Rhétorique (trad. Ruelle)/Livre II/Chapitre 18

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Traduction par Charles-Émile Ruelle.
(p. 239-240).
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CHAPITRE XVIII


Des traits communs à tous les genres de discours.


I. L’emploi des discours persuasifs a pour objet un jugement, car, sur une question connue et jugée, il n’y a plus besoin de discourir. Mais il y a lieu de le faire, soit que l’on parle à une personne seule pour l’exhorter ou la détourner, comme font, par exemple, ceux qui réprimandent ou veulent persuader. Un juge, pour être seul, ne l’en est pas moins, attendu que celui qu’il s’agit de persuader est, absolument parlant, un juge ; et il en est ainsi, soit qu’il y ait une question à débattre, ou un sujet à développer. En effet, il faut, dans les deux cas, avoir recours à la parole et détruire les arguments contraires, auxquels on répond comme on répond à un contradicteur. Il en est de même dans les discours démonstratifs. En effet, les assistants devant lesquels un (tel) discours est adressé sont assimilés à des juges. Toutefois[1], il n’est de juge, absolument parlant, que celui qui décide les choses mises en question dans les débats civils et politiques [2] ; car toute question débattue porte soit sur une contestation, soit sur un point mis en délibération. Or nous avons déjà parlé précédemment des mœurs qui se rencontrent dans les divers gouvernements, dans le chapitre relatif aux discours délibératifs [3] ; de sorte que l’on pourrait regarder comme déterminé de quelle manière et avec quels arguments nous mettrons les discours en rapport avec les mœurs.

II. Mais, comme chaque genre de discours a une fin différente, et que, pour tous ces discours, on a exposé les opinions et les propositions d’où se tirent les preuves dans les genres délibératif, démonstratif ou judiciaire, et que, de plus, on a spécifié les arguments dont se composent les discours en rapport avec les mœurs, il nous reste à discourir sur les (lieux) communs.

III. En effet, il est nécessaire à tous les orateurs d’employer, dans leurs discours, en outre (des arguments spéciaux), ceux qui reposent sur le possible et l’impossible ; et ils ont à tâcher de montrer : les uns, que la chose en question aura lieu, les autres, qu’elle a eu lieu.

IV. Ce n’est pas tout : la question d’importance est un lieu commun à tous les genres de discours ; car tout le monde emploie des arguments qui tendent soit à diminuer, soit à grandir l’importance d’un fait, soit que l’on conseille ou que l’on dissuade, qu’on fasse un éloge, ou qu’on présente une défense.

V. Ces points déterminés, nous essayerons de parler des enthymèmes en général, si nous le pouvons, ainsi que des exemples, afin qu’après y avoir ajouté tout ce qui reste à dire, nous ayons rempli tout le programme que nous avons tracé dès le principe. Parmi les lieux communs, celui qui sert à l'amplification est, nous l’avons dit [4], celui qui convient le mieux aux discours démonstratifs ; le fait accompli, aux discours judiciaires, car c’est sur ces sortes de faits que porte le jugement ; — enfin le possible et le futur aux discours délibératifs.

  1. On a lu ὅμως.
  2. Πολιτιχός a le double sens de civil et de politique.
  3. Liv. I, chap. VIII.
  4. Liv. I, chap. IX.