« Stances à la princesse Marie » : différence entre les versions
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Version du 7 octobre 2006 à 09:56
Revue des Deux Mondes, tome 17, 1839
À Princesse Marie, stances
- Certes, chacun le sait, la froide indifférence,
- De son souffle glacé flétrit tout aujourd'hui ;
- Le coeur reste insensible à la peine d'autrui;
- Et ce siècle d'essais, de lutte et de souffrance,
- N'a de tant de travaux encor gardé pour lui
- Qu'un doute amer, enfant de son expérience.
- Tous les jours désormais, du triste front humain,
- Se détache un rayon de la sainte auréole ;
- Tous les jours de nos coeurs une flamme s'envole ;
- Chacun, de son côté, lutte avec le destin.
- Pour ceux que la douleur abat sur le chemin,
- Nous n'avons ni soupirs, ni larmes, ni parole.
- La douleur ! et qui croit à la douleur encor?
- Qui croit à la tristesse, à la mélancolie?
- On nomme illusions ces anges de la vie
- Qui seuls savaient pourtant le chemin du Thabor,
- Et l'homme dans son sein, où la veine est tarie,
- Sous la source des pleurs creuse la mine d'or.
- Amour, religion, liberté, choses vaines,
- En ce temps d'égoïsme où chacun tire à soi,
- Où les ambitions et les publiques haines
- Occupent tant les coeurs, qu'en un pareil émoi,
- Nul ne trouve le temps de songer à ses peines.
- Qu'importent la patrie, et le peuple, et le roi?
- Cependant, en ces jours de rare sympathie,
- S'il se rencontre au monde un destin malheureux
- Auquel de toutes parts la foule s'associe,
- Qui vienne ranimer dans notre ame engourdie
- La cendre tiède encor des souvenirs pieux,
- Et de suaves pleurs inonde encor nos yeux,
- N'est-ce pas le destin de cette jeune femme,
- Fille des rois, qui porte, à son front couronné,
- Le signe glorieux de la divine flamme,
- Et si jeune, à vingt ans, Seigneur, vous rend son ame,
- Et meurt entre le bloc par ses mains façonné
- Et le calme berceau de son fils nouveau-né;
- Comme le lys royal, honneur de la prairie,
- Qui tombe au jour naissant sous la main du faucheur;
- Comme le son joyeux qui s'éteint et qui meurt,
- Avant d'avoir fourni son temps de mélodie,
- Et comme la rosée enlevée à la fleur
- Par le soleil ardent qui ramasse la pluie?
- Et pourtant, quel destin plus aimable et plus doux!
- Quelle mélancolique et suave existence!
- Comme dans un jardin, au printemps qui commence,
- Vous marchiez dans la vie en souriant à tous,
- Et les plus belles fleurs de gloire et d'espérance
- Dans l'humide gazon semblaient s'ouvrir pour vous.
- Princesse, vous aimiez votre royale mère,
- Vous aimiez notre France à l'égal d'une soeur,
- La muse athénienne aussi, la muse austère,
- Avait pressé sur vous ses mamelles de pierre;
- Et ces riches amours que vous aviez au coeur,
- Vous pouviez à loisir toutes les satisfaire.
- Oui, vos jours furent doux, harmonieux, sereins,
- Blonde Muse de France assise au pied du trône,
- Un ciseau dans les mains, au front une couronne.
- Aussi ce n'est pas vous, princesse, que je plains,
- Car vous avez senti, dans vos loisirs divins,
- Toutes les voluptés que l'art sublime donne.
- Et cela sans remords, sans repentir amer,
- Sans avoir rien appris de la sombre tristesse,
- Du découragement, qui, de son bras de fer,
- Terrasse les plus forts aux pieds de la déesse,
- Et fait que, sans raison, dans la fièvre et l'ivresse,
- On blasphème aujourd'hui ce qu'on chantait hier.
- Ah! vos illusions, vous les avez gardées,
- Et lorsque, sur le soir, l'archange du tombeau
- A touché votre front de son triste rameau,
- Alors, princesse, alors vos sereines idées
- Ont remonté vers Dieu, comme, au soleil nouveau,
- Les plus purs diamans des récentes ondées.
- L'art vous avait donné ses trésors les plus doux;
- Votre oeuvre était sacrée on oubliait pour vous
- Les haines qu'ici-bas provoque le génie ;
- Et comme le Seigneur vous avait, dans la vie,
- Placée ainsi trop haut pour avoir des jaloux,
- A la Mort seulement vous pouviez faire envie.
- Votre double couronne avait frappé ses yeux;
- Tant de gloire et d'éclat faisait sa convoitise,
- Et tandis que de loin, la nation éprise,
- Poussait en choeur vers vous sa louange et ses voeux,
- Comme une ombre, la Mort vous suivait en tous lieux,
- Sous les ombrages verts, au théâtre, à l'église;
- Et pour être plus libre à vous faire sa cour,
- Elle vint se placer entre la multitude
- Et votre bloc de marbre, hélas! et chaque jour
- Elle éloignait de vous, en son inquiétude,
- Quelque objet de tendresse ou de sollicitude;
- Car la Mort est jalouse en son terrible amour.
- D'abord, ce fut cet art, dont vous étiez ravie,
- Qui souleva sa haine; et, dès les premiers temps,
- Le ciseau s'échappa de vos doigts défaillans;
- Et pour vous consoler de votre muse enfuie,
- Emportant les plaisirs, et la joie, et les chants,
- La Mort ne vous laissa que la Mélancolie,
- Hélas ! et plût à Dieu qu'en vous prenant aux arts,
- Elle vous eût laissée au moins à l'existence.
- La Mort a tout voulu, dans son désir immense,
- Et vos moindres pensers, et vos moindres regards;
- Et pour vous arracher à la douce influence
- De l'amour exhalé vers vous de toutes parts,
- Sans pitié pour les pleurs de votre auguste mère,
- Pour tant de désespoirs et tant d'afflictions,
- Insensible aux sanglots étouffés et profonds
- Du roi qui, pour verser une larme de père,
- Dérobait en cachette une heure aux nations,
- Elle vous a ravie à la douce lumière.
- Et sa funeste main, prompte à vous dépouiller,
- A dispersé dans l'air les roses que Dieu sème.
- Votre sort fut cruel, mais, pour vous consoler,
- Vous avez les regrets du peuple qui vous aime ;
- Et sur chaque débris de votre diadème
- Vous pouvez voir d'en haut une larme trembler.
- Ces larmes qu'on ne donne ici-bas qu'aux apôtres,
- Qui montent vers le ciel une palme à la main,
- Ces larmes, prenez-les, car elles sont bien vôtres.,
- Et de leur pur cristal faites-vous, en chemin,
- Un brillant diadème à votre front serein ;
- Madame, celui-là vaut mieux que tous les autres.
HENRI BLAZE.