Rhétorique (trad. Ruelle)/Livre III/Chapitre 6

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Traduction par Charles-Émile Ruelle.
(p. 308-310).
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CHAPITRE VI


Sur l’ampleur du style.


I. Voici ce qui contribue à l’ampleur de l’élocution donner l’explication d’un nom à la place du nom lui-même ; ne pas dire un cercle, par exemple, mais « un plan situé à égale distance du point central » ; tandis que, pour obtenir la concision, le nom, au contraire, sera mis à la place de l’explication[1].

II. L’un ou l’autre procédé dépendra du caractère bas ou inconvenant de l’expression. Si la bassesse est dans l’explication, on emploiera le nom ; si elle est dans le nom, l’emploi de l’explication sera préférable.

III. Exprimer sa pensée avec des métaphores et des épithètes, pourvu que l’on se garde du style poétique.

IV. Du singulier faire le pluriel, à l’exemple des poètes. Bien qu’il y ait un seul port, ils disent néanmoins : « Vers les ports achéens[2] » Ils disent encore :

Voici les plis nombreux d’une tablette[3].

V. Ne pas joindre (les mots), mais les faire succéder chacun à chacun : « de la femme qui est la nôtre, » et, si l’on recherche la concision, faire le contraire : « de notre femme. »

VI. Parler avec conjonctions, et, si l’on veut être concis, parler sans conjonctions, mais en évitant le style haché ; par exemple : « étant parti, et ayant causé ; — étant parti, j’ai causé. »

VII. Pratiquer le procédé avantageux d’Antimaque[4], lequel consiste à parler de choses qui n’importent pas au sujet, comme le fait ce poète à propos de Teumessos[5] :

Il est une petite colline exposée au vent…,


car on peut amplifier ainsi indéfiniment. Le procédé consistant à dire ce qu’une chose n’est pas peut s’appliquer aux bonnes et aux mauvaises, selon l’utilité qu’on y trouve. De là vient que les poètes introduisent des expressions telles que « le chant sans cordes, le chant sans lyre[6] ». Et ils les obtiennent au moyen des formes privatives. Ce procédé fait bon effet dans les métaphores qui reposent sur l’analogie ; comme, par exemple, de dire que (le son de) la trompette est un chant sans lyre.

  1. Périphrase.
  2. Λιμένας εἰς Ἀχαῖκοὑς. Fin de vers ïambique d’un poète inconnu.
  3. Eurip., Iphig. en Tauride, vers 727.
  4. Antimaque de Colophon ou plutôt de Claros, colonie sortie de Colophon. Voir sur ce vers C. Ad. G. Scheilenberg, Antimach. reliq., Halo S., 1786, p. 52.
  5. Montagne de Béotie. Cp. Strabon, Géogr., IX, 31, p. 412, éd. Casaub.
  6. Ἄχορδος est dans Théognis cité par Démétrius, § 85. Ἄλυρος est dans Eurip., Iph, en Taur., v. 144.