Souvenirs d'un aveugle : voyage autour du monde/01/Note 01

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Texte établi par François Arago, ed. ; Jules Janin, préf., H. Lebrun (1p. iii-v).

NOTE 1.

Les Vents alizés.

— Page d’appel des notes

Dans la plus grande partie des régions équatoriales, on rencontre constamment un vent d’est, auquel on a donné le nom de vent alizé. Un phénomène aussi régulier devait se rattacher à des causes permanentes : l’explication admise le fait dépendre à la fois de l’action calorifique du soleil et de la rotation de la terre.

Pour concevoir le transport des masses d’air qui résulte de ces influences combinées, il faut se rappeler d’abord qu’au contact d’un corps fortement échauffé, l’air s’échauffe lui-même ; qu’en s’échauffant il devient plus léger, s’élève et commence à former ainsi, au-dessus du corps chaud, un courant ascendant ; qu’enfin ce courant s’alimente sans cesse aux dépens de l’air plus froid qui, de toutes parts, afflue vers sa base et s’élève en se dilatant à son tour.

Voilà donc, par la seule présence du corps chaud, une impulsion donnée, un courant établi : supposons, maintenant, qu’à une certaine hauteur, l’air échauffé rencontre une surface froide, il se refroidira bientôt, et, devenu plus dense, il retombera ; il ira former à quelque distance du courant ascensionnel un coutre-courant dirigé de haut en bas : il pourra même alors, de la région inférieure, être ramené vers le foyer calorifique, qui agit comme un centre d’aspiration, et s’échauffant de nouveau, il circulera sans cesse dans la courbe fermée qu’il aura parcourue une première fois.

Toutes les circonstances dans lesquelles un mouvement circulatoire de l’air s’établit sous nos yeux, d’une manière continue, dans un espace fermé, toutes ces circonstances existent à la surface de la terre, mais cette fois dans des proportions énormes.

La zone échauffée qui déterminera par son contact avec les couches inférieures de l’atmosphère un courant ascensionnel, ce seront les régions équatoriales, formant autour de la terre une large ceinture, et frappées dans toutes les saisons par un soleil également ardent.

La surface froide qui forcera ce courant à se déverser, en se refroidissant, de part et d’autre, des tropiques vers le sol des climats tempérés, ce sont les couches supérieures de l’atmosphère dans les régions élevées où règne, même à l’équateur, un froid perpétuel.

Mais à mesure qu’entre les tropiques il s’établit un courant ascensionnel d’air échauffé par le sol des grands continents, l’air plus froid des zones tempérées vient, en rasant la surface de la terre, remplacer les couches qui s’élèvent.

Et l’air de la surface des zones tempérées est remplacé à son tour par le déversement des couches refroidies dans les hautes régions de l’atmosphère.

Ainsi s’établit des deux côtes de l’équateur et d’une manière permanente une double circulation.

Le seul vent qui semblerait, au premier coup d’œil, résulter de ce transport de l’air à la surface de la terre, ce serait un vent qui, de chaque pôle et dans des directions contraires, soufflerait sans cesse vers l’équateur, c’est-à-dire un vent de nord dans l’hémisphère boréal, un vent de sud dans l’hémisphère opposé.

Et cependant, ce transport de l’air du nord et du sud vers l’équateur n’est que très-peu sensible ; il vient en quelque sorte se perdre dans le transport bien plus rapide qui nous paraît entraîner l’air des régions équatoriales de l’orient à l’occident.

Comment se rendre compte de ces mouvements qui semblent s’accorder si mal avec les données que nous avons admises ?

C’est à la rotation de la terre qu’il faut demander le reste de l’explication.

La terre tourne sur elle-même ; en tournant, elle entraîne l’atmosphère qui l’enveloppe et la presse. Chaque portion d’air, en quelque sorte adhérente au sol par le frottement, acquiert promptement toute la vitesse du sol ; et cependant, si elle ne la possède pas d’abord, il lui faut un certain temps pour l’acquérir.

Mais la vitesse du sol qui résulte de la rotation est très-différente suivant les diverses latitudes.

Qu’on se figure une boule tournant autour d’un de ses diamètres. Les extrémités de cet axe diamétral seront en repos : le grand cercle, dont le plan lui est perpendiculaire, prendra le mouvement le plus rapide. Ainsi, sur la terre, un point de l’équateur décrit en tournant environ sept lieues par minute. À la latitude de Paris, nous ne parcourons guère que cinq lieues dans le même temps. Les pôles demeurent immobiles.

Ce que nous venons de dire de différents points du sol est également vrai de l’air qui les touche.

Ainsi, dans chaque minute, l’air à Paris, l’air des régions tempérées, parcourt deux lieues de moins que l’air, que le sol des régions équatoriales.

Mais si, en se transportant vers l’équateur, par l’effet de la circulation qu’excite la chaleur solaire, l’air des régions tempérées conservait cette énorme infériorité de vitesse, parvenu entre les tropiques, chaque point du sol le devancerait de deux lieues par minute, dans le sens de la rotation de la terre, c’est-à-dire d’occident en orient. Chaque point du sol frapperait l’air et paraîtrait en être frappé, comme si, la terre étant immobile, un vent d’une épouvantable violence soufflait dans la direction opposée, dans celle que semble suivre en effet le vent alizé, de l’est à l’ouest.

C’est ainsi qu’emportés dans la direction même d’un vent peu rapide, par une voiture qui le devance, nous croyons que l’air qui nous frappe est poussé vers nous en sens contraire de son véritable mouvement.

Et telle est aussi l’explication du vent alizé.

Seulement, au lieu de cette énorme rapidité de deux lieues par minute, le vent alizé n’offre qu’une vitesse médiocre. On aura déjà compris qu’il doit en être ainsi, pour peu qu’on ait songé que l’air des régions tempérées n’arrive que lentement à l’équateur ; que successivement et dans tout le trajet, le frottement sur le sol diminue là différence de vitesse de l’air et des parallèles terrestres qu’il vient traverser.

Par un raisonnement semblable, on arrive à conclure que le courant supérieur qui ramène l’air des couches élevées de l’atmosphère équatoriale, vers la surface de nos climats tempérées, doit tendre constamment à produire des vents d’ouest, C’est, en effet, dans nos climats la direction du vent la plus ordinaire. Mais un grand nombre de causes accidentelles, qui n’existent pas dans le voisinage de l’équateur, masquent fréquemment, chez nous, la partie régulière du phénomène.

Après avoir lu cette explication, peut-être s’étonnera-t-on de nous entendre annoncer que les vents alizés peuvent être encore l’objet d’importantes recherches : mais il faut remarquer que la pratique de la navigation se borne souvent à de simples aperçus dont la science ne saurait se contenter. Ainsi il n’est point vrai, quoi qu’on en ait dit, qu’au nord de l’équateur ces vents soufflent constamment du nord-est ; qu’au sud ils soufflent constamment du sud-est. Les phénomènes ne sont pas les mêmes dans les deux hémisphères. En chaque lieu, ils changent d’ailleurs avec les saisons. Des observations journalières de la direction réelle, et, autant que possible, de la force des vents orientaux qui règnent dans les régions équatoriales, seraient donc pour là météorologie une utile acquisition.

Le voisinage des continents, celui des côtes occidentales surtout, modifie les vents alizés, dans leur force et dans leur direction. Il arrive même quelquefois qu’un vent d’ouest les remplace. Partout où ce renversement du vent se manifeste, il est convenable de noter l’époque du phénomène, le gisement de la contrée voisine, sa distance, et quand on le peut, son aspect général. Pour faire sentir l’utilité de cette dernière recommandation, il suffira de dire qu’une région sablonneuse, par exemple, agirait plus tôt et beaucoup plus activement qu’un pays couvert de forêts ou de toute autre nature de végétaux.

Sur la mer qui baigne la côte occidentale du Mexique, de Panama à la péninsule de Californie, entre et 22° de latitude nord, on trouve, comme nous l’apprendre capitaine Basil Hall, un vent d’ouest à peu près permanent, là où l’on pouvait s’attendre à voir régner le vent d’est des régions équinoxiales. Dans ces parages, il sera curieux de noter jusqu’à quelle distance des côtes l’anomalie subsiste, par quelle longitude le vent alizé reprend pour ainsi dire ses droits.

D’après l’explication des vents alizés la plus généralement adoptée, il doit y avoir constamment, entre les tropiques, un vent supérieur dirigé en sens contraire de celui qui souffle à la surface du globe. On a déjà recueilli diverses preuves de l’existence de ce contre-courant. L’observation assidue des nuages élevés, de ceux particulièrement qu’on appelle pommelés, doit fournir des indications précieuses dont la météorologie tirerait parti.

L’époque, la force et l’étendue des moussons, forment enfin un sujet d’étude dans lequel, malgré la foule d’importants travaux, il y a encore à glaner.