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ma connaissance ; profond étonnement de ces provinciaux. Quoi !
== 318. ŒUVRES DE STENDHAL. ==
l’on ose parler ainsi d’une ''Chambre des députés !'' de cette
chambre qui, avant 1830, distribuait tous les petits emplois de
mille francs, et les enlevait barbarement aux vingt années de
service qui n’ont pas un vote à donner ! Après la stupéfaction,
qui d’abord prenait bien une grande minute, on applaudissait
avec folie aux épigrammes si naïves de M. Scribe. Sans se l’avouer,
ces pauvres provinciaux sont bien las de ce qu’ils louent
avec le plus d’emphase, les pièces taillées sur l’ancien patron,
et qui ne se lassent pas d’imiter Destouches et le ''Tyran domestique''.
Ils admirent, mais ils ne louent pas encore le seul homme
de ce siècle qui ait eu l’audace de peindre, en esquisses il est
vrai, les mœurs qu’il rencontre dans le monde, et de ne pas
toujours imiter uniquement Destouches et Marivaux. On reprochait
ce soir à la ''Camaraderie'' de faire faire une élection en
vingt-quatre heures ; c’est blâmer l’auteur, en d’autres termes,
de ne pas s’être exposé à dix affaires désagréables, dont la première
eût été décisive ; la police eût arrêté la pièce tout court.


Certes elle n’eût pas osé représenter ''exactement'' le mécanisme des élections avant 1830. (Songez à celles de votre département, que vous connaissez peut-être.)
ma connaissance ; profond étonnenient de ces provinciaux. Quoi !
l'ou ose parler ainsi d'une ''Chambre des députés'' ! de cette chambre qui, avant 1850, distribuait tous les petits emplois de mille francs, et les enlevait barbarement aux vingt années de service qui n ont pas un vote à donner ! Après la stupéfaction ,
qui d’abord prenait bien une grande minute, on applaudissait avec folie aux épigrammes si naïves de M. Scribe. Sans se l’avouer, ces pauvres provinciaux sont bien las de ce qu’ils louent avec le plus d’emphase, les pièces taillées sur l’ancien patron, et qui ne se lassent pas d’imiter Destouches et le Tyran domestique. Ils admirent, mais ils ne louent pas encore le seul homme de ce siècle qui ait eu l’audace de peindre, eu esquisses il est vrai, les mœurs qu’il rencontre dans le monde, et de ne pas toujours imiter uniquement Destouches et Marivaux. On reprochait ce soir à la ''Camaraderie'' de faire faire une élection en
vingt-quatre heures ; c’est blâmer l’auteur, en d’autres termes, de ne pas s’être exposé à dix affaires désagréables, dont la première eût été décisive ; la police eût arrêté la pièce tout court.


Du temps de Molière, les bourgeois osaient affronter le ridicule.
Certes elle n’eût pas osé représenter ''exactement'' le mécanisme des élections avant 1830, (Songez à celles de votre département, que vous connaissez peut-être.)
Louis XIV voulut que personne ne pensât sans sa permission,

et Molière lui fut utile. Il a inoculé la timidité aux bourgeois ;
Du temps de Molière, les bourgeois osaient affronter le ridicule. Louis XIV voulut que personne ne pensât sans sa permission, et Molière lui fut utile. Il a inoculé la timidité aux bourgeois ; mais depuis qu’ils s’exagèrent le pouvoir du ridicule, la comédie n’a plus de liberté. Les calicots, sous Louis XVIII je crois, voulurent battre Brunet, et il y eut une charge de cavalerie dans le passage des Panoramas. Nous sommes fort en arrière de ce que Louis XIV permettait. Un détail va prouver ma thèse : n’est-il pas vrai qu’il y aurait bien moins de gens offensés par la peinture exacte, et même satirique si l’on veut, des tours de passe-passe qui avant 1830 escamotaient une élection, que par les faits et gestes de ''Tartufe'', qui, sous Louis XIV, dévoilaient et gênaient les petites affaires de toute une classe de
mais depuis qu’ils s’exagèrent le pouvoir du ''ridicule'', la
comédie n’a plus de liberté. Les calicots, sous Louis XVIII je
crois, voulurent battre Brunet, et il y eut une charge de cavalerie
dans le passage des Panoramas. Nous sommes fort en arrière
de ce que Louis XIV permettait. Un détail va prouver ma
thèse : n’est-il pas vrai qu’il y aurait bien moins de gens offensés
par la peinture exacte, et même satirique si l’on veut, des
tours de passe-passe qui avant 1830 escamotaient une élection,
que par les faits et gestes de ''Tartufe'', qui, sous Louis XIV, dévoilaient
et gênaient les petites affaires de toute une classe de

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ma connaissance ; profond étonnement de ces provinciaux. Quoi ! l’on ose parler ainsi d’une Chambre des députés ! de cette chambre qui, avant 1830, distribuait tous les petits emplois de mille francs, et les enlevait barbarement aux vingt années de service qui n’ont pas un vote à donner ! Après la stupéfaction, qui d’abord prenait bien une grande minute, on applaudissait avec folie aux épigrammes si naïves de M. Scribe. Sans se l’avouer, ces pauvres provinciaux sont bien las de ce qu’ils louent avec le plus d’emphase, les pièces taillées sur l’ancien patron, et qui ne se lassent pas d’imiter Destouches et le Tyran domestique. Ils admirent, mais ils ne louent pas encore le seul homme de ce siècle qui ait eu l’audace de peindre, en esquisses il est vrai, les mœurs qu’il rencontre dans le monde, et de ne pas toujours imiter uniquement Destouches et Marivaux. On reprochait ce soir à la Camaraderie de faire faire une élection en vingt-quatre heures ; c’est blâmer l’auteur, en d’autres termes, de ne pas s’être exposé à dix affaires désagréables, dont la première eût été décisive ; la police eût arrêté la pièce tout court.

Certes elle n’eût pas osé représenter exactement le mécanisme des élections avant 1830. (Songez à celles de votre département, que vous connaissez peut-être.)

Du temps de Molière, les bourgeois osaient affronter le ridicule. Louis XIV voulut que personne ne pensât sans sa permission, et Molière lui fut utile. Il a inoculé la timidité aux bourgeois ; mais depuis qu’ils s’exagèrent le pouvoir du ridicule, la comédie n’a plus de liberté. Les calicots, sous Louis XVIII je crois, voulurent battre Brunet, et il y eut une charge de cavalerie dans le passage des Panoramas. Nous sommes fort en arrière de ce que Louis XIV permettait. Un détail va prouver ma thèse : n’est-il pas vrai qu’il y aurait bien moins de gens offensés par la peinture exacte, et même satirique si l’on veut, des tours de passe-passe qui avant 1830 escamotaient une élection, que par les faits et gestes de Tartufe, qui, sous Louis XIV, dévoilaient et gênaient les petites affaires de toute une classe de