Recherches sur la probabilité des jugements en matière criminelle et en matière civile/Chapitre V

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CHAPITRE V.

Application des règles des probabilités aux décisions des jurys et aux jugements des tribunaux[1].

(114). Dans une matière aussi délicate, il conviendra de considérer d’abord les cas les plus simples, avant de traiter la question dans toute sa généralité.

Je suppose donc, en premier lieu, qu’il y ait un seul juré. Je représente par la probabilité que l’accusé soit coupable, lorsqu’il est traduit devant ce juré ; probabilité résultante de l’information préliminaire et de l’accusation qui s’en est suivie. Je désigne aussi par la probabilité que le juré ne se trompera pas dans sa décision ; et, cela étant, soit y la probabilité que l’accusé sera condamné. Cet événement aura lieu, si l’accusé est coupable et que le juré ne se trompe pas, ou bien, si l’accusé n’est pas coupable et que le juré se trompe. D’après la règle du no 5, la probabilité du premier cas est le produit de et de , et celle du second a pour valeur le produit de et de . Donc, en vertu de la règle du no 10, on aura

, (1)

pour la probabilité complète de la condamnation de l’accusé. Celle de son acquittement sera . Cet événement aura lieu, si l’accusé est coupable et que le juré se trompe, ou bien, si l’accusé n’est pas coupable et que le juré ne se trompe pas ; et les probabilités de ces deux cas étant les produits et , il en résultera

 ;

équation qui se déduit aussi de la précédente. En les retranchant l’une de l’autre, il vient

 ;

ce qui montre que la quantité sera zéro en même temps que ou , et positive ou négative selon que et seront de même signe ou de signes contraires. On aura aussi

 ;

de sorte que surpassera , de la moitié du produit positif ou négatif.

Après la décision du juré, on pourra faire deux hypothèses qui seront les seules possibles : on pourra supposer que l’accusé soit coupable ou qu’il ne le soit pas ; leurs probabilités, comme celles de toutes les causes hypothétiques, se détermineront par la règle du no 34. La somme de ces deux probabilités étant d’ailleurs égale à l’unité, il n’y en aura qu’une seule à déterminer.

Si l’accusé a été condamné, soit la probabilité de la première hypothèse, ou de la culpabilité. D’après la règle citée, on aura

 ; (2)

car ici l’événement observé est la condamnation de l’accusé dont la probabilité, comme on vient de le voir, serait dans cette première hypothèse, et dans la supposition contraire, ou de la non-culpabilité.

Si l’accusé a été absous, soit la probabilité de la seconde hypothèse, ou de la non-culpabilité. L’événement observé étant alors l’acquittement de l’accusé, dont la probabilité est dans cette hypothèse, et dans la supposition contraire, ainsi qu’on l’a dit tout à l’heure, il suit de la règle citée que l’on aura}}

. (3)

En observant que les dénominateurs de ces expressions de et sont les valeurs de et , on a

, ;

d’où l’on déduit

pour une expression de la probabilité que le juré ne se trompera pas, qu’il est facile de vérifier. En effet, cela aura lieu de deux manières différentes : parce que l’accusé sera condamné, et qu’étant condamné, il sera coupable, ou bien parce qu’il sera acquitté, et qu’étant acquitté, il sera innocent. Or, par la règle du no 9 relative à la probabilité d’un événement composé de deux événements simples, dont les chances respectives influent l’une sur l’autre, la probabilité de la première manière est le produit de et de , et celle de la seconde, le produit de et de . Donc aussi (no 10), la valeur complète de est la somme de ces deux produits. Après que la décision du juré est prononcée, la probabilité qu’il ne s’est pas trompé, n’est autre que , s’il a condamné, ou s’il a acquitté. Si l’on n’a pas , elle ne peut être égale à , comme auparavant, que quand on a ou .

Ces formules renferment la solution complète du problème dans le cas d’un seul juré ; problème qui n’est, au reste, que celui de la probabilité d’un fait attesté par un témoin, dont nous nous sommes occupés dans le no 56. La culpabilité de l’accusé est ici le fait qui peut être vrai ou faux ; avant que le juré ait prononcé, on avait une certaine raison de croire que ce fait était vrai, résultante des données qu’on possédait alors : était sa probabilité, et celle de la non-culpabilité ; après la décision du juré, on a eu sur le fait une nouvelle donnée ; ce qui a changé en une autre probabilité , si le juré a décidé ou attesté que l’accusé soit coupable, et en une probabilité , s’il a attesté que l’accusé ne soit pas coupable. Dans l’un et l’autre cas, il est évident que les probabilités antérieures et ont dû être augmentées, s’il y a plus de chance pour que le juré ne se trompe pas, qu’il n’y en a pour qu’il se trompe, et diminuées, dans le cas contraire, c’est-à-dire augmentées ou diminuées selon qu’on a ou . C’est, en effet, ce qui résulte des expressions de et , d’où l’on déduit

,,

et par conséquent, , , selon qu’on a . Dans le cas de , il n’y a rien de changé aux probabilités antérieures et .

Ces dernières expressions de et donnent

 ;

et puisque le premier membre de cette équation est égal à , on a donc aussi

 ;

ce qui servirait à calculer la probabilité que le juré ne se trompera pas, si l’on connaissait à priori, par un moyen quelconque, la chance de la condamnation, outre la probabilité de la culpabilité. C’est aussi ce que l’on vérifie en observant que le juré ne se trompera pas, si l’accusé est coupable et condamné, ou bien s’il est innocent et acquitté ; or, les probabilités de ces deux cas, avant la décision du juré, sont les produits et , dont la somme forme la valeur complète de .

Quand on aura , les premières valeurs de et se réduiront immédiatement à et  ; et, en effet, puisqu’on n’a à priori aucune raison de croire plutôt à la culpabilité qu’à l’innocence de l’accusé, notre raison de croire à l’une ou à l’autre, après la décision du juré, ne peut différer de la probabilité qu’il ne se trompe pas. Si l’on a , c’est-à-dire si la probabilité de la culpabilité est regardée comme certaine à priori, on aura et  ; et quelle que soit la décision du juré, et sa chance de ne pas se tromper, cette culpabilité sera encore certaine après cette décision. Il en sera de même à l’égard de l’innocence de l’accusé, si l’on a , c’est-à-dire si elle est certaine à priori. Mais dans les deux cas, il n’est pas certain que l’accusé sera condamné ou acquitté : on aura , dans le premier, et dans le second, pour la chance de sa condamnation, qui sera donc égale, comme cela doit être, à la probabilité que le juré ne se trompera pas quand , et se trompera lorsque .

(115). Supposons actuellement qu’après la décision de ce juré, l’accusé soit soumis au jugement d’un second juré dont la probabilité de ne pas se tromper sera représentée par . Il s’agira de déterminer les probabilités que l’accusé sera condamné par les deux jurés, absous par l’un et condamné par l’autre, absous par l’un et l’autre ; probabilités que je désignerai respectivement par , , .

Soit la probabilité que l’accusé ayant été condamné par le premier juré, le sera aussi par le second. En observant que est la chance de la première condamnation, on aura

,

pour la probabilité de deux condamnations successives. Mais en paraissant devant le second juré, il y a la probabilité , résultant de la décision du premier, que l’accusé est coupable ; la valeur de se déduira donc de la formule (1), en y mettant et au lieu de et  ; ce qui donne

 ;

d’où l’on déduira, en vertu des formules (1) et (2),

.

Par un raisonnement semblable, on trouvera

.

En ajoutant ces deux formules, il en résulte

,

pour la probabilité que les deux jures décideront de la même manière, soit qu’ils condamnent, soit qu’ils absolvent ; et l’on peut remarquer que cette probabilité totale est indépendante de celle de la culpabilité de l’accusé avant le double jugement.

Si l’accusé a été absous par le premier juré, et qu’on appelle la probabilité qu’il sera condamné par le second, le produit exprimera la probabilité que ces deux jugements contraires auront lieu successivement et dans cet ordre. D’ailleurs sera la probabilité que l’accusé est coupable, quand il paraît devant le second juré après avoir été acquitté par le premier ; la valeur de se déduira donc de la formule (1), en y remplaçant et par et  ; ce qui donne

,

ou bien, en vertu des valeurs de et données par les formules (1) et (3),

.

Il est évident qu’en permutant les lettres et dans cette expression, on aura la probabilité que les jugements des deux jurés seront contraires, mais dans l’ordre inverse de celui qu’on vient de supposer. En ajoutant cette probabilité à la précédente, il en résultera

,

pour la probabilité complète de deux jugements contraires, rendus dans un ordre quelconque. On voit qu’elle est indépendante de , comme celle de deux jugements semblables. Dans le cas de et , l’une et l’autre sont aussi . Dans tous les cas, leur somme est l’unité, comme cela devait être.

La probabilité que l’accusé est coupable après qu’il aura été condamné par les deux jurés, sera donnée par la formule (2), en y mettant et au lieu de et  ; et la probabilité de son innocence, quand il aura été absous par les deux jurés, se déduira de la formule (3), par le changement de et en et . En désignant par et ces deux probabilités, on aura donc

, ;

et d’après les valeurs de et , données par ces mêmes formules (2) et (3), ces valeurs de et deviendront

,.

Soient encore la probabilité que l’accusé est coupable, après qu’il aura été absous par le premier juré et condamné par le second, et la probabilité qu’il est innocent, quand il aura été condamné par le premier juré et acquitté par le second. La valeur de se déduira de la formule (2), en y mettant au lieu de , et y remplaçant par la probabilité que l’accusé n’est pas innocent, après qu’il a été acquitté par le premier juré ; celle de s’obtiendra de même en changeant et dans la formule (3), en et  ; on aura donc

,,

ou bien, en vertu de ces mêmes formules (2) et (3),

,.

La probabilité que l’accusé, condamné par le premier juré et acquitté par le second est coupable, sera  ; d’ailleurs, il est évident qu’elle devra se déduire de par la permutation de et , ce qui a lieu effectivement : celle de l’innocence de l’accusé, absous par le premier juré et condamné par le second, ou , résultera de même de l’expression de , en y permutant et .

Dans le cas de , on a et  ; ce qui doit être effectivement ; car deux décisions contraires, rendues par des jurés qui ont la même chance de ne pas se tromper, ne sauraient rien changer à la raison que nous avions de croire, avant ces décisions, à la culpabilité ou à l’innocence de l’accusé.

(116). On étendrait sans peine ces raisonnements aux décisions successives d’un nombre quelconque de jurés, pour chacun desquels il y aura une chance donnée de ne pas se tromper. Mais on parviendra plus simplement au résultat, de la manière suivante.

Je suppose, pour fixer les idées, qu’il y ait trois jurés. Soient , , , les probabilités qu’ils ne se tromperont pas, et, comme précédemment, la probabilité avant leur jugement, que l’accusé est coupable.

Pour qu’il soit condamné à l’unanimité, il faudra ou qu’il soit coupable et qu’aucun des trois jurés ne se trompe, ou qu’il soit innocent et que les jurés se trompent tous les trois. La probabilité complète de cette condamnation sera donc

.

On verra de même que la probabilité que l’accusé sera absous à l’unanimité, aura pour valeur

.

La probabilité d’un jugement unanime, soit de condamnation, soit d’acquittement, sera donc la somme de ces deux quantités, c’est-à-dire

 ;

en sorte qu’elle est indépendante de , ce qui aurait lieu également, quel que fût le nombre des jurés.

L’accusé pourra être condamné par deux jurés et absous par le troisième, de trois manières différentes, selon que ce troisième sera celui dont la chance de ne pas se tromper est , ou . Il pourra de même être acquitté par deux jurés et condamné par le troisième, de trois manières différentes, qui répondront aussi aux cas où ce troisième est le juré dont , ou , exprime la probabilité qu’il ne se trompera pas. On verra sans difficulté que les probabilités de ces six combinaisons, auront pour expressions :

,
,
,
,
,
.

En faisant la somme de ces six quantités, on aura l’expression complète de la probabilité que le jugement ne sera pas unanime ; cette expression sera donc

et, comme on voit, indépendante de .

La somme des probabilités totales d’une décision unanime et d’une décision non unanime, doit être l’unité ; et, en effet, leurs expressions que l’on vient de trouver, satisfont à cette condition.

Le jugement étant rendu, on en déduira facilement la probabilité, après ce jugement, de la culpabilité de l’accusé, différente, en général, de ce qu’elle était auparavant. Si, par exemple, l’accusé a été condamné par les deux jurés dont et expriment les chances de ne pas se tromper, et acquitté par le troisième, la probabilité de cet événement sera , dans l’hypothèse de la culpabilité, et , dans la supposition contraire ; par la règle du no 34, la probabilité que l’accusé est coupable sera donc

.

Dans le cas de , elle devient indépendante de la valeur commune de et , et la même que si la condamnation était prononcée par le seul juré dont est la chance de ne se pas tromper. Et, en effet, après que ce juré a prononcé, les décisions différentes entre elles des deux autres jurés ne peuvent plus influer sur la raison que j’ai de croire que l’accusé soit ou ne soit pas coupable ; car il n’y aurait pas de raison pour qu’elles augmentassent plutôt que de diminuer la probabilité de la culpabilité, puisque les chances de ne passe tromper sont supposées égales pour ces deux derniers jurés.

Ces formules seraient également applicables au cas où les jurés, au lieu de juger successivement et sans communication entre eux, étaient réunis et jugeaient après en avoir délibéré ; mais la discussion pouvant les éclairer mutuellement et augmenter, en général, leurs probabilités de ne pas se tromper, les valeurs de , , , qui se rapportent à ces deux cas, pourraient n’être pas les mêmes, et s’écarter moins de l’unité dans le second cas que dans le premier.

(117). Considérons, en particulier, le cas où la chance de ne pas se tromper est la même pour tous les jurés, auquel nous ramènerons ensuite le cas général, lorsqu’il s’agira de déterminer la probabilité du nombre des condamnations dans de très grands nombres de jugements.

Soient donc cette probabilité donnée que chacun des jurés ne se trompera pas, le nombre des jurés, la probabilité, avant leur jugement, de la culpabilité de l’accusé, un des nombres 1, 2, 3,… , ou zéro, et la probabilité que l’accusé sera condamné par et absous par jurés.

Pour que cet événement composé arrive, il faudra que l’accusé étant coupable, jurés ne se trompent pas et jurés se trompent, ou bien que l’accusé n’étant pas coupable, jurés se trompent et ne se trompent pas. La probabilité du premier cas sera le produit , multiplié par le nombre de fois qu’on peut prendre les jurés qui se tromperont, sur le nombre de tous les jurés ; celle du second cas sera de même le produit , multiplié par le nombre de fois qu’on peut prendre les jurés qui se tromperont sur ce nombre total  ; lequel nombre de fois est le même que dans le premier cas, et égal au nombre de combinaisons différentes de choses prises à , ou à . En le désignant par , on aura

,

et il en résultera

, (4)

pour la valeur complète de .

Si l’on suppose , et qu’on fasse

,

l’accusé aura été condamné à la majorité de voix. Lorsque jurés l’auront condamné et que les autres l’auront absous, il aura été acquitté à cette majorité de voix ; la probabilité de cet acquittement, que je désignerai par , se déduira de la valeur de en y permutant les nombres et , ce qui ne changera rien au coefficient . On aura donc

. (5)

En ajoutant ces deux dernières équations, il vient

 ;

quantité indépendante de  ; de sorte que la probabilité d’un jugement rendu à une majorité donnée , soit qu’il condamne, soit qu’il absolve, ne dépend pas de la culpabilité présumée de l’accusé avant cette décision. Dans le cas particulier de , les probabilités et sont séparément indépendantes de , et ont pour valeur commune

.

Elles sont aussi égales entre elles, quelle que soit la valeur de , lorsque l’on a .

(118). Soit la probabilité que l’accusé sera condamné par voix au moins et absous par voix au plus, c’est-à-dire la probabilité d’une condamnation à la majorité de voix au moins. Soit aussi la probabilité que l’accusé sera acquitté par voix au moins et condamné par voix au plus.

D’après la règle du no 10, on aura

et au moyen des formules précédentes, il en résultera

en faisant, pour abréger,

de manière que soit une fonction donnée de , et ce que devient cette fonction, quand on y met au lieu de . On aura, en même temps,

,

pour la probabilité, indépendante de , que l’accusé sera, ou condamné, ou acquitté, à la majorité d’au moins voix.

Si l’on met au lieu de dans l’expression de , on en conclura

, ;

et, en effet, si un nombre de voix au moins égal à est nécessaire pour la condamnation, l’accusé sera acquitté lorsqu’il y aura voix au plus qui lui seront contraires ; en sorte que l’un des deux événements dont les probabilités sont et , devra certainement arriver.

Si est un nombre impair, et qu’on ait et conséquemment , on aura

, ;

en sorte que l’accusé sera certainement condamné ou acquitté à la majorité d’une voix au moins ; ce qui est évident en soi-même. Si est un nombre pair, la plus petite majorité possible sera , et répondra à . On aura alors

 ;

d’où il résultera

.

Il ne sera donc pas certain que l’accusé sera condamné ou absous à la majorité d’au moins deux voix ; ce qui est évident, et tient au cas possible du partage égal des voix pour l’acquittement et pour la condamnation.

La probabilité de ce cas unique s’obtiendra en retranchant de l’unité, la valeur précédente de  ; elle sera indépendante de  ;

et en la désignant par , son expression pourra s’écrire sous cette forme

.

Le maximum du produit répond à , et est égal à . Cette probabilité diminuera donc à mesure que s’écartera davantage de . Elle diminuera aussi continuellement à mesure que augmentera ; car on déduit de son expression

 ;

et d’après le maximum de , on en conclut que le rapport de à sera toujours moindre que l’unité : la plus grande valeur de répondra à et , et sera égale à .

Quand sera un grand nombre, on aura (no 67)

d’où l’on tire

,

pour la valeur approchée de , qui sera, comme on voit, une très petite fraction, lorsque différera notablement de , ou de l’unité. Dans le cas de , et en prenant pour exemple ou , cette formule, réduite à ses deux premiers termes, donne 230,94…/1024 pour cette valeur ; ce qui diffère très peu de la valeur 231/1024, quoique ne soit pas un nombre fort considérable.

La somme étant tout au plus égale à l’unité, si on la désigne par , la différence sera positive ou zéro ; et comme l’expression de pourra s’écrire sous la forme

,

il s’ensuit que si l’on a ou , on aura aussi . Donc, dans le cas ordinaire où l’on a, avant la décision des jurés, plus de raison de croire à la culpabilité qu’à l’innocence de l’accusé, la chance de sa condamnation à une majorité d’au moins une ou plusieurs voix, c’est-à-dire à une majorité quelconque, sera toujours moindre que cette probabilité antérieure de sa culpabilité : en supposant, par exemple, qu’il y ait quatre contre un à parier que l’accusé est coupable, lorsqu’il paraît devant le jury, il y aura moins de quatre contre un à parier qu’il sera condamné.

Cette proposition est, comme on voit, indépendante de la chance d’erreur des jurés, ou de la valeur de , autre que l’unité. Dans le cas de , on aura , , , , quel que soit . Dans le cas de , on aura de même , , , . Pour ces deux valeurs extrêmes de , il est évident que la condamnation ou l’acquittement ne pourra avoir lieu qu’à l’unanimité ; et c’est, en effet, ce qui résulte des formules (4) et (5), qui donnent alors et , excepté pour .

(119). En conservant toutes les notations précédentes, représentons, de plus, par la probabilité que l’accusé est coupable, quand il a été condamné par contre jurés, ou à la majorité de voix, et par , la probabilité qu’il est innocent, lorsqu’il est acquitté à cette majorité ; ou autrement dit, soit la probabilité que le jugement rendu à la majorité de voix sur est bon, quand il condamne, et , lorsqu’il absout. Dans le premier cas, la probabilité de l’événement observé, ou de la condamnation, est ou , selon que l’accusé est ou n’est pas coupable ; d’après la règle du no 34, on a donc

, (7)

en supprimant le facteur qui serait commun aux deux termes de la

fraction. Dans le cas de l’acquittement, on trouvera de même

. (8)

Si l’on suppose , on aura  ; et, en effet, lorsqu’à priori, on n’a pas de raison de croire plutôt à la culpabilité qu’à l’innocence de l’accusé, il est évident que la bonté des jugements rendus à la même majorité, a aussi une égale probabilité dans les deux cas de la condamnation et de l’acquittement. Pour , on a , et, par conséquent, comme cela doit être, et , quels que soient les nombres et .

En faisant, dans les formules (7) et (8),

,,

et observant que , on aura

, ;

ce qui montre que la probabilité de la bonté d’un jugement, ne dépend, toutes choses d’ailleurs égales, que de la majorité à laquelle il est rendu, et nullement du nombre total des jurés ; et, effectivement, les votes contraires et en nombres égaux, dans le cas d’une même chance d’erreur pour tous les jurés, ne sauraient augmenter ni diminuer la raison de croire que le jugement soit bon ou mauvais. Mais ce résultat suppose essentiellement la chance que les jurés ne se tromperont pas, donnée avant le jugement ; et il n’en serait plus de même, comme on le verra plus loin, si cette chance devait être conclue, après le jugement, des nombres de voix qui ont eu lieu pour et contre.

Pour une valeur donnée de , un jugement rendu à la majorité d’une seule voix, par exemple, ne mérite donc ni plus ni moins de confiance, quel que soit le nombre impair des jurés, que s’il y avait un seul juré ; mais la probabilité qu’un tel jugement, de condamnation ou d’acquittement, sera rendu, diminue à mesure que le nombre total des jurés devient plus grand. En effet, cette probabilité sera la somme des formules (4) et (5), dans laquelle on fera  ; en la désignant par , et ayant égard à la valeur de , on aura

 ;

d’où l’on conclut

 ;

et comme ne peut pas surpasser l’unité, il s’ensuit qu’on a toujours . En comparant cette valeur de à celle de , on voit que la première surpasse la seconde dans le rapport de l’unité à , qui reste le même quel que soit .

(120). Si l’on sait seulement que l’accusé a été condamné à la majorité d’au moins voix, de sorte que la majorité ait pu être , , … jusqu’à , ou l’unanimité ; on conçoit que la probabilité qu’il est coupable sera plus grande que  : je la représenterai par . Dans l’hypothèse que l’accusé soit coupable, la probabilité de la condamnation qui a eu lieu ou de l’événement observé, est , d’après ce qu’on a vu plus haut ; elle est , dans l’hypothèse de la non-culpabilité ; on aura donc

. (9)

En désignant par la probabilité de la non-culpabilité, quand l’accusé est absous à cette majorité de voix au moins, on trouvera de même

. (10)

Les probabilités de la bonté d’un jugement rendu à la majorité de voix au moins, auront aussi pour expressions dans le cas de la condamnation et dans le cas de l’acquittement. Elles ne sont pas, comme et , indépendantes du nombre total des jurés, et dépendantes seulement de ou . Pour les comparer numériquement les unes aux autres, je prends  ; ce qui rend égales les quantités et , ainsi que et , et suppose qu’avant le jugement, l’innocence de l’accusé avait la même probabilité que la culpabilité. Je fais aussi  ; en sorte qu’il y ait trois à parier contre un que chaque juré ne se trompera pas. En prenant pour le nombre ordinaire des jurés, et faisant et , on trouve d’abord

, ;

on trouve, en outre,

, ;

et l’on en déduit, à très peu près,

, ;

ce qui montre que dans cet exemple, la probabilité de l’erreur d’une condamnation prononcée à la majorité de deux voix au moins, est à peine un septième de la probabilité de l’erreur à craindre dans un jugement rendu à cette majorité de deux voix précisément, ou par sept voix contre cinq.

Les formules (4), (5), (6), (7), (8), (9), (10), s’appliqueront sans difficulté au cas où l’accusé traduit devant le jury que nous considérons, aura déjà été condamné ou acquitté par un autre jury ; on prendra alors pour la quantité que ces formules renferment, la probabilité que l’accusé est coupable, résultant du premier jugement, et que l’une de ces formules aura servi à déterminer.

(121). Lorsque et seront de très grands nombres, on sera obligé de recourir aux méthodes d’approximation, pour calculer les valeurs de et .

Pour cela, j’observe qu’en faisant , la quantité est la somme des premiers termes du développement de , ordonné suivant les puissances croissantes de  ; elle devra donc coïncider avec la formule (8) du no 73, en mettant dans celle-ci, , , , , au lieu de , , ,  ; par conséquent, d’après les formules (15) du no 77, nous aurons

(11)

étant une quantité positive dont le carré a pour valeur

 ;

et en employant la première ou la seconde de ces deux expressions de , selon que surpassera le rapport , ou sera moindre.

Si l’accusé a été condamné, et que toutes les majorités puissent avoir eu lieu, depuis la plus petite, de une ou deux voix, jusqu’à l’unanimité, le nombre et le rapport , seront à très peu près double de et l’unité ; on devra donc employer la première ou la seconde formule (11), selon que l’on aura ou  ; et si et diffèrent notablement de , ou de l’unité, on aura, aussi à très peu près,

.

Alors, puisque est un très grand nombre, la valeur de sera assez considérable pour rendre insensible, les intégrales et les exponentielles contenues dans les formules (11). La quantité se réduira donc à l’unité ou à zéro, selon que surpassera ou sera moindre ; et comme, dans le cas que nous examinons, la somme de et , est l’unité, exactement ou à très peu près selon que est impair ou pair, il s’ensuit que sera zéro quand on aura , et l’unité dans le cas de . De là, on conclut que, si la probabilité de la culpabilité de l’accuse avant le jugement, n’est pas une très petite fraction, il y aura une probabilité très approchante de la certitude, pour sa culpabilité après qu’il aura été condamné par un jury composé d’un très grand nombre de jurés, si la chance de l’erreur de chaque juré est notablement moindre que la chance contraire  ; résultat qui tient à ce que ce grand nombre , rend alors très peu probable que le jugement soit prononcé à une faible majorité. Au contraire, cette probabilité , de la bonté d’un jugement, sera une très petite fraction, et l’innocence de l’accusé, très probable, si c’est qui est sensiblement moindre que , et que, de plus, ne soit pas une fraction très approchante de l’unité. Les probabilités de la condamnation et de l’acquittement, données par les formules (6), seront très peu différentes de et , quand surpassera , ou, au contraire, de et lorsqu’on aura .

Dans le cas de , et en faisant ou , selon que sera impair ou pair, le rapport sera un peu moindre que , ou que l’unité ; il faudra donc employer la première formule (11) ; et comme la valeur de sera une très petite fraction, on aura, à très peu près,

,

en négligeant le carré de , ainsi que les termes qui auraient pour diviseur, et observant qu’on a alors

.

Si est impair, que l’on fasse , et qu’on mette pour et , on aura

 ;

en développant les logarithmes en séries, on en déduit, au degré d’approximation où nous nous arrêtons

, ;

la somme de et étant l’unité, sera aussi  ; et l’on aura , comme cela doit être, quel que soit d’ailleurs le nombre des jurés, lorsque leur chance est égale pour se tromper et pour ne pas se tromper. Si est un nombre pair, et qu’on fasse , , , on aura

 ;

d’où l’on déduira

,,

mais d’après la valeur de du no 118, on a, dans ce cas,

 ;

on aura donc

 ;

et ces valeurs de et étant égales, il en résultera , comme dans le cas précédent. La probabilité de la condamnation, que nous considérons, sera indépendante de , et égale à , ou un peu moindre que .

(122). En supposant toujours que le jury soit composé d’un nombre quelconque de jurés, concevons maintenant que pour chaque juré, la chance de ne pas se tromper puisse avoir un nombre de valeurs différentes et inégalement probables. Soient , les valeurs de ces chances pour un premier juré ; pour un second juré ; , pour un troisième juré, etc. Désignons, en général, par , , , etc., les probabilités que les chances , , , etc., auront lieu, et qui seront aussi les probabilités des chances correspondantes , , , etc. Comme une des chances lieu certainement ; qu’il en sera de même à l’égard de l’une des chances  ; ainsi que pour l’une des chances  ; et ainsi de suite, on devra avoir

Si donc, on fait

on aura, en même temps,

et , ,  etc., seront les valeurs moyennes des chances de ne pas se tromper, pour le 1er, 2e, 3e,… juré, et , , , etc., les valeurs moyennes de leurs chances de se tromper.

Cela posé, la probabilité qu’aucun des jurés ne se trompera, correspondante aux chances , , , etc., de ne pas se tromper, sera le produit de ces chances et de leurs probabilités respectives , , , etc. ; en la désignant par , on aura donc

Soit la probabilité qu’aucun juré ne se trompera, quelle que soit celle de ses chances possibles de ne pas se tromper, qui aura lieu. Par la règle du no 10, sera la somme des valeurs de que l’on obtiendra, en y mettant successivement chacun des nombres 1, 2, 3,… , à la place de chacun des nombres , , , etc. Or, il est facile de voir que cette somme sera le produit des moyennes , , , etc. ; en sorte que l’on aura

,

quels que soient les nombres et .

Relativement aux chances quelconques , , , etc., de ne pas se tromper, la probabilité qu’un seul jure se trompera, se déduira de en y remplaçant par si c’est le premier juré, par si c’est le second, etc. En appelant la probabilité totale qu’un seul juré se trompera, correspondante à ces chances , , , etc., on aura donc

Si l’on désigne ensuite par la probabilité qu’en ayant égard, pour chaque juré, à toutes les chances possibles de ne pas se tromper, il y aura un seul juré qui se trompera, sera la somme des valeurs de que l’on obtiendra en y mettant successivement pour chacun des indices , , , etc., tous les nombres 1, 2, 3,…  ; et il est facile de voir que cette somme ne dépendra que des moyennes , , , etc., et aura pour valeur

En continuant ainsi, on parviendra à cette proposition générale : La probabilité que parmi les jurés, ne se tromperont pas, et se tromperont, sera la même que si la chance de ne pas se tromper n’avait qu’une seule valeur possible pour chaque juré, savoir, pour le premier juré, pour le second, pour le troisième, etc. Par conséquent, si ces chances moyennes , , , etc., sont inégales, les diverses probabilités d’une condamnation à des majorités données, et celles de la culpabilité du condamné, se détermineront par les règles du no 116, étendues à un nombre quelconque de jurés. Si elles sont toutes égales entre elles, les probabilités dont il s’agit s’exprimeront au moyen des formules (4), (5), (6), (7), (8), (9), (10), en y mettant pour la chance moyenne commune à tous les jurés.

On se représentera avec précision la possibilité pour chaque juré, de plusieurs chances inégalement probables de ne pas se tromper, en concevant que la liste sur laquelle chaque juré doit être pris, soit divisée en un nombre de classes de personnes, telles que toutes les personnes d’une même classe aient une même chance de ne pas se tromper : pour la liste sur laquelle le premier juré doit être pris, soient cette chance correspondante à l’une des classes, et le rapport du nombre de personnes de cette classe au nombre de celles qui sont portées sur la liste entière ; la chance que ce juré ne se trompera pas, sera s’il appartient à cette classe, et sera la probabilité que cela aura lieu, c’est-à-dire la probabilité de cette chance . Si le second juré doit être pris sur une autre liste, et que soit la chance de ne pas se tromper, pour les personnes de l’une des classes de cette liste, et le rapport de leur nombre à celui des personnes portées sur la liste entière, sera la chance que le second juré ne se trompera pas s’il appartient à cette classe, et la probabilité qu’il en fera partie, ou la probabilité de cette chance  ; et ainsi de suite, pour tous les autres jurés. Les jurés, d’une session de cour d’assises, étant pris au hasard sur une même liste, formée de toutes les personnes qui peuvent être jurés dans le ressort de cette cour, il s’ensuit qu’avant le tirage au sort, les chances moyennes , , , etc., sont égales entre elles. Leur valeur commune peut d’ailleurs n’être pas la même dans les ressorts des différentes cours ; et cela étant, s’il y avait des affaires où le jury dût être composé d’un juré pris dans une partie déterminée du royaume, un second dans une autre partie, etc., ce serait le cas où les moyennes , , , etc., pourraient être différentes. Mais, dans tous les cas, on ne doit pas confondre ces chances moyennes qui ont lieu avant le tirage des jurés, avec les chances de ne pas se tromper, propres aux jurés que le sort aura désignés, quand le tirage sera effectué ; nous reviendrons tout à l’heure sur cette distinction essentielle.

(123). Si le nombre des chances possibles , , , etc., est infini, la probabilité de chacune d’elles sera infiniment petite. Soit alors la probabilité que la chance de ne pas se tromper, pour un juré pris au hasard sur une liste donnée, sera égale à  ; soit aussi la moyenne de toutes les chances possibles, en ayant égard à leurs probabilités respectives ; la somme qui doit être égale à l’unité, et celle qui doit former la valeur de , d’après ce qui précède, se changeront en des intégrales définies, prises depuis jusqu’à  ; en sorte que l’on aura

,.

La quantité positive pourra être une fonction continue ou discontinue de , entièrement arbitraire, pourvu qu’elle satisfasse à la première de ces équations : pour chaque expression donnée de , il y aura une valeur numérique de , tout-à-fait déterminée ; mais à chaque valeur donnée de , correspondront une infinité d’expressions différentes de , ou de lois différentes de probabilités.

Lorsque toutes les valeurs de , depuis zéro jusqu’à l’unité, seront également possibles, la quantité sera indépendante de , et devra être l’unité pour satisfaire à la première des deux équations précédentes ; en vertu de la seconde, on aura alors . Si cette quantité est croissante depuis jusqu’à , de manière que la chance qu’un juré ne se trompera pas, soit elle-même d’autant plus probable qu’elle approchera davantage de la certitude ; si, de plus, croît uniformément, on fera

 ;

et étant des constantes positives. On aura alors

 ;

d’où l’on tire

, ;

ce qui exige que l’on n’ait pas . Il en résultera

 ;

en sorte que la chance moyenne ne pourra par excéder , ni être moindre que , qui répondent à et .

Supposons encore que varie en progression géométrique, pour des accroissements égaux de  ; et prenons

 ;

valeur qui satisfait à la condition , quelle que soit la constante , et dans laquelle est, à l’ordinaire, la base des logarithmes népériens. Nous aurons

 ;

d’où l’on conclut qu’en faisant croître depuis jusqu’à , la chance moyenne sera susceptible, dans ce cas, de toutes les valeurs possibles, depuis jusqu’à  : pour , , , on aura , , .

Si les diverses chances de ne pas se tromper doivent être renfermées entre des limites plus étroites que zéro et l’unité ; par exemple, si la chance ne doit pas s’abaisser au-dessous de , et, en outre, si au-dessus de , toutes ses valeurs doivent être également possibles, on prendra pour une fonction discontinue, que l’on déterminera de cette manière. Je désigne par une quantité positive et de grandeur finie, mais tout-à-fait insensible ; soit une fonction qui varie très rapidement depuis jusqu’à , qui s’évanouisse pour toutes les valeurs de , comprises depuis jusqu’à , et qui ait pour valeur une constante donnée , depuis jusqu’à  ; cela étant, je fais

.

Par la nature de cette fonction , on aura

 ;

à cause de , on aura donc

 ;

ce qui exigera que ne surpasse pas 2, puisque ne peut avoir que des valeurs positives. Dans l’intégrale on pourra, en-dehors de , regarder comme une constante égale à  ; on aura donc aussi

 ;

et en observant qu’on a

,

on en conclura

,

ou bien, en réduisant,

,

Par conséquent, dans ce cas, la chance moyenne ne pourra pas excéder , qui répond à , ni être moindre que , qui répond à .

On pourrait faire ainsi une infinité d’hypothèses différentes sur la forme de la fonction . Si l’une d’elles était certaine, la valeur correspondante de la chance moyenne le serait aussi ; si, au contraire, elles sont toutes possibles, leurs probabilités respectives seront infiniment petites, et il en sera de même à l’égard des diverses valeurs de la chance moyenne qui résulteront de ces hypothèses. Le dernier cas aura lieu, lorsque les valeurs différentes dont est susceptible la chance qu’un juré ne se trompera pas, nous seront inconnues, et que nous ne connaîtrons même pas la loi de leurs probabilités, de sorte que nous puissions faire sur cette loi toutes les suppositions possibles, qui donneront à la chance moyenne des valeurs inégalement probables. Alors en représentant par la probabilité infiniment petite que cette chance sera égale à précisément, sera une fonction continue ou discontinue, telle que l’on ait , et susceptible des mêmes remarques que l’on vient de faire relativement à .

(124). Les formules précédentes donneraient les solutions complètes de toutes les questions relatives à l’objet de ce chapitre, si avant le jugement, la probabilité de la culpabilité était connue, et que l’on connût aussi, pour chaque juré et dans chaque affaire, la probabilité qu’il ne se trompera pas ; ou bien, si cette chance de ne pas se tromper a plusieurs valeurs possibles, il faudrait que toutes ces valeurs fussent données, ainsi que leurs probabilités respectives ; ou bien encore, quand ces valeurs sont en nombre infini et ont chacune une probabilité infiniment petite, il serait nécessaire que nous connussions la fonction qui exprime la loi de leurs probabilités. Mais aucun de ces éléments indispensables ne nous est donné à priori. Avant que l’accusé paraisse devant le jury, sa mise en accusation et la procédure qui la déterminée, rendent sans doute sa culpabilité plus probable que son innocence ; il y a donc lieu de croire que surpasse , mais de combien ? Nous ne pouvons aucunement le savoir d’avance. Cela dépend de l’habileté et de la sévérité des magistrats chargés de l’instruction préliminaire, et peut varier dans les différents genres d’affaires. Nous ne pouvons pas non plus connaître, soit avant le tirage au sort sur la liste des citoyens qui peuvent être jurés, soit après ce tirage, la chance qu’un juré ne se trompera pas : elle dépend, pour chaque juré, de ses lumières, de l’opportunité qu’il attache à la répression de telle ou telle sorte de crimes, de la pitié que lui inspire l’âge ou le sexe de l’accusé, etc. ; toutes circonstances oui nous sont inconnues, et dont nous ne pourrions pas d’ailleurs évaluer en nombres, l’influence sur les votes des jurés. Il est donc nécessaire, pour qu’on puisse faire usage des formules précédentes, d’en éliminer les éléments inconnus qu’elles renferment ; c’est ce qui va maintenant nous occuper.

(125). Considérons le cas où la chance de ne pas se tromper est égale pour tous les jurés. On suppose qu’elle soit inconnue avant le jugement, et susceptible de toutes les valeurs possibles depuis zéro jusqu’à l’unité, et l’on représente par la probabilité infiniment petite d’une valeur de cette chance. Si cette valeur était certaine, c’est-à-dire si la chance de ne pas se tromper était certainement pour chaque juré, la probabilité que l’accusé coupable ou innocent serait condamné par voix et absous par les autres voix, aurait pour expression la formule (4) ; étant le nombre total des jurés, et la probabilité, avant le jugement, de la culpabilité de l’accusé. Par conséquent, la probabilité de ce partage de voix sera réellement égale à cette formule multipliée par  ; et quand ce partage aura eu lieu effectivement, la probabilité que la chance de ne pas se tromper, commune à tous les jurés, a été , sera le produit de la formule (4) et de , divisé par la somme des valeurs de ce même produit qui répondent à toutes celles de , depuis , jusqu’à (no 43) ; de sorte qu’en désignant par cette probabilité infiniment petite, nous aurons

,

en supprimant le facteur de la formule (4), indépendant de et qui serait commun au numérateur et au dénominateur de . Si l’on représente par la probabilité que la chance de ne pas se tromper a été comprise entre des limites données et , cette quantité sera l’intégrale de , prise depuis jusqu’à  ; on aura donc

. (12)

Dans le cas de pair et d’un partage égal des voix, on a , et, par conséquent,

 ;

en sorte que la probabilité est alors indépendante de , dont elle dépend, en général, quand les voix sont inégalement partagées. Lorsque deux valeurs quelconques de également éloignées des extrêmes zéro et l’unité, ou de la moyenne sont également probables, de sorte qu’on ait , il en résulte

.

Si l’on a, de plus, et , on aura aussi

 ;

la formule (12) deviendra donc

,

et sera encore indépendante de , quels que soient les nombres et suivant lesquels la totalité des voix se sera divisée.

En faisant et , dans la formule (12), et en désignant par ce qu’elle devient, il en résulte

,

pour la probabilité que la chance est comprise entre et 1, ou surpasse . Si l’on fait de même et , et qu’on représente par ce que devient la formule (12), on aura

,

pour la probabilité que soit moindre que . Or, la probabilité qu’on a précisément étant infiniment petite, la somme de ces deux quantités et doit être l’unité ; ce qu’on vérifiera immédiatement en observant que leurs dénominateurs sont égaux, que la somme des intégrales multipliés par à leurs numérateurs, est égale à l’intégrale multipliée par au dénominateur, et qu’il en est de même à l’égard des intégrales multipliées par .

(126) La probabilité que la chance de ne pas se tromper pour chaque juré a été égale à dans un jugement où jurés ont condamné l’accusé et les autres l’ont absous, étant exprimé par et la probabilité que l’accusé soit coupable après le jugement, étant la quantité du no 119, si cette chance était certainement  ; il suit des règles des no 5 et 10, que la probabilité de la culpabilité aura pour valeur complète l’intégrale du produit , prise depuis jusqu’à . Donc, en la désignant par , et ayant égard aux expressions de et de , nous aurons

. (13)

Cette probabilité , sera zéro ou l’unité en même temps que . En mettant son expression sous la forme}}

,

on voit que pour toute autre valeur de , la probabilité que l’accusé est coupable, après le jugement, sera plus grande ou plus petite qu’auparavant, selon que la première des deux intégrales et sera plus grande ou plus petite que la seconde : quand elles seront égales, ce qui aura toujours lieu dans le cas de et dans celui de , on aura  ; et, en effet, la probabilité que l’accusé est coupable ne peut être aucunement changée par un jugement dans lequel les voix se sont partagées également, non plus que par un jugement dans lequel les valeurs et , ou , de la chance de ne pas se tromper, sont supposées également probables.

Dans tout autre cas, ne dépendra pas seulement, comme , de la majorité ou à laquelle le jugement a été prononcé, et de la quantité  ; la valeur de dépendra aussi du nombre total des jurés et de la loi de probabilité des chances de pas se tromper, exprimée par la fonction .

Ainsi, par exemple, si une condamnation est prononcée à une seule voix de majorité, par un jury composé de 201 jurés ; ou bien, si l’accusé est condamné, dans un autre cas, par un seul juré, et qu’on soit certain que la chance de ne pas se tromper a été égale pour ce juré unique et pour chacun des 201 autres jurés, la bonté du jugement aura exactement la même probabilité dans les deux cas : seulement, dans le premier cas, si cette chance diffère notablement de , l’événement observé sera un fait extraordinaire, ou dont la probabilité sera très faible, et qui arrivera très rarement ; et si cette chance de ne pas se tromper est égale à , la probabilité de ce premier cas sera un peu au-dessus de un neuvième, d’après l’expression de du no 119. Mais si la chance que chaque juré ne se trompera point, ne nous est pas connue avant le jugement, et que nous la déduisions du jugement même qui a été prononcé, la culpabilité de l’accusé est beaucoup moins probable, lorsqu’il est condamné par 101 jurés et absous par 100 autres, que s’il n’y avait qu’un seul juré par lequel il eût aussi été condamné ; non pas que le jugement de 101 personnes contre 100, soit moins bon en lui-même que celui d’une seule personne ; mais parce que le partage de 201 voix en deux nombres qui ne diffèrent que d’une unité, rend très probable que la chance de ne pas se tromper a été peu différente de 1, sans doute à raison de la difficulté que l’affaire présentait.

(127). Afin de se former une idée précise de la signification qu’on doit attacher aux formules (12) et (13), il faut supposer une personne qui ait, avant le jugement du jury, une certaine raison de croire l’accusé coupable, exprimée par la probabilité  ; qui ne connaisse aucun des jurés, ni l’affaire qu’ils ont eu à juger ; et qui sache seulement qu’on les a pris au hasard sur la liste générale. Pour cette personne, la probabilité qu’un juré ne s’est pas trompé dans son vote, est égale pour tous les jurés (no 122), mais inconnue ; avant le jugement elle peut supposer à cette inconnue , toutes les valeurs possibles depuis jusqu’à  : par des considérations quelconques que nous n’examinons point ici, la probabilité infiniment petite que la personne attribue à la variable est exprimée par  ; et est une fonction donnée qui doit satisfaire à la condition , puisque la valeur de est certainement contenue entre les limites de cette intégrale : après que le jugement est prononcé, et la personne sachant que l’accusé a été absous par voix et condamné par les autres, cette connaissance est une nouvelle donnée d’après laquelle il y a, pour cette personne, la probabilité que la chance de ne pas se tromper a été, dans ce jugement, comprise entre les limites et pour tous les jurés. La raison de croire à la culpabilité de l’accusé a aussi augmenté ou diminué : la probabilité qui l’exprimait avant le jugement est devenue après qu’il est rendu ; elle serait différente pour une autre personne qui aurait d’autres données sur la question, et l’on ne doit pas la confondre avec la chance même de la culpabilité. Celle-ci dépend de , et de la chance de ne pas se tromper, propre à chacun des jurés qui ont concouru au jugement, différente pour les différents jurés, d’après leurs divers degrés de capacité et la nature de l’affaire soumise à leurs décisions. Si les valeurs numériques , , , etc., de cette chance, nous étaient données pour tous les jurés, ainsi que la valeur de , la chance véritable de la culpabilité de l’accusé après le jugement, se calculerait par les règles du no 116, étendues au cas de jurés ; mais l’impossibilité de connaître ces valeurs à priori, rend également impossible l’application de ces règles.

Si l’on sait seulement que l’accusé a été condamné à la majorité d’au moins ou voix, de sorte qu’elle ait pu être de , ,… voix, jusqu’à l’unanimité ; et si l’on représente, dans ce cas, par la probabilité que la chance de ne pas se tromper, commune à tous les jurés, a été comprise entre les limites et , et par la probabilité que le condamné soit coupable, on obtiendra les expressions de et par le même raisonnement que celles de et , mais en faisant usage des valeurs de et (nos 118 et 120), au lieu d’employer, comme nous l’avons fait pour parvenir aux formules (12) et (13), les valeurs de et . De cette manière, on aura

(14)

On pourrait généraliser ces expressions, ainsi que les formules (12) et (13), et les étendre au cas où l’on saurait qu’une partie des jurés a été prise au hasard sur une première liste, une autre partie sur une autre liste, etc. ; et où l’on supposerait que pour la première liste une valeur de la chance moyenne de ne pas se tromper a une probabilité  ; que pour la seconde liste, est la probabilité d’une valeur de cette chance moyenne ; et ainsi de suite. Mais cette extension ne présentant ni difficulté, ni application utile, nous nous dispenserons d’écrire les formules compliquées auxquelles elle donnerait lieu.

(128). Quand et seront de très grands nombres, il faudra avoir recours à la méthode du no 67 pour calculer les valeurs approchées des intégrales contenues dans les formules (12), (13), (14). Je considérerai d’abord celles que renferment les formules (12) et (13).

Depuis jusqu’à , le produit n’a qu’un seul maximum ; je représenterai par sa valeur, et par celle de à laquelle il répond ; on aura

,.

Je fais ensuite

,

ou bien, en passant aux logarithmes

.

La variable croîtra continuellement depuis jusqu’à  ; les valeurs , , , répondront à , ,  ; et les limites de l’intégrale relative à seront , quand celles qui se rapportaient à étaient zéro et l’unité. En général, si l’on appelle et les limites relatives à , correspondantes à des limites et relatives à , on aura

d’après les valeurs précédentes de et de . Lorsque et surpasseront , les valeurs de et devant alors être positives, on prendra les signes supérieurs devant les radicaux ; on prendra les signes inférieurs, quand et seront moindres que  ; et quand ou aura et , on prendra le signe supérieur devant le second radical et le signe inférieur devant le premier, afin que la valeur de soit négative et que celle de soit positive.

Pour exprimer en série ordonnée suivant les puissances de , soient , , , etc., des coefficients constants, et faisons

 ;

en ayant égard aux valeurs de <math\alpha</math>, , , il en résultera

en égalant les coefficients des mêmes puissances de dans les deux membres de cette équation, on en déduira les valeurs de , , , etc., au moyen desquelles, on aura

,

et, en même temps,

.

Si la fonction ne décroît pas très rapidement de part ou d’autre de la valeur particulière de , on pourra, après y avoir substitué cette valeur de en série, développer aussi suivant les puissances de , et par suite, suivant les puissances de  ; on aura, de cette manière,

Au moyen de ces diverses valeurs, l’expression en série de renfermera les intégrales prises depuis jusqu’à , de la différentielle multipliée par des puissances paires ou impaires de  ; les intégrales relatives aux puissances paires auront des valeurs connues, les autres s’évanouiront ; et les nombres et étant du même ordre de grandeur que , la série dont il s’agit se trouvera ordonnée suivant des quantités de l’ordre de petitesse de , , ,  etc. En nous arrêtant à son premier terme, et observant que l’intégrale est égale à , nous aurons

 ;

d’où l’on conclut aussi

 ;

par la permutation des nombres et .

Si l’on désigne par une quantité positive et très petite par rapport à  ; que l’on fasse

, ;

et qu’on développe en séries les logarithmes contenus dans les expressions de et , on trouvera et , en négligeant les termes de l’ordre de petitesse de . D’après cela, on aura

,

aux quantités près de l’ordre de . À mesure que augmentera, cette intégrale relative à s’approchera d’être égale à  ; pour qu’elle en diffère très peu, il suffira que soit un nombre tel que 2 ou 3. Pour des limites ou qui seront toutes deux notablement plus grandes ou plus petites que , l’intégrale relative à serait sensiblement nulle.

En désignant par une quantité positive et très petite par rapport à , et faisant

, ;

nous aurons de même

.

Pour des limites ou , toutes deux notablement plus grandes ou plus petites que , la valeur de cette intégrale relative à serait sensiblement zéro.

Si les fractions et diffèrent notablement l’une de l’autre, les premières des valeurs précédentes de et , différeront de même de la valeur de qui répond au maximum de , ce qui rendra sensiblement nulle l’intégrale correspondante à ces limites, et, en même temps, les dernières de ces valeurs de et différeront aussi notablement de la valeur de relative au maximum de , ce qui rendra aussi à très peu près zéro l’intégrale , qui répond aux autres limites.

(129). En substituant dans la formule (13) les valeurs approchées des intégrales qu’elle contient, et supprimant les facteurs communs au numérateur et au dénominateur, il vient

,

pour la probabilité qu’un accusé est coupable, quand il est condamné à la majorité de ou voix, par un jury composé d’un très grand nombre de jurés. On voit qu’elle dépend du rapport de à , ou, si l’on veut du rapport de à , et non pas de la différence de ces nombres, comme la probabilité qui a lieu dans le cas où la chance de ne pas se tromper est donnée à priori (no 119). Par exemple, si l’accusé est condamné par 1 000 voix et absous par 500 voix, dans un jury composé de 1 500 jurés, ou bien s’il est condamné par 100 voix et acquitté par les 50 autres, quand il y a 150 jurés, la probabilité est la même et la probabilité très différente dans ces deux cas. Au contraire, le second jury et sa décision restant les mêmes, si le premier jury était composé de 1 050 jurés, dont 550 eussent condamné l’accusé et 500 l’eussent absous, ce serait qui ne changerait pas et qui pourrait beaucoup changer.

L’accusé étant condamné, surpasse et est moindre ; or, si l’on suppose qu’au-dessous de , la fonction soit sensiblement nulle, c’est-à-dire si l’on regarde comme tout-à-fait invraisemblable, une chance moyenne de ne pas se tromper, qui tomberait au-dessous de , ou serait moindre que celle de se tromper ; et si, de plus, la fraction n’est pas très approchante de zéro, on pourra négliger le second terme du dénominateur de par rapport au premier ; d’où il résultera , ou, du moins, une probabilité très approchante de la certitude.

Au moyen des valeurs approchées des intégrales contenues dans la formule (12), et en supposant que les fractions et ne soient pas très peu différentes l’une de l’autre, on aura

,

pour la probabilité que dans le jugement rendu contre l’accusé, la chance de ne pas se tromper, commune à tous les jurés, a été comprise entre les limites

.

Dans la même hypothèse, qui rend nulle une des deux intégrales que renferme le numérateur de la formule (12), on aura

,

pour la probabilité que cette chance a été renfermée entre les limites

.

On peut donner à et , des valeurs assez grandes sans être très considérables, pour que les intégrales relatives à diffèrent très peu de  ; alors la somme de ces deux valeurs de différera aussi très peu de l’unité ; et il sera à très peu près certain que la chance moyenne a été comprise, soit entre les premières limites, qui s’écartent peu de la fraction supérieure à , soit entre les dernières, qui s’écartent peu de la fraction moindre que . Si l’on suppose insensible ou négligeable par rapport à , le second cas sera exclu, et l’on pourra regarder comme à peu près certain que la valeur de s’est très peu écartée du rapport , ou, autrement dit, que les chances et de ne pas se tromper et de se tromper, ont été entre elles comme les nombres et des voix de condamnation et d’acquittement.

Il semblerait, d’après cela, que la probabilité au lieu de se réduire sensiblement à l’unité, devrait différer très peu de la valeur de relative à . Mais il faut remarquer que la probabilité répondant au cas où la chance n’a certainement qu’une seule valeur possible ; pour faire rentrer ce cas dans celui auquel répond l’expression de , il faudrait supposer que n’a de valeurs autres que zéro, que dans une étendue infiniment petite de part et d’autre de la valeur possible de , et qu’elle décroît très rapidement près de cette valeur ; or, l’analyse du numéro précédent suppose essentiellement, comme on l’a vu, que ne varie point ainsi de part ou d’autre de la valeur de  ; par conséquent l’expression de , déduite de cette analyse, n’est point applicable au cas auquel répond l’expression de du no 119. On peut d’ailleurs observer que celle-ci est comprise dans la formule (13). En effet, si l’on représente, en général, par la seule valeur possible de , et par un infiniment petit positif ; et si l’on prend pour une fonction qui soit nulle pour toutes les valeurs de , non comprises entre , les limites des intégrales que contient la formule (13) se réduiront à  ; dans leur étendue, les facteurs et seront constants ; en les faisant sortir hors des signes , et supprimant ensuite l’intégrale qui se trouvera facteur commun au numérateur et au dénominateur de la formule (13), elle coïncidera avec la formule (7) appliquée à .

Si les deux fractions et ne différaient pas sensiblement l’une de l’autre, et que l’on prît , les valeurs précédentes de se rapporteraient aux mêmes limites de la chance  ; mais leur valeur commune différerait des précédentes, et serait indépendante de et égale à , parce que, dans ce cas particulier, les deux intégrales contenues au numérateur de la formule (12) sont sensiblement égales, ainsi que celles qui se trouvent à son dénominateur.

(130). Pour déterminer les valeurs approchées des intégrales que renferment les formules (14), il faudra exprimer celles de et au moyen des formules (11).

La première de celles-ci ayant lieu quand surpasse , et la seconde dans le cas contraire, il s’ensuit que la première subsistera depuis jusqu’à , et la seconde depuis jusqu’à , en prenant pour et faisant . D’après l’équation qui détermine la quantité contenue dans ces formules (11), on aura

 ;

c’est-à-dire la même équation qu’on avait tout-à-l’heure entre , , et de laquelle on tirera

Mais devant toujours être une quantité positive (no 121), ses valeurs seront , , , pour , ,  : la variable croissant depuis jusqu’à , la variable décroîtra depuis jusqu’à  ; et croissant de nouveau depuis jusqu’à , cette même variable croîtra depuis jusqu’à .

Cela posé, nous aurons, d’après les formules (11),

On obtiendra, en séries convergentes, les valeurs de ces intégrales, simples et doubles, relatives à , en substituant sous les signes la série précédente à la place de , son coefficient différentiel au lieu de , et développant aussi en série, ce qui suppose que cette fonction ne varie pas très rapidement de part ou d’autre de la valeur particulière de . Si l’on néglige les termes de l’ordre de petitesse de , on fera simplement

,,.

Le radical sera susceptible du double signe ± ; on prendra le signe supérieur dans les intégrales où la variable est croissante, et le signe inférieur dans celle où elle est décroissante ; en changeant ensuite le signe de ces dernières, et intervertissant l’ordre de leurs limites, nous aurons

et en ajoutant ces deux formules, il en résultera

.

En général, si l’on désigne par et deux valeurs de telles que l’on ait et , et que l’on représente par et les valeurs positives de qui répondent à et , on aura, au degré d’approximation où nous nous arrêtons,

Par le procédé de l’intégration par partie, on a d’ailleurs

et, par conséquent,

Je mets actuellement à la place de dans les formules (11), et j’y change, en conséquence, en (no 118). La première aura lieu quand surpassera , c’est-à-dire depuis , jusqu’à , en prenant pour , et faisant toujours . La seconde subsistera depuis jusqu’à . En représentant par ce que devient \theta par le changement de en , et continuant de négliger les termes de l’ordre de petitesse de , nous aurons d’abord

et, par conséquent,

.

Ensuite, si et sont deux valeurs de telles que l’on ait et , et si l’on désigne par et les valeurs positives de , tirées de l’équation

 ;

et qui répondent à et , on aura aussi

(131). Les valeurs approchées des intégrales contenues dans les formules (14) étant ainsi déterminées, nous aurons

,

pour la probabilité que l’accusé est coupable, après qu’il a été condamné par un nombre de voix au moins égal à , dans un jury d’un très grand nombre de jurés. Le rapport ou étant alors plus grand que , si l’on suppose la fonction insensible ou nulle pour les valeurs de moindres que , l’intégrale le sera aussi, et si n’est pas une très petite fraction, la valeur de sera sensiblement égale à l’unité. Dans le cas de pour toutes les valeurs de , on aura

 ;

ce qui réduira la valeur de à , comme cela doit être.

Si l’on prend et , les valeurs correspondantes et de et seront égales ; en les désignant par et ayant égard à ce que représente, sera la quantité positive déterminée par l’équation}}

 ;

on aura

d’où il résultera

,

pour la probabilité, dans la condamnation dont il s’agit, que la chance de ne pas se tromper, commune à tous les jurés, a été comprise entre et , c’est-à-dire entre et . Cette probabilité est très faible à cause du facteur très petit  : il s’ensuit qu’il est au contraire très probable que la chance a été, ou plus grande que , ou plus petite que .

Pour le vérifier, je prends et , les valeurs correspondantes de et sont et  ; il en résulte

si, de cette dernière intégrale, on retranche la valeur précédente de , il vient

 ;

et, au moyen des valeurs de et , on aura

,

pour la probabilité que la chance était comprise entre et , ou supérieure à . Je prends aussi et  ; ou aura et  ; il en résultera

de cette dernière intégrale, je retranche la valeur précédente de , ce qui donne

 ;</math>

et des valeurs de et , on conclut

,

pour la probabilité que la chance a été comprise entre et , ou inférieure à . La somme des deux dernières valeurs de est à très peu près égale à l’unité ; ce qu’il s’agissait de vérifier. Quand les valeurs de , relatives à , sont nulles ou insensibles, la dernière valeur de est très petite, et la précédente très peu différente de la certitude. Dans tous les cas, la somme des trois valeurs de qu’on vient de calculer est, comme cela doit être, égale à un.

(132). Lors même que le nombre des jurés est très grand, ou est donc obligé, d’après ce qui précède, de faire une hypothèse sur la fonction , ou sur la loi de probabilité des chances de ne pas se tromper, pour pouvoir conclure la probabilité qu’un condamné est coupable, des nombres et des jurés qui ont voté pour ou contre lui. À plus forte raison, cela est-il nécessaire, dans le cas ordinaire, où le nombre n’est pas très considérable.

L’hypothèse que Laplace a faite pour cet objet, consiste à supposer que la fonction soit zéro pour toutes les valeurs de moindres que et qu’elle ait une même valeur pour toutes celles de qui surpassent  ; ce qui revient à dire que toute chance de ne pas se tromper moindre que la chance de se tromper est regardée comme impossible, et que les chances de ne pas se tromper plus grandes que celles de se tromper sont toutes également probables. Elle est permise ; car on satisfait à la condition , de la manière qu’on a expliquée précédemment (no 123) : la moyenne des valeurs possibles de , ou , serait alors comprise entre et , et dépendrait de la valeur de , pour .

Dans cette hypothèse, étant zéro pour , et une quantité constante pour , les limites des intégrales que renferme la formule (13) se réduiront à et  ; on pourra faire sortir hors des signes  ; et comme on a

,

cette formule deviendra

,

en supprimant le facteur constant , qui serait commun à son numérateur et à son dénominateur.

Laplace n’ayant point eu égard à la probabilité de la culpabilité avant le jugement, il faut, pour faire coïncider cette formule avec la sienne, supposer que cette culpabilité ne soit ni plus ni moins probable que la non-culpabilité, et faire, en conséquence, , ce qui donne

.

On aurait donc aussi

.

ou bien, en effectuant les intégrations,

(15)

pour la probabilité que l’accusé n’est pas coupable, lorsqu’il a été condamné à la majorité de voix dans un jury de jurés.

Cette dernière formule est, en effet, celle de Laplace[2]. La quantité comprise entre les parenthèses, se compose de termes, et se réduit à l’unité dans le cas de  ; d’où il résulte pour la probabilité de l’erreur d’une condamnation prononcée à l’unanimité. En ne prenant pas , et faisant , on aurait

 ;

quantité plus petite ou plus grande que , selon que surpasse ou est moindre.

Dans le cas ordinaire de = 12, si l’on fait successivement = 0, = 1, = 2, = 3, = 4, = 5, la formule (15) donne les fractions

1/8192, 14/8192, 92/8192, 378/8192, 1093/8192, 2380/8192,

pour la probabilité de l’erreur des condamnations prononcées par les 12 jurés, par 11 contre 1, par 10 contre 2, par 9 contre 3, par 8 contre 4, par 7 contre 5. À la plus petite majorité, la probabilité de l’erreur serait presque égale à 2/7 ; de sorte que sur un très grand nombre d’accusés, condamnés à la majorité de sept voix contre cinq, il serait très probable que les deux septièmes n’auraient pas dû l’être ; ce serait à peu près un huitième à la majorité de huit voix contre quatre.

En appliquant l’hypothèse de Laplace à la formule (12) ; désignant par une quantité positive et qui n’excède pas  ; et faisant , ,  ; on trouve

,

pour la probabilité que la chance de ne pas se tromper, qui na pas pu, suivant l’hypothèse, s’abaisser au-dessous de , a été comprise entre et , dans une condamnation prononcée par contre jurés. Les intégrations s’effectueront sans difficulté. Dans le cas de , ou de l’unanimité, on aura

.

Si l’on prend, par exemple, 12 et 0,448, on trouve, à très peu près , de sorte qu’il y a un à parier contre un que la chance a été comprise entre 0,5, et 0,948. En faisant , et ne supposant pas , on a

pour la probabilité que la chance a été comprise entre et , ou plus rapprochée de que de l’unité. Pour 12 et 5, la valeur de cette quantité est 0,915… ; en sorte qu’il y a un peu plus de dix à parier contre un, que dans le cas de la plus petite majorité, cette chance a été au-dessous de .

(133). Puisque la formule (15) est déduite d’une autre dans laquelle la chance de ne pas se tromper était la même pour tous les jurés, cette quantité ne saurait être, quoique Laplace ait omis de le dire, la chance propre à chacun des jurés qui ont jugé l’accusé ; elle doit représenter la chance moyenne relative à la liste générale sur laquelle ces jurés ont été pris au hasard (no 122). Sur cette liste, il y a sans doute des personnes pour lesquelles la chance de ne pas se tromper, au moins dans les affaires difficiles, est au-dessous de , ou moindre que la chance de se tromper. L’hypothèse de Laplace exige donc que leur nombre soit assez peu considérable pour ne pas empêcher la chance moyenne d’être toujours plus grande que . L’illustre géomètre suppose, en outre, qu’au-dessus de , les valeurs de cette chance, depuis jusqu’à , sont toutes également probables. La seule raison qu’il donne de cette double supposition est que l’opinion du juge a plus de tendance à la vérité qu’à l’erreur. Mais, en partant de ce principe, on en conclurait seulement que la fonction par laquelle nous avons exprimé la loi de probabilité des valeurs de la chance moyenne, doit être une plus grande quantité pour les valeurs de qui sont au-dessus de que pour celles qui sont au-dessous ; condition qui peut être remplie d’une infinité de manières différentes, sans qu’on soit obligé de supposer pour , et cette fonction constante pour . L’hypothèse que nous examinons n’est donc pas suffisamment motivée à priori ; et, comme on va le voir, les conséquences qui s’en déduisent la rendent tout-à-fait inadmissible.

En effet, la formule (15), qui est une de ses conséquences nécessaires, ne renferme rien qui dépende de la capacité des personnes portées sur la liste générale des jurés ; quelqu’un qui saurait, par exemple, que deux condamnations ont été prononcées à une même majorité, et par des jurys d’un même nombre de jurés, mais pris sur deux listes différentes, aurait donc la même raison de croire que ces deux jugements sont erronés, quoiqu’il sût que les personnes portées sur l’une des listes ont une capacité bien supérieure à celle des personnes portées sur l’autre ; or, c’est déjà ce qu’il est impossible d’admettre.

La fraction étant plus petite que , quand l’accusé est condamné à la majorité de voix contre  ; la quantité est zéro ou insensible dans l’hypothèse que nous examinons, ce qui rend la probabilité de la culpabilité du condamné très approchante de l’unité, lorsque le nombre est très grand, et quel que soit l’excès de sur (no 129). Ainsi, par exemple, en supposant le jury composé de 1 000 jurés, et l’accusé condamné par 520 jurés et acquitté par 480, on devrait regarder comme à peu près certain le fait de sa culpabilité, quoiqu’il soit nié par ces 480 jurés, pour lesquels on suppose que la chance de ne pas se tromper a été la même que pour les 520 autres ; conséquence qui suffirait pour faire rejeter l’hypothèse d’où elle est déduite ; car personne, évidemment, n’accorderait une grande confiance à un tel jugement, et surtout la même confiance qu’à celui qui serait prononcé à la presque unanimité par les 1 000 jurés. Dans cette hypothèse, si la capacité des personnes portées sur la liste générale des jurés vient à changer, si elle est plus grande dans un pays que dans un autre, si elle est différente pour différentes sortes d’affaires, la probabilité des chances de ne pas se tromper augmente suivant le même rapport, pour celles qui se rapprochent le plus de l’unité et pour celles qui diffèrent le moins de  ; or, tel n’est pas ce qui a lieu réellement : quand cette capacité augmente, par une cause quelconque, les chances de ne pas se tromper les plus voisines de la certitude acquièrent une probabilité plus grande que celle qu’elles avaient auparavant ; et le contraire a lieu à l’égard de celles qui s’éloignent le plus de l’unité. En prenant pour une fonction qui puisse remplir ces conditions, et qui ne soit pas d’ailleurs absolument nulle ou insensible au-dessous de , on fera disparaître les difficultés que nous venons d’indiquer, mais elles sont insuffisantes pour déterminer la fonction  : une infinité de formes différentes de cette fonction continue ou discontinue, satisfont à ces conditions, et conduiraient à des valeurs très inégales de la probabilité , exprimée par la formule (15), pour un même nombre de jurés, et une même différence entre les nombres et .

Ainsi, d’après la connaissance de ces nombres dans une condamnation isolée, et soit que l’on suppose la probabilité antérieure égale à ou à toute autre fraction, on ne peut pas, comme nous l’avons déjà dit, déterminer la probabilité réelle de la bonté de ce jugement, qui dépend de la chance de ne pas se tromper, propre à chaque juré et que nous ne pouvons pas connaître ; mais on doit aussi regarder comme impossible de calculer ce que serait cette probabilité, pour quelqu’un qui saurait seulement que les jurés ont été pris au hasard sur la liste générale, et pour qui la raison de croire à la bonté du jugement ne dépendrait plus que de la chance moyenne de ne pas se tromper, relative à cette liste et commune aux jurés (no 122) ; car, pour ce calcul, on serait obligé de faire, sur la loi de probabilité des valeurs de la chance moyenne depuis zéro jusqu’à l’unité, une hypothèse particulière, qui ne serait ni celle de Laplace, ni aucune autre que l’on pût suffisamment motiver. Si donc, il n’avait été rendu qu’un seul jugement par des jurés pris sur cette liste, les formules précédentes ne seraient susceptibles d’aucune application utile ; il en serait encore de même, s’il avait été rendu un nombre peu considérable de jugements ; mais nous savons, au contraire, que de très grands nombres de condamnations et d’acquittements, dans des proportions connues, ont été prononcés par des jurys pris successivement au hasard sur une même liste générale, or, c’est sur cette considération qu’est fondée, comme on va le voir, l’application des formules (4), (5), (6), (7), (8), (9), (10), qui ne contiennent que deux constantes inconnues et , et n’exigeront, en conséquence, que deux données de l’observation. La détermination de ces données va d’abord nous occuper.

(134). La liste générale des citoyens qui peuvent être jurés contient un nombre quelconque de noms : chaque jury se compose de jurés ; on a tiré au sort sur la liste générale, les jurys d’une ou plusieurs années, qui ont jugé un très grand nombre d’accusés ; et l’on représente par , le nombre de ces accusés que ces jurys ont condamnés à la majorité d’au moins contre voix ; ce qui suppose que soit zéro, ou un des nombres moindres que la moitié de . La chance d’une telle condamnation, avant que l’accusé fût jugé, a dû varier d’un jugement à un autre ; mais, quelle que soit cette variation, la moyenne des valeurs inconnues de cette chance qui ont eu lieu dans les jugements prononcés, a été très probablement et à très peu près égale au rapport (no 95). De plus, les valeurs de cette chance moyenne et de ce rapport varieront très peu avec le nombre supposé très grand ; et, si ce nombre augmente encore de plus en plus, elles convergeront indéfiniment vers une constante spéciale, qu’elles atteindraient si pouvait devenir infini, sans que les causes diverses d’une condamnation à la majorité dont il s’agit, vinssent à éprouver aucun changement. Cette quantité spéciale, que je représenterai par , est la somme des chances que toutes les causes possibles de cette condamnation, ou de l’événement que nous considérons, donnent à son arrivée, multipliées par les probabilités respectives de ces mêmes causes (no 104). Il serait impossible d’en faire l’énumération et de calculer à priori leur influence ; mais ces causes ne nous sont pas nécessaires à connaître : il nous suffit de supposer qu’elles ne varient ni dans leurs probabilités respectives, ni dans les chances qu’elles donnent aux condamnations ; et l’observation même nous fera connaître si cette supposition est conforme à la vérité. Dans ce cas, en désignant par , le nombre des condamnations à la majorité d’au moins contre voix, qui ont eu lieu pour un autre très grand nombre d’accusés, la différence sera très probablement une très petite fraction (no 109) ; et si, au contraire, elle n’est pas très petite, on sera fondé à croire que, dans l’intervalle des deux séries de jugements, il est survenu quelque changement notable dans les causes des condamnations. Le calcul ne peut, au reste, que nous avertir de l’existence de ce changement, sans nous en faire connaître la nature.

Ce que nous disons à l’égard des condamnations prononcées à la majorité d’au moins contre voix, convient également à celles qui ont eu lieu à cette majorité même de contre . Si l’on désigne par , le nombre de celles-ci pour le nombre d’accusés, il y aura aussi une constante spéciale que je représenterai par , dont le rapport s’approchera indéfiniment à mesure que augmentera encore de plus en plus, et qu’il atteindrait si pouvait devenir infini, sans que les causes des condamnations éprouvassent aucun changement ; et si est ce nombre de condamnations pour le nombre d’accusés, la différence , sera très probablement une fraction très petite. On aura évidemment

Cela posé, prenons pour une quantité positive très petite par rapport à et , et faisons

.

D’après les formules du no 112, cette quantité sera la probabilité commune à certaines limites des deux inconnues et , et des différences et , savoir :

, (a)

pour la première inconnue,

, (b)

pour la seconde inconnue ;

, (c)

pour la première différence, et

, (d)

pour la deuxième.

Toutes choses d’ailleurs égales, à mesure que et augmenteront, les amplitudes de ces limites décroîtront à peu près suivant la raison inverse des racines carrées de ces grands nombres, parce que et croîtront à peu près comme le nombre , et que et croîtront de même avec . Elles auront aussi d’autant moins d’étendue que la quantité sera plus petite ; mais leur probabilité diminuera en même temps que .

(135). Toutes les données numériques dont je vais faire usage sont tirées, comme je l’ai dit dans le préambule de cet ouvrage, des Comptes généraux de l’Administration de la justice criminelle, publiés par le Gouvernement.

Depuis 1825 jusqu’à 1830 inclusivement, les nombres des affaires soumises annuellement aux jurys, dans la France entière, ont été

5 121,5 301,5 287,5 721,5 506,5 068 ;

et les nombres des accusés, dans ces procès criminels, se sont élevés à

6 652,6 988,6 929,7 396,7 373,6 962 ;

ce qui fait chaque année, à peu près sept accusés pour cinq affaires. Les nombres des condamnés à la majorité d’au moins sept voix contre cinq, ont été, dans ces mêmes années,

4 037,4 348,4 236,4 551,4 475,4 130 ;

d’où il résulte, pour les rapports de ces derniers nombres aux précédents,

0,6068,0,6222,0,6113,0,6153,0,6069,0,5932 ;

où l’on voit déjà que ces rapports annuels ont très peu varié, dans cet intervalle de six années pendant lesquelles la législation criminelle n’a pas changé.

Je prends pour la somme des nombres des accusés pendant ces six années, et pour celle des nombres correspondants des condamnés. On aura

= 42 300, = 25 777 ;

au moyen de quoi les limites (a) deviendront

0,6094 ± (0,00335) ;

et si l’on fait = 2, par exemple, on aura aussi

= 0,9953,

pour la probabilité, très approchante de la certitude, que l’inconnue et la fraction 0,6094 ne diffèrent pas de 0,0067, l’une de l’autre.

Si l’on partage les six années que nous considérons en deux périodes égales, dont l’une comprenne les trois premières années et l’autre les trois dernières, on aura pour les nombres des accusés,

= 20 569, = 21 731 ;

et, en même temps, pour ceux des condamnés,

= 12 621, = 13 156 ;

d’où il résulte

= 0,6136, = 0,6054, = 0,0082.

Or, les limites (c) de cette différence seront

± (0,00671) ;

en prenant = 1,2, elles deviendront ± 0,00805 ; et l’on aura

= 0,9103, = 0,0897.

Il y aurait donc à très peu près dix à parier contre un que la différence des deux rapports et tomberait entre les limites ± 0,00805 ; et quoique, abstraction faite du signe, la différence observée ± 0,0082 s’en écarte un peu, l’écart et la probabilité qu’il ne devrait pas avoir lieu, ne sont point assez considérables pour qu’on soit bien fondé a croire qu’il y ait eu quelque changement notable dans les causes.

Pendant l’année 1831, le nombre des individus jugés par les jurys s’est élevé à 7 606, et celui des condamnés à 4 098. La loi exigeait alors la majorité d’au moins huit voix contre quatre pour la condamnation ; à cette majorité, on avait donc

= 7 606, = 4 098, = 0,5388.

Excepté la majorité exigée, si les autres causes qui influent sur les jugements des jurys ont été les mêmes dans cette année que dans les précédentes, on aura la valeur du rapport en retranchant de la valeur de celle de , c’est-à-dire en retranchant 0,5388 de la fraction 0,6094, trouvée plus haut ; ce qui donne

= 0,0706.

Pour vérifier ce résultat, j’observe que depuis 1825 jusqu’à 1830, la loi prescrivait l’intervention des juges composant la cour d’assises, toutes les fois que la décision du jury était rendue à la plus petite majorité de sept voix contre cinq ; or, on trouve, dans les Comptes généraux, que pendant les cinq dernières de ces six années, cette intervention a eu lieu des nombres de fois à peu près égaux, savoir :

398,373,373,395,372,

ou, au total, dans 1 911 affaires ; mais on ne fait pas connaître le nombre des accusés auxquels ces affaires se rapportent. C’est donc au nombre des affaires jugées pendant les mêmes années, et non pas à celui des individus mis en jugement, qu’il faut comparer ce nombre donné 1 911 : dans cet intervalle de cinq années, le nombre total des affaires criminelles s’est élevé à 26 883 ; on a donc eu à la fois

= 26 883, = 1 911 ;

d’où il résulte

= 0,0711 ;

ce qui diffère très peu du résultat précédent. Cet accord entre les deux valeurs de , montre que dans l’année 1831, les probabilités et dont ce rapport dépend, sont restées à très peu près les mêmes que dans les années précédentes. Toutefois, on doit remarquer que le calcul de la dernière valeur est fondé sur l’hypothèse que le nombre des condamnés a la majorité de sept voix contre cinq, est au nombre total des accusés, comme le nombre des affaires où cette majorité a eu lieu, est au nombre total des affaires ; proportion que l’on ne peut pas justifier à priori, faute de données qui ne se trouvent pas dans les Comptes généraux.

Dans les années 1832 et 1833, les nombres des accusés, défalcation faite des affaires politiques, ont été 7 555 et 6 964. La différence considérable qu’ils présentent provient d’une nouvelle disposition législative, d’après laquelle, en 1833, plusieurs genres d’affaires ont été enlevés aux cours d’assises et renvoyés à la police correctionnelle. Les nombres des condamnés, à la majorité d’au moins huit voix contre quatre comme en 1831, se sont élevés à 4 448 et 4 105 ; d’où il résulte pour ces deux années,

= 0,5887, = 0,5895.

Ces rapports diffèrent, comme on voit, très peu l’un de l’autre ; mais leur moyenne 0,5888 surpasse la valeur 0,5388 de , qui avait lieu en 1831, de 0,05, ou d’environ un dixième de cette valeur ; ce qui serait hors de toute vraisemblance, d’après les limites (c) et leur probabilité , s’il n’était survenu aucun changement dans les causes qui peuvent influer sur les votes des jurés. La législation criminelle a subi, en effet, un tel changement, qui consiste dans la question des circonstances atténuantes, posée aux jurys depuis 1832 ; question qui entraîne, dans le cas de l’affirmative, une diminution de pénalité ; ce qui a rendu les condamnations plus faciles et plus nombreuses.

(136). Les différents rapports que nous venons de calculer pour la France entière, ne sont pas les mêmes pour toutes les parties du royaume ; mais si l’on excepte le département de la Seine et quelques autres départements, les nombres des affaires criminelles qui ont été jugées en quelques années ne sont pas assez considérables pour que l’on en puisse déduire, avec une probabilité suffisante et pour chaque ressort de cours d’assises, la quantité constante vers laquelle doit converger le rapport du nombre des condamnés à celui des accusés. Voici les résultats relatifs à la cour d’assises de Paris.

De 1825 à 1830, les nombres d’individus qu’elle a jugés annuellement ont été

802,824,675,868,908,804 ;

et ceux des condamnés

567,527,436,559,604,484 ;

ce qui donne pour les rapports des uns aux autres

0,7070,0,6396,0,6459,0,6440,0,6652,0,6020.

En prenant pour la somme des six premiers nombres, et pour celle des six nombres suivants, on aura

= 4 881, = 5 177, = 0,6509.

D’après les nombres 42 300 et 25 779 d’accusés et de condamnés, relatifs à la France entière, pendant les mêmes années, nous avons trouvé que ce rapport doit différer très peu de 0,6094 ; fraction moindre que la précédente, de 0,0416, ou d’environ un quinzième de sa valeur ; or les limites (c) et leur probabilité rendraient un tel écart tout-à-fait invraisemblable, s’il n’y avait pas, pour le département de la Seine, une cause particulière qui rendît les condamnations plus faciles que dans le reste de la France. Quelle est cette cause ? C’est ce que le calcul ne saurait nous apprendre. Toutefois, nous ferons remarquer que dans ce département, dont la population est à peine un trente-sixième de celle du royaume, le nombre des accusés surpasse un neuvième de celui qui a lieu, pour un même intervalle de temps, dans la France entière ; en sorte qu’il est proportionnellement quatre fois aussi grand ; circonstance qui rend la répression des crimes plus nécessaire, et qui, peut-être pour cette raison, est cause d’une plus grande sévérité des jurés.

Au moyen de ces valeurs de et , les limites (a) deviennent

0,6509 ± (0,00695) ;

et si l’on prend = 2, on aura

= 0,99532, = 0,00468 ;

c’est-à-dire plus de 200 à parier contre un, que l’inconnue ne diffère de 0,6509, que de 0,0193, en plus ou en moins.

Le dernier 0,6020 des six rapports cités plus haut étant notablement moindre que la moyenne des cinq autres, il y a lieu d’examiner si cette différence indique suffisamment l’existence de quelque cause particulière qui aurait rendu les jurés moins sévères en 1830 que dans les années précédentes. Or, en prenant pour et les sommes des nombres d’accusés et de condamnés dans le département de la Seine, depuis 1825 jusqu’à 1829, et pour et les nombres relatifs à l’année 1830, on a

= 4 077, = 2 693, = 804, = 484 ;

d’où il résulte

= 0,6605, = 0,6019, = 0,0585.

Les limites (c) deviennent aussi

± (0,02657) ;

en sorte qu’en faisant = 2, il y aurait plus de 200 à parier contre un que la différence des rapports et n’aurait pas dû excéder 0,05314 : elle a surpassé cette fraction, d’à peu près un 10e de sa valeur ; on peut donc croire qu’il y a eu à cette époque quelque anomalie réelle dans les votes des jurés ; et la cause de cette anomalie, qui les a rendus un peu moins sévères, a pu être la Révolution de 1830. Cette cause, quelle qu’elle soit, paraît avoir agi sur les jurés de la France entière ; car, en 1830, le rapport du nombre des condamnés à celui des accusés dans tout le royaume, s’est abaissé à près de 0,59, tandis que sa valeur moyenne avait été 0,61 pour les cinq années précédentes.

Depuis 1826 jusqu’à 1830 inclusivement, le nombre des affaires criminelles s’est élevé, dans le département de la Seine, à 2 963 ; et dans ce nombre il y a eu 194 affaires où la condamnation par le jury a été prononcée à la majorité de sept voix contre cinq, et où la cour a dû intervenir. En prenant le rapport de 194 à 2 963 pour la valeur de , on aura donc

= 0,0655.

quantité un peu moindre que la valeur du même rapport pour la France entière.

(137). Si nous considérions séparément, comme dans les Comptes généraux, toutes les espèces de crimes dont les cours d’assises ont eu à s’occuper, les nombres d’accusés et de condamnés pour chaque espèce en particulier, ne seraient pas assez grands pour donner lieu à des rapports constants, et servir de base à nos calculs. Mais dans ces Comptes, on a aussi groupé toutes les affaires criminelles en deux classes, dont l’une renferme les crimes contre les personnes, et l’autre les crimes contre les propriétés ; et ces deux grandes divisions ont présenté annuellement des rapports très différents l’un de l’autre, mais à peu près invariables pour chacune d’elles. Ce sont ces rapports que nous allons citer.

Pendant les six années comprises depuis 1825 jusqu’à 1830, les nombres des accusés de crimes contre les personnes, ont été, pour la France entière,

1 897,1 907,1 911,1 844,1 791,1 666 ;

et contre les propriétés

4 755,5 081,5 018,5 552,5 582,5 296 ;

les nombres correspondants des condamnés, sous l’empire d’une même législation criminelle, se sont élevés à

882,967,948,871,834,766,

pour les crimes de la première espèce, et à

3 155,3 381,3 288,3 680,3 641,3 364,

pour ceux de la seconde. De là, on déduit

0,4649,0,5071,0,4961,0,4723,0,4657,0,4598,

pour les rapports des nombres de condamnés à ceux des accusés de crimes contre les personnes, et

0,6635,0,6654,0,6552,0,6628,0,6523,0,6352,

pour les rapports des nombres de condamnés à ceux des accusés de crimes contre les propriétés ; où l’on voit que les uns et les autres n’ont pas beaucoup varié d’une année à une autre, mais que les derniers excèdent notablement les premiers.

En prenant pour et les sommes des nombres d’accusés et de condamnés dans le cas des crimes contre les personnes, et pour et leurs sommes dans le cas des crimes contre les propriétés, nous aurons

= 11 016, = 5 268, = 31 284, = 20 509 ;

d’où il résulte ces deux rapports :

= 0,4782, = 0,6556,

dont le second surpasse le premier d’un peu plus du tiers de celui-ci. Au moyen de ces nombres, on trouve

0,4782 ± (0,00675),

pour les limites (a) de l’inconnue , relative aux crimes contre les personnes, et

0,6556 ± (0,00380),

pour ces limites relatives aux autres crimes. En faisant = 2, il y aura une probabilité très approchante de la certitude, que cette inconnue ne diffère pas de la fraction 0,4782, de plus de 0,0135, dans le premier cas, et de la fraction 0,6556, de plus de 0,0076, dans le second.

En 1831, où les condamnations ont été prononcées à la majorité d’au moins huit voix contre quatre, si l’on prend pour et pour les nombres d’accusés et de condamnés, relatifs aux crimes contre les personnes, et pour et ces nombres relatifs aux crimes contre les propriétés, on a

= 2 046, = 743, = 5 560, = 3 355 ;

d’où l’on tire

= 0,3631, = 0,6034 ;

et en retranchant ces rapports des précédents, il vient

= 0,1151, = 0,0522 ;

pour les rapports du nombre des condamnés à la plus petite majorité de sept voix contre cinq au nombre des accusés, dans les deux sortes de crimes. Il est remarquable que le rapport , relatif aux crimes contre les personnes, soit à peu près double du rapport , relatif aux crimes contre les propriétés, tandis qu’au contraire c’est le rapport relatif à ces derniers crimes, qui surpasse d’environ un tiers le rapport relatif aux premiers. Ainsi, non-seulement les condamnations prononcées par les jurys ont été proportionnellement plus nombreuses dans le cas des crimes contre les propriétés, mais elles ont aussi été prononcées à de plus grandes majorités.

Les rapports que nous considérons ne sont pas non plus tout-à-fait les mêmes pour les deux sexes. Chaque année, le nombre des femmes traduites aux cours d’assises est, à très peu près constamment, les dix-huit centièmes du nombre total des accusés des deux sexes. Dans les cinq années écoulées depuis 1826 jusqu’à 1830 inclusivement, si l’on appelle et les nombres de femmes accusées de crimes contre les personnes et de crimes contre les propriétés, et que l’on désigne dans ces nombres, par et , ceux des femmes condamnées, on aura

= 1 305, = 5 465, = 586, = 3 312 ;

d’où l’on déduit

= 0,4490, = 0,6061 ;

et en comparant ces rapports aux valeurs précédentes de et , on voit qu’ils sont moindres, mais seulement d’à peu près un 16e ou un 12e de ces valeurs.

Relativement aux années 1832 et 1833, pendant lesquelles les condamnations ont été prononcées à la majorité d’au moins huit voix contre quatre et avec la question des circonstances atténuantes, on a eu, pour les accusés et les condamnés des deux sexes,

= 4 108, = 10 421, = 1 889, = 6 664,

et, par conséquent,

= 0,4598, = 0,6395 ;

les lettres accentuées répondant, comme plus haut, aux crimes contre les propriétés, et les lettres non accentuées aux crimes contre les personnes. En faisant = 2 dans l’expression des limites (a), on trouve qu’il y a une probabilité très approchante de la certitude que l’inconnue ne s’écarte pas de la fraction 0,4598, de plus de 0,022, ou de la fraction 0,6395, de plus de 0,0133, selon qu’il s’agit des crimes de la seconde ou de la première espèce. On peut remarquer que les valeurs de et ont conservé entre elles, à très peu près, le rapport qui existait entre celles de et qu’on a trouvées plus haut. En comparant ces quantités et , à leurs analogues en 1831, on peut aussi observer que l’influence de la question des circonstances atténuantes a augmenté le rapport relatif aux crimes contre les propriétés, seulement d’un 15e, et le rapport , relatif aux crimes contre les personnes, de près d’un tiers de sa valeur.

(138). Maintenant, d’après ce qu’on a vu dans le no 122, la chance, pour un accusé, d’être condamné par un jury pris au hasard sur la liste générale d’un département ou du ressort d’une cour d’assises, est la même que si la chance de ne pas se tromper était égale pour tous les membres de ce jury ; à la majorité d’au moins contre voix, la chance de la condamnation est donc exprimée par la première formule (6), et à la majorité de contre , par la formule (4) ; par conséquent, pour chaque département et pour chaque genre d’affaires criminelles, les quantités et , exprimées par ces formules, sont celles dont les rapports et approchent indéfiniment à mesure que le nombre , supposé très grand, augmente encore davantage ; ou, autrement dit, les quantités et coïncident avec les inconnues et du no 134, lorsque l’on considère des affaires d’un même genre, dans un même département, et même pour chaque sexe des accusés séparément. Nous rangerons en deux classes distinctes tous les genres d’affaires criminelles : l’une de ces classes comprenant, comme plus haut, les crimes contre les personnes, et l’autre les crimes contre les propriétés. Mais, pour ne pas trop compliquer les calculs, nous n’aurons point égard au sexe des accusés, dont l’influence sur la proportion des condamnations peut être négligée, si l’on considère que, dans le nombre total des prévenus, le nombre des femmes n’est pas un cinquième de celui des hommes. Les lettres , , , , , répondant aux affaires de la première espèce, et les mêmes lettres accentuées désignant les quantités analogues relativement aux affaires de la seconde espèce, nous aurons, pour chaque département en particulier,

,,,, (16)

avec d’autant plus d’approximation et de probabilité que les nombres et seront plus considérables.

Si les rapports qui forment les premiers membres de ces équations étaient donnés pour les différents départements, ces quatre équations suffiraient pour déterminer les inconnues et contenues dans et , et leurs analogues dans et que je désignerai par et  ; mais la nécessité de très grands nombres et rend impossible, quant à présent, l’application des équations (16) à chaque département isolément, et pour s’en servir, on sera obligé de supposer que les inconnues , , , , ne varient pas beaucoup, en général, d’un département à un autre ; ce qui permettra d’employer dans leurs premiers membres, les rapports relatifs à la France entière. Les quantités et que l’on déterminera de cette manière seront exactement les chances de ne pas se tromper qui auraient lieu si les listes de jurés de tous les départements étaient réunies en une seule, et que chaque juré fût pris au hasard sur cette liste totale. Dans cette hypothèse, les quantités et , en ce qu’elles dépendent de l’habileté des magistrats qui dirigent l’instruction préliminaire, pourraient encore n’être pas les mêmes dans les différents départements ; mais les équations (16) étant linéaires par rapport à ces inconnues, leurs valeurs que l’on obtiendra, seraient alors les moyennes de celles qui ont réellement lieu pour tous les départements. Au reste, on doit observer que si l’on est obligé de se contenter de ces valeurs générales de , , , , c’est seulement faute de données complètes de l’observation, et non pas par quelque imperfection de la théorie que nous exposons.

Les expressions de et ne changent pas lorsqu’on y met et au lieu de et (nos 117 et 118) ; pour des valeurs données de et , s’il y a un couple de valeurs de et plus grandes que , qui satisfassent aux deux premières équations (16), il y aura donc aussi un couple de valeurs de et de plus petites que qui satisferont également à ces équations. Or, on doit supposer que la probabilité moyenne de la culpabilité des accusés avant le jugement, surpasse celle de leur innocence, et que, chez les jurés, la chance moyenne de ne pas se tromper est plus grande que celle de l’erreur ; ce sont donc les valeurs de et plus grandes que qu’il faudra employer ; et l’on devra rejeter les autres comme étrangères à la question. La même remarque convient aux deux dernières équations (16), et aux valeurs de et qui s’en déduiront. Toutefois, si l’on appliquait ces équations aux jugements en matière politique, rendus en grand nombre dans les temps malheureux de la Révolution, on pourrait employer, ainsi qu’on l’a expliqué dans le préambule de cet ouvrage, leurs racines moindres que  ; car alors l’innocence légale des accusés avant le jugement pouvait être plus probable que leur culpabilité ; et pour les jurés, la probabilité qu’ils se tromperaient volontairement pouvait surpasser leur chance de ne pas se tromper.

(139). Je fais et , dans les formules (4) et (6) ; les coefficients qu’elles contiennent auront pour valeurs

,,,,,.

Je fais aussi

,,, ;

la seconde équation (16) devient

 ; (17)

et, on observant qu’on a

,

la première équation (16) pourra s’écrire sous cette forme :

(18)

Ces équations (17) et (18) répondent aux crimes contre les personnes ; celles qui se rapportent aux crimes contre les propriétés s’en déduiront en y changeant les quantités , , , , dans leurs analogues, que je représenterai par , , , .

L’inconnue est susceptible de toutes les valeurs, depuis qui répond à , jusqu’à qui répond à  ; mais ses valeurs plus grandes que l’unité étant celles qui se rapportent aux valeurs de supérieures à , ce sont les seules qu’il faudra considérer. De plus, l’inconnue devant être comprise entre et l’unité, il suit de l’équation (17) que la valeur de devra être telle que l’on ait

, ;

ce qui servira à en déterminer des limites. On remarquera, à cet effet, que la première de ces deux fonctions de , décroît continuellement depuis jusqu’à , et que la seconde augmente d’abord depuis jusqu’à , pour décroître ensuite jusqu’à .

En éliminant entre les équations (17) et (18) on parviendrait à une équation du 24e degré par rapport à , du genre des équations réciproques, et réductible, par conséquent, à une équation du 12e degré ; mais il sera beaucoup plus facile de calculer directement par des essais successifs, les valeurs simultanées de et qui satisfont au système des équations (17) et (18).

(140). Relativement aux six années comprises depuis 1825 jusqu’à 1830, on a

= 0,4782, = 0,1151/792 = 0,0001453.

Pour , la quantité surpasserait cette valeur de  ; pour , ce serait cette valeur qui surpasserait l’autre quantité  ; la valeur de doit donc être plus grande que deux et plus petite que trois ; limites entre lesquelles il est facile de s’assurer que cette inconnue n’a qu’une seule valeur possible. Après quelques essais, j’ai pris 2,112 pour cette valeur ; l’équation (17) donne alors 0,5354 pour celle de  ; et en substituant ces valeurs dans le second membre de l’équation (18), on le trouve égal à 0,4783, ce qui ne diffère du premier membre que de 0,0001 ; on a donc, avec une très grande approximation,

= 0,5354, = 2,112.

Pour les mêmes années, on a

= 0,6556, = 0,0523/792 = 0,0006604.

Je substitue ces valeurs à la place de et dans les équations (17) et (18), et j’y mets aussi et au lieu de et  ; en les résolvant ensuite, comme dans le cas précédent, je trouve, au même degré d’approximation,

= 0,6744, = 3,4865.

De ces valeurs de et , on déduit

= 0,6786, = 0,7771,

pour les chances qu’un juré quelconque ne se tromperait pas, qui ont eu lieu dans les années que nous considérons ; la première répondant au cas des crimes contre les personnes, et la seconde à celui des crimes contre les propriétés.

Avant qu’un jugement fût prononcé, une personne qui n’aurait connu ni les jurés dont le jury serait composé, ni même le lieu où l’affaire serait jugée, aurait pu parier, à cette époque, un peu plus de deux contre un, que chaque juré ne se tromperait pas dans son vote, s’il s’agissait d’un crime de la première espèce, et près de sept contre deux, dans le cas du second genre de crimes. On emploie ici l’expression vulgaire parier tant contre tant, afin de rendre plus sensible la signification qu’on doit attacher aux valeurs de et , et quoique le pari qu’on suppose soit illusoire, puisqu’on ne saurait jamais qui aurait gagné. Cette personne aurait pu aussi parier, d’après les valeurs précédentes de et , un peu moins de sept contre six pour la culpabilité de l’accusé dans le cas de la première sorte de crimes, et un peu plus de deux contre un, dans le cas de la seconde. Nous verrons plus loin ce que devient la probabilité que l’accusé est coupable, après que le jugement est prononcé.

Si nous considérons les nombres des accusés et des condamnés, sans distinction des genres de crimes contre les personnes et contre les propriétés, il faudra prendre, toujours pour les mêmes années et pour la France entière,

= 0,6094, = 0,0706/792 = 0,00008914.

En résolvant les équations (17) et (18), on trouve alors

= 0,6391, = 2,99, = 0,7494.

Si l’on considérait le département de la Seine isolément, les valeurs de et qu’on devrait employer seraient (no 136)

= 0,6509, = 0,0655/792 = 0,00008267,

et l’on trouverait

= 0,678, = 3,168, = 0,7778.

À l’époque que nous considérons, et abstraction faite de l’espèce de crimes, les probabilités et étaient donc un peu plus grandes dans le ressort de la cour d’assises de Paris que dans le reste du royaume : dans le département de la Seine, elles surpassaient un peu 2/3 et 3/4, tandis que dans la France entière elles étaient un peu inférieures à ces fractions. Toutefois, les différences entre les deux valeurs de et entre celles de , n’étant pas considérables, c’est une raison de penser qu’il en est de même d’une partie quelconque de la France à une autre ; ce qui justifie, autant qu’il est possible, l’hypothèse de l’égalité de chacune de ces deux quantités dans tout le royaume, que nous avons faite, afin de pouvoir calculer maintenant leurs valeurs approchées, au moyen de nombres suffisamment grands d’observations.

Ainsi que nous l’avons dit plus haut, les valeurs de et ou de et , sont restées les mêmes en 1831 ; mais elles ont dû changer dans les années suivantes avec les rapports dont elles se déduisent ; et comme nous connaissons seulement pour 1832 et 1833, les rapports ou , cette donnée ne suffit pas pour déterminer les deux inconnues et , ou et . Observons d’ailleurs que ces quantités ont peut-être changé une seconde fois, et ne sont plus les mêmes, depuis la dernière loi, qui, en maintenant la question des circonstances atténuantes, a prescrit le secret du vote des jurés, ce qui a pu influer sur leur chance de ne pas se tromper. Nous ne pouvons donc pas connaître les valeurs de et , et , qui ont eu lieu depuis 1831. Mais cette loi, en fixant à sept voix contre cinq, la majorité suffisante pour la condamnation, exige que les jurés fassent connaître si leur décision a été rendue à la majorité minima. Si donc on donne dorénavant, dans les Comptes généraux, les nombres des condamnés, et non pas seulement celui des affaires pour lesquelles cette plus petite majorité aura eu lieu ; de plus, si l’on fait connaître ces mêmes nombres, pour les accusés des deux sexes séparément, et pour les deux classes de crimes que l’on a distinguées, il sera possible, dans quelques années, de déterminer avec une grande précision les deux éléments et , pour les différentes parties du royaume, pour les hommes et pour les femmes, pour les crimes contre les personnes et pour les crimes contre les propriétés.

(141). Au moyen de chaque couple de valeurs de et , les formules (4), (5), (6), feront connaître les probabilités correspondantes qu’une condamnation ou un acquittement a eu lieu à une majorité donnée, ou à une majorité au moins égale à celle-là.

En faisant et , on aura

,,

pour les probabilités qu’un accusé condamné ou acquitté, l’a été à l’unanimité, et, par conséquent,

,

pour la probabilité d’un jugement unanime, soit qu’il condamne, soit qu’il absolve. On aura aussi

 ;

quantité positive à cause de et , en sorte que l’unanimité est moins probable dans le cas de l’acquittement que dans celui de la condamnation. On voit que ces diverses probabilités sont très faibles, dès que la chance de ne pas se tromper diffère sensiblement de zéro et de l’unité. Si l’on prend, par exemple, les valeurs de et qui se rapportent à la France entière, sans distinction de l’espèce de crimes, c’est-à-dire si l’on fait = 0,6391 et = 0,7494, il en résultera

= 0,0201, = 0,0113, = 0,0314 ;

ce qui suffit pour montrer combien doit être rare une décision unanime de douze jurés. Si l’on exigeait que le verdict du jury fût prononcé à l’unanimité, soit qu’il condamne, soit qu’il absolve, il y aurait, d’après cette valeur de près de trente-deux à parier contre un qu’aucun jugement ne serait rendu ; et cela arriverait 32 fois sur 33 environ, si les jurés ne communiquaient pas entre eux, et ne convenaient pas, pour en finir, de s’arrêter à une simple majorité.

En appelant la probabilité que dans un nombre de jugements, il n’y en a eu ou il n’y en aura aucun qui soit unanime, on aura

 ;

et si l’on veut que soit , il faudra qu’on ait

= 21,73,

en employant toujours la valeur précédente de . Par conséquent, ce ne serait que dans 22 affaires qu’on pourrait parier un peu plus de un contre un, qu’un jugement au moins serait rendu à l’unanimité. Il y aurait du désavantage à faire ce pari pour un nombre d’affaires moindre d’une unité.

(142). Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de rappeler ce qui a été dit au commencement de cet ouvrage, sur le sens que nous attachons au mot coupable dans les jugements des jurys, et d’en déduire quelques conséquences importantes.

Lorsqu’un juré prononce qu’un accusé est coupable, il affirme qu’à ses yeux, il y a preuve suffisante pour que l’accusé soit condamné ; s’il prononce que l’accusé n’est pas coupable, il entend par là que la probabilité de la culpabilité n’est pas assez grande pour la condamnation ; mais son vote négatif ne signifie pas qu’il croît l’accusé innocent ; et, sans doute, il arrive plus souvent qu’il le croît plutôt coupable. Il aura jugé que la probabilité que l’accusé soit coupable, pouvait surpasser , mais qu’elle était cependant inférieure à celle que sa conscience et la sécurité publique exigeaient pour que l’accusé fût condamné. Le sens réel du vote affirmatif ou négatif d’un juré, est donc que l’accusé est ou n’est pas condamnable ; par conséquent, les probabilités et de la bonté d’un jugement de condamnation ou d’acquittement (no 120), expriment aussi les raisons que nous avons de croire que l’accusé était condamnable, lorsqu’il a été condamné, et qu’il n’était pas condamnable quand il a été acquitté : est sans doute moindre que la probabilité réelle de la culpabilité d’un condamné, et, au contraire, surpasse la probabilité de l’innocence d’un accusé absous ; mais ces autres probabilités ne pourraient être aucunement déterminées par le calcul, qui ne s’applique qu’aux probabilités et , ainsi définies et considérées dans de très grands nombres de jugements de la même nature. On ne doit pas croire non plus que ces quantités et soient l’expression de l’opinion générale, en ce sens qu’elles exprimeraient les probabilités d’une condamnation ou d’un acquittement par un jury composé de tous les citoyens qui sont compris sur la liste générale où les jurés, au nombre de douze, ont été pris au hasard ; car la chance d’une condamnation, par un jury d’un nombre quelconque de personnes, est inférieure à la fraction que nous avons désignée par (no 118), laquelle est beaucoup moindre, en général, que la valeur de  ; et de même la chance d’un acquittement est toujours inférieure à la fraction , beaucoup moindre, elle-même, que la valeur de .

Pour les jurés du ressort de chaque cour d’assises, et pour chacun des deux genres de crimes que nous avons distingués, on doit donc concevoir qu’il y a une certaine probabilité , jugée suffisante et nécessaire pour la condamnation. Cela étant, la chance , qu’un juré pris au hasard sur la liste de ce département ne se trompera pas dans son vote, est la probabilité qu’il jugera celle de la culpabilité de l’accusé égale ou supérieure à , si elle l’est effectivement, ou bien, inférieure à , si, en effet, elle n’atteint pas cette limite. Cette probabilité dépend principalement du degré d’instruction de la classe des personnes portées sur la liste générale des jurés, et la probabilité , de l’opinion qu’elles se forment sur la nécessité d’une répression plus ou moins forte des différents genres de crimes. Ces deux probabilités distinctes peuvent varier, par conséquent, avec le temps et d’un département à un autre. On a vu comment la valeur de peut se déduire des données de l’observation ; quant à celle de , nous n’avons aucun moyen de la connaître ; et nous pouvons seulement conclure qu’elle augmente ou diminue, toutes choses d’ailleurs égales, lorsque nous voyons le rapport du nombre des condamnés à celui des accusés, diminuer ou augmenter notablement. Ainsi, lorsque la question des circonstances atténuantes a été posée aux jurés et qu’on a vu ce rapport augmenter et passer de 0,54 à 0,59 (no 135), on a dû en conclure qu’ils se sont arrêtés, pour la condamnation, à une probabilité moindre que celle qu’ils exigeaient auparavant, sauf à décider affirmativement la question dont il s’agit, afin d’abaisser d’un degré la peine qui serait prononcée contre les condamnés.

Avant le jugement, la probabilité que l’accusé est coupable surpasse de beaucoup, sans aucun doute, celle que nous avons désignée par  : la plus grande valeur que nous avons trouvée pour celle-ci est à peu près 3/4 ; et personne cependant n’hésiterait à parier bien plus de trois contre un, qu’un individu quelconque est réellement coupable quand il est traduit devant une cour d’assises. Mais ce qu’on a dit à l’égard de convient également à  : il faut aussi entendre que exprime seulement la probabilité, antérieure au jugement, que l’accusé soit condamnable ; probabilité qui peut dépendre, en conséquence, de celle que les jurés exigent pour la condamnation, mais qui est indépendante, par sa nature, de la probabilité qu’un juré ne se trompera pas. Il s’ensuit donc que la valeur de peut varier avec la probabilité , lors même que les formes de l’instruction préliminaire et l’habileté des juges chargés de la diriger, sont restées les mêmes, et quelle que soit d’ailleurs la probabilité . Voici un exemple de cette variation.

Depuis 1814 jusqu’à 1830, les procès criminels étaient jugés, dans la Belgique, par des tribunaux composés de cinq juges, et la majorité de trois voix contre deux suffisait pour les condamnations. En 1830, la composition de ces tribunaux a changé. Dans le courant de 1831, on a rétabli le jury tel qu’il existait sous la domination française, et la majorité suffisante pour les condamnations a été celle de sept voix contre cinq. Les formes de l’instruction préliminaire sont toujours restées les mêmes. Or, il résulte des Comptes de l’administration de la justice criminelle dans ce royaume, récemment publiés par le Gouvernement, qu’en 1832, 1833, 1834, les rapports des nombres de condamnés à ceux des accusés ont été 59/100, 60/100, 61/100, où l’on voit qu’ils ont très peu varié d’une année à une autre, et que leur valeur moyenne est sensiblement égale à celle qui avait lieu en France avant 1830. Comme on ne donne point dans ces Comptes, le nombre de fois que les condamnations ont été prononcées à la plus petite majorité de sept voix contre cinq, ni à aucune autre majorité déterminée, le rapport que nous citons ne suffit pas pour en conclure les valeurs de et qui se rapportent à la Belgique ; mais puisque ce rapport total, c’est-à-dire le rapport que nous avons désigné par , diffère si peu pour la Belgique et pour la France, il y a lieu de croire que le rapport partiel est aussi très peu différent pour ces deux pays, et que, par conséquent, les valeurs de et y sont à très peu près les mêmes. On peut donc admettre que pour la Belgique, la valeur de ne s’écarte pas beaucoup de la fraction 64/100, que l’on a obtenue précédemment pour la France entière, et sans distinction du genre de crimes. Cela étant, on trouve dans les mêmes Comptes, que dans les années 1826, 1827, 1828, 1829, les rapports du nombre des condamnés à celui des accusés, se sont élevés à 84/100, 85/100, 83/100, 81/100 ; fractions à peu près égaies, et dont la moyenne est un peu supérieure à 83/100. Mais, d’après ce qu’on a vu dans le no 118, la probabilité dont cette moyenne est la valeur approchée, doit toujours être moindre que la valeur de  ; il s’ensuit donc que dans ces quatre dernières années, cette quantité a dû être beaucoup plus grande que dans les années 1832 et 1833 ; ce qu’on ne peut attribuer qu’à une inégalité de la quantité inconnue , à ces deux époques, qui a été telle que les jurés ont exigé pour la condamnation, une probabilité que l’accusé fût coupable, supérieure à celle que les juges trouvaient suffisante. Cette conclusion est, au reste, indépendante de la chance de ne pas se tromper, qui a pu être égale ou inégale à ces deux époques, c’est-à-dire plus grande pour les juges que pour les jurés, ou vice versa ; question qui reste indécise, faute de données nécessaires de l’observation.

La quantité dépendant de la probabilité , il s’ensuit que l’inégalité de ses valeurs pour les deux genres de crimes que nous avons considérés, peut tenir à deux causes différentes : à ce que la présomption de la culpabilité avant le jugement est plus difficile à établir à l’égard des crimes contre les personnes, qu’en ce qui concerne les crimes contre les propriétés ; ou bien, à ce que les jurés exigent pour la condamnation une plus grande probabilité , dans le premier cas que dans le second ; et il y a lieu de croire que ces deux causes distinctes ont concouru à produire l’inégalité dont il s’agit.

Il suit de cette dépendance entre et , que si la question des circonstances atténuantes a produit pour les années 1832 et 1833 une diminution notable dans la probabilité que les jurés ont jugée suffisante pour la condamnation, la probabilité a dû au contraire augmenter, et ces variations inverses de et de ont dû aussi produire une augmentation dans la valeur de  ; car on peut supposer qu’il y a, pour les jurés, une moindre chance de ne pas se tromper, lorsque, d’une part, ils exigent une moindre probabilité pour la condamnation, et que, d’une autre, il existe, avant le jugement, une plus grande probabilité que l’accusé soit condamnable.

(143). Il nous reste actuellement à calculer, au moyen des formules (9) et (10), et des couples de valeurs trouvées pour et , ou pour et , les probabilités qu’un condamné était coupable et qu’un accusé absous était innocent, ou, pour parler plus exactement, les probabilités que le premier était condamnable et que le second ne l’était pas. Mais auparavant nous changerons ces formules en des équations plus commodes pour le calcul, et nous y ajouterons d’autres formules dont les valeurs numériques seront aussi très importantes à connaître.

En vertu de la première équation (6), la formule (9) pourra être remplacée par cette équation

,

dans laquelle on prendra le rapport donné par l’observation, pour la valeur approchée de .

La quantité est la probabilité qu’un condamné à la majorité d’au moins contre voix n’est pas coupable ; est la probabilité qu’un accusé coupable ou non, sera condamné à cette majorité ; le produit de et de exprime donc la chance pour un accusé non coupable d’être néanmoins condamné. En la désignant par , et ayant égard à l’équation précédente et à la première équation (6), on aura donc

 ;

résultat qui se déduit aussi du raisonnement que l’on a fait dans le no 120, pour obtenir l’expression de .

Le nombre de voix nécessaire pour la condamnation étant au moins , soit la probabilité qu’un accusé absous est innocent ; sa valeur se déduira de celle de ou de la formule (10), en y mettant au lieu de  ; et si l’on a égard à la seconde équation (6), on en conclura

,

ou ce qui est la même chose, d’après ce qu’on a vu dans le no 118,

.

La probabilité qu’un accusé absous est coupable sera  ; la probabilité qu’un accusé quelconque ne sera pas condamné étant , il s’ensuit que le produit exprimera la chance pour un accusé coupable d’être cependant acquitté. En la désignant par , on aura donc

,

ou bien, en vertu de la première équation (6),

.

Les chances et sont, pour ainsi dire, les mesures du danger que court un accusé non condamnable d’être condamné, et la société, de voir acquitter un accusé condamnable. Relativement à la culpabilité ou à l’innocence réelles des accusés, on ne devra pas oublier que , n’est, comme , qu’une limite supérieure, et que n’est, ainsi que , qu’une limite inférieure. Quand les valeurs de et auront été calculées, on en déduira immédiatement celles de et  ; car, en vertu des équations précédentes, on aura

, ;

où l’on voit que les chances et seront toujours moindres, respectivement, que les probabilités et de la culpabilité et de la non-culpabilité avant le jugement. Pour un très grand nombre d’accusés, les nombres des condamnations et des acquittements donnés par l’observation, étant et  ; ceux des condamnés non coupables et des acquittés coupables, seront à très peu près et très probablement égaux aux produits et .

En faisant et successivement et , prenant et pour les valeurs approchées de et , et mettant, comme précédemment et au lieu de et , nous conclurons des équations précédentes

Nous aurons en même temps

Telles sont donc les diverses formules qu’il s’agira de réduire en nombres : les quantités qu’elles renferment se rapporteront au cas des crimes contre les personnes ; on désignera par les mêmes lettres, avec des accents, les quantités analogues qui répondent aux cas des crimes contre les propriétés.

(144). Pendant l’année 1831, la majorité nécessaire pour la condamnation était celle de huit voix au moins contre quatre, et la question des circonstances atténuantes n’avait pas lieu. On avait

= 0,3632, = 2,112, = 0,5354 ;

d’où l’on déduit

= 0,9811, = 0,7186, = 0,00689, = 0,1791.

Sur les 743 condamnés dans cette année, à peu près cinq n’auraient pas dû l’être, d’après cette valeur de  ; et d’après celle de , environ 235 accusés n’auraient pas dû être acquittés, sur les 1 303 qui l’ont été. La chance d’être condamné quoique non condamnable surpassait très peu un 150e et celle d’être acquitté, quoique condamnable, était comprise entre un sixième et un cinquième. Enfin, la probabilité de la culpabilité d’un condamné ne différait pas d’un 50e, de la certitude, et celle de l’innocence d’un accusé absous, c’est-à-dire la probabilité qu’il n’était pas suffisamment prouvé qu’il fût coupable, ne surpassait pas beaucoup la fraction 2/3.

Ces résultats se rapportent aux crimes contre les personnes. Dans la même année, on avait, relativement aux crimes contre les propriétés,

= 0,6034, = 3,4865, = 0,6744 ;

d’où l’on conclut

= 0,9981, = 0,8199, = 0,0004, = 0,0721.

Pour ce genre de crimes, la proportion des condamnés qui n’auraient pas dû l’être, n’a donc été que de quatre sur dix mille ; ce qui ne fait pas deux sur les 3 355 de ces condamnations qui ont été prononcées. La proportion des individus acquittés qui étaient condamnables, a surpassé sept centièmes ; et leur nombre a dû être environ 159, sur les 2 205 acquittements qui ont eu lieu. La probabilité qu’un condamné était coupable ne différait pas de deux millièmes de la certitude, et celle de l’innocence d’un individu acquitté était un peu supérieure à la fraction 4/5. Ces résultats sont, comme on voit, plus satisfaisants que ceux qui se rapportent aux crimes contre les personnes ; ce qui tient à ce que les condamnations pour des crimes contre les propriétés, quoiqu’elles aient été proportionnellement plus nombreuses, ont aussi eu lieu très probablement à de plus fortes majorités (no 141).

Les huit probabilités , , etc., que nous venons de calculer, sont fondées sur les rapports , , , , donnés par l’observation et qui nous ont servi précédemment à déterminer les valeurs de , , , . Elles sont toutes les huit des fractions moindres que l’unité ; ce qui fournit une confirmation d’autant plus remarquable de la théorie, qu’il n’en serait plus de même généralement, si l’on prenait des valeurs arbitraires de et , et , lors même qu’elles ne différeraient pas beaucoup de celles qui résultent de l’observation.

Dans les années qui ont précédé 1831, la majorité suffisante pour la condamnation était celle de sept voix contre cinq ; mais dans le cas de la majorité minima, la cour intervenait et la condamnation n’était définitive que si la majorité des cinq juges dont elle se composait alors, se joignait à la majorité du jury. Il sera donc nécessaire de considérer séparément les condamnations prononcées à cette plus petite majorité, et celles qui ont eu lieu aux majorités d’au moins huit voix contre quatre. Pour celles-ci, les valeurs numériques des probabilités et , et , et , et , seront celles que l’on vient de calculer, puisque dans les années antérieures à 1831, les valeurs de et , et étaient les mêmes que dans cette année (no 137). Ainsi, depuis 1825 jusqu’à 1830, sur environ 5 000 individus condamnés à cette majorité d’au moins huit voix contre quatre, pour des crimes contre les personnes, et près de 20 000 pour des crimes contre les propriétés, il y en a eu très probablement, d’après les valeurs précédentes de et , environ 55 d’une part et 8 de l’autre qui n’étaient pas condamnables ; ce qui serait sans doute beaucoup trop, si cela voulait dire qu’ils fussent réellement innocents.

Relativement aux autres condamnations prononcées à la majorité minima de sept voix contre cinq, on aura, pour la probabilité que le condamné était coupable,

,

en faisant dans la formule (7),

,,,.

S’il s’agit des crimes contre les personnes, on aura, comme plus haut,

= 2,112, = 0,5354 ;

et il en résultera

= 0,8372.

Dans le cas des crimes contre les propriétés, on changera , , , en , , , et l’on fera, aussi comme précédemment,

= 3,4865, = 0,6744 ;

ce qui donne

= 0,9618.

Enfin, si l’on considère les deux sortes de crimes indistinctement et toujours pour la France entière, on devra prendre 0,6391 et 2,99, pour les valeurs de et (no 140) ; et en désignant par la valeur correspondante de , ou la probabilité que le condamné est coupable, on aura

= 0,9406.

En retranchant ces valeurs de , , , de l’unité, nous aurons, a très peu près, 16/100, 4/100, 6/100, pour la probabilité de l’erreur du jury dans les trois cas que nous venons de considérer. D’après la formule de Laplace (no 132), cette probabilité serait la même dans ces trois cas, et égale à 0,29 ; c’est-à-dire presque double de la valeur de , et quintuple de celle de  : on verra dans le numéro suivant à quoi se réduit cette probabilité de la non-culpabilité de l’accusé, quand la condamnation a été confirmée par la cour d’assises à la majorité d’au moins trois voix contre deux.

Lorsqu’on aura réuni les données suffisantes pour calculer, ainsi qu’on l’a dit plus haut (no 140), les valeurs de et de , ou de et de , qui ont lieu à l’époque actuelle, on en conclura, par un calcul semblable au précèdent, les probabilités correspondantes , , , , ou , , ,  ; et, en les comparant aux probabilités , , , , ou , , , , que nous avons trouvées pour l’époque de 1831, par exemple, on pourra connaître, sans aucune illusion, les avantages relatifs de la législation criminelle à ces deux époques, sous le double rapport de la sécurité publique et de la garantie que l’on doit aux accusés.

Les données de l’observation restant les mêmes, on y satisfait, d’après la remarque du no 138, par deux couples différents de valeurs de et , ou de et , c’est-à-dire par des valeurs de ces quantités plus grandes que , et par d’autres valeurs plus petites que et égales au complément des premières à l’unité. Nous avons trouvé, par exemple, pour l’année 1831 et pour les crimes contre les propriétés,

= 0,6744, = 0,7771 ;

en employant les données de l’observation dont nous avons fait usage, nous aurions donc pu en déduire également

= 1 − 0,6744 = 0,3256, = 1 − 0,7771 = 0,2229 ;

la valeur de se changeant en , celle de se change, en même temps, en  ; on aurait donc aussi

= 1/3,4865 = 0,2868 ;

et en prenant toujours, comme plus haut,

= 0,6034,

on trouverait

= 0,000675 ;

en sorte que la condamnation, au lieu d’augmenter la probabilité que l’accusé soit coupable, l’aurait, au contraire, diminuée et rendue presque nulle. Mais, ainsi que nous l’avons déjà dit dans le numéro cité, on doit rejeter, en général, ces valeurs des inconnues et , ou et , moindres que celles des probabilités contraires, que le calcul devait donner, néanmoins, pour comprendre le cas où dans de très grands nombres de jugements extraordinaires, la culpabilité légale des condamnés serait moins probable que leur innocence.

(145). Si nous faisons

,,,,

dans la première formule (6), nous aurons

,

pour la probabilité qu’un accusé sera condamné par un tribunal de cinq juges à la majorité d’au moins trois voix contre deux ; désignant toujours la probabilité, avant le jugement, de la culpabilité de cet accusé, et la chance que chacun des juges ne se trompera pas. En vertu de la formule (9), nous aurons, en même temps,

,

ou simplement, d’après l’équation précédente,

,

pour déterminer la probabilité de la culpabilité après que la condamnation aura eu lieu.

Dans l’application qu’on fera de ces équations au cas d’un accusé déjà condamné par le jury a la majorité minima de sept voix contre cinq, et soumis ensuite au jugement de la cour d’assises, comme cela avait lieu antérieurement à 1831, on prendra pour la probabilité que l’accusé est coupable, résultante de la décision du jury ; la valeur approchée et très probable de se déduira de l’observation, et sera égale au nombre des condamnations que la cour d’assises aura prononcées dans un très grand nombre d’affaires, divisé par ce très grand nombre. Or, on voit par les Comptes généraux que dans les cinq années écoulées depuis 1826 jusqu’à 1830, il y a eu 1 911 affaires soumises aux cours d’assises du royaume, après que les jurys avaient condamné à la majorité de sept voix contre cinq, et que, dans ce nombre d’affaires, les cours ont confirmé 1 597 fois les condamnations. Mais ces Comptes ne nous font pas connaître suivant quelle proportion les nombres 1 911 et 1 597 se sont partagés entre les crimes contre les personnes et les crimes contre les propriétés ; nous serons donc obligés de déterminer la probabilité et l’inconnue , sans distinction de ces deux genres de crimes : pour cela nous ferons

= 1597/1911 = 0,8357 ;

et nous prendrons pour la valeur de du numéro précédent, savoir :

= 0,9426 ;

quantité qui surpasse, comme cela devait être (no 118), la proportion des condamnations.

Au moyen de ces valeurs, on trouve

= 0,9916,

pour la probabilité qu’un individu était coupable, lorsqu’il avait été condamné successivement par le jury à la majorité minima de sept voix contre cinq, et par les juges à la majorité d’au moins trois voix contre deux. La probabilité qu’il n’était pas coupable différait donc très peu d’un 100e ; en sorte que sur les 1 597 individus condamnés, il est très probable qu’il y en a eu à peu près quinze qui n’étaient pas condamnables.

Les mêmes valeurs de et de donnent

= 0,1188 ;

au moyen de quoi l’équation qui doit servir à déterminer l’inconnue devient

(0,1188) .

On en déduit

= 2,789, = 0,7361 ;

ce qui montre que la chance de ne pas se tromper a été peu différente, pour les juges, de celle que l’on a trouvée pour les jurés (no 140), sans distinction de l’espèce de crimes, et qui est égale à 0,7494.

(146). Les formules dont nous venons de faire diverses applications à des jugements en matière criminelle, conviennent également à toutes les autres espèces de jugements, rendus en très grand nombre, tels que ceux de la police correctionnelle et ceux de la justice militaire. Mais, pour s’en servir, il faut que dans chaque espèce, l’observation fournisse les données nécessaires à la détermination des éléments que ces formules renferment.

Les Comptes généraux de l’administration de la justice criminelle contiennent aussi les résultats de la police correctionnelle. Pendant les neuf années écoulées depuis 1825 jusqu’à 1833, le nombre des individus traduits à cette police dans la France entière, s’est élevée à 1 710 174, et dans ce nombre il y a eu 1 464 500 condamnés, ce qui donne 0,8363 pour le rapport du nombre des condamnés à celui des accusés. D’une année à une autre, ce rapport n’a pas beaucoup varié ; il a toujours été compris entre 0,84 et 0,87. Le nombre des juges dans les tribunaux de police correctionnelle n’est pas invariable : il doit être au moins égal à 3 ; et le plus souvent il se réduit à ce minimum. La majorité de deux voix contre une suffit alors pour la condamnation ; on obtiendra donc la probabilité qu’un accusé sera condamné en police correctionnelle, en faisant et dans la première équation (6) ; ce qui donne

,

en y mettant aussi au lieu de . On prendra pour la valeur approchée et très probable de , fournie par l’observation, le rapport 0,8563 ; mais celle donnée est insuffisante pour déterminer les deux inconnues et  ; il faudrait savoir, en outre, parmi les 1 464 500 condamnations, le nombre de celles qui ont été prononcées, soit à l’unanimité, soit à la simple majorité de deux voix contre une ; ce que les Comptes généraux ne nous font pas connaître. Si l’on supposait que la chance de ne pas se tromper fût 3/4 pour les juges de la police correctionnelle, comme elle l’est généralement pour les jurés, et qu’on fît, dans l’équation précédente, = 0,8563 et , on en déduirait pour une valeur plus grande que l’unité ; ce qui rend cette hypothèse inadmissible. Il y a lieu de croire que cette chance est plus grande pour les juges que pour les jurés, sans que nous puissions dire de combien l’une est surpassée par l’autre, faute de données nécessaires de l’observation.

Les conseils de guerre sont composés de sept juges, et la loi exige, pour la condamnation, la majorité d’au moins cinq voix contre deux. La probabilité qu’un accusé sera condamné se déduira donc de la première équation (6), en y faisant et  ; et si l’on y met aussi au lieu de , il en résultera

.

Dans les Comptes généraux de l’administration de la justice militaire, publiés par le ministre de la Guerre, on évalue le nombre des condamnés aux deux tiers de celui des accusés ; ce rapport étant conclu d’un grand nombre de jugements, on pourra donc prendre la fraction pour la valeur approchée et très probable de  ; mais cette donnée ne suffit pas pour la détermination des deux inconnues que renferme l’équation précédente. En supposant que la chance de ne pas se tromper soit très peu différente pour les juges militaires et pour les jurés des cours d’assises, et la faisant en conséquence égale à , on aurait et , et l’on déduirait de cette équation

= 0,8793, = 0,1207 ;

en sorte qu’il y aurait un peu plus de sept à parier contre un, qu’un militaire est coupable quand il est traduit devant un conseil de guerre. En vertu de la formule (9) et de la première équation (6), on a

,

pour déterminer la probabilité que l’accusé est coupable, après qu’il a été condamné ; et, au moyen des valeurs précédentes de , , , il en résulterait

= 0,9976 ;

ce qui montre combien cette probabilité différerait peu de la certitude. Mais ce résultat est fondé sur une valeur hypothétique de ou de , dont nous ignorons le degré d’exactitude. Cependant, il serait intéressant de pouvoir comparer, d’une manière certaine, la justice militaire à celle des cours d’assises, sous le rapport de la probabilité des jugements. Pour cela, parmi les condamnés militaires, outre le rapport 2/3 de leur nombre total à celui des accusés, il faudrait encore connaître le rapport du nombre des condamnés, soit à l’unanimité, soit à l’une des deux majorités de six voix contre une ou de cinq voix contre deux, à ce même nombre des accusés. Malheureusement cette seconde donnée ne nous est pas fournie par l’observation, et nous ne pouvons y suppléer par aucune hypothèse qui ait quelque probabilité.

(147). Il nous reste, pour terminer cet ouvrage, à considérer la probabilité des jugements des tribunaux en matière civile.

Dans un procès civil, il s’agit de juger entre deux parties qui plaident l’une contre l’autre, laquelle a le bon droit de son côté. Cela serait décidé avec certitude par des juges qui n’auraient aucune chance de se tromper ; et quel que fût leur nombre, le jugement serait toujours prononcé à l’unanimité. Mais il n’en est point ainsi. Il arrive souvent que deux juges également éclairés, qui ont examiné un même procès avec toute leur attention, portent néanmoins des jugements contraires, l’un donnant gain de cause à la partie que l’autre condamne. On doit donc admettre qu’il y a pour chaque juge, une chance de se tromper dans son vote, ou de ne pas juger comme aurait fait un juge idéal pour lequel toute cause d’erreur serait impossible. Elle dépend du degré d’instruction et de l’intégrité du juge : on ne la connaît pas à priori ; et sa valeur devra être déduite de l’observation, s’il est possible, par les moyens que l’on va indiquer. Lorsque cette chance, ou la chance contraire, aura été déterminée pour tous les juges d’un tribunal, on en conclura la probabilité de la bonté de leur jugement, c’est-à-dire, de sa conformité avec celui qui serait prononcé par des juges infaillibles. On en conclura aussi la probabilité que d’autres juges, pour lesquels la chance de ne pas se tromper serait également donnée, confirmeront le jugement des premiers. Ce second problème est semblable à celui que nous ont présenté les jugements en matière criminelle : la quantité que nous avons précédemment désignée par sera maintenant remplacée par la probabilité du bon droit de l’une des deux parties, résultante du premier jugement rendu en sa faveur ; mais quand un procès est soumis pour la première fois aux tribunaux civils, il n’y a aucune probabilité antérieure au jugement, qui soit favorable à l’une ou l’autre partie ; ou n’a donc point à considérer une probabilité analogue à  ; et les seules inconnues à déterminer par l’observation seront les probabilités que les juges ne se tromperont pas.

(148). Considérons d’abord un tribunal de première instance, composé de trois juges que nous appellerons A, A′, A″. Soient , , leurs probabilités respectives de ne pas se tromper. Désignons par la probabilité que leur jugement sera unanime. Cela aura lieu, si aucun des juges ne se trompe, ou s’ils se trompent tous les trois. La probabilité du premier cas sera le produit , et celle du second, le produit  ; on aura donc

,

pour la valeur complète de . Le jugement unanime étant rendu, on pourra faire deux hypothèses : on pourra supposer que l’affaire est bien jugée ou qu’elle est mal jugée. Dans la première hypothèse il faudra qu’aucun des trois juges ne se soit trompé, et dans la seconde, qu’ils se soient trompés tous les trois. La probabilité de l’événement observé, qui est ici le jugement rendu à l’unanimité, sera donc , si la première hypothèse est vraie, et , si elle est fausse. Donc, en appliquant à ces hypothèses la règle de la probabilité des causes (no 28), et appelant la probabilité de la première cause, ou de la bonté du jugement, on aura

,

ou, ce qui est la même chose,

.

Si le jugement n’est point unanime, un des trois juges aura voté pour l’une des parties, et ses deux collègues pour l’autre partie ; désignant par , , , les probabilités qu’un pareil jugement sera rendu, qui répondent respectivement aux cas où c’est le juge A, ou A′, ou A″, qui vote différemment des deux autres, on aura

car le premier cas, par exemple, arrivera, soit que A′ et A″ ne se trompent pas et que A se trompe, soit que A′ et A″ se trompent et que A ne se trompe pas ; et de même pour les deux autres cas. En appelant la probabilité d’un jugement non unanime, rendu d’une manière quelconque, on aura

 ;

et comme il faudra que cela ait eu lieu, ou que le jugement ait été unanime, on devra avoir  ; ce qu’il est facile de vérifier. Il en résulte simplement

.

Pour que le jugement soit bon, il faudra que les deux juges qui ont formé la majorité en votant de la même manière, ne se soient pas trompés ; et, pour qu’il soit mauvais, il faudra qu’ils se soient trompés ; si donc l’on désigne par la probabilité de la bonté d’un jugement non unanime, on aura aussi, d’après la règle de la probabilité des causes ou des hypothèses,

.

Maintenant, dans un très grand nombre de jugements rendus par les trois mêmes juges A, A′, A″, soient le nombre des jugements unanimes, celui des jugements non-unanimes, et, parmi ceux-ci, , , , les nombres des jugements où c’est le juge A, ou A′, ou A″, qui n’a pas voté comme les deux autres. On aura, avec une très grande approximation et très probablement,

,,,,.

Le nombre étant la somme de , , , et la somme de , ,  ; la seconde de ces équations est une suite des trois dernières, et les cinq équations se réduisent à quatre. Si les nombres , , , étaient donnés par l’observation ; en substituant dans les trois dernières équations, les expressions précédentes de , , , on en pourrait déduire les valeurs de , , , et en mettant dans la première équation l’expression de , on en conclurait la valeur de  ; de sorte que si ce nombre était aussi donné par l’observation, la comparaison du nombre donné au nombre calculé servirait à vérifier la théorie. Les valeurs de , , , étant ainsi déterminées, on en déduirait sans difficulté, au moyen des formules précédentes, les probabilités et de la bonté d’un jugement unanime et d’un jugement non unanime. Mais l’observation n’a fait connaître, pour aucun tribunal, les nombres , , ,  ; toutefois, afin de donner un exemple de l’usage de ces formules, je choisirai arbitrairement les valeurs des probabilités , , .

Je prends donc, par exemple,

= 4/5, = 3/5, = 3/5.

Pour chacun des trois juges, la chance de ne pas se tromper est plus grande que celle de l’erreur ; A′ et A″ sont également instruits, et ont la même chance de ne pas se tromper ; A est plus instruit, et sa chance d’erreur est moindre. On aura

= 8/25, = 17/25 ;

de sorte qu’on pourra parier 17 contre 8, ou un peu plus de deux contre un, que les trois juges ne rendront pas un jugement unanime. On aura aussi

= 9/10, = 57/85 ;

il y aurait donc 9 à parier contre un pour la bonté d’un jugement unanime, et seulement 57 contre 28, ou, à très peu près, deux contre un pour la bonté d’un jugement non unanime. Pour ces trois juges, la chance moyenne de ne pas se tromper serait

= 2/3 ;

en les supposant également instruits et prenant cette fraction 2/3, pour la valeur commune de , , , on trouverait

= 1/3, = 2/3, = 8/9, = 2/3.

Ces valeurs de et étant un peu moindres que les précédentes, il s’en suit que, dans notre exemple, une égale répartition entre les trois juges, de leur somme d’instruction, diminuerait la probabilité que le jugement est bon, soit qu’il ait eu lieu ou non à l’unanimité ; mais, d’un autre côté, la dernière valeur de étant plus grande que la première, et la première valeur de surpassant la dernière, cette répartition égale de l’instruction augmente la probabilité que le jugement des trois juges sera unanime, et diminue, en conséquence, la probabilité qu’il ne le sera pas.

Lorsque nous ignorons si un jugement rendu par les trois juges a été ou n’a pas été unanime, la raison que nous avons de croire que ce jugement soit bon diffère de et de . Si l’on désigne, dans ce cas, la probabilité de la bonté de ce jugement par , on aura

 ;

car, dans l’hypothèse que le jugement est bon, le jugement rendu, ou l’événement observé, peut avoir eu lieu dans quatre cas différents dont les probabilités sont les quatre termes de cette formule ; dans l’hypothèse contraire, la probabilité de cet événement serait

et la somme des probabilités de l’événement, dans les deux hypothèses, étant la certitude, ou l’unité, le diviseur de l’expression de , résultant de la règle du no 28, est aussi l’unité. On peut remarquer qu’on a

 ;

résultat qu’on pourrait aussi démontrer directement.

En prenant les valeurs précédentes de , , , on trouve

= 93/125 ;

en les supposant égales entre elles et à 2/3, il vient

= 20/27 ;

et cette seconde valeur de étant un peu moindre que la première, il s’ensuit que la bonté du jugement est la moins probable, comme précédemment, dans le cas de l’égal degré d’instruction des trois juges.

(149). On étendra sans difficulté ces formules aux jugements d’un tribunal composé d’un nombre quelconque de juges ; mais on n’en pourra faire aucune application, faute de données de l’observation, nécessaires pour déterminer les chances de ne pas se tromper des différents juges. Si l’on suppose ces chances égales, et le nombre des juges toujours égal à trois, on aura, en conservant les notations précédentes,

,,
,,.

En prenant d’ailleurs pour ou pour , la valeur approchée et très probable ou , l’une ou l’autre des deux premières équations déterminera la valeur de  ; en sorte que, pour cette détermination, il suffirait de connaître, dans un très grand nombre de jugements rendus par les trois juges, le nombre de ceux qui ont été unanimes, ou de ceux qui ne l’ont pas été ; mais cette donnée ne nous est pas non plus fournie par l’observation. Si l’on supposait, par exemple, les nombres et égaux entre eux, on aurait

 ;

d’où l’on tire

 ;

c’est-à-dire deux valeurs de dont une surpasse et l’autre est moindre ; et comme on doit admettre que la chance qu’un juge ne se trompera pas est plus grande que la chance contraire, on aurait, en prenant la première de ces deux valeurs,

= 0,7888 ;

d’où il résulterait

= 0,9815, = 0,7885, = 0,8550.

Si le jugement des trois juges, unanime ou non, est soumis à un tribunal d’appel, composé, par exemple, de sept autres juges, et que, pour chacun de ceux-ci, la chance de ne pas se tromper soit représentée par  ; et si l’on désigne par la probabilité que ce jugement sera confirmé par le second tribunal, à la majorité d’au moins quatre voix contre trois, la valeur de sera donnée par la première formule (6), en y mettant et au lieu de et , et faisant, en outre, et  ; ce qui donne

Et en effet, si le premier jugement est bon, pour qu’il soit confirmé par le second tribunal, il faudra qu’aucun des sept juges d’appel ne se trompe ou qu’un seul se trompe, ou que deux se trompent, ou que trois se trompent. Or, les probabilités de ces quatre cas sont les quatre termes compris entre les premiers crochets ; par conséquent, leur somme, multipliée par , est la probabilité que le jugement est bon et sera confirmé ; on verra de même que la partie de cette expression de qui a pour facteur, exprime la probabilité que le premier jugement est mauvais et sera néanmoins confirmé ; d’où il résulte que la somme des deux parties de est son expression complète. On verra également qu’en appelant la probabilité que le second tribunal cassera le jugement du premier, on aura

et comme il sera nécessaire que ce jugement soit ou confirmé, ou cassé, on devra avoir  ; ce qu’on vérifie en observant que

On aura , soit dans le cas de , et pour une valeur quelconque de , soit dans le cas de , et pour une valeur quelconque de  ; résultats qui sont d’ailleurs évidents en eux-mêmes.

En considérant séparément les deux parties de l’expression de chacune des quantités et , on peut aussi dire que la première partie de est la probabilité que les deux tribunaux successifs jugeront bien l’un et l’autre ; que la seconde partie est la probabilité qu’ils jugeront mal tous les deux ; que la première partie de exprime la probabilité que le premier tribunal jugera mal et le second bien ; et que, enfin, la seconde partie de sera la probabilité que le premier tribunal jugera bien, et le second mal. Si donc, on appelle la probabilité que la cour d’appel jugera bien, soit que le tribunal de première instance juge bien ou mal ; sera la somme des deux premières parties de et , la somme de leurs secondes parties, et l’on aura

,
,

ainsi qu’on le trouverait directement. En désignant par la probabilité que l’arrêt de cette cour sera confirmé par une seconde cour royale, composée également de sept juges, et par la probabilité qu’il ne le sera pas ; et en appelant , pour chacun de ces sept juges, la chance de ne pas se tromper, et se déduiront de et en y mettant et au lieu de et  ; par conséquent, si l’on suppose qu’on ait , il en résultera

, ;

valeurs qui satisfont à la condition . D’après les expressions de et , celles de et pourront d’ailleurs s’écrire ainsi

,.

Désignons encore par la probabilité de la bonté de l’arrêt rendu par une première cour d’appel, lorsqu’il est conforme au jugement de première instance, et par quand il est contraire. Dans le premier cas, en supposant successivement que l’arrêt soit bon et qu’il soit mauvais, la probabilité de l’événement observé, qui est ici la conformité des deux jugements, sera la première partie de dans la première hypothèse ; et la deuxième partie dans la seconde ; la probabilité de la première hypothèse, aura donc pour valeur cette première partie de divisée par la somme de ses deux parties ; nous aurons, en conséquence,

 ;

et, l’on trouvera de même,

 ;

résultats qui se déduisent aussi, comme cela doit être, des formules (9) et (10), en y faisant , , . Ces équations pourront être remplacées par celles-ci

,,

eu ayant égard à ce que représente.

(150). Il faut au moins trois juges pour prononcer un jugement de première instance, et sept pour un arrêt de cour d’appel ; généralement ces moindres nombres ne sont pas dépassés ; c’est pourquoi, j’ai pris trois et sept pour les nombres de juges des deux tribunaux successifs que je viens de considérer. En substituant pour sa valeur en fonction de , dans les formules que j’ai obtenues, elles renfermeront les deux chances et , qui ne peuvent se déduire que de l’observation ; malheureusement, elle ne nous fournit pour cela qu’une seule donnée, savoir, le rapport du nombre des jugements de première instance, confirmés par les cours royales, au nombre total des jugements qui leur sont soumis. Pour faire usage de ces formules, il est donc nécessaire de réduire à une seule, au moyen d’une hypothèse particulière, les deux inconnues et  ; celle qui m’a paru la plus naturelle a été de supposer qu’on ait , c’est-à-dire, de regarder les juges du premier tribunal et ceux du second, comme ayant la même chance de ne pas se tromper.

Cela posé, dans un très grand nombre de jugements de première instance, soit le nombre de ceux qui ont été confirmés, et, par conséquent, celui des jugements non-confirmés. On pourra prendre le rapport pour la valeur approchée et très probable de la probabilité que nous avons désignée par  ; et si l’on fait

,,,,

il en résultera

.

On aura, en même temps,

,,

et en substituant ces valeurs dans celle de , on obtiendra une équation du 10e degré pour déterminer la valeur de , et, par suite, celle de . Dans le cas de , l’expression de demeure la même, quand on y change et en et  ; ce qui répond au changement de en . Il s’ensuit que si l’on satisfait à la valeur donnée de , par une valeur de plus petite que l’unité, on y satisfera également par une valeur de plus grande que un ; et, en effet, l’équation d’où dépend l’inconnue est du genre des équations réciproques, et reste la même, quand on y met au lieu de . Ce sera la valeur de plus grande que l’unité, qu’il faudra prendre ; car c’est celle qui répond à la valeur de plus grande que , c’est-à-dire, à une chance de ne pas se tromper plus grande que celle de se tromper, ce qu’on doit admettre dans le cas de magistrats intègres et instruits.

(151). Le Compte général de l’administration de la justice civile, publié par le gouvernement, donne, pour le ressort de chaque cour royale, les nombres et de jugements confirmés et de jugements non confirmés, pendant les trois derniers mois de 1831, et pendant les années entières 1832 et 1833. Mais il n’y a guère que le ressort de la cour royale de Paris, dans lequel le nombre total soit assez grand pour servir isolément à la détermination de  ; nous serons donc obligés, quant à présent, de supposer, comme nous l’avons fait pour les jurés, que la chance de ne pas se tromper est sensiblement égale pour tous les juges du royaume ; ce qui permettra d’employer à la détermination de , les valeurs de et de relatives à la totalité des cours royales. Or, on a eu dans le dernier trimestre de 1831, en 1832 et en 1833, et pour la France entière

= 976, = 5 301, = 5 470 ;
= 388, = 2 405, = 2 617,

d’où l’on déduit, pour ces trois périodes,

= 0,7155, = 0,6879, = 0,6764,

Les deux derniers rapports, qui répondent à des années entières, ne diffèrent pas l’un de l’autre, d’un 70e de leur moyenne ; ce qui présente un exemple bien remarquable de la loi des grands nombres[3]. En prenant pour et les sommes des nombres relatifs aux trois périodes on aura

= 11 747, = 17 157, = 0,6847.

Si l’on considérait séparément les nombres relatifs à la cour royale de Paris, on aurait

= 2 510, = 3 297, = 0,7613 ;

en sorte que dans le ressort de cette cour, le rapport surpasse sa valeur moyenne pour la France entière, d’à peu près un 9e de sa valeur.

En employant sa valeur 0,6847 relative à la France entière, on trouve

= 2,157, = 0,6832, = 0,7626.

D’après cette valeur de , il y a donc un peu plus de trois contre un à parier pour la bonté d’un jugement de première instance, lorsqu’on ne connaît, ni le tribunal qui a jugé, ni la nature du procès. On voit aussi que la chance de ne pas se tromper surpasse fort peu, pour les juges en matière civile, la fraction 0,6788 qui exprimait cette chance, pour les jurés avant 1832, c’est-à-dire, avant la loi qui a prescrit la question des circonstances atténuantes.

Au moyen de cette valeur de , et en prenant les rapports et pour les valeurs de et , on déduit des formules du numéro précédent,

= 0,9479, = 0,6409, = 0,7466 ;

ce qui montre que l’on peut parier à très peu près 19 contre un pour la bonté d’un arrêt d’appel conforme au jugement de première instance, et moins de deux contre un dans le cas d’un arrêt contraire. On voit aussi que quand on ignore si l’arrêt est conforme ou contraire, la probabilité qu’il sera confirmé par une seconde cour royale, jugeant sur les mêmes données que la première, est un peu moindre que 3/4. Les quatre parties qui composent les expressions données de et , ont pour valeurs

= 0,6495, = 0,2022,
= 0,1131, = 0,0352 ;

et ces fractions, dont la somme est l’unité, expriment les probabilités que les deux tribunaux successifs de première instance et d’appel, jugeront bien, que le premier jugera mal et le second bien, que le premier jugera bien et le second mal, que tous les deux jugeront mal.

FIN.
  1. Cette question a été traitée dans un mémoire, lu à l’Académie de Saint-Pétersbourg, en juin 1834, par M. Ostrograski, membre de cette académie. Mais à en juger par l’extrait imprimé que l’auteur m’a envoyé, il a considéré le problème d’une manière toute différente de celle que je suivrai dans ce chapitre, et qui a été indiquée dans le préambule.
  2. Premier supplément à la Théorie analytique des probabilités, page 33.
  3. Cette loi a été de nouveau confirmée par la valeur du rapport , qui a eu lieu en 1834, et qui s’est élevée à 0,6958, d’après le Compte relatif à cette année, que le gouvernement a publié, il y a peu de temps.