si lumineux peut suffire à étudier les merveilles de la création ? Qui sondera les profondeurs du cœur humain ? Qui sondera la sublimité de la morale évangélique ? Quelle est l’étude qui ne se rapporte à Dieu, qui ne fournisse de nouveaux motifs d’admiration et d’amour ? L’esprit de docilité chrétienne peut se porter dans l’étude ; la simplicité et la bonne foi sont les meilleurs guides vers les sciences, ennemies de l’aveugle orgueil.
Quelle religion a mieux connu le cœur de l’homme que la nôtre ? On ne peut être moraliste sans être chrétien, et ceux qui l’ont essayé ont produit des doctrines monstrueuses. Il faut placer Dieu dans le cœur de l’homme pour en connaître toutes les misères ; il est le flambeau qui éclaire cet abîme ; sans lui, tout y est mystère et obscurité. Je dirai plus, il faut placer Dieu dans le cœur de l’homme pour en connaître toute la grandeur. Lui seul donne la pureté aux motifs et la réalité aux vertus.
La connaissance des devoirs enfin, la grande science de l’homme, celle de sa paix et de son bonheur, ne s’apprend que par la piété. C’est la loi de Dieu si étonnamment ratifiée par notre conscience qui doit être notre première étude. Là, notre esprit et notre cœur sont occupés en même temps, et l’admiration et la reconnaissance y sont excitées tour à tour.
Faites-moi la grâce, ô mon Dieu, de chercher dans la piété ma consolation, de mettre ma seule espérance en vous, de me réfugier dans votre sein ! Que les dernières années de ma vie soient pour vous, et que mon âme se perde en vous dans l’éternité !
LA CRAINTE DE DIEU.
La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse.
Bien des gens confondent la crainte de Dieu avec le mouvement qu’on pourrait plutôt appeler la peur de Dieu. Ce n’est pas là le sentiment utile qui nous est recommandé par la religion.
La crainte de Dieu nous fait redouter par-dessus tout d’offenser Dieu et de lui déplaire. Elle s’inquiète de ne pas mériter les récompenses, tandis que la peur ne s’effraie que de mériter les châtimens. La crainte n’empêche pas d’aimer, mais on ne peut aimer ce qui cause l’épouvante. La peur est un sentiment d’esclave ; la crainte est un sentiment de fils. La crainte doit se fonder dans nos cœurs sur la vue des perfections de Dieu et sur la connaissance de sa justice. Il faut que cette justice soit satisfaite, car Dieu est la justice même, et la raison nous dit, comme la foi, que le mal doit être expié. Quel motif de crainte que le mal que nous avons fait !
Jésus-Christ a été la victime offerte pour racheter toutes nos fautes ; mystère sublime ! Imitons-le ; acceptons les croix amères que la Providence nous envoie, comme le moyen d’expier des offenses si souvent répétées. Nous craindrons tant que nous n’aurons pas satisfait à la justice ; et qui peut se flatter d’y avoir jamais satisfait ?
Mais cette crainte salutaire enchaînera nos passions, ranimera nos forces ; elle éveillera notre vigilance et nous préservera de la paresse et de la langueur, écueils ordinaires de la piété qui n’est pas accompagnée de la crainte.
Accordez-moi ce don, ô mon Dieu ! et montrez-moi à moi-même telle que je parais à vos yeux, pour que je sois bien pénétrée de mon indignité et de la nécessité de vous mieux servir que je ne l’ai fait jusqu’ici pour trouver enfin grâce devant vous.
LA FORCE.
Dieu est notre force dans le combat et notre couronne dans la victoire.
La force est le don sans lequel tous les autres sont inutiles. Sans la force les bonnes pensées sont stériles, la dévotion est sans fruit, la ferveur sans persévérance.
On peut avoir la pureté de l’âme, le goût du bien, l’amour de ses devoirs ; sans la force, on n’a rien ; tout devient un écueil pour la faiblesse ; on rougit de ses fautes, on les déplore, on s’en repent, et c’est pour en commettre de nouveau.
C’est un des grands dangers des conversions tardives que le manque de force. L’âge, de longs chagrins, l’habitude d’une vie sans règle, émoussent les forces. On ne leur a rien demandé, et elles vous abandonnent quand vous voulez en faire usage.
Ayons sans cesse présentes l’idée de Dieu et la nécessité d’obéir à ses commandemens ; il viendra à notre secours. Il nous soutiendra, car notre force vient de lui, comme tout ce que nous avons de bien ou de bon en nous-mêmes. Le seul moyen d’entretenir la force est la vigilance. Si vous n’oubliez jamais Dieu, les tentations ne seront pas plus fortes que vous ; si vous vous éloignez de lui, elles vous surprendront comme Samson endormi dans les bras de Dalila.
Pourquoi est-il si commun de manquer de force dans les voies de la piété ? c’est qu’on manque de foi. Si notre foi était vive et inébranlable, notre force, qui repose sur elle, le serait aussi. Toutes les vertus chrétiennes semblent participer l’une de l’autre, et par une loi sublime se tenir comme les anneaux d’une même chaîne. Saisissons un de ces anneaux. Une vertu nous mènera à une autre vertu, et, en nous élevant vers celui dont elles émanent toutes, nous puiserons la véritable force, celle de persévérer dans le bien au sein de Dieu même. C’est de lui que nous tiendrons le moyen d’arriver à lui, et de nous réunir à lui dans l’éternité.
LA SCIENCE.
On blâme la science, et quelques personnes la croient incompatible avec la piété. Elles se trompent. Mais Dieu doit être le fondement de la science, et c’est de lui qu’elle tiendra son utilité et sa profondeur.
L’histoire renferme les leçons terribles de la Providence ; la morale, les misères éternelles du cœur humain, la physique, la chimie, apprennent à remonter à cette cause mystérieuse et impénétrable qui n’est autre que Dieu même, et dont les plus grands impies ont été forcés de confesser l’existence. Les mathématiques calculent tout, mais s’arrêtent devant l’infini. L’anatomie enseigne l’organisation physique de l’homme, mais tous les efforts de la physiologie n’ont pu réussir à surprendre le secret de la vie, connu de Dieu seul. L’astronomie dans l’immensité de ses merveilles confond l’imagination, et l’homme est forcé de reconnaître Dieu dans tous ses ouvrages. Quelle différence entre le savant athée et le savant pieux ! Il ne faudrait que les nommer pour montrer que Dieu est le flambeau de la science comme de tout le reste ; il inspire l’éloquence, enflamme le génie, tandis que l’impiété l’étouffe et l’éteint. La foi produit Bossuet, Pascal et Newton. Quels noms l’irréligion peut-elle opposer à ceux-là ?
C’est donc à tort qu’on croit la religion ennemie de la science. La simplicité de cœur, qui plaît à Dieu, est le partage le plus ordinaire du savant chrétien. Rien ne mène plus sûrement à l’humilité que la véritable science. Les sciences se perdent dans l’infini, parce que leur terme est Dieu. Plus on marche dans la voie droite des sciences, plus on s’aperçoit que ce qu’on sait n’est rien en proportion de ce qu’on ignore ; le champ s’agrandit à mesure qu’on s’avance, on est forcé de reconnaître son néant devant la grandeur des ouvrages de Dieu et les merveilles de la création, dont l’homme est la plus belle et la plus inexplicable.
Je ne sais rien, ô mon Dieu, sinon que vous m’avez créé et que ma pensée s’élève jusqu’à vous ; c’est assez pour croire que mon âme est immortelle. Sauvez-la par les mérites de Jésus-Christ ; que son sacrifice expie mes fautes, et que, dépouillée un jour de mon corps, je me réunisse à vous dans le ciel !
L’INDULGENCE.
Cette parole donne à la fois le précepte et la raison de l’indulgence. Il y a plusieurs manières de pardonner ; toutes sont bonnes, parce que toutes sont chrétiennes, mais ces pardons diffèrent entre eux, comme les vertus qui les ont produits. On pardonne, pour être pardonné ; on pardonne, parce qu’on se reconnaît digne de souffrir ; c’est le pardon de l’humilité ; on pardonne pour obéir au précepte de rendre le bien pour le mal ; mais aucun de ces pardons ne comprend l’excuse des peines qu’on nous a faites. Le pardon de Jésus-Christ est le vrai pardon chrétien : « ils ne savent ce qu’ils font ! » Il y a dans ces touchantes paroles l’excuse de l’offenseur et la consolation de l’offensé, la seule consolation possible de ces douleurs morales où le mal qu’on nous a fait n’est, pour ainsi dire, que secondaire. Ce qui met le comble au chagrin, c’est de trouver des torts sans excuse à ceux qu’on aime. Là, il y a une excuse : ils ne savent ce qu’ils font ! Ils nous ont déchiré le cœur, mais ils ne savaient ce qu’ils faisaient ; ils étaient aveuglés, leurs yeux étaient fermés, vos propres souffrances sont le gage de leur ignorance. La pitié est dans le cœur de l’homme ; de grands torts viennent toujours d’un grand aveuglement. Comment croire qu’on puisse causer de sang-froid et volontairement ces chagrins déchirans qui font souffrir mille morts avant de mourir ? Comment croire qu’on voudrait briser un cœur qui, peut-être, pendant des années entières, vous a chéri, adoré, excusé, qui avait fait de vous son idole ? Car telle est l’ingratitude, source des plus grands chagrins de la vie ; elle consiste à méconnaître le sentiment dont on est l’objet, parce que le cœur est incapable de les payer de retour et d’en produire de semblables : il y a là cette impuissance, cette ignorance qui font l’excuse. Donner l’affection à ceux qui ne la sentent pas, c’est vouloir donner la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds. Pardonnez-leur, mon Dieu, ils ne savent ce qu’ils font ! pardonnez-leur et faites-moi la grâce de leur pardonner sans retour sur moi-même, sans que ce pardon me soit compté pour une vertu, puisqu’il n’est qu’une justice ; mais ayez pitié de moi, enseignez-moi à n’aimer que vous et donnez-moi le repos. Ainsi soit-il.