Rapport et projet de loi sur l’Instruction publique/Deuxième partie

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Organisation de l’Instruction publique en France.

Nous croyons pouvoir réduire à trois degrés tout le systême d’instruction publique nécessaire à l’état actuel de la France.

Le premier comprend les écoles municipales ;

Le second, les écoles communales ;

Le troisième, les écoles spéciales.

Les écoles municipales sont communes à tous, et destinées à enseigner à chacun ce qu’il est presque nécessaire de savoir dans un Gouvernement représentatif, lire, écrire, chiffrer, et connaître les élémens du pacte social.

Les écoles communales ont pour objet d’enseigner les connaissances générales qu’il n’est pas permis d’ignorer dans la société, et qui forment la base de toutes les professions libérales.

Les écoles spéciales sont destinées à l’enseignement particulier d’une seule science ou d’un art.

Nous plaçons au-dessus de ces écoles un institut des sciences et des arts, destiné par son organisation à conserver, à publier, à perfectionner. C’est, pour ainsi dire, le faîte de l’édifice consacré à l’instruction.

Nous allons nous occuper séparément de l’organisation de chacune de ces écoles.

TITRE Ier.

ORGANISATION DES ÉCOLES MUNICIPALES.

1°. Répartition des Écoles municipales.

Le conseil municipal de chaque ville, bourg ou village, est chargé, par la loi du 28 pluviôse an 8, de délibérer sur les besoins particuliers et locaux de la municipalité.

C’est donc entrer dans l’esprit de la loi, et donner à ces institutions paternelles ce caractère de confiance qui en assure le succès, que de laisser aux conseils municipaux le soin de former la demande d’une ou plusieurs écoles municipales, selon le besoin. Et qui, mieux que les hommes qui forment ces conseils, peut connaître les besoins de la commune ? qui, plus qu’eux, a intérêt à donner à leurs enfans une éducation convenable ?

Mais on ne peut pas se dissimuler que si le vœu des conseils municipaux recevait son accomplissement sans être préalablement soumis à l’examen du conseil d’arrondissement, qui, par la nature de son institution, doit délibérer sur toutes les dépenses communales, il pourrait en résulter de très-grands abus. La plus petite municipalité, celle dont la population n’est composée que de quelques familles, aurait aussi son école municipale ; et dès-lors on les verrait se multiplier à l’infini. Il faut donc balancer l’intérêt municipal par l’intérêt communal, et soumettre le vœu du premier à la sanction du second ; sans cette sage mesure, la fortune publique serait toute à l’arbitraire des municipalités.

Ainsi, les conseils municipaux exprimeront leur vœu et motiveront leur demande d’une école municipale, tant sur la population que sur les circonstances des localités. Le conseil d’arrondissement fournira son avis au sous-préfet, qui prononcera d’une manière définitive.

Cette marche paraît concilier ce qu’on doit à l’instruction, avec cette sage prévoyance qui doit tenir également en garde contre les intérêts particuliers et le mauvais emploi de la fortune publique.

2°. Nomination des Maîtres d’écoles municipales.

Nul ne pourra être élu maître d’école municipale, s’il n’est citoyen français.

Le choix du maître d’école sera fait par le conseil municipal réuni à un nombre égal de pères de famille. Ce choix sera transmis au sous-préfet de l’arrondissement, qui confirmera ou rejettera la nomination : dans ce dernier cas, il sera tenu de motiver son refus ; et le conseil présentera un second citoyen, en observant la même marche.

Nous pensons que ce mode de nomination concilie le degré de déférence qu’on doit aux conseils municipaux, avec les considérations puissantes de l’intérêt public, qui, dans beaucoup de cas, pourrait être compromis si les choix des conseils étaient définitifs.

3°. Salaire des Maîtres d’école.

Il n’est pas naturel que le salaire des maîtres d’école soit exclusivement perçu sur la municipalité ; car il s’ensuivrait que les plus pauvres et les moins peuplées seraient taxées à l’égal de toutes les autres.

Le salaire de tous les maîtres d’école doit être pris, en partie, sur la totalité de l’arrondissement : c’est pour cette raison que nous avons pensé que la création d’une école devait être délibérée par le conseil de l’arrondissement, et prononcée par le sous-préfet, pour éviter les combinaisons d’un intérêt sordide qui quelquefois pourrait entraîner la détermination du conseil.

Pour alléger le fardeau de cette nouvelle imposition, on croira sans doute avantageux de pouvoir confier au maître d’école, sous la direction du maire, la tenue du registre de l’état civil, et la correspondance municipale. Cette fonction, très-compatible avec celle d’instituteur, assurera à la tenue du registre de l’état civil, l’ordre que réclame cet objet de haute importance ; elle aura, en outre, l’avantage de remplacer le commis ou secrétaire que les quatre cinquièmes de nos municipalités sont tenues de salarier, par suite de l’impossibilité où sont les maires et adjoints de remplir leurs obligations à cet égard : mais cette fonction ne sera exercée par l’instituteur, que dans les seuls cas où la municipalité ne pourrait pas la remplir par elle-même.

Le traitement d’un maître d’école ne saurait être moindre de 400 francs dans les villes au-dessous de cinq mille habitans ; de 500 francs dans celles de cinq mille à dix mille ; de 600 francs, lorsque la population s’élève de dix mille à trente mille ; de 800 francs, de trente à cinquante mille, et de 1,000 francs au-dessus.

Outre le salaire fixé ci-dessus, il doit être assigné un logement au maître d’école ; les presbytères mis à la disposition des municipalités par la loi du 7 brumaire an 3 pour y loger l’instituteur, et réservés de la vente par celle du 26 fructidor an 5, seront employés à cet usage, si la disposition en est encore libre ; et dans le cas contraire, le conseil municipal y suppléera aux frais de la commune.

4°. Nature de l’instruction qui sera donnée dans les Écoles municipales.

L’instruction doit être bornée, dans ces écoles, aux seules connaissances qu’il n’est plus permis à un citoyen français d’ignorer ; ces connaissances se réduisent à savoir lire, écrire, chiffrer, et à quelques notions précises de la Constitution que le peuple français s’est donnée.

Quoiqu’aucun de ces objets n’exige une attention bien suivie ni des combinaisons profondes, les enfans ne doivent être reçus dans ces écoles qu’à l’âge de six à sept ans : jusque-là, les soins maternels forment la véritable éducation. Les élèves doivent sortir de ces écoles à onze ou douze ans, pour passer à d’autres études ou rentrer dans la maison paternelle.

TITRE II.

ORGANISATION DES ÉCOLES COMMUNALES.

1°. Répartition des Écoles communales.

Les écoles communales ne peuvent être placées que dans les villes : là se trouvent réunis les élèves et les moyens d’instruction.

Ce serait rendre ces écoles trop nombreuses, que d’en former une par arrondissement, puisque, sous l’ancien régime, l’étendue actuelle de quelques-uns de nos départemens n’avait qu’un seul collége qui suffisait à l’enseignement.

Ce serait peut-être encore se déclarer contre les convenances de quelques localités, que d’arrêter en principe que l’établissement des écoles communales se fera dans le chef-lieu de l’arrondissement ; parce que, outre que le chef-lieu n’en est pas toujours la ville la plus peuplée, il peut ne pas offrir un local convenable à l’emplacement de l’école.

D’après cela, nous croyons très-sage d’en référer au conseil d’arrondissement, et, sur son avis, à celui du département, tant pour juger de l’avantage que de l’emplacement de l’école.

Il suffit d’arrêter en principe que chaque département ne pourra pas avoir moins d’une école communale, et que celles qui existent, sous le titre d’écoles centrales, conserveront l’emplacement qui leur est affecté.

2°. Nomination des Instituteurs.

Mais les écoles communales étant établies dans une des villes de l’arrondissement, il serait impossible aux habitans des campagnes ou des villes voisines de profiter de l’instruction publique, si la nation n’ouvrait pas à leurs enfans les ressources d’un pensionnat près de chaque école.

Outre l’avantage inappréciable que présentent ces maisons pour l’instruction publique, le Gouvernement peut les rendre plus utiles encore, en y entretenant, à ses frais, quelques élèves peu fortunés qui auraient déjà manifesté des dispositions pour les arts ou les sciences. Ces élèves, salariés par le Gouvernement, pourraient être réunis au nombre de huit dans chaque école de l’arrondissement de la préfecture : leur entretien peut être regardé comme un bien faible dédommagement des sacrifices qu’ont faits les départemens à la révolution, par l’abandon ou la suppression des bourses des colléges ; et il est peut-être d’une saine politique de faire refluer vers les départemens, une portion de cette libéralité qu’on a voulu réserver toute entière pour la capitale.

Mais comment, et par quels moyens, se mettre à couvert de l’intrigue dans la distribution de ces places ? comment se flatter d’appeler à ces pensions gratuites les plus capables et les plus dignes parmi tant de concurrens ? Je ne vois qu’un moyen pour y parvenir ; et ce moyen, je vais le puiser dans le résultat de l’expérience.

Il n’est aucun de nous qui ne se rappelle avec émotion ces premiers temps de notre enfance, où de longs et pénibles travaux n’avaient pour but que d’obtenir une honorable distinction parmi nos concurrens, à la fin de chaque année de scolarité. L’homme n’est jamais plus sensible à la louange que dans la première jeunesse ; et le plus puissant mobile de l’éducation publique, c’est peut-être l’art d’exciter et de nourrir cette sainte émulation qui produit de si grands effets.

Ainsi, nous n’irons pas organiser la dissimulation ou imprimer la terreur dans les écoles par des visites inquisitoriales ; mais chaque année, à des époques marquées, et en présence des autorités constituées, les instituteurs publics et particuliers seront invités à présenter quelques-uns de leurs élèves pour être examinés, par un jury, sur les matières qui auront été annoncées trois mois d’avance. Là, l’élève et l’instituteur recevront le tribut d’éloges qu’ils méritent ; et les magistrats leur remettront, au nom du Gouvernement, les récompenses nationales. Les noms des élèves et des professeurs qui auront été distingués, seront proclamés dans tout le département.

C’est parmi les jeunes gens qui auront été couronnés, qu’on choisira pour compléter le nombre des élèves salariés de l’école du département.

Ces élèves salariés, après avoir terminé leurs études, pourront servir dans le pensionnat en qualité de répétiteurs, et s’exercer peu à peu dans l’art de l’enseignement, de manière à fournir au Gouvernement une pépinière inépuisable de bons professeurs.

Cependant, il faut en convenir, si les écoles de département peuvent présenter des ressources suffisantes pour former des professeurs dans quelques parties, il s’en faut de beaucoup qu’elles offrent les mêmes moyens pour quelques autres, telles que le dessin, les belles-lettres, l’histoire naturelle, la physique et la chimie. On n’aura de bons maîtres pour ces dernières sciences, qu’en les prenant à Paris : là, outre qu’elles y sont enseignées par les premiers professeurs de l’Europe, il existe auprès de ces écoles, des hommes du plus grand mérite, voués par passion à leur étude, et qui désirent ardemment de se consacrer à leur enseignement. Ainsi, nous devons regarder l’école d’histoire naturelle au jardin des plantes, l’enseignement au collége de France, et l’école de peinture, sculpture, architecture, comme trois écoles normales destinées à fournir les professeurs pour les parties dont nous venons de parler. Du moment que l’enseignement de l’une de ces sciences viendra à vaquer dans un département, le préfet en préviendra le ministre de l’intérieur, qui ouvrira un concours, dans l’une ou l’autre de ces écoles, pour nommer à la place vacante.

Le jury départemental nommera à toutes les autres places, d’après le résultat d’un examen ou concours dont il sera parlé ci-après.

3°. Salaire des Instituteurs.

Le salaire des instituteurs doit être pris partie sur l’arrondissement et partie sur le département. Là où il existe encore des revenus provenant de fondations ou de bourses, et réservés à leur destination par la loi du 25 messidor an 5, la jouissance en sera donnée aux écoles communales, ainsi que les maisons des colléges que la loi du 25 messidor an 4 affecte à l’enseignement public.

Le salaire des instituteurs doit nécessairement varier selon la population de la ville où l’école se trouve établie.

4°. Instruction dans les Écoles communales.

L’instruction, dans les écoles communales, doit se borner à l’enseignement de ce qui est strictement nécessaire pour se livrer, avec quelque probabilité de succès, à l’étude des sciences qui forment une profession libérale, ou pour occuper un rang distingué dans la société.

On ne perdra pas de vue que l’enseignement, dans les écoles communales, ne doit se fixer que sur les parties que l’élève ne peut pas apprendre sans secours étranger. Ce serait embarrasser les écoles de professeurs inutiles, que de confier à des hommes le genre d’instruction qui peut être fourni par un bon livre.

Ainsi les seules sciences expérimentales, et celles dont l’analyse est tellement compliquée que les facultés de l’élève ne sauraient la saisir, doivent avoir un enseignement public dans les écoles communales.

L’instruction n’est profitable qu’autant qu’elle test graduée ; et on peut établir cette graduation de la manière suivante :

En supposant que le cours d’étude, dans les écoles communales, soit de quatre années, on peut employer la première à l’étude de la Grammaire française et des premiers élémens de la Langue latine. On continuera, dans la seconde année, l’étude des langues, et on apprendra les élémens de l’Histoire naturelle et de la Géographie.

Dans la troisième année, on poursuivra les mêmes études, en leur associant celle des élémens de Mathématiques et de Physique ; et la quatrième année sera entièrement consacrée à la Littérature ancienne et moderne, et à la continuation des premières études.

Chaque jour, et pendant tout le temps de scolarité, on s’occupera du Dessin.

Cette marche paraît présenter les sciences dans le rapport qu’elles ont ou avec nos facultés, ou avec nos besoins.

En effet, l’expérience des plus habiles professeurs des écoles centrales, a, depuis plusieurs années, justifié la méthode de commencer l’instruction par l’enseignement de la Grammaire française. Les raisonnemens qui s’appliquent à des choses connues, nous font contracter insensiblement et sans effort l’habitude de la réflexion, en nous donnant le sentiment de l’utilité de ces connaissances. C’est en partant de ce principe, que nous plaçons l’histoire naturelle sur les premiers pas de l’élève : dans cette science tout l’intéresse ; et ceux qui ont étudié l’élève dans le premier développement de ses facultés, l’ont vu constamment se livrer avec ardeur à l’étude de l’histoire naturelle, et contracter presque toujours de la passion pour cette science.

Mais ce serait étrangement s’abuser, que de prétendre porter l’attention d’un jeune homme sur toutes les branches de cette science infinie. Il s’agit moins de lui enseigner l’histoire naturelle proprement dite, que de présenter à l’œil tout ce qui a un rapport direct avec les besoins de la société. Il n’est pas question de décrire toutes les plantes, d’expliquer tous les systêmes, de faire connaître tous les animaux ; il faut borner l’étude à ce qui a un rapport direct avec les arts, l’agriculture, le commerce ; par-tout sacrifier le curieux à l’utile, et ne voir, dans tout l’enseignement, que les applications à la société.

L’étude des mathématiques n’est pas moins utile que les précédentes. Cette science, peut être considérée comme une langue abrégée qui s’applique à tout, et nous présente des résultats rigoureux qui deviennent pour nous des axiomes de conduite dans presque toutes les opérations des arts et des sciences. La géométrie sur-tout paraît être d’une utilité plus générale ; et l’instituteur ne peut pas négliger d’en faire l’application à tous les arts dont les principes dérivent de cette science.

L’étude des langues anciennes est beaucoup trop négligée de nos jours. Peut-être, sous l’ancien régime, leur donnait-on trop d’importance en rendant leur enseignement presque exclusif ; mais aujourd’hui nous sommes descendus dans l’excès contraire. C’est cependant par l’étude des langues anciennes que nous apprenons l’histoire des peuples les plus célèbres ; que nous y puisons cet esprit de philosophie, ce sentiment de liberté, ces exemples de courage, de dévouement, de magnanimité, qui nous rendent capables des plus grandes choses. C’était sur-tout cette étude des langues anciennes, qui, établissant des rapports presque directs avec tous les grands hommes de l’antiquité, faisait germer dans l’ame des élèves, les principes du plus pur républicanisme.

L’étude des belles-lettres est encore nécessaire à la jeunesse, et intéresse de très-près la gloire de la nation : révoquer en doute ce double avantage, ce serait méconnaître ce que nous devons aux littérateurs distingués qu’a produits la France. Notre langue n’est devenue presque universelle, que parce qu’elle a fourni des modèles dans tous les genres de littérature ; et il serait impolitique de ne pas conserver et multiplier par l’enseignement, les titres glorieux de cette illustration.

On pourra encore établir auprès de plusieurs écoles, l’enseignement de quelques unes de nos langues vivantes. Les rapports commerciaux, les communications avec les peuples voisins, rendent souvent ces études nécessaires ; mais nous devons laisser aux conseils généraux de département, le soin d’apprécier l’avantage de telle ou telle langue.

Nous pensons aussi qu’il est avantageux de conserver, dans les grandes communes, les cours de physique et chimie. On ne saurait trop répandre ces connaissances ; et notre systême d’instruction serait incomplet, s’il n’en présentait pas l’enseignement dans quelques-unes des villes principales de la République.

Indépendamment de ces connaissances, qui font la base de l’instruction communale, il importe de diriger, les affections de la jeunesse vers la vertu ; de créer de bonnes mœurs par l’exemple et la pratique de tous les actes d’humanité, de justice, de reconnaissance, de respect, d’amour filial, de soumission aux lois : ce sont-là les élémens de la morale publique ; elle s’inspire plutôt qu’elle ne s’enseigne ; et nous croyons devoir confier ce soin important au directeur de l’école, qu’une réputation de vertu et de considération personnelle, doit seule élever à cette place. C’est pour cette raison que nous en confions le choix, non aux résultats d’un concours, mais à la sagesse du conseil d’arrondissement, qui seul peut juger la moralité de l’individu.

Mais l’enseignement des écoles communales ne produira l’effet qu’on doit en attendre, qu’autant qu’on y établira un bon systême d’organisation, et qu’on y graduera l’instruction de manière à l’élever, par degrés, des notions les plus simples jusqu’aux connaissances les plus difficiles : il faut que l’étude du jour prépare et dispose à celle du lendemain. Rien ne mérite une plus sérieuse attention de la part du Gouvernement ; et c’est par des réglemens sages, exécutés rigoureusement sous la surveillance du directeur de l’école, qu’il s’acquittera de ses devoirs à cet égard. Il faut que l’enseignement soit continu presque toute l’année ; que la durée et l’heure de chaque leçon soient tracées et observées ; que la graduation la plus exacte règle la marche des études ; que l’ordre, l’obéissance, soient absolus de la part de l’élève ; que l’assiduité soit exigée ; que des peines soient établies et appliquées ; que chaque élève subisse des examens en entrant et en sortant d’une classe ; que le professeur commande à l’élève ; que le directeur surveille le professeur, et le dénonce à l’autorité dans le cas d’insoumission à ses avis : sans cela, nous avons beau créer l’instruction, nous continuerons de manquer d’enseignement ; car c’est sur-tout cette absence de toute organisation qui rend les écoles centrales désertes. Et comment pourrait-on se flatter qu’un père enverra son fils à l’école, sans qu’on lui donne la certitude qu’on y surveillera sa conduite, qu’on dirigera ses études, et qu’on l’y occupera toute l’année ?

TITRE III.

ORGANISATION DES ÉCOLES SPÉCIALES.

L’école spéciale est celle dont l’enseignement est borné aux connaissances nécessaires pour exercer un art ou une profession.

On ne peut créer d’école spéciale que pour l’enseignement des arts et des sciences difficiles, et fondés sur des principes dont la connaissance doit précéder la pratique. On doit sur-tout organiser des écoles spéciales pour ceux des arts ou sciences qui ont un pouvoir plus marqué sur la prospérité du peuple, la gloire nationale, la sûreté de l’État, l’extension du commerce.

C’est en partant de ces principes que nous consacrerons des écoles spéciales à l’enseignement de la médecine, de la législation, des arts mécaniques et chimiques, de l’histoire naturelle, de l’agriculture et économie rurale, de l’art vétérinaire, de l’art du dessin et de la musique.

Ces écoles ne peuvent pas être symétriquement distribuées sur le sol de la République : il faut, pour les établir convenablement, une réunion d’hommes habiles, et des circonstances de localité qui, si elles sont négligées, peuvent faire échouer les projets les plus utiles.

Nous ne parlerons pas ici des écoles spéciales de service public ; elles sont organisées par la loi du 30 vendémiaire an 4, ou par des lois postérieures, telles que celle du 25 frimaire an 8, concernant la réorganisation de l’école polytechnique. Le plus grand nombre de ces écoles est en activité, et les autres n’attendent que des circonstances plus heureuses qui leur impriment le mouvement nécessaire.

Comme les écoles spéciales ne doivent compter dans le nombre des professeurs que les hommes les plus célèbres et les plus instruits, il est évident que le choix ne peut en être confié qu’à ceux qui doivent les associer à leur gloire et à leurs travaux. C’est donc dans le sein même de l’école que doit s’ouvrir le concours, et c’est aux professeurs à prononcer entre les concurrens ; mais, pour éloigner jusqu’au soupçon de la partialité ou de la prévention, le Gouvernement aura le droit de déterminer le mode du concours, d’en assigner l’époque ; et seul il pourra investir le candidat présenté par les juges, du diplome de professeur.

Tous les professeurs d’écoles spéciales n’ont pas droit à un égal traitement.

Il en est qui peuvent concilier leur devoir de professeur avec l’exercice de leur profession ; tels sont les peintres, sculpteurs, architectes, musiciens : les progrès de l’art exigent même ce partage entre l’enseignement et la pratique. Il en est d’autres qui, voués par état à l’enseignement, lui consacrent tous leurs momens, et ne trouvent de ressources que dans le traitement attaché à leurs fonctions : les professeurs d’histoire naturelle, agriculture, art vétérinaire, arts mécaniques et chimiques, sont tous dans cette classe ; et il serait injuste de ne pas leur assurer un traitement qui, en écartant le pénible sentiment du besoin, conserve toutes leurs forces pour les progrès de leur art.

C’est en partant de ces principes que nous proposons d’accorder aux premiers 2,500 francs, et 5,000 francs aux derniers.

Dans le nombre des écoles spéciales dont nous proposons l’établissement, il en est deux qui sont destinées à enseigner des professions lucratives : la médecine et la législation. Ici nous n’avons pas pu croire que la nation dût fournir l’enseignement gratuit ; car, quoique les écoles consacrées à l’enseignement des arts où nous avons déclaré l’enseignement gratuit, fournissent également des moyens de subsistance, les élèves qui s’y présentent sortent presque tous de la classe la moins fortunée de la société, et les ressources de ces professions ne sauraient être comparées à celles de la médecine ou du droit.

§. Ier.

Écoles spéciales de Médecine.

La loi du 14 frimaire an 3, a créé trois écoles de médecine : une à Paris, l’autre à Montpellier, et une troisième à Strasbourg.

Ces trois écoles, destinées par la nature de leur première institution à former des officiers de santé pour le service des hôpitaux militaires, ont pleinement répondu, aux vues du Gouvernement ; et aujourd’hui, l’enseignement y est si bien organisé, que ces trois établissemens offrent, sur toutes les parties de la médecine, des études bien plus parfaites que celles qu’on trouvait dans les précédentes universités. Les élèves affluent à ces écoles de tous les points de la France ; et celle de Montpellier s’est rétablie dans la possession presque exclusive de former des médecins pour toutes les parties du Midi.

Il s’agit donc moins de détruire que de perfectionner. Une expérience de six années nous a prouvé que ces trois écoles suffisaient aux besoins du Gouvernement et de la société : bornons-nous à corriger quelques légères imperfections que le temps a découvertes dans le systême de leur organisation, et donnons la stabilité à trois établissemens qui prospèrent.

Nous proposerons d’abord de supprimer la distinction que la loi a établie entre les professeurs et leurs adjoints ; et nous réduirons à un plus petit nombre de professeurs, ceux qu’elle a donnés à chacune de ces trois écoles. Seize professeurs paraissent devoir suffire à Paris ; douze à Montpellier ; neuf à Strasbourg. Cette réduction devra s’opérer insensiblement, et seulement par la démission ou par la mort des titulaires. L’idée de dépouiller, sans motif, des hommes qui ont rendu d’importans services à l’État, répugne aux principes d’un Gouvernement juste et éclairé.

Nous ne croyons pas qu’on puisse tracer d’une manière invariable la ligne qu’on doit suivre dans le systême de l’enseignement de la médecine : cette science est tellement compliquée, elle se compose de tant d’élément, que son étude sera toujours très-imparfaite lorsqu’on croira pouvoir tout régler, tout disposer par des arrêtés. Il n’y a de fixe que la chimie, l’anatomie et la botanique ; il convient d’attacher un seul homme à chacune de ces parties, et de laisser le soin aux professeurs de rédiger chaque année le programme des autres cours qui se feront dans l’école.

Mais ce qu’il importe le plus d’établir et d’organiser dans les écoles de médecine, ce sont les examens des élèves. Une trop longue expérience nous a appris que vainement on prétendrait à des succès dans l’étude de la médecine, si l’on n’arrivait pas à l’école avec des connaissances préliminaires : du moment que les portes en ont été ouvertes à tout le monde, on a vu y affluer des hommes qui, n’y apportant aucune connaissance positive, ont été incapables d’y profiter des leçons qu’on y donne ; dès-lors, ou ils se sont retirés, après une perte de temps irréparable, pour se jeter dans une autre carrière, ou ils se sont répandus dans la société, pour en devenir les fléaux sous le titre usurpé de médecins.

Il faut donc que nul ne puisse s’inscrire pour étudier en médecine, sans avoir subi un examen préalable sur toutes les parties qu’on enseigne dans les écoles communales.

On ne cesse de réclamer, depuis dix années, contre une foule d’imposteurs qui portent impunément la mort dans tous les rangs de la société : on n’a pas cessé d’appeler l’attention du Gouvernement et d’implorer la sévérité d’une loi, pour réprimer ce désordre. Et le Gouvernement ne s’acquittera envers la société qu’en la purgeant de ces assassins qui l’infestent, et en prenant de sages précautions pour prévenir la reproduction de pareils abus.

Il remplira le premier but en appelant à un examen solemnel tous ceux qui pratiquent sans une autorisation légale.

Il remplira le second en s’assurant, à diverses époques, des progrès des élèves, et en les astreignant à ne pouvoir exercer la profession de médecin qu’en vertu d’un diplome qui atteste leur capacité.

Ces examens doivent être sévères ; ils doivent être publics ; ils doivent embrasser la totalité des connaissances nécessaires à un médecin.

Pour régulariser les examens et les rendre très-profitables, chaque professeur commencera par s’assurer, chaque année, des progrès de ses élèves, par un examen qui aura lieu à la fin de son cours ; il prendra des notes sur chaque élève, et les déposera au secrétariat de l’école.

Dans les six derniers mois du terme de scolarité, les examens devront embrasser toutes les parties de l’art de guérir : on peut néanmoins les borner à trois ; l’un sur la théorie, le second sur la pratique, le troisième sur un sujet imprimé, du choix de l’élève.

Le Gouvernement réglera la forme du diplome qui sera délivré à l’élève pour constater sa capacité, et fera tous les règlemens qu’il croira nécessaires pour perfectionner l’enseignement dans les écoles.

La médecine devenant un état lucratif, et formant une profession à la fois honorable et avantageuse, il n’y a pas de doute que les professeurs ne doivent être salariés par les élèves, sur-tout à raison des examens qu’ils font et des grades qu’ils confèrent : il serait d’ailleurs facile de prouver qu’en cela l’intérêt des professeurs est inséparable de celui de l’élève. Mais si, indépendamment de cette rétribution éventuelle, le Gouvernement n’assurait pas à chaque professeur un modique salaire qui puisse le mettre au-dessus du besoin, il serait à craindre que les professeurs ne se missent dans la dépendance des élèves, et que peut-être ils ne trafiquassent honteusement de leurs grades.

La nomination aux places de professeurs en médecine, mérite la plus sérieuse attention. Il serait peut-être dangereux de s’écarter du mode qui a été suivi de succès pendant plusieurs siècles, où l’on a vu se succéder, dans les mêmes écoles, les hommes les plus célèbres dans l’art de guérir. Ce mode consiste à ouvrir un concours public en présence des professeurs de l’école, pour soumettre les candidats à des leçons et à des examens pendant un temps assez considérable pour pouvoir prononcer sur le mérite des concurrens, non-seulement par rapport à leurs connaissances, mais encore par rapport à l’art d’enseigner. Ce jugement est constamment sévère et impartial ; le Gouvernement peut le confirmer sans craindre qu’aucun motif étranger au bien de l’instruction ait pu le dicter.

§. II.

Écoles spéciales de Législation.

L’étude des lois, aussi nécessaire que négligée de nos jours, demande une prompte et sévère organisation.

Il n’existe plus de connaissances réelles que chez les jurisconsultes formés aux anciennes écoles. La plus profonde immoralité a flétri presque tous les hommes nouveaux qui entourent les tribunaux ; et la fortune privée, d’accord avec la morale publique, réclame des institutions qui, en offrant les moyens d’acquérir les connaissances nécessaires, rendent à la justice les formes et la dignité qui lui conviennent.

Le seul moyen d’atteindre ce but, c’est de créer des écoles publiques où l’enseignement soit donné par des maîtres habiles, sous les yeux et la surveillance de magistrats intègres. L’organisation actuelle des tribunaux d’appel, fournit un moyen facile d’exécuter ce projet : car c’est là que tous les degrés de la hiérarchie judiciaire sont réunis ; c’est là que, par état comme par intérêt, doivent s’établir les jurisconsultes les plus habiles c’est donc là que l’instruction sera la plus parfaite.

Nous croyons que trois professeurs peuvent embrasser l’enseignement de tout ce qu’il importe de savoir en législation :

Le premier traiterait du droit public ;

Le second ferait connaître le droit civil ;

Le troisième enseignerait le droit criminel.

Pour que l’étude des lois ne dégénérât pas, dans certaines écoles, en une vaine formalité, l’enseignement pourrait, être mis sous la surveillance du commissaire du Gouvernement près le tribunal d’appel, et le cours d’études durerait trois ans. Les élèves ne seraient reçus à l’école qu’après un examen préalable sur les objets qu’on enseigne dans les écoles communales ; ils n’obtiendraient un diplome de capacité qu’après avoir fourni des preuves de connaissances à deux examens publics ; et nul ne pourrait prétendre à devenir juge ou avoué, sans être muni d’un diplome, délivré par l’une des écoles.

§. III.

École spéciale d’Agriculture et Économie rurale.

La France est à la fois commerçante et agricole ; aucune nation voisine ne réunit les ressources que lui donnent sa position, la variété de son sol, la facilité des débouchés, et l’industrie de ses habitans.

Mais son agriculture, base fondamentale de sa richesse et la garantie principale de son indépendance, est encore susceptible de grands perfectionnemens. Nous devons d’autant plus nous flatter d’obtenir des succès dans ce genre, que depuis vingt-cinq ans que nous appliquons les sciences à l’agriculture, on y fait des améliorations précieuses. Il nous suffit de citer, à l’appui de cette assertion, la multiplicité des prairies artificielles, le perfectionnement de nos bêtes à laine, l’abolition presque générale des jachères, et l’art d’alterner les récoltes.

L’agriculture a ses principes comme toutes les sciences ; elle peut s’enrichir de l’expérience de tous les peuples de notre globe : et vainement attendrait-on du temps ce que les connaissances peuvent nous procurer ; car l’habitude dans les travaux des champs, la pratique des procédés transmis de génération en génération, écartent jusqu’à l’idée qu’il soit possible de perfectionner.

Il faut donc que des hommes instruits discutent sans préjugés, essaient sans passion et proposent sans enthousiasme tout ce que l’agriculture peut présenter de découvertes ou d’améliorations ; il faut, pour convaincre l’agriculteur méfiant ou prévenu, lui faire présenter par de véritables agriculteurs, les résultats de leurs expériences : il n’est peut-être que ce moyen de propager des méthodes utiles.

Déjà nous trouvons parmi nous des réunions d’agriculteurs formées dans chaque département sous le titre de Sociétés libres d’agriculture. Elles doivent leur existence au sentiment profond de leur utilité ; et on peut s’en promettre des effets d’autant plus heureux, qu’elles ne reçoivent l’impulsion que du désir de voir s’améliorer, se perfectionner, un art que chacun de ceux qui les composent exerce par goût et par intérêt.

Mais ces associations ne produiraient qu’une partie de l’effet qu’on est en droit d’en attendre, si elles restaient isolées et réduites à leurs propres efforts. Le Gouvernement doit les rapprocher, les faire concourir à un but commun, la prospérité de l’agriculture en France : et je pense que le plus sûr moyen se borne à établir une société centrale où tous les fils viennent se réunir, où parviennent tous les renseignemens, où l’on coordonne en systême et rattache aux principes fondamentaux de la science, ce qui n’est qu’un fait isolé et presque perdu dans une réunion départementale. C’est dans ce foyer commun qu’on pourra vérifier tous les faits nouveaux, essayer les méthodes et les cultures qui nous parviennent de l’étranger, choisir dans l’étendue de la République le sol et le climat les plus propres à naturaliser des plantes étrangères ; c’est là, en un mot, qu’en rapprochant tous les renseignemens qui seront fournis par les sociétés départementales, on pourra former le systême complet de l’agriculture en France.

Au reste, nous pensons que l’organisation de cette école doit être simple comme l’objet dont elle s’occupe.

Quatre professeurs me paraissent pouvoir suffire à l’enseignement :

Un de mécanique rurale ;

Un de la nature et de la culture des terres ;

Un de la culture des arbres ;

Un de mouture, boulangerie, et nourriture des hommes et des animaux.

Indépendamment de ces quatre professeurs, il y aurait un directeur chargé de surveiller l’enseignement, et de correspondre pour tous les objets d’utilité publique.

Le premier de ces professeurs s’occuperait de la construction des bâtimens ruraux, de celle des outils, usines, &c.

Le second, de la nature des terres et engrais ; de la conservation des grains ; du travail des prairies naturelles et artificielles ; des dessèchemens et défrichemens ; de l’éducation et amélioration des bestiaux.

Le troisième s’occupera des semis, plantations, éducation, taille et usage des arbres ; de la conservation des fruits ; de la fabrication des vins, &c.

Le quatrième fera connaître les diverses natures et usages de grains, leurs préparations, et les divers alimens dont l’homme et les animaux peuvent se servir.

Cette école ne peut être placée avantageusement qu’aux environs de Paris ; parce que là seulement viennent aboutir les relations de tous les pays, et que là siége le Gouvernement qui seul peut fournir à cet établissement tous les encouragemens et les moyens d’exécution nécessaires.

§. IV.

Écoles spéciales de l’Art vétérinaire.

Une loi du 29 germinal an 3 a établi deux écoles d’économie rurale vétérinaire, l’une à Lyon, l’autre à Versailles.

Chacune de ces écoles devait avoir six professeurs et un directeur : les districts avaient le droit d’envoyer à l’une ou à l’autre, selon la proximité, un élève âgé de seize à vingt-cinq ans.

Le trésor public était chargé de fournir une somme de 1,200 francs pour l’entretien de chacun des élèves.

La translation de l’école d’Alfort à Versailles n’a pas eu lieu, sous divers prétextes qu’il est inutile de rappeler ici.

Quoique bien des causes se soient réunies pour contrarier le but et les succès de ces deux écoles, nous avons vu néanmoins en sortir de nombreux élèves pour se répandre sur le sol de la République et y porter des connaissances très-utiles.

Il suffit aujourd’hui de donner à ce qui existe une organisation plus convenable pour obtenir des résultats heureux.

Cinq professeurs et un directeur nous paraissent suffire à chacune des deux écoles. L’enseignement pourrait y être distribué de la manière qui suit :

1°. Un professeur d’anatomie des animaux domestiques ;

2°. Un professeur de la connaissance et de la santé de ces mêmes animaux ;

3°. Un professeur de botanique, matière médicale et chimie pharmaceutique ;

4°. Un professeur de forge et de ferrure ;

5°. Un professeur des maladies des animaux.

Ces écoles doivent être ouvertes à tout le monde ; mais elles sont essentiellement destinées à ceux qui se proposent d’exercer l’art vétérinaire ou quelqu’une de ses parties.

Pour répandre ces connaissances avec la promptitude que demandent les besoins des campagnes, il nous paraît indispensable que chaque arrondissement communal entretienne un élève à l’école la plus voisine. Le choix en sera fait par le sous-préfet, qui s’assurera de l’intelligence et de la moralité de l’élève : il prendra de préférence les enfans des artistes qui exercent une profession vétérinaire ; son choix devra être confirmé par le préfet.

Chaque élève recevra 26 francs par mois sur les centimes additionnels de l’arrondissement ; et le directeur de l’école fera connaître sa conduite et ses progrès au sous-préfet, au moins tous les trois mois : celui-ci pourra le remplacer au besoin, d’après les plaintes portées par le directeur.

§. V.

École spéciale des Arts mécaniques et chimiques.

Le peuple dont les arts manufacturiers sont les plus parfaits, tient les autres dans sa dépendance, et établit sa prospérité sur la consommation qu’ils font de ses produits. C’est donc à perfectionner nos arts que doivent tendre tous nos efforts.

Le moyen le plus sûr de parvenir à ce but, consiste à porter la lumière dans les ateliers, à y diriger tous les pas de l’artiste, et à rendre sa marche aussi sûre que facile. Dans l’état où sont aujourd’hui les arts en Europe, celui-là a le plus d’avantages qui emploie dans ses opérations des procédés plus parfaits et des moyens plus économiques : or, la mécanique et la chimie nous amènent à ces perfectionnemens ; la première, en organisant une main-d’œuvre plus facile ; la seconde, en fournissant des méthodes d’opérer plus simples ou plus exactes.

La mécanique centuple les forces de l’homme, et donne des produits plus réguliers, plus parfaits que tous ceux que peut produire la main de l’homme. La chimie dirige les opérations, varie les procédés, maîtrise les résultats, et présente des effets constans, toujours prévus, toujours calculés, là où l’aveugle routine ne voit que hasard. C’est donc sur ces deux bases, mécanique et chimie, qu’il faut élever la gloire et la prospérité des arts en France.

Il paraîtra très-extraordinaire à la postérité que, dans un temps où un systême de destruction couvrait la France des débris de tous nos arts, on ait pu soustraire à la main des Vandales les plus précieux monumens du génie et de l’industrie française : c’est cependant ce qui a été fait par un décret de la Convention, du 19 vendémiaire an 3, qui a institué le Conservatoire des Arts et Métiers. Au même moment, des hommes aussi zélés qu’habiles se sont empressés de couvrir de l’égide de cette loi salutaire, la collection du Louvre, formée des machines de Pajot-Dozembray ; celle des arts mécaniques du palais d’Orléans, et le dépôt de Vaucanson, légué au Gouvernement en 1780.

Ces précieuses collections ont été réparées et enrichies jusques en l’an 6, où une nouvelle loi, du 17 floréal, a consacré la ci-devant abbaye de Saint-Martin-des-Champs pour les y réunir.

Déjà ce superbe local est préparé pour recueillir cette collection, la plus riche et la plus belle de l’Europe.

Cette collection offre plusieurs avantages : elle présente à l’esprit l’état actuel de notre industrie ; elle efface ou applanit pour l’artiste le chemin par lequel on arrive à connaître le degré de perfection où l’art s’est élevé. Un dépôt de machines est la bibliothèque de l’artiste ; il y lit les progrès de son art ; il y voit toute la pensée de l’auteur d’une découverte ; et, en comparant, son imagination peut parvenir sans efforts à des perfectionnemens que l’inexactitude de ses méthodes de pratique ne lui eût jamais suggérés.

Un artiste ne peut pas, sans éprouver de l’enthousiasme, voir dérouler à ses yeux les prodiges de l’industrie ; son imagination, son génie, s’enflamment du désir d’ajouter ses découvertes à celles qui lui sont présentées ; et ce ferment, jeté, dans le cœur de l’homme à talent, ne peut que se développer avec fruit.

La description d’une machine offerte aux yeux et mise sous la main, a encore l’avantage de fixer ou de former une langue uniforme pour les arts ; ce qui est d’autant plus nécessaire, qu’elle varie de ville en ville, et que les découvertes en mécanique ne peuvent que difficilement se transmettre.

Il y a peu de chose à faire pour donner au Conservatoire des arts et métiers tous les développemens dont il est susceptible.

Il y existe déjà trois professeurs et un dessinateur ; il ne s’agit que de leur distribuer l’enseignement, de manière à fournir aux artistes tous les principes sur lesquels ils peuvent appuyer leur pratique.

L’un des professeurs pourrait être chargé de l’enseignement de la mécanique et de l’hydraulique ;

Le second s’occuperait de l’art de la construction des machines et outils ;

Le troisième enseignerait la chimie appliquée aux arts ;

Et le quatrième instruirait sur l’art du dessin.

Mais l’enseignement de la mécanique et de la chimie des arts, concentré dans Paris, ne pourrait pas devenir d’un avantage général pour toutes les parties de la République. Les enfans des artistes ont rarement les moyens d’aller puiser l’instruction au loin ; et nous croyons que le Gouvernement ferait une chose très-utile aux arts et fabriques, en multipliant ces écoles, que la simplicité de leur organisation rend très-peu dispendieuses. Nous proposons donc d’en créer quatre pour toute la République : on pourrait les établir à Paris, Bruxelles, Lyon et Toulouse.

Le nombre des professeurs pourrait être réduit à trois dans les trois dernières de ces écoles ; celui de construction peut y être supprimé sans inconvénient.

§. VI.

École spéciale des Arts du Dessin.

Le dessin fait la base des connaissances nécessaires au peintre, au sculpteur et à l’architecte ; et c’est à l’étude de ce premier des arts que nous consacrons une école spéciale, sous le nom d’école des arts du dessin.

Les grands hommes qu’a produits l’école française, depuis qu’elle a été créée par Charles Lebrun en 1648, prouvent trop la bonté de son organisation, pour que nous n’en respections pas les bases. Ainsi, nous nous bornerons à proposer quelques légères modifications, qui paraissent désirées par les artistes eux-mêmes.

L’école pourrait être composée ainsi qu’il suit :

1°. Six professeurs pour la peinture ;

2°. Six pour la sculpture ;

3°. Quatre pour l’architecture et la construction ;

4°. Un professeur d’anatomie ;

5°. Un de perspective ;

6°. Un d’histoire, antiquité et costumes ;

7°. Un de géométrie descriptive.

Il est aisé de juger que les artistes célèbres qu’on appelle à exercer les fonctions de professeurs, ne doivent pas se livrer exclusivement à l’enseignement : l’école ne doit être pour eux que le délassement des travaux de leurs ateliers. C’est pour cela que nous établissons un nombre considérable de professeurs, pour qu’ils ne soient pas obligés de donner plus de deux mois à l’enseignement ; c’est au reste le seul moyen de pouvoir consacrer à l’instruction les premiers talens dans tous les genres, et d’obtenir à la fois l’exemple et le précepte, pour la gloire et les progrès de l’art.

L’ancien Gouvernement avait multiplié les concours et les prix de telle manière, que l’émulation constamment excitée par l’espérance, produisait les plus heureux efforts. Ces prix, ces concours doivent être continués : le voyage à Rome doit toujours être la principale des récompenses ; car, quoique nous possédions, en ce moment, plusieurs des chefs-d’œuvre qui y attiraient les jeunes artistes, il y reste encore assez de monumens précieux pour qu’on puisse regarder cette ville comme le séjour fortuné des arts.

Sous l’ancien régime, les encouragemens donnés par le Gouvernement ne se bornaient pas aux élèves ; les professeurs eux-mêmes en recevaient des secours dignes d’eux et de lui : tous les deux ans, il faisait exécuter, par les plus habiles artistes, huit grands tableaux d’histoire et deux statues. En renouvelant ce mode précieux d’encouragement, le Gouvernement actuel n’aura à fixer son choix ni sur des sujets puisés dans l’histoire des peuples anciens, ni sur des hommes qui appartiennent à d’autres temps : la nation est riche de ses propres faits ; c’est dans le court espace des dix années qui viennent de s’écouler, que l’artiste trouvera les héros et les actions de toute l’antiquité.

§. VII.

Écoles spéciales de Musique.

Avant la révolution, on pouvait regarder les Maîtrises établies près des Chapitres, des Cathédrales ou des Abbayes, comme les écoles primaires de l’art de la musique. Le culte catholique était célébré avec la plus grande solemnité dans quelques églises, et par-tout, c’étaient des musiciens salariés qui y faisaient le service.

La suppression de tous ces établissemens a privé l’art musical de ses principales ressources. La loi du 16 thermidor an 3 a créé le Conservatoire de musique ; elle y a ouvert un asyle aux premiers talens de l’Europe. Sans doute elle a fait beaucoup pour l’art en recueillant et honorant ces artistes distingués ; mais en les concentrant sur un point de la République, elle n’a rien fait qu’on puisse comparer à ces premiers établissemens, où le germe du talent trouvait un asyle, où des dispositions heureuses étaient senties et encouragées, et d’où se répandait dans toute la masse du peuple le goût de la musique.

Celui qui sait quel est le pouvoir de la musique sur une nation, combien elle a d’influence sur nos mœurs et répand de charmes sur notre vie domestique, cherche les moyens de replacer dans nos villes quelque genre d’institution qui réveille le goût du chant dans toutes les classes de la société, et y reporte la gaîté, dont il est l’expression la plus ordinaire.

En attendant que des circonstances plus heureuses permettent au Gouvernement de former des institutions musicales sur presque tous les points de la République, nous croyons très-avantageux d’établir six petites écoles de musique dans les villes les plus considérables de la France. Chacune de ces écoles pourrait être composée de quatre professeurs :

Un de musique ;

Un de chant ;

Un de violon ;

Un de basse.

Ces écoles auraient l’avantage de placer convenablement les élèves les plus distingués du Conservatoire, de propager le goût de la musique, de fournir des moyens faciles pour l’instruction, de former des musiciens pour les bataillons, de présenter des ressources pour les fêtes publiques, de distinguer et recueillir les talens qui deviennent rares de plus en plus sur nos théatres.

Le Conservatoire de musique, qui existe à Paris, est la seule école de ce genre que possède la France ; c’est presque la seule ressource qui soit ouverte aux artistes : nous sommes donc bien éloignés d’en proposer la suppression ; mais nous pensons qu’on peut borner à soixante-dix-huit le nombre des membres du Conservatoire, porté à cent dix-huit par la loi du 16 thermidor an 3 ; et à quatre cents, celui des élèves des deux sexes, fixé à six cents par la même loi.

§. VIII.

École spéciale d’Histoire naturelle.

Le muséum d’histoire naturelle, organisé par la loi du 10 juin 1790, présente, en ce moment, le systême d’enseignement le plus complet qu’il y ait en Europe, tant sous le rapport des riches collections qu’il possède, que sous celui des hommes célèbres qui y professent. Nous n’y proposerons donc aucun changement ; mais la loi doit imposer à cette école la tâche honorable de former des professeurs d’histoire naturelle pour toutes les écoles de département : il n’y a que ce moyen de donner à cette partie intéressante de l’instruction publique, dans les départemens, le caractère d’utilité qui la rend d’une application journalière à tous les besoins de la société.

§. IX.

École spéciale de Belles-Lettres et Sciences physiques et mathématiques.

Le collége de France est à la fois le monument le plus ancien et un des plus utiles que possède l’instruction publique. Créé en 1530 par François 1er , fut soutenu et perfectionné jusqu’à nos jours ; et en ce moment, il présente un des systêmes d’enseignement les plus complets qu’il y ait en Europe. Trois professeurs y enseignent les mathématiques et l’astronomie : cinq cours y sont ouverts à l’enseignement des sciences physiques ; deux ont pour objet le droit public et l’histoire.

Les langues anciennes et orientales, la poésie, l’éloquence, l’histoire de la littérature française, y forment, sous huit professeurs, le complément d’une instruction presque universelle.

Cet établissement, qui a passé, comme par miracle, à travers tous les orages de la révolution, et est toujours resté debout au milieu des ruines qui l’entouraient, ne sera ni supprimé, ni dégradé dans un moment où le Gouvernement cherche à rétablir ce qui a été détruit, à réorganiser tout ce qui peut être utile.

Nous proposerons donc d’ériger le collége de France en une école spéciale de belles-lettres et sciences physiques et mathématiques : nous lui donnerons un degré d’utilité de plus, en lui attribuant l’honorable fonction de former des professeurs de belles-lettres, de physique et de chimie pour les écoles communales.

TITRE IV.

INSTITUT NATIONAL DES SCIENCES ET ARTS.

Il est à remarquer que, depuis l’Assemblée constituante jusqu’à nos jours, tous les projets d’instruction publique qui ont été présentés, proposent un institut national destiné à recueillir les découvertes, à propager les connaissances, et à réunir les hommes les plus distingués dans les sciences et dans les arts.

L’avantage de ce bel établissement a été si généralement senti, que les constitutions de l’an 3 et de l’an 8 en ont fait un article du pacte social.

L’institut est organisé d’après la loi du 3 brumaire an 4 ; et malgré quelques vices que l’expérience a fait connaître dans sa constitution, il n’en forme pas moins un des plus beaux monument de la gloire nationale.

Il suffirait, peut-être, de rapporter la loi réglementaire du 15 germinal an 4, qui lui a prescrit un mode de scrutin, une manière invariable de remplacement, et l’a ainsi assujetti à des formes vicieuses, pour que l’institut n’offrît plus que l’ensemble de connaissances le plus complet, le plus imposant dont une nation puisse s’honorer.

On pourrait encore reprocher à l’organisation actuelle de l’institut, de s’être beaucoup trop écartée de ce que l’expérience avait montré de perfection dans la composition de nos anciennes académies. Le même homme, par exemple, en suivait tous les détails, en devenait l’historien, et attachait, d’une manière toute particulière, la gloire de son nom à celle du corps dont il était l’organe ; il y avait plus de suite dans l’administration, plus de célérité dans l’exécution, plus d’ordre dans la marche ; et on ne peut pas nier que le rétablissement d’un secrétaire perpétuel pour chaque classe de l’institut, en rouvrant une carrière qui présente tant de grands hommes pour modèles, ne contribuât à la gloire de ce corps et aux progrès des sciences.

Il suffit de jeter un coup-d’œil sur la nomenclature des divers objets qu’embrasse l’institut, pour se convaincre que la partie de l’éloquence a été sacrifiée dans son organisation primitive. Cette lacune a été d’autant mieux sentie, que tous les talens distingués de l’académie française n’ont pas pu trouver place dans le cadre étroit qu’offrait la loi ; et nous croyons qu’il faut créer une section dans la troisième classe, sous le titre de section d’éloquence.


Apperçu des Dépenses de l’Instruction publique, d’après le plan proposé.

1°. Écoles municipales. En supposant l’instruction publique organisée sur tous les points de la République, nous avons déjà prouvé qu’il y aurait vingt-trois mille écoles municipales, ce qui formerait une dépense d’environ 5,000,000, à la charge des arrondissemens communaux.

2°. Écoles communales. Il paraît prouvé par l’expérience et d’après l’état actuel de la France, que deux cent cinquante colléges, ou écoles communales, suffiront à l’instruction secondaire.

Chaque collège a un directeur et cinq professeurs. Le terme moyen du traitement des professeurs est de 1,500 francs. Ainsi il y aurait dans la République douze cent cinquante professeurs et deux cent cinquante directeurs, dont les traitemens formeraient une somme totale de 3,000,000.

En supposant de 600 francs la pension de chaque élève salarié, les huit cents coûteraient 480,000 francs.

3°. Écoles spéciales, 1,306,600 francs.

4°. Institut national, 266,000 francs.

Ainsi, en supposant l’instruction complète pour toute la France ; en admettant qu’il n’y ait pas un point sur le sol de la République où l’instruction ne soit possible pour tous, et suffisante pour tous les besoins de la société, la dépense se bornerait à une somme annuelle d’environ 9,500,000 francs, sur laquelle il serait pris 5,000,000 sur les centimes additionnels des arrondissemens, pour les écoles municipales ; 3,000,000 sur les centimes additionnels, tant des départemens que des arrondissemens, pour les écoles communales ; et 1,500,000 francs sur le trésor public, pour les écoles spéciales.

Total
de la dépense.
Écoles municipales 5,000,000.
Écoles communales 3,000,000.
Écoles spéciales 1,306,600.
Institut 266,600.
9,572,600.

La dépense totale de l’instruction publique s’élèverait donc à une somme d’environ 10,000,000, si jamais elle était si complètement organisée qu’il n’existât pas un seul point sur le sol de la République où chaque individu ne prouvât une instruction suffisante et proportionnée à ses besoins.