« L’Oiseau bleu (Maeterlinck) » : différence entre les versions
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/15]]== |
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{{acte|I}} |
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{{scène|I}} |
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{{Center|'''LA CABANE DU BÛCHERON'''}} |
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<pages index="Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu" from=15 to=128 /> |
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Le théâtre représente l'intérieur d'une cabane de bûcheron, simple, rustique, mais non point misérable. Cheminée à manteau où s'assoupit un feu de bûches. Ustensiles de cuisine, armoire, huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc. Sur une table, une lampe allumée. Au pied de l'armoire, de chaque côté de celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et une Chatte. Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et bleu. Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une tourterelle. Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs sont fermés. Sous l'une des fenêtres, un escabeau. A gauche, la porte d'entrée de la maison, munie d'un gros loquet. A droite, une autre porte. Échelle menant à un grenier. Également à droite, deux petits lits d'enfant, au chevet desquels, sur deux chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés. |
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{{didascalie|[Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une dernière fois, se penche sur eux, contemple |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/16]]== |
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un moment leur sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête dans l'entrebâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à droite sur la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe. La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont l'intensité augmente peu à peu filtre par les lames des volets. La lampe sur la table se rallume d'elle-même. Les deux enfants semblent s'éveiller et se mettent sur leur séant.]}} |
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Mytyl? |
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Tyltyl? |
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Tu dors? |
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Et toi?... |
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Mais non, je dors pas puisque je te parle.... |
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C'est Noël, dis?... |
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Pas encore; c'est demain. Mais le petit Noël n'apportera rien cette année.... |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/17]]== |
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ersonnage|MYTYL}} |
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Pourquoi?... |
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J'ai entendu maman qui disait qu'elle n'avait pu aller à la ville pour le prévenir.... Mais il viendra l'année prochaine.... |
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C'est long, l'année prochaine?... |
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Ce n'est pas trop court.... Mais il vient cette nuit chez les enfants riches.... |
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Ah?... |
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Tiens!... Maman a oublié la lampe!... J'ai une idée?... |
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?... |
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Nous allons nous lever.... |
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C'est défendu.... |
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Puisqu'il n'y a personne.... Tu vois les volets?... |
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Oh! qu'ils sont clairs!... |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/18]]== |
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|TYLTYL}} |
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C'est les lumières de la fête. |
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Quelle fête? |
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En face, chez les petits riches. C'est l'arbre de Noël. Nous allons les ouvrir.... |
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Est-ce qu'on peut? |
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Bien sûr, puisqu'on est seuls.... Tu entends la musique?... Levons-nous.... |
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{{didascalie|[Les deux enfants se lèvent, courent à l'une des fenêtres, montent sur l'escabeau et poussent les volets. Une vive clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent avidement au dehors.]}} |
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On voit tout!... |
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{{didascalie|[qui ne trouve qu'une place précaire sur l'escabeau.] }} |
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Je vois pas.... |
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Il neige!... Voilà deux voitures à six chevaux!... |
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Il en sort douze petits garçons!... |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/19]]== |
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T'es bête!... C'est des petites filles.... |
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Ils ont des pantalons.... |
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Tu t'y connais.... Ne me pousse pas ainsi!... |
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Je t'ai pas touché. |
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{{didascalie|[qui occupe à lui seul tout l'escabeau.]}} |
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Tu prends toute la place.... |
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Mais j'ai pas du tout de place!... |
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Tais-toi donc, on voit l'arbre!... |
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Quel arbre?... |
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Mais l'arbre de Noël!... Tu regardes le mur!... |
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Je regarde le mur parce qu'y a pas de place.... |
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{{didascalie|[lui cédant une petite place avare sur l'escabeau.]}} |
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Là!... En as-tu assez?... C'est-y pas la meilleure?... Il y en a des lumières! Il y en a!... |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/20]]== |
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MYTYL}} |
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Qu'est-ce qu'ils font donc ceux qui font tant de bruit?... |
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Ils font de la musique. |
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Est-ce qu'ils sont fâchés?... |
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Non, mais c'est fatigant. |
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Encore une voiture attelée de chevaux blancs!... |
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Tais-toi!... Regarde donc!... |
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Qu'est-ce qui pend là, en or, après les branches?... |
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Mais les jouets, pardi!... Des sabres, des fusils, des soldats, des canons.... |
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Et des poupées, dis, est-ce qu'on en a mis?... |
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Des poupées?... C'est trop bête; ça ne les amuse pas.... |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/21]]== |
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MYTYL}} |
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Et autour de la table, qu'est-ce que c'est tout ça?... |
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C'est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème.... |
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J'en ai mangé une fois, lorsque j'étais petite.... |
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Moi aussi; c'est meilleur que le pain, mais on en a trop peu.... |
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Ils n'en ont pas trop peu.... Il y en a plein la table.... Est-ce qu'ils vont les manger?... |
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Bien sûr; qu'en feraient-ils?... |
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Pourquoi qu'ils ne les mangent pas tout de suite?... |
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Parce qu'ils n'ont pas faim.... |
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{{didascalie|[stupéfaite.]}} |
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Ils n'ont pas faim?... Pourquoi?... |
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C'est qu'ils mangent quand ils veulent.... |
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{{didascalie|[ |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/22]]== |
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incrédule.]}} |
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Tous les jours?... |
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On le dit.... |
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Est-ce qu'ils mangeront tout?... Est-ce qu'ils en donneront?... |
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À qui?... |
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À nous.... |
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Ils ne nous connaissent pas.... |
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Si on leur demandait?... |
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Cela ne se fait pas. |
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Pourquoi?... |
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Parce que c'est défendu. |
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{{didascalie|[battant des mains.]}} |
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Oh! qu'ils sont donc jolis!... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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{{didascalie|[enthousiasmé.]}} |
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Et ils rient et ils rient!... |
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Et les petits qui dansent!... |
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{{pers |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/23]]== |
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onnage|TYLTYL}} |
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Oui, oui, dansons aussi!... |
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{{didascalie|[Ils trépignent de joie sur l'escabeau.]}} |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Oh! que c'est amusant!... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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On leur donne les gâteaux!... Ils peuvent y toucher!... Ils mangent! ils mangent! ils mangent!... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Les plus petits aussi!... Ils en ont deux, trois, quatre!... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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{{didascalie|[ivre de joie.]}} |
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Oh! c'est bon!... Que c'est bon! que c'est bon!... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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{{didascalie|[comptant des gâteaux imaginaires.]}} |
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Moi, j'en ai reçu douze!... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Et moi quatre fois douze!... Mais je t'en donnerai.... |
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{{didascalie|[On frappe à la porte de la cabane.]}} |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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{{didascalie|[subitement calmé et effrayé.]}} |
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Qu'est-ce que c'est?... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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{{didascalie|[épouvantée.]}} |
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C'est papa!... |
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{{didascalie|[Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se soulever de lui-même, en grinçant; |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/24]]== |
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la porte s'entrebâille pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et coiffée d'un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse, borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche courbée sur un bâton. Il n'est pas douteux que ce ne soit une fée.]}} |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Avez-vous ici l'herbe qui chante ou l'oiseau qui est bleu?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Nous avons de l'herbe, mais elle ne chante pas.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Tyltyl a un oiseau. |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Mais je ne peux pas le donner.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Pourquoi?... |
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Parce qu'il est à moi. |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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C'est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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{{didascalie|[montrant la cage.]}} |
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Dans la cage.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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{{didascalie|[mettant ses besicles pour examiner l'oiseau.]}} |
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Je n'en veux pas; il n'est pas assez bleu. Il faudra que vous m'alliez chercher celui dont j'ai besoin. |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/25]]== |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Mais je ne sais pas où il est.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Moi non plus. C'est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la rigueur me passer de l'herbe qui chante; mais il me faut absolument l'Oiseau Bleu. C'est pour ma petite fille qui est très malade. |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Qu'est-ce qu'elle a?... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse.... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Ah?... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Savez-vous qui je suis?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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{{didascalie|[se fâchant subitement.]}} |
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En aucune façon.... Il n'y a aucun rapport.... C'est abominable!... Je suis la Fée Bérylune.... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Ah! très bien.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Il faudra partir tout de suite. |
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{{personnage |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/26]]== |
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|TYLTYL}} |
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Vous viendrez avec nous?... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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C'est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j'ai mis ce matin et qui s'empresse de déborder chaque fois que je m'absente plus d'une heure.... |
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{{didascalie|[Montrant successivement le plafond, la cheminée et la fenêtre.]}} |
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Voulez-vous sortir par ici, par là ou par là?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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{{didascalie|[montrant timidement la porte.]}} |
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J'aimerais mieux sortir par là.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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{{didascalie|[se fâchant encore subitement.]}} |
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C'est absolument impossible, et c'est une habitude révoltante!... |
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{{didascalie|[Indiquant la fenêtre.]}} |
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Nous sortirons par là.... Eh bien!... Qu'attendez-vous?... Habillez-vous tout de suite.... |
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{{didascalie|[Les enfants obéissent et s'habillent rapidement.]}} |
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Je vais aider Mytyl.... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Nous n'avons pas de souliers.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Ça n'a pas d'importance. Je vais vous donner un petit chapeau merveilleux. Où sont donc vos parents?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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{{didascalie|[montrant la porte à droite.]}} |
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Ils sont là ; ils dorment.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Et votre bon-papa et votre bonne-maman?... |
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{{personnage| |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/27]]== |
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TYLTYL}} |
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Ils sont morts.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Et vos petits frères et vos petites sœurs.... Vous en avez?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Oui, oui; trois petits frères.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Et quatre petites sœurs.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Où sont-ils?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Ils sont morts aussi.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Voulez-vous les revoir?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Oh oui!... Tout de suite!... Montrez-les!... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Je ne les ai pas dans ma poche.... Mais ça tombe à merveille; vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C'est sur la route de l'Oiseau-Bleu. Tout de suite à gauche, après le troisième carrefour. Que faisiez-vous quand j'ai frappé?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Nous jouions à manger des gâteaux. |
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{{personnage| |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/28]]== |
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LA FÉE}} |
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Vous avez des gâteaux?... Où sont-ils? |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Dans le palais des enfants riches.... Venez voir, c'est si beau!... |
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{{didascalie|[Il entraîne la Fée vers la fenêtre.]}} |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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{{didascalie|[à la fenêtre,]}} |
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Mais ce sont les autres qui les mangent!... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Oui; mais puisqu'on voit tout.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Tu ne leur en veux pas?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Pourquoi?... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Parce qu'ils mangent tout. Je trouve qu'ils ont grand tort de ne pas t'en donner.... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Mais non, puisqu'ils sont riches.... Hein? que c'est beau chez eux!... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Ce n'est pas plus beau que chez toi. |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Heu!... Chez nous c'est plus noir, plus petit, sans gâteaux.... |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/29]]== |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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C'est absolument la même chose; c'est que tu n'y vois pas.... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Mais si, j'y vois très bien, et j'ai de très bons yeux. Je lis l'heure au cadran de l'église que papa ne voit pas.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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{{didascalie|[se fâchant subitement,]}} |
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Je te dis que tu n'y vois pas!... Comment donc me vois-tu?... Comment donc suis-je faite?... |
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{{didascalie|[Silence gêné de Tyltyl.]}} |
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Eh bien, répondras-tu? que je sache si tu vois?... Suis-je belle ou bien laide?... |
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{{didascalie|[Silence de plus en plus embarrassé.]}} |
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Tu ne veux pas répondre?... Suis-je jeune ou bien veille?... Suis-je rose ou bien jaune?... j'ai peut-être une bosse?... |
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{{personnage|TYLTYL}}, |
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{{didascalie|[conciliant]}} |
|||
Non, non, elle n'est pas grande.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme.... Ai-je le nez crochu et l'œil gauche crevé?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Non, non, je ne dis pas.... Qui est-ce qui l'a crevé?... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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{{didascalie|[de plus en plus irritée.]}} |
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Mais il n'est pas crevé!... Insolent! misérable!... Il est plus beau que l'autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu comme le ciel.... Et mes cheveux, vois-tu?... Ils sont blonds comme les blés.... on dirait de l'or |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/30]]== |
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vierge!... Et j'en ai tant et tant que la tête me pèse.... Ils s'échappent de partout.... Les vois-tu sur mes mains?... |
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{{didascalie|[Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris.]}} |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Oui, j'en vois quelques-uns.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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{{didascalie|[indignée.]}} |
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Quelques-uns!... Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots d'or!... Je sais bien que des gens disent qu'ils n'en voient point; mais tu n'es pas de ces méchantes gens aveugles, je suppose?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Mais il faut voir les autres avec la même audace!... C'est bien curieux, les hommes.... Depuis la mort des fées, ils n'y voient plus du tout et ne s'en doutent point.... Heureusement que j'ai toujours sur moi tout ce qu'il faut pour rallumer les yeux éteints.... Qu'est-ce que je tire de mon sac?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Oh! le joli petit chapeau vert!... Qu'est-ce qui brille ainsi sur la cocarde?... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
|||
C'est le gros Diamant qui fait voir.... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/31]]== |
|||
Ah!... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci, vois-tu?... Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne ne connaît, et qui ouvre les yeux.... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Ça ne fait pas de mal?... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Au contraire, il est fée.... On voit à l'instant même ce qu'il y a dans les choses; l'âme du pain, du vin, du poivre, par exemple.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Est-ce qu'on voit aussi l'âme du sucre?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
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{{didascalie|[subitement fâchée.]}} |
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Cela va sans dire!... Je n'aime pas les questions inutiles.... L'âme du sucre n'est pas plus intéressante que celle du poivre.... Voilà, je vous donne ce que j'ai pour vous aider dans la recherche de l'Oiseau-Bleu.... Je sais bien que l'Anneau-qui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus utiles.... Mais j'ai perdu la clef de l'armoire où je les ai serrés.... Ah! j'allais oublier.... |
|||
{{didascalie|[Montrant le Diamant.]}} |
|||
Quand on le tient ainsi, tu vois.... un petit tour de plus, on revoit le Passé.... Encore un petit tour, et l'on voit l'Avenir.... C'est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit.... |
|||
{{pe |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/32]]== |
|||
rsonnage|TYLTYL}} |
|||
Papa me le prendra.... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
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Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu'il est sur ta tête.... Veux-tu l'essayer?... |
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{{didascalie|[Elle coiffe Tyltyl du petit chapeau vert.] }} |
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A présent, tourne le Diamant.... Un tour et puis après.... |
|||
{{didascalie|[A peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu'un changement soudain et prodigieux s'opère en toutes choses. La vieille fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s'illuminent, bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents, scintillent, éblouissent à l'égal des pierres les plus précieuses. Le pauvre mobilier s'anime et resplendit; la table de bois blanc s'affirme aussi grave, aussi noble qu'une table de marbre, le cadran de l'horloge cligne de l'œil et sourit avec aménité, tandis que la porte derrière quoi va et vient le balancier s'entr'ouvre et laisse s'échapper les Heures, qui, se tenant les mains et riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d'une musique délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s'écrie en montrant les Heures.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Qu'est-ce que c'est que toutes ces belles dames?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
N'aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses d'être libres et visibles un instant.... |
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{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/33]]== |
|||
TYLTYL}} |
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Et pourquoi que les murs sont si clairs?... Est-ce qu'ils sont en sucre ou en pierres précieuses?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Toutes les pierres sont pareilles, toutes les pierres sont précieuses: mais l'homme n'en voit que quelques-unes.... |
|||
{{didascalie|[Pendant qu'ils parlent ainsi, la féerie continue et se complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres, sous la forme de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui, sorti de l'âtre en maillot soufre et vermillon, les poursuit en se tordant de rire.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Qu'est-ce que c'est que ces vilains bonshommes?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles se trouvaient à l'étroit.... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Et le grand diable rouge qui sent mauvais?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Chut!... Ne parle pas trop haut, c'est le Feu.... Il a mauvais caractère. |
|||
{{didascalie|[Ce dialogue n'a pas interrompu la féerie. Le Chien et la Chatte, couchés en rond au pied de l'armoire, |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/34]]== |
|||
poussant simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe, et à leur place surgissent deux personnages, dont l'un porte un masque de bouledogue, et l'autre une tête de chatte. Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue que nous appellerons dorénavant le Chien se précipite sur Tyltyl qu'il embrasse violemment et accable île bruyantes et impétueuses caresses, cependant que la petite femme au masque de chatte que nous appellerons plus simplement la Chatte se donne un coup de peigne, se lave les mains et se lisse la moustache, avant de s'approcher de Mytyl.]}} |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable.]}} |
|||
Mon petit dieu!... Bonjour! bonjour, mon petit dieu!... Enfin, enfin, on peut parler! J'avais tant de choses à te dire!... J'avais beau aboyer et remuer la queue!... Tu ne comprenais pas!... Mais maintenant!... Bonjour! bonjour!... Je t'aime!... Je t'aime!... Veux-tu que je fasse quelque chose d'étonnant?... Veux-tu que je fasse le beau?... Veux-tu que je marche sur les mains ou que je danse à la corde?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[à la Fée.]}} |
|||
Qu'est-ce que c'est que ce monsieur à tête de chien?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Mais tu ne vois donc pas?... C'est l'âme de Tylô que tu as délivrée.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[s' |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/35]]== |
|||
approchant de Mytyl et lui tendant la main, cérémonieusement, avec circonspection.]}} |
|||
Bonjour, Mademoiselle.... Que vous êtes jolie ce matin!... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Bonjour, Madame.... |
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{{didascalie|[A la Fée.]}} |
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Qui est-ce?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
C'est facile à voir; c'est l'âme de Tylette qui te tend la main.... Embrasse-la.... |
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{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[bousculant la Chatte.]}} |
|||
Moi aussi!... J'embrasse le petit dieu!... J'embrasse la petite fille!... J'embrasse tout le monde!... Chic!... On va s'amuser!... Je vais faire peur à Tylette!... Hou! hou! hou!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Monsieur, je ne vous connais pas.... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
{{didascalie|[menaçant le Chien de sa baguette.]}} |
|||
Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le silence, jusqu'à la fin des temps.... |
|||
{{didascalie|[Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s'est mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l'autre angle, se prend à chanter d'une voix sur-aiguë et, se transformant en fontaine lumineuse, inonde l'évier de nappes de perles et d'émeraudes, à travers lesquelles s'élance l'âme de l'Eau, pareille à une jeune fille ruisselante, échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le feu.]}} |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/36]]== |
|||
TYLTYL}} |
|||
Et la dame mouillée?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
N'aie pas peur, c'est l'Eau qui sort du robinet.... |
|||
{{didascalie|[Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur le sol; et du lait répandu s'élève une grande forme blanche et pudibonde qui semble avoir peur de tout.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Et la dame en chemise qui a peur?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
C'est le Lait qui a cassé son pot.... |
|||
{{didascalie|[Le Pain-de-sucre posé au pied de l'armoire grandit, s'élargit et crève son enveloppe de papier d'où émerge un être doucereux: et papelard, vêtu d'une souquenille mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement, s'avance vers Mytyl.]}} |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
{{didascalie|[avec inquiétude.]}} |
|||
Que veut-il?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Mais c'est l'âme du Sucre!... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
{{didascalie|[rassurée.]}} |
|||
Est-ce qu'il a des sucres d'orge?... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/37]]== |
|||
LA FÉE}} |
|||
Mais il n'a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en est un.... |
|||
{{didascalie|[La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d'une incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles transparents et éblouissants, et se tient immobile en une sorte d'extase.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
C'est la Reine! |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
C'est la Sainte Vierge!... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Non, mes enfants, c'est la Lumière.... |
|||
{{didascalie|[Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme des toupies hollandaises, l'armoire à linge claque ses battants et commence un magnifique déroulement d'étoffes couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent l'échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes sont frappés à la porte de droite.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[effrayé.]}} |
|||
C'est papa!... Il nous a entendus!... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Tourne le Diamant!... De gauche à droite!... |
|||
{{didascalie|[Tyltyl tourne vivement le diamant.]}} |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/38]]== |
|||
Pas si vite!... Mon Dieu! Il est trop tard!... Tu l'as tourné trop brusquement. Ils n'auront pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des ennuis.... |
|||
{{didascalie|[La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l'horloge, le Rouet s'arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général, tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n'a pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en poussant des rugissements d'épouvante.]}} |
|||
Qu'y a-t-il?... |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
{{didascalie|[tout en larmes.]}} |
|||
Il n'y a plus de place dans la huche!... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
{{didascalie|[se penchant sur la huche.]}} |
|||
Mais si, mais si.... |
|||
{{didascalie|[Poussant les autres pains qui ont repris leur place primitive.]}} |
|||
Voyons, vite, rangez-vous.... |
|||
{{didascalie|[On heurte encore la porte.]}} |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
{{didascalie|[éperdu, s'efforçant vainement d'entrer dans la huche.]}} |
|||
Il n'y a pas moyen!... Il me mangera le premier!... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[gambadant autour de Tyltyl.]}} |
|||
Mon petit dieu!... Je suis encore ici!... Je puis encore parler! Je puis encore t'embrasser!... Encore! encore! encore!... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Comment, toi aussi?... Tu es encore là?... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
J'ai de la veine.... Je n'ai pas pu rentrer dan le silence; la trappe s'est refermée trop vite.. |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/39]]== |
|||
La mienne aussi.... Que va-t-il arriver?... Est-ce que c'est dangereux? |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Et ceux qui ne les accompagneront pas?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Ils survivront quelques minutes.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[au Chien.]}} |
|||
Viens, rentrons dans la trappe.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Non, non!... Je ne veux pas!... Je veux accompagner le petit dieu!... Je veux lui parler tout le temps!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Imbécile!... |
|||
{{didascalie|[On heurte encore à la porte.]}} |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
{{didascalie|[pleurant à chaudes larmes.]}} |
|||
Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!... Je veux rentrer tout de suite dans ma huche!... |
|||
{{personnage|LE FEU}} |
|||
{{didascalie|[qui n'a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en poussant des sifflements d'angoisse.]}} |
|||
Je ne trouve plus ma cheminée!... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/40]]== |
|||
L'EAU}} |
|||
{{didascalie|[qui tente vainement de rentrer dans le robinet.]}} |
|||
Je ne peux plus rentrer dans le robinet!... |
|||
{{personnage|LE SUCRE}} |
|||
{{didascalie|[qui s'agite autour de son enveloppe de papier.]}} |
|||
J'ai crevé mon papier d'emballage!... |
|||
{{personnage|LE LAIT}} |
|||
{{didascalie|[lymphatique et pudibond.]}} |
|||
On a cassé mon petit pot!... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Sont-ils bêtes, mon Dieu!... Sont-ils bêtes et poltrons!... Vous aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes, dans vos trappes et dans vos robinets que d'accompagner les enfants qui vont chercher l'Oiseau?... |
|||
{{personnage|TOUS}} |
|||
{{didascalie|[à l'exception du Chien et de la Lumière.]}} |
|||
Oui! oui! Tout de suite!... Mon robinet!... Ma huche!... Ma cheminée!... Ma trappe!... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
{{didascalie|[à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa lampe.]}} |
|||
Et toi, la Lumière, qu'en dis-tu?... |
|||
{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
|||
J'accompagnerai les enfants.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[hurlant de joie.]}} |
|||
Moi aussi! moi aussi!... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/41]]== |
|||
LA FÉE}} |
|||
Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer; vous n'avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous.... Mais toi, le Feu, ne t'approche de personne, toi, le Chien, ne taquine pas la Chatte, et toi, l'eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas couler partout.... |
|||
{{didascalie|[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[Écoutant.]}} |
|||
C'est encore papa!... Cette fois, il se lève, je l'entends marcher.... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Sortons par la fenêtre.... Vous viendrez tous chez moi, où j'habillerai convenablement les animaux et les phénomènes.... |
|||
{{didascalie|[Au Pain.]}} |
|||
Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra l'Oiseau-Bleu.... Tu en auras la garde.... Vite, vite, ne perdons pas de temps.... |
|||
{{didascalie|[La fenêtre s'allonge brusquement, comme une porte. Ils sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme primitive et se referme innocemment. La chambre est redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans l'ombre. La porte à droite s'entr'ouvre, et dans l'entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère Tyl.]}} |
|||
{{personnage|LE PÈRE TYL}} |
|||
Ce n'était rien.... C'est le grillon qui chante.... |
|||
{{personnage|LA MÈRE |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/42]]== |
|||
TYL}} |
|||
Tu les vois?... |
|||
{{personnage|LE PÈRE TYL}} |
|||
Bien sûr.... Ils dorment tranquillement.... |
|||
{{personnage|LA MÈRE TYL}} |
|||
Je les entends respirer.... |
|||
{{didascalie|[La porte se referme.]}} |
|||
'''RIDEAU''' |
|||
{{acte|II}} |
|||
{{scène|II}} |
|||
{{Center|''' |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/43]]== |
|||
CHEZ LA FÉE'''}} |
|||
Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée Bérylune. Colonnes de marbre clair à chapiteaux d'or et d'argent, escaliers, portiques, balustrades, etc. |
|||
{{didascalie|[Entrent au fond, à droite, somptueusement habillés, la Chatte, le Sucre et le Feu. Ils sortent d'un appartement d'où émanent des rayons de lumière; c'est la garde-robe de la Fée. La Chatte a jeté une gaze légère sur son maillot de soie noire, le Sucre a revêtu une robe de soie, mi-partie de blanc et de bleu tendre, et le Feu, coiffé d'aigrettes multicolores, un long manteau cramoisi doublé d'or. Ils traversent toute la salle et descendent au premier plan, à droite, où la Chatte les réunit sous un portique.]}} |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Par ici. Je connais tous les détours de ce palais.... La Fée Bérylune l'a hérité de Barbe-Bleue.... Pendant que les enfants et la Lumière rendent visite à la petite fille |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/44]]== |
|||
de la Fée, profitons de notre dernière minute de liberté.... Je vous ai fait venir ici, afin de vous entretenir de la situation qui nous est faite.... Sommes-nous tous présents?... |
|||
{{personnage|LE SUCRE}} |
|||
Voici le Chien qui sort de la garde-robe de la Fée.... |
|||
{{personnage|LE FEU}} |
|||
Comment diable s'est-il habillé?... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Il a pris la livrée d'un des laquais du carrosse de Cendrillon.... C'est bien ce qu'il lui fallait.... Il a une âme de valet.... Mais dissimulons-nous derrière la balustrade.... Je m'en méfie étrangement.... Il vaudrait mieux qu'il n'entende pas ce que j'ai à vous dire.... |
|||
{{personnage|LE SUCRE}} |
|||
C'est inutile.... Il nous a éventés.... Tiens, voilà l'Eau qui sort en même temps de la garde-robe.... Dieu! qu'elle est belle!... |
|||
{{didascalie|[Le Chien et l'Eau rejoignent le premier groupe.]}} |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[gambadant.]}} |
|||
Voilà! voilà!... Sommes-nous beaux! Regardez donc ces dentelles, et puis ces broderies!... C'est de l'or et du vrai!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[à l'Eau.]}} |
|||
C'est la robe «couleur-du-temps» de Peau-d'Âne?... Il me semble que je la connais.... |
|||
{{personnage|L'EAU}} |
|||
Oui, c'est encore ce qui m'allait le mieux.... |
|||
{{personnage|LE FEU}} |
|||
{{didascalie|[ |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/45]]== |
|||
entre les dents.]}} |
|||
Elle n'a pas son parapluie.... |
|||
{{personnage|L'EAU}} |
|||
Vous dites?... |
|||
{{personnage|LE FEU}} |
|||
Rien, rien.... |
|||
{{personnage|L'EAU}} |
|||
Je croyais que vous parliez d'un gros nez rouge que j'ai vu l'autre jour.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Voyons, ne nous querellons pas, nous avons mieux à faire.... Nous n'attendons plus que le Pain: où est-il?... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Il n'en finissait pas de faire de l'embarras pour choisir son costume.... |
|||
{{personnage|LE FEU}} |
|||
C'est bien la peine, quand on a l'air idiot et qu'on porte un gros ventre.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Finalement, il s'est décidé pour une robe turque, ornée de pierreries, un cimeterre et un turban.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Le voilà!... Il a mis la plus belle robe de Barbe-Bleue.... |
|||
{{didascalie|[Entre le Pain, dans le costume qu'on vient de décrire. La robe de soie est péniblement croisée |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/46]]== |
|||
sur son énorme ventre. Il tient d'une main la garde du cimeterre passé dans sa ceinture et de l'autre la cage destinée à l'Oiseau-Bleu.]}} |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
{{didascalie|[se dandidant vaniteusement.]}} |
|||
Eh bien?... Comment me trouvez-vous?... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[gambadant autour du Pain.]}} |
|||
Qu'il est beau! qu'il est bête! qu'il est beau! qu'il est beau!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[au Pain.]}} |
|||
Les enfants sont-ils habillés?... |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge, les bas blancs et la culotte bleue du Petit-Poucet; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a la robe de Grethel et les pantoufles de Cendrillon.... Mais la grande affaire, ç'a été d'habiller la Lumière!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Pourquoi?... |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
La Fée la trouvait si belle qu'elle ne voulait pas l'habiller du tout!... Alors j'ai protesté au nom de notre dignité d'éléments essentiels et éminemment respectables; et j'ai fini par déclarer que, dans ces conditions, je refusais de sortir avec elle.... |
|||
{{personnage|LE FEU}} |
|||
Il fallait lui acheter un abat-jour!... |
|||
{{personn |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/47]]== |
|||
age|LA CHATTE}} |
|||
Et la Fée, qu'a-t-elle répondu?... |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
Elle m'a donné quelques coups de bâton sur la tête et le ventre.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Et alors?... |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
Je fus promptement convaincu, mais au dernier moment, la Lumière s'est décidée pour la robe «couleur-de-lune» qui se trouvait au fond du coffre aux trésors de Peau-d'Ane.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Voyons, c'est assez bavardé, le temps presse.... Il s'agit de notre avenir.... Vous l'avez entendu, la Fée vient de le dire, la fin de ce voyage marquera en même temps la fin de notre vie.... Il s'agit donc de le prolonger autant que possible et par tous les moyens possibles.... Mais il y a encore autre chose; il faut que nous pensions au sort de notre race et à la destinée de nos enfants.... |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
Bravo! bravo!... La Chatte a raison!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Écoutez-moi.... Nous tous ici présents, animaux, choses et éléments, nous possédons une âme que l'homme ne connaît pas encore. C'est pourquoi nous gardons un reste d'indépendance; mais, s'il trouve |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/48]]== |
|||
l'Oiseau-Bleu, il saura tout, il verra tout, et nous serons complètement à sa merci.... C'est ce que vient de m'apprendre ma vieille amie la Nuit, qui est en même temps la gardienne des mystères de la Vie.... Il est donc de notre intérêt d'empêcher à tout prix qu'on ne trouve cet oiseau, fallût-il aller jusqu'à mettre en péril la vie même des enfants.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[indigné.]}} |
|||
Que dit-elle, celle-là?... Répète un peu que j'entende bien ce que c'est? |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
Silence!... Vous n'avez pas la parole!... Je préside l'assemblée.... |
|||
{{personnage|LE FEU}} |
|||
Qui vous a nommé président?... |
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{{personnage|L'EAU}} |
|||
{{didascalie|[au Feu.]}} |
|||
Silence!... De quoi vous mêlez-vous?... |
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{{personnage|LE FEU}} |
|||
Je me mêle de ce qu'il faut.... Je n'ai pas d'observations à recevoir de vous.... |
|||
{{personnage|LE SUCRE}} |
|||
{{didascalie|[conciliant.]}} |
|||
Permettez.... Ne nous querellons point.... L'heure est grave.... Il s'agit avant tout de s'entendre sur les mesures à prendre.... |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
Je partage entièrement l'avis du Sucre et de la Chatte.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
C'est idiot!... Il y a l'Homme, voilà tout!... Il faut |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/49]]== |
|||
lui obéir et faire tout ce qu'il veut!... Il n'y a que ça de vrai.... Je ne connais que lui!... Vive l'Homme!... A la vie, à la mort, tout pour l'Homme!... l'Homme est dieu!... |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
Je partage entièrement l'avis du Chien. |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[au Chien.]}} |
|||
Mais on donne ses raisons.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Il n'y a pas de raisons!... J'aime l'Homme, ça suffit!... Si vous faites quelque chose contre lui, je vous étranglerai d'abord et j'irai tout lui révéler.... |
|||
{{personnage|LE SUCRE}} |
|||
{{didascalie|[intervenant avec douceur.]}} |
|||
Permettez.... N'aigrissons pas la discussion.... D'un certain point de vue, vous avez raison, l'un et l'autre.... Il y a le pour et le contre.... |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
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Je partage entièrement l'avis du Sucre!... |
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{{personnage|LA CHATTE}} |
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Est-ce que tous ici, l'Eau, le Feu, et vous-mêmes le Pain et le Chien, nous ne sommes pas victimes d'une tyrannie sans nom?... Rappelez-vous le temps où, avant la venue du despote, nous errions librement sur la face de la Terre.... l'Eau et le Feu étaient les seuls maîtres du monde; et voyez ce qu'ils sont devenus!... Quant à nous, les chétifs descendants des grands fauves.... Attention!... N'ayons l'air de rien.... Je vois s'avancer la Fée et |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/50]]== |
|||
la Lumière.... La Lumière s'est mise du parti de l'Homme; c'est notre pire ennemie.... Les voici.... |
|||
{{didascalie|[Entrent à droite, la Fée et la Lumière, suivies de Tyltyl et de Mytyl.]}} |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Eh bien?... qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous dans ce coin?... Vous avez l'air de conspirer.... Il est temps de se mettre en route.... Je viens de décider que la Lumière sera votre chef.... Vous lui obéirez tous comme à moi-même et je lui confie ma baguète.... Les enfants visiteront ce soir leurs grand-parents qui sont morts.... Vous ne les accompagnerez pas, par discrétion.... Ils passeront la soirée au sein de leur famille décédée.... Pendant ce temps, vous préparerez tout ce qu'il faut pour l'étape de demain, qui sera longue.... Allons, debout, en route et chacun à son poste!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[hypocritement.]}} |
|||
C'est tout juste ce que je leur disais, Madame la Fée.... Je les exhortais à remplir consciencieusement et courageusement tout leur devoir; malheureusement, le Chien qui ne cessait de m'interrompre.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
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Que dit-elle?... Attends un peu!... |
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{{didascalie|[Il va bondir sur la chatte, mais Tyltyl, qui a prévenu son mouvement, l'arrête d'un geste menaçant.]}} |
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{{personnage| |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/51]]== |
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TYLTYL}} |
|||
A bas, Tylô!... Prends garde; et s'il t'arrive encore une seul fois de.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Mon petit dieu, tu ne sais pas, c'est elle qui.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[le menaçant.]}} |
|||
Tais-toi!... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Voyons, finissons-en.... Que le Pain, ce soir, remette la cage à Tyltyl.... Il est possible que l'Oiseau-Bleu se cache dans le Passé, chez les grands-parents.... En tout cas, c'est une chance qu'il convient de ne point négliger.... Eh bien, le Pain, cette cage?... |
|||
{{personnage|LE PAIN}}, |
|||
{{didascalie|[solennel.]}} |
|||
Un instant, s'il vous plaît, Madame le Fée.... |
|||
{{didascalie|[Comme un orateur qui prend la parole.]}} |
|||
Vous tous, soyez temoins que cette cage d'argent qui me fut confiée par.... |
|||
{{personnage|LA FÉE}}, |
|||
{{didascalie|[l'interrompant]}} |
|||
Assez!... Pas de phrases.... Nous sortirons par là, tandis que les enfants sortiront par ici.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}}, |
|||
{{didascalie|[inquiet.]}} |
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Nous sortirons tout seuls?... |
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{{personnage|MYTYL}} |
|||
J'ai faim!... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Moi aussi!... |
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{{personnage|LA FÉE}} |
|||
{{didascalie|[au |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/52]]== |
|||
Pain.]}} |
|||
Ouvre ta robe turque et donne leur une tranche de ton bon ventre. |
|||
{{didascalie|[Le Pain ouvre sa robe, tire son cimeterre et coupe, à même son gros ventre, deux tartines qu'il offre aux enfants.]}} |
|||
{{personnage|LE SUCRE}} |
|||
{{didascalie|[s'approchant des enfants.]}} |
|||
Permettez-moi de vous offrir en même temps quelques sucres d'orge.... |
|||
{{didascalie|[Il casse un à un les cinq doigts de sa main gauche et les leur présente.}} |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Qu'est-ce qu'il fait?... Il casse tous ses doigts.... |
|||
{{personnage|LE SUCRE}} |
|||
{{didascalie|[engageant.]}} |
|||
Goûtez-les, ils sont excellents.... C'est de vrais sucres d'orge.... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
{{didascalie|[suçant un des doigts.]}} |
|||
Dieu qu'il est bon!... Est-ce que tu en as beaucoup?... |
|||
{{personnage|LE SUCRE}} |
|||
{{didascalie|[modeste.]}} |
|||
Mais qui, tant que je veux.... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Est-ce que ça te fait mal quand tu les casses ainsi?... |
|||
{{personnage|LE SUCRE}} |
|||
Pas du tout.... Au contraire; c'est très avantageux, ils repoussent tout de suite, et de cette façon, j'ai toujours des doigts propres et neufs.... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/53]]== |
|||
LA FÉE}} |
|||
Voyons, mes enfants, ne mangez pas trop de sucre. N'oubliez pas que vous souperez tout à l'heure chez vos grands-parents.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Ils sont ici?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Vous allez les voir à l'instant.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Comment les verrons-nous, puisqu'ils sont morts?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Comment seraient-ils morts puisqu'ils vivent dans votre souvenir?... Les hommes ne savent pas ce secret parce qu'ils savent bien peu de chose; au lieu que toi, grâce au Diamant, tu vas voir que les morts dont on se souvient aussi heureux que s'ils n'étaient point morts.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
La Lumière vient avec nous?... |
|||
{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
|||
Non, il est plus convenable que cela se passe en famille.... J'attendrai ici près pour ne point paraître indiscrète.... Ils ne m'ont pas invitée. |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Par où faut-il aller?... |
|||
{{personnage|LA FÉE}} |
|||
Par là.... Vous êtes au seuil du «Pays du Souvenir». Dès que tu |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/54]]== |
|||
auras tourné le Diamant, tu verras un gros arbre muni d'un écriteau, qui te montrera que tu es arrivé.... Mais n'oubliez pas que vous devez être rentré tous les deux à neuf heures moins le quart.... C'est extrêmement important.... Surtout soyez exacts, car tout serait perdu si vous vous mettiez en retard.... A bientôt.... |
|||
{{didascalie|[Appelant la Chatte, le Chien, la Lumière, etc.]}} |
|||
Par ici.... Et les petits par là.... |
|||
Elle sort à droite avec la Lumière, les animaux, etc., tandis que les enfants sortent à gauche. |
|||
'''RIDEAU''' |
|||
{{scène|III}} |
|||
{{Center|''' |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/55]]== |
|||
LE PAYS DU SOUVENIR'''}} |
|||
Un épais brouillard d'où émerge, à droite, au tout premier plan, le tronc d'un gros chêne muni d'un écriteau. Clarté laiteuse, diffuse, impénétrable. |
|||
{{didascalie|[Tyltyl et Mytyl se trouvent au pied du chêne.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Voici l'arbre!... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Il y a l'écriteau!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Je ne peux pas lire.... Attends, je vais monter sur cette racine.... C'est bien ça.... C'est écrit: «Pays du Souvenir». |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
C'est ici qu'il commence?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Qui, il y a une flèche.... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Eh bien, ou qu'ils sont, bon-papa et bonne-maman? |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/56]]== |
|||
TYLTYL}} |
|||
Derrière le brouillard.... Nous allons voir.... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Je ne vois rien du tout!... Je ne vois plus mes pieds ni mes mains .. |
|||
{{didascalie|[Pleurnichant.]}} |
|||
J'ai froid!... Je ne veux plus voyager.... Je veux rentrer à la maison.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Voyons, ne pleure pas tout le temps, comme l'Eau.... T'es pas honteuse? .. Une grande petite fille!... Regarde, le brouillard se lève déjà.... Nous allons voir ce qu'il y a dedans.... |
|||
{{didascalie|[En effet, la brume s'est mise en mouvement; elle s'allège, s'éclaire, se disperse, s'évapore. Bientôt, dans une lumière de plus en plus transparente, on découvre, sous une voûte de verdure, une riante maisonette de paysan, couverte de plantes grimpantes. Les fenêtres et la porte sont ouvertes. On voit des ruches d'abeilles sous un auvent, des pots de fleurs sur l'appui des croisées, une cage ou dort un merle, etc. Près de la porte un banc, sur lequel sont assis, profondément endormis, un vieux paysan et sa femme, c'est-à-dire le grand-père et la grand'mère de Tyltyl.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[les reconnaissant tout à coup.]}} |
|||
C'est bon-papa et bonne-maman!... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
{{didascalie|[battant des mains.]}} |
|||
Qui! Qui!... C'est eux!... C'est eux!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[ |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/57]]== |
|||
encore un peu méfiant.]}} |
|||
Attention!... On ne sait pas encore s'ils remuent.... Restons derrière l'arbre.... |
|||
{{didascalie|[Grand'maman Tyl ouvre les yeux, lève la tête, s'étire, pousse un soupir, regarde grand-papa Tyl qui lui aussi sort lentement de son sommeil.]}} |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
J'ai idée que nos petits-enfants qui sont encore en vie nous venir voir aujourd'hui.... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Bien sûr, ils pensent à nous; car je me sens tout chose et j'ai des fourmis dans les jambes.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Je crois qu'ils sont tout proches, car des larmes de joie dansent avant mes yeux.... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Non, non; ils sont fort loin... Je me sens encore faible.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Je te dis qu'ils sont là; j'ai déjà toute ma force.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} et {{personnage|MYTYL}} |
|||
{{didascalie|[se précipitant de derrière le chêne. ]}} |
|||
Nous voilà!... Nous voilà!... Bon-papa, bonne-maman!... C'est nous!... C'est nous!... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Là!... Tu vois!... Qu'est-ce que je disais! J'étais sûr qu'ils viendraient aujourd'hui.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/58]]== |
|||
Tyltyl! Mytyl!... C'est toi!... C'est elle!... C'est eux!... |
|||
{{didascalie|[S'efforçant de courir au-devant d'eux.]}} |
|||
Je ne peux pas courir!... J'ai toujours mes rhumatismes! |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
{{didascalie|[accourant de même en clopinant.]}} |
|||
Moi non plus.... Rapport à ma jambe de bois qui remplace toujours celle que j'ai cassée en tombant du gros chêne.... |
|||
{{didascalie|[Les grands-parents et les enfants s'embrassent follement.]}} |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Que tu es grandi et forci, mon Tyltyl!... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
{{didascalie|[caressant les cheveux de Mytyl.]}} |
|||
Et Mytyl!... Regarde donc!... Les beaux cheveux, les beaux yeux!... Et puis, ce qu'elle sent bon!... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Embrassons-nous encore!... Venez sur mes genoux.... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Et moi, je n'aurai rien?... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Non, non.... A moi d'abord.... Comment vont Papa et Maman Tyl?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Fort bien, bonne-maman.... Ils dormaient quand nous sommes sortis.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
{{didascalie|[ |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/59]]== |
|||
les contemplant et les accablant de caresses.]}} |
|||
Mon Dieu, qu'ils sont jolis et bien débarbouillés!... C'est maman qui t'a débarbouillé?... Et tes bas ne sont pas troués!... C'est moi qui les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous pas nous voir plus souvent?... Cela nous fait tant de plaisir!... Voilà des mois et des mois que vous nous oubliez et que nous ne voyons plus personne.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Nous ne pouvions pas, bonne-maman; et c'est grâce à la Fée qu'aujourd'hui.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Nous sommes toujours là, à attendre une petite visite de ceux qui vivent.... Ils viennent si rarement!... La dernière fois que vous êtes venus, voyons, c'était quand donc?... C'était à la Toussaint, quand la cloche de l'église a tinté.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
A la Toussaint?... Nous ne sommes pas sortis ce jour-là, car nous étions fort enrhumés.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Non, mais vous avez pensé à nous.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Oui.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons et nous vous revoyons.... |
|||
{{p |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/60]]== |
|||
ersonnage|TYLTYL}} |
|||
Comment, il suffit que.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Mais voyons, tu sais bien.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Mais non, je ne sais pas.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
{{didascalie|[à Grand'Papa Tyl.]}} |
|||
C'est étonnant, là-haut.... Ils ne savent pas encore.... Ils n'apprennent donc rien?.... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
C'est comme de notre temps.... Les Vivants sont si bêtes quand ils parlent des Autres.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Vous dormez tout le temps?... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Oui, nous dormons pas mal, en attendant qu'une pensée des Vivants nous réveille.... Ah! c'est bien bon de dormir, quand la vie est finie.... Mais il est agréable aussi de s'éveiller de temps en temps.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Alors, vous n'êtes pas morts pour de vrai?... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
{{didascalie|[sursautant.]}} |
|||
Que dis-tu?... Qu'est-ce qu'il dit?... Voilà qu'il emploie des mots que nous ne comprenons plus.... |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/61]]== |
|||
Est-ce que c'est un mot nouveau, une invention nouvelle?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Le mot «mort»?... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Oui; c'était ce mot-là.... Qu'est-ce que ça veut dire?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Mais ça veut dire qu'on ne vit plus.... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Sont-ils bêtes, là-haut!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Est-ce qu'on est bien ici?... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Mais oui; pas mal, pas mal; et même si l'on priait encore.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Papa m'a dit qu'il ne faut plus prier.... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Mais si, mais si.... Prier c'est se souvenir.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous veniez nous voir plus souvent.... Te rappelles-tu, Tyltyl?... La dernière fois, j'avais fait une belle tarte aux pommes.... Tu en as mangé tant et tant que tu t'es fait du mal.... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/62]]== |
|||
TYLTYL}} |
|||
Mais je n'ai pas mangé de tarte aux pommes depuis l'année dernière.... Il n'y a pas eu de pommes cette année.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Ne dis pas de bêtises.... Ici il y en a toujours.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Ce n'est pas la même chose.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Comment? Ce n'est pas la même chose?... Mais tout est la même chose puisqu'on peut s'embrasser.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[regardant tour à tour son grand-père et sa grand'mère.]}} |
|||
Tu n'as pas changé, bon-papa, pas du tout, pas du tout.... Et bonne-maman non plus n'a pas changé du tout.... Mais vous êtes plus beaux.... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Eh! ça ne va pas mal.... Nous ne vieillissons plus.... Mais vous, grandissez-vous!... Ah! oui, vous poussez ferme!... Tenez, là, sur la porte, on voit encore la marque de la dernière fois.... C'était à la Toussaint.... Voyons, tiens-toi bien droit.... |
|||
{{didascalie|[Tyltyl se dresse contre la porte.]}} |
|||
Quatre doigts!... C'est énorme!... |
|||
{{didascalie|[Mytyl se dresse également contre la porte.]}} |
|||
Et Mytyl, quatre et demi!... Ah, ah! la mauvaise graine!... Ce que ça pousse, ce que ça pousse!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[regardant autour de soi avec ravissement.]}} |
|||
Comme tout est bien de même, comme tout est à sa |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/63]]== |
|||
place!... Mais comme tout est plus beau!... Voilà l'horloge avec la grande aiguille dont j'ai cassé la pointe.... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Et voici la soupière que tu as écornée.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Et voilà le trou que j'ai fait à la porte, le jour que j'ai trouvé le vilebrequin.... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Ah oui, tu en as fait des dégâts!... Et voici le prunier où tu aimais tant grimper quand je n'étais pas là.... Il a toujours ses belles prunes rouges.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Mais elles sont bien plus belles!... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Et voici le vieux merle!... Est-ce qu'il chante encore?... |
|||
Le merle se réveille et se met à chanter à tue-tète. |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Tu vois bien.... Dès que l'on pense à lui.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[remarquant avec stupéfaction que le merle est parfaitement bleu.]}} |
|||
Mais il est bleu!... Mais c'est lui, l'Oiseau-Bleu que je dois rapporter à la Fée!... Et vous ne disiez pas que vous l'aviez ici! Oh! qu'il est bleu, bleu, bleu, |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/64]]== |
|||
comme une bille de verre bleu!... |
|||
{{didascalie|[Suppliant.]}} |
|||
Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous me le donner?... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Bien oui, peut-être bien.... Qu'en penses-tu, maman Tyl?... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Bien sûr, bien sûr.... A quoi qu'il sert ici.... Il ne fait que dormir.... On ne l'entend jamais.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Je vais le mettre dans ma cage.... Tiens, où est-elle, ma cage?... Ah! c'est vrai, je l'ai oubliée derrière le gros arbre.... |
|||
{{didascalie|[Il court à l'arbre, rapporte la cage et y enferme le merle.]}} |
|||
Alors, vrai, vous me le donnez pour de vrai?... C'est la Fée qui sera contente!... Et la Lumière donc!... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Tu sais, je n'en réponds pas, de l'oiseau.... Je crains bien qu'il ne puisse plus s'habituer à la vie agitée de là-haut, et qu'il ne revienne ici par le premier bon vent.... Enfin, on verra bien.... Laisse-le là, pour l'instant, et viens donc voir la vache.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[remarquant les ruches.]}} |
|||
Et les abeilles, dis, comment vont-elles?... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Mais elles ne vont pas mal.... Elles ne vivent plus non plus, comme vous dites là-bas; mais elles travaillent ferme.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[ |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/65]]== |
|||
s'approchant des ruches.]}} |
|||
Oh oui!... Ça sent le miel!... Les ruches doivent être lourdes!... Toutes les fleurs sont si belles!... Et mes petites sœurs qui sont mortes, sont-elles ici aussi?... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Et mes trois petits frères qu'on avait enterrés, où sont-ils?... |
|||
{{didascalie|[A ces mots, sept petits enfants de tailles inégales, en flûte de Pan, sortent un à un de la maison.]}} |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Les voici, les voici!... Aussitôt qu'on y pense, aussitôt qu'on en parle, ils sont là, les gaillards!... |
|||
{{didascalie|[Tyltyl et Mytyl courent au-devant des enfants. On se bouscule, on s'embrasse, on danse, on tourbillonne, on pousse des cris de joie.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Tiens, Pierrot!... |
|||
{{didascalie|[Ils se prennent aux cheveux.]}} |
|||
Ah! nous allons nous battre encore comme dans le temps.... Et Robert!... Bonjour, Jean!... Tu n'as plus ta toupie?... Madeleine et Pierrette, Pauline et puis Riquette.... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Oh! Riquette, Riquette!... Elle marche encore à quatre pattes!... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Oui, elle ne grandit plus.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[ |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/66]]== |
|||
remarquant le petit Chien qui jappe autour d'eux.]}} |
|||
Voilà Kiki dont j'ai coupé la queue avec les ciseaux de Pauline.... Il n'a pas changé non plus.... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
{{didascalie|[sentencieux.]}} |
|||
Non, rien ne change ici.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Et Pauline a toujours son bouton sur le nez!... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Oui, il ne s'en va pas; il n'y a rien à faire.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Oh! qu'ils ont bonne mine, qu'ils sont gras et luisants!... Qu'ils ont de belles joues!... Ils ont l'air bien nourris.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Ils se portent bien mieux depuis qu'ils ne vivent plus.... Il n'y a plus rien à craindre, on n'est jamais malade, on n'a plus d'inquiétudes.... |
|||
{{didascalie|[Dans la maison, l'horloge sonne huit heures.]}} |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
{{didascalie|[stupéfaite.]}} |
|||
Qu'est-ce que c'est?... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Ma foi, je ne sais pas.... Ce doit être l'horloge.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Ce n'est pas possible.... Elle ne sonne jamais.... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/67]]== |
|||
GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Parce que nous ne pensons plus à l'heure.... Quelqu'un a-t-il pensé à l'heure?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Oui, c'est moi.... Quelle heure est-il?... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Ma foi, je ne sais plus.... J'ai perdu l'habitude.... Elle a sonné huit coups, ce doit être ce que? là-haut, ils appellent huit heures. |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
La Lumière m'attend à neuf heures moins le quart.... C'est à cause de la Fée.... C'est extrêmement important.... Je me sauve.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Vous n'allez pas nous quitter ainsi au moment du souper!... Vite, vite, dressons la table devant la porte.... J'ai justement une excellente soupe aux choux et une belle tarte aux prunes.... |
|||
{{didascalie|[On sort la table, on la dresse devant la porte, on apporte les plats, les assiettes, etc.... Tous y aident.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Ma foi, puisque j'ai l'Oiseau-Bleu.... Et puis la soupe aux choux, il y a si longtemps!... Depuis que je voyage.... On n'a pas ça dans les hôtels.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Voilà!... C'est déjà fait.... A table, les enfants.... |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/68]]== |
|||
Si vous êtes pressés, ne perdons pas de temps.... |
|||
{{didascalie|[On a allumé la lampe et servi la soupe. Les grands-parents et les enfants s'assoient autour du repas du soir, parmi des bousculades, des bourrades, des cris et des rires de joie.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[mangeant gloutonnement.]}} |
|||
Qu'elle est bonne!... Mon Dieu, qu'elle est donc bonne!... J'en veux encore! encore! |
|||
{{didascalie|[Il brandit sa cuiller de bois et en frappe bruyamment son assiette.]}} |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Voyons, voyons, un peu de calme.... Tu es toujours aussi mal élevé; et tu vas casser ton assiette.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[se dressant à demi sur son escabelle.]}} |
|||
J'en veux encore, encore!... |
|||
{{didascalie|[Il atteint et attire à soi la soupière qui se renverse et se répand sur la table, et de là sur les genoux des convives. Cris et hurlements d'échaudés.]}} |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Tu vois!... Je te l'avais bien dit.... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
{{didascalie|[donnant à Tyltyl une gifle retentissante.]}} |
|||
Voilà pour toi!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[un instant déconcerté, mettant ensuite la main sur la joue, avec ravissement.]}} |
|||
Oh! oui, c'était comme ça, les claques que tu donnais |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/69]]== |
|||
quand tu étais vivant.... Bon-papa, qu'elle est bonne et que ça fait du bien!... Il faut que je t'embrasse!... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Bon, bon; il y en a encore si ça te fait plaisir.... |
|||
{{didascalie|[La demie de huit heures sonne à l'horloge.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[sursautant.]}} |
|||
Huit heures et demie!... |
|||
{{didascalie|[il jette sa cuiller.]}} |
|||
Mytyl, nous n'avons que le temps!... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Voyons!... Encore quelques minutes!... Le feu n'est pas à la maison.... On se voit si rarement.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Non, ce n'est pas possible.... La Lumière est si bonne.... Et je lui ai promis.... Allons, Mytyl, allons!... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Dieu, que les Vivants sont donc contrariants avec toutes leurs affaires et leurs agitations!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[prenant sa cage et embrassant tout le monde en hâte et à la ronde.]}} |
|||
Adieu, Bon-papa.... Adieu, Bonne-maman.... Adieu, frères, sœurs, Pierrot, Robert, Pauline, Madeleine, Riquette, et toi aussi, Kiki! Je sens bien que nous ne pouvons plus rester ici.... Ne pleure pas, Bonne-maman, nous reviendrons souvent.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
Revenez tous les jours!... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/70]]== |
|||
TYLTYL}} |
|||
Oui, oui! nous reviendrons le plus souvent possible.... |
|||
{{personnage|GRAND'MAMAN TYL}} |
|||
C'est notre seule joie, et c'est une telle fête quand votre pensée nous visite!... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
Nous n'avons pas d'autres distractions.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Vite, vite!... Ma cage!... Mon oiseau!... |
|||
{{personnage|GRAND'PAPA TYL}} |
|||
{{didascalie|[lui passant la cage.]}} |
|||
Les voici!... Tu sais, je ne garantis rien; et s'il n'est pas bon teint!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Adieu! adieu!... |
|||
{{personnage|LES FRÈRES ET SŒURS TYL}} |
|||
Adieu, Tyltyl!... Adieu, Mytyl!... Pensez au sucre d'orge!... Adieu!... Revenez!... Revenez!... |
|||
{{didascalie|[Tous agitent des mouchoirs tandis que Tyltyl et Mytyl s'éloignent lentement. Mais déjà, durant les dernières répliques, le brouillard du début s'est graduellement reformé, et le son des voix s'est affaibli, de manière qu'à la fin de la scène, tout a disparu dans la brume et qu'au moment où le rideau baisse, Tyltyl et Mytyl se retrouvent seuls visibles sous le gros chêne.]}} |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/71]]== |
|||
TYLTYL}} |
|||
C'est par ici, Mytyl.... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Où est la Lumière?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Je ne sais pas.... |
|||
{{didascalie|[Regardant l'oiseau dans la cage.]}} |
|||
Tiens! l'oiseau n'est plus bleu!... Il est devenu noir!... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Donne-moi la main, petit frère.... J'ai bien peur et bien froid.... |
|||
{{personnage|'''RIDEAU'''}} |
|||
{{acte|III}} |
|||
{{scène|IV}} |
|||
{{Center|''' |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/72]]== |
|||
LE PALAIS DE LA NUIT'''}} |
|||
Une vaste et prodigieuse salle d'une magnificence austère, rigide, métallique et sépulcrale, donnant l'impression d'un temple grec ou égyptien, dont les colonnes, les architraves, les dalles, les ornements seraient de marbre noir, d'or et d'ébène. La salle est en forme de trapèze. Des degrés de basalte, qui occupent presque toute sa largeur, la divisent en trois plans successifs qui s'élèvent graduellement vers le fond. A droite et à gauche, entre les colonnes, des portes de bronze sombre. Au fond, porte d'airain monumentale. Une lumière diffuse qui semble émaner de l'éclat même du marbre et de l'ébène éclaire seule le palais. |
|||
{{didascalie|[Au lever du rideau, la Nuit, sous la figure d'une très belle femme, couverte de longs vêtements noirs, est assise sur les marches du second plan, entre deux enfants, dont l'un, presque nu, comme l'Amour, sourit dans un profond sommeil, tandis que l'autre se tient debout, immobile et voilé des pieds à la tête. Entre, à droite, au premier plan, la Chatte.]}} |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Qui va là?... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[ |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/73]]== |
|||
se laissant choir avec accablement sur les degrés de marbre.]}} |
|||
C'est moi, mère la Nuit.... Je n'en peux plus.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Qu'as-tu donc, mon enfant?... Tu es pâle, amaigrie et te voilà crottée jusqu'aux moustaches.... Tu t'es encore battue dans les gouttières, sous la neige et la pluie?... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Il est bien question de gouttières!... C'est de notre secret qu'il s'agit!... C'est, le commencement de la fin!... J'ai pu m'échapper un instant pour vous prévenir; mais je crains bien qu'il n'y ait rien à faire.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Quoi?... Qu'est-il donc arrivé?... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Je vous ai déjà parlé du petit Tyltyl, le fils du bûcheron, et du Diamant merveilleux.... Eh bien, il vient ici pour vous réclamer l'Oiseau-Bleu.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Il ne le tient pas encore.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Il le tiendra bientôt, si nous ne faisons pas quelque miracle.... Voici ce qui se passe: la Lumière qui le guide et qui nous trahit tous, car elle s'est mise entièrement du parti de l'Homme, la Lumière vient d'apprendre que l'Oiseau-Bleu, le vrai, le seul qui |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/74]]== |
|||
puisse vivre à la clarté du jour, se cache ici, parmi les oiseaux bleus des songes qui se nourrissent des rayons de lune et meurent dès qu'ils voient le soleil.... Elle sait qu'il lui est interdit de franchir le seuil de votre palais; mais elle y envoie les enfants; et comme vous ne pouvez pas empêcher l'Homme d'ouvrir les portes de vos secrets, je ne sais trop comment tout cela finira.... En tout cas, s'ils avaient le malheur de mettre la main sur le véritable Oiseau-Bleu, nous n'aurions plus qu'à disparaître.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Seigneur, Seigneur!... En quels temps vivons-nous! Je n'ai plus une minute de repos.... Je ne comprends plus l'Homme, depuis quelques années.... Où veut-il en venir?... Il faut donc qu'il sache tout?... Il a déjà saisi le tiers de mes Mystères, toutes mes Terreurs ont peur et n'osent plus sortir, mes Fantômes sont en fuite, la plupart de mes Maladies ne se portent pas bien.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Je sais, ma mère la Nuit, je sais, les temps sont durs, et nous sommes presque seules à lutter contre l'Homme.... Mais je les entends qui s'approchent.... Je ne vois qu'un moyen: comme ce sont des enfants, il faut leur faire une telle peur qu'ils n'oseront pas insister ni ouvrir la grande porte du fond, derrière laquelle se trouvent les oiseaux de la Lune.... Les secrets des autres cavernes suffiront à détourner leur attention ou à les terrifier.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
{{didascalie|[prêtant l'oreille à un bruit du dehors.]}} |
|||
Qu'est-ce que j'entends?... Ils sont donc plusieurs? |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/75]]== |
|||
Ce n'est rien; ce sont nos amis: le Pain et le Sucre; l'Eau est indisposée et le Feu n'a pu venir, parce qu'il est parent de la Lumière.... Il n'y a que le Chien qui ne soit pas pour nous; mais il n'y a jamais moyen de l'écarter.... |
|||
{{didascalie|[Entrent timidement, à droite, au premier plan, Tyltyl, Mytyl, le Pain, le Sucre et le Chien.]}} |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[se précipitant au-devant de Tyltyl.]}} |
|||
Par ici, par ici, mon petit maître.... J'ai prévenu la Nuit qui est enchantée de vous recevoir.... Il faut l'excuser, elle est un peu souffrante; c'est pourquoi elle n'a pu aller au-devant de vous.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Bonjour, madame la Nuit.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
{{didascalie|[froissée.]}} |
|||
Bonjour? Je ne connais pas ça.... Tu pourrais bien me dire: bonne nuit, ou tout au moins: bonsoir.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[mortifié.]}} |
|||
Pardon, madame.... Je ne savais pas.... |
|||
{{didascalie|[Montrant du doigt les deux enfants.]}} |
|||
Ce sont vos deux petits garçons?... Ils sont bien gentils.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Oui, voici le Sommeil.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Pourquoi qu'il est si gros?... |
|||
{{personnage|LA |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/76]]== |
|||
NUIT}} |
|||
C'est parce qu'il dort bien.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Et l'autre qui se cache?... Pourquoi qu'il se voile la figure?... Est-ce qu'il est malade?... Comment c'est qu'il se nomme?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
C'est la sœur du Sommeil.... Il vaut mieux ne pas la nommer.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Pourquoi?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Parce que c'est un nom qu'on n'aime pas à entendre.... Mais parlons d'autre chose.... La Chatte vient de me dire que vous venez ici pour chercher l'Oiseau-Bleu?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Oui, madame, si vous le permettez.... Voulez-vous me dire où il est?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Je n'en sais rien, mon petit ami.... Tout ce que je puis affirmer, c'est qu'il n'est pas ici.... Je ne l'ai jamais vu.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Si, si.... La Lumière m'a dit qu'il est ici; et elle sait ce qu'elle dit, la Lumière.... Voulez-vous me remettre vos clefs?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Mais, mon petit ami, tu comprends |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/77]]== |
|||
bien que je ne puis donner ainsi mes clefs au premier venu.... J'ai la garde de tous les secrets de la Nature, j'en suis responsable et il m'est absolument défendu de les livrer à qui que ce soit, surtout à un enfant.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Vous n'avez pas le droit de les refuser à l'Homme qui les demande.... je le sais.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Qui te l'a dit?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
La Lumière.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Encore la Lumière! et toujours la Lumière!... De quoi se mêle-t-elle à la fin?... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Veux-tu que je les lui prenne de force, mon petit dieu?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Tais-toi, tiens-toi tranquille et tâche d'être poli.... |
|||
{{didascalie|[A la Nuit.]}} |
|||
Voyons, madame, donnez-moi vos clefs, s'il vous plaît.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
As-tu le signe, au moins?... Où est-il?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[touchant son chapeau.]}} |
|||
Voyez le Diamant.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
{{didascalie|[se résignant à l'inévitable.]}} |
|||
Enfin.... Voici celle qui ouvre toutes les portes de la |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/78]]== |
|||
salle.... Tant pis pour toi s'il t'arrive malheur.... Je ne réponds de rien. |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
{{didascalie|[fort inquiet.]}} |
|||
Est-ce que c'est dangereux?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Dangereux?... C'est-à-dire que moi-même je ne sais trop comment je pourrai m'en tirer, lorsque certaines de ces portes de bronze s'ouvriront sur l'abîme.... Il y a là, tout autour de la salle, dans chacune de ces cavernes de basalte, tous les maux, tous les fléaux, toutes les maladies, toutes les épouvantes, toutes les catastrophes, tous les mystères qui affligent la vie depuis le commencement du monde.... J'ai eu assez de mal à les enfermer là avec l'aide du Destin; et ce n'est pas sans peine, je vous assure, que je maintiens un peu d'ordre parmi ces personnages indisciplinés.... On voit ce qu'il arrive lorsque l'un d'eux s'échappe et se montre sur terre.... |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
Mon grand âge, mon expérience et mon dévouement font de moi le protecteur naturel de ces deux enfants; c'est pourquoi, madame la Nuit, permettez-moi de vous poser une question.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Faites.... |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
En cas de danger, par où faut-il fuir?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Il n'y a pas moyen de fuir. |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{ |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/79]]== |
|||
{didascalie|[prenant la clef et montant les premières marches.]}} |
|||
Commençons par ici.... Qu'y a-t-il derrière cette porte de bronze?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Je crois que ce sont les Fantômes.... Il y a bien longtemps que je ne l'ai ouverte et qu'ils ne sont sortis.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[mettant la clef dans la serrure.]}} |
|||
Je vais voir.... |
|||
{{didascalie|[Au Pain]}} |
|||
Avez-vous la cage de l'Oiseau-Bleu?... |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
{{didascalie|[claquant des dénis.]}} |
|||
Ce n'est pas que j'aie peur, mais ne croyez-vous pas qu'il serait préférable de ne pas ouvrir et de regarder par le trou de la serrure?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Je ne vous demande pas votre avis.... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
{{didascalie|[se mettant à pleurer tout à coup.]}} |
|||
J'ai peur!... Où est le Sucre?... Je veux rentrer à la maison!... |
|||
{{personnage|LE SUCRE}} |
|||
{{didascalie|[empressé, obséquieux.]}} |
|||
Ici, mademoiselle, je suis ici.... Ne pleurez pas, je vais couper un de mes doigts pour vous offrir un sucre d'orge.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Finissons-en.... |
|||
{{didascalie|[Il tourne la clef et entr'ouvre prudemment la porte. Aussitôt s'échappent cinq ou six Spectres |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/80]]== |
|||
de formes diverses et étranges qui se répandent de tous cotés. Le Pain épouvanté jette la cage et va se cacher au fond de la salle, pendant que la Nuit, pourchassant les Spectres, crie à Tyltyl : ]}} |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Vite! vite!... Ferme la porte!... Ils s'échapperaient tous et nous ne pourrions plus les rattraper!... Ils s'ennuient là-dedans, depuis que l'Homme ne les prend plus au sérieux.... |
|||
{{didascalie|[Elle pourchasse les Spectres en s'efforçant, à l'aide d'un fouet formé de serpents, de les ramener vers la porte de leur prison.]}} |
|||
Aidez-moi!... Par ici!... Par ici!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[au Chien.]}} |
|||
Aide-la, Tylô, vas-y donc!... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[bondissant en aboyant.]}} |
|||
Oui! oui! oui!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Et le Pain, où est-il?... |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
{{didascalie|[du fond de la salle.]}} |
|||
Ici.... Je suis près de la porte pour les empêcher de sortir.... |
|||
{{didascalie|[Comme un des Spectres s'avance de ce côté, il fuit à toutes jambes, en poussant des hurlements d'épouvante.]}} |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
{{didascalie|[à trois Spectres qu'elle a pris au collet.]}} |
|||
Par ici, vous autres!... |
|||
{{didascalie|[A Tyltyl.]}} |
|||
Rouvre un peu la porte.... |
|||
{{didascalie|[Elle pousse les Spectres dans la caverne.]}} |
|||
Là, ça va bien.... |
|||
{{didascalie|[Le Chien en ramène deux autres.]}} |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/81]]== |
|||
Et encore ceux-ci.... Voyons, vite, rangez-vous.... Vous savez bien que vous ne sortez plus qu'à la Toussaint. |
|||
{{didascalie|[Elle referme la porte.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[allant à une autre porte.]}} |
|||
Qu'y a-t-il derrière celle-ci?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
A quoi bon?... Je te l'ai déjà dit, l'Oiseau-Bleu n'est jamais venu par ici.... Enfin, comme tu voudras.... Ouvre-la si ça te fait plaisir.... Ce sont les Maladies.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[la clef dans la serrure.]}} |
|||
Est-ce qu'il faut prendre garde en ouvrant?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Non, ce n'est pas la peine.... Elles sont bien tranquilles, les pauvres petites.... Elles ne sont pas heureuses.... L'Homme, depuis quelque temps, leur fait une telle guerre!... Surtout depuis la découverte des microbes.... Ouvre donc, tu verras.... |
|||
{{didascalie|[Tyltyl ouvre la porte toute grande. Rien ne paraît.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Elles ne sortent pas?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Je t'avais prévenu, presque toutes sont souffrantes et bien découragées.... Les médecins ne sont pas gentils pour elles.... Entre donc un instant, tu verras.... |
|||
{{didascalie|[Tyltyl entre dans la caverne et ressort aussitôt après.]}} |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/82]]== |
|||
TYLTYL}} |
|||
L'Oiseau-Bleu n'y est pas.... Elles ont l'air bien malades, vos Maladies.... Elles n'ont même pas levé la tête.... |
|||
{{didascalie|[Une petite Maladie, en pantoufles, robe de chambre et bonnet de coton, s'échappe de la caverne et se met à gambader dans la salle.]}} |
|||
Tiens!... Une petite qui s'évade!... Qu'est-ce que c'est?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Ce n'est rien, c'est la plus petite, c'est le Rhume de cerveau.... C'est une de celles qu'on persécute le moins et qui se portent le mieux.... |
|||
{{didascalie|[Appelant le Rhume de cerveau]}} |
|||
Viens ici, ma petite.... C'est trop tôt; il faut attendre le printemps.... |
|||
{{didascalie|[Le Rhume de cerveau, éternuant, toussant et se mouchant, rentre dans la caverne dont Tyltyl referme la porte.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[allant à la porte voisine.]}} |
|||
Voyons donc celle-ci.... Qu'est-ce que c'est?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Prends garde.... Ce sont les Guerres.... Elles sont plus terribles et plus puissantes que jamais.... Dieu sait ce qui arriverait si l'une d'elles s'échappait!... Heureusement, elles sont assez obèses et manquent d'agilité.... Mais tenons-nous prêts à repousser la porte tous ensemble, pendant que tu jetteras un rapide coup d'œil dans la caverne.... |
|||
{{didascalie|[Tyltyl, avec mille précautions, entrebâille la porte de manière qu'il n'y ait qu'une petite fente où il puisse appliquer l'œil. Aussitôt, il s'arc-boute en criant : ]}} |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/83]]== |
|||
TYLTYL}} |
|||
Vite! vite!... Poussez donc!... Elles m'ont vu!... Elles viennent toutes!... Elles ouvrent la porte!... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Allons, tous!... Poussez ferme!... Voyons, le Pain, que faites-vous?... Poussez tous!... Elles ont une force!... Ah! voilà! Ça y est.... Elles cèdent.... Il était temps!... As-tu vu?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Oui, oui!... Elles sont énormes, épouvantables!... Je crois qu'elles n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Bien sûr qu'elles ne l'ont point.... Elles le mangeraient tout de suite.... Eh bien, en as-tu assez?... Tu vois bien qu'il n'y a rien à faire.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Il faut que je voie tout.... La Lumière l'a dit.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
La Lumière l'a dit.... C'est facile à dire quand on a peur et qu'on reste chez soi.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Allons à la suivante.... Qu'est-ce?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Ici, j'enferme les Ténèbres et les Terreurs.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Est-ce qu'on peut ouvrir?... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/84]]== |
|||
LA NUIT}} |
|||
Parfaitement.... Elles sont assez tranquilles; c'est comme les Maladies.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[entr'ouvrant la porte avec une certaine méfiance et risquant un regard dans la caverne.]}} |
|||
Elles n'y sont pas.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
{{didascalie|[regardant à son tour dans la caverne.]}} |
|||
Eh bien, les Ténèbres, que faites-vous?... Sortez donc un instant, ça vous fera du bien, ça vous dégourdira. Et les Terreurs aussi.... Il n'y a rien à Craindre.... |
|||
{{didascalie|[Quelques Ténèbres et quelques Terreurs, sous la figure de femmes couvertes, les premières de voiles noirs, les dernières de voiles verdâtres, risquent piteusement quelques pas hors de la caverne, et, sur un geste qu'ébauche Tyltyl, rentrent précipitamment.]}} |
|||
Voyons, tenez-vous donc.... C'est un enfant, il ne vous fera pas de mal.... |
|||
{{didascalie|[A Tyltyl]}} |
|||
Elles sont devenues extrêmement timides; excepté les grandes, celles que tu vois au fond.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[regardant vers le fond de la caverne.]}} |
|||
Oh! qu'elles sont effrayantes!... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Elles sont enchaînées.... Ce sont les seules qui n'aient pas peur de l'Homme.... Mais referme la porte, de crainte qu'elles ne se fâchent.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[allant à la porte suivante.]}} |
|||
Tiens!... Celle-ci est plus sombre.... Qu'est-ce que c'est?... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/85]]== |
|||
LA NUIT}} |
|||
Il y a plusieurs Mystères derrière celle-ci.... Si tu y tiens absolument, tu peux l'ouvrir aussi.... Mais n'entre pas.... Sois bien prudent, et puis préparons-nous à repousser la porte, comme nous avons fait pour les Guerres.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
[entr'ouvrant avec des précautions inouïes, et passant craintivement la tête dans l'entrebâillement.] |
|||
Oh!... Quel froid!... Mes yeux cuisent!... Fermez vite!... Poussez donc! On repousse!... |
|||
{{didascalie|[La Nuit, le Chien, la Chatte et le Sucre repoussent la porte.]}} |
|||
Oh! j'ai vu!... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Quoi donc?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[bouleversé.]}} |
|||
Je ne sais pas, c'était épouvantable!... Ils étaient tous assis comme des monstres sans yeux.... Quel était le géant qui voulait me saisir?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
C'est probablement le Silence; il a la garde de cette porte.... Il paraît que c'était effrayant?... Tu en es encore tout pâle et tout tremblant.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Oui, je n'aurais pas cru.... Je n'avais jamais vu.... Et j'ai les mains gelées.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Ce sera bien pis tout à l'heure si tu continues.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[allant à la porte suivante.]}} |
|||
Et celle-ci?... Est-elle aussi terrible?... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/86]]== |
|||
LA NUIT}} |
|||
Non, il y a un peu de tout.... J'y mets les Étoiles sans emploi, mes parfums personnels, quelques Lueurs qui m'appartiennent, tels que feux-follets, vers luisants, lucioles; on y serre aussi la Rosée, le Chant des Rossignols, etc.. |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Justement, les Étoiles, le Chant des Rossignols.... Ce doit être celle-là. |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Ouvre-donc si tu veux; tout cela n'est pas bien méchant.... |
|||
{{didascalie|[Tyltyl ouvre la porte toute grande. Aussitôt les Étoiles, sous la forme de belles jeunes filles voilées de lueurs versicolores, s'échappent de leur prison, se répandent dans la salle et forment sur les marches et autour des colonnes de gracieuses rondes baignées d'une sorte de lumineuse pénombre. Les Parfums de la Nuit, presque invisibles, les Feux-follets, les Lucioles, la Rosée transparente se joignent à elles, cependant que le Chant des Rossignols, sortant à flots de la caverne, inonde le palais nocturne.]}} |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
{{didascalie|[ravie, battant des mains.]}} |
|||
Oh! les jolies madames!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Et qu'elles dansent bien!... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Et qu'elles sentent bon!... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/87]]== |
|||
TYLTYL}} |
|||
Et qu'elles chantent bien!... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Qu'est-ce que c'est, ceux-là, qu'on ne voit presque pas?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Ce sont les Parfums de mon ombre.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Et les autres, là-bas, qui sont en verre filé?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
C'est la Rosée des forêts et des plaines.... Mais en voilà assez.... Ils n'en finiraient pas.... C'est le diable de les faire rentrer une fois qu'ils se sont mis à danser.... |
|||
{{didascalie|[Frappant dans ses mains.]}} |
|||
Allons, vite, les Étoiles!... Ce n'est pas le moment de danser.... Le ciel est couvert, il y a de gros nuages.... Allons, vite, rentrez tous, sinon j'irai chercher un rayon de soleil.... |
|||
{{didascalie|[Fuite épouvantée des Étoiles, Parfums, etc...., qui se précipitent dans la caverne que l'on referme sur eux. En même temps s'éteint le Chant des Rossignols.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[allant à la porte du fond.]}} |
|||
Voici la grande porte du milieu.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
{{didascalie|[gravement.]}} |
|||
N'ouvre pas celle-ci.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Pourquoi?... |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/88]]== |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Parce que c'est défendu.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
C'est donc là que se cache l'Oiseau-Bleu; la Lumière me l'a dit.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
{{didascalie|[maternelle.]}} |
|||
Écoute-moi, mon enfant.... J'ai été bonne et complaisante.... J'ai fait pour toi ce que je n'avais fait jusqu'ici pour personne.... Je t'ai livré tous mes secrets.... Je t'aime bien, j'ai pitié de ta jeunesse et de ton innocence et je te parle comme une mère.... Écoute-moi et crois-moi, mon enfant, renonce, ne va point plus avant, ne tente pas le Destin, n'ouvre pas cette porte.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[assez ébranlé.]}} |
|||
Mais pourquoi?... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Parce que je ne veux pas que tu te perdes.... Parce que nul de ceux, entends-tu, nul de ceux qui l'ont entr'ouverte, ne fût-ce que de l'épaisseur d'un cheveu, n'est revenu vivant à la lumière du jour.... Parce que tout ce qu'on peut imaginer d'épouvantable, parce que toutes les terreurs, toutes les horreurs dont on parle sur terre, ne sont rien, comparées à la plus innocente de celles qui assaillent un homme dès que son œil effleure les premières menaces de l'abîme auquel personne n'ose donner un nom.... C'est au point que moi-même, si tu t'obstines, malgré tout, à toucher cette porte, je te demanderai d'attendre que je sois à |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/89]]== |
|||
l'abri dans ma tour sans fenêtres.... Maintenant c'est à toi de savoir, à toi de réfléchir.... |
|||
{{didascalie|[Mytyl, tout en larmes, pousse des cris de terreur inarticulés et cherche à entraîner Tyltyl.]}} |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
{{didascalie|[claquant des dents.]}} |
|||
Ne le faites pas, mon petit maître!... |
|||
{{didascalie|[Se jetant à genoux.]}} |
|||
Ayez pitié de nous!... Je vous le demande à genoux.... Vous voyez que la Nuit a raison.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
C'est notre vie à tous que vous sacrifiez.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Je dois l'ouvrir.... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
{{didascalie|[trépignant parmi des sanglots.]}} |
|||
Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Que le Sucre et le Pain prennent Mytyl par la main et se sauvent avec elle.... Je vais ouvrir.... |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Sauve qui peut!... Venez vite!... Il est temps!... |
|||
{{didascalie|[Elle fuit.]}} |
|||
{{personnage|LE PAIN}} |
|||
{{didascalie|[fuyant éperdument.]}} |
|||
Attendez au moins que nous soyons au bout de la salle!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[fuyant également.]}} |
|||
Attendez!... attendez!... |
|||
Ils se cachent derrière les colonnes à l'autre bout de la salle. Tyltyl reste seul avec le Chien, près de la porte monumentale. |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[ |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/90]]== |
|||
haletant et hoquetant d'épouvante contenue.]}} |
|||
Moi, je reste, je reste.... Je n'ai pas peur.... Je reste!... Je reste près de mon petit dieu.... Je reste!... Je reste.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[caressant le Chien.]}} |
|||
C'est bien, Tylô, c'est bien!... Embrasse-moi.... Nous sommes deux.... Maintenant gare à nous!... |
|||
{{didascalie|[Il met la clef dans la serrure. Un cri d'épouvante part de l'autre bout de la salle où se sont réfugiés les fuyards. A peine la clef a-t-elle touché la porte que les hauts ballants de celle-ci s'ouvrent par le milieu, glissent latéralement et disparaissent, à droite et à gauche, dans l'épaisseur des murs, découvrant tout à coup, irréel, infini, ineffable, le plus inattendu des jardins de rêve et de lumière nocturne, où, parmi les étoiles et les planètes, illuminant tout ce qu'ils touchent, volant sans cesse de pierreries en pierreries, de rayons de lune en rayons de lune, de féeriques oiseaux bleus évoluent perpétuellement et harmonieusement jusqu'aux confins de l'horizon, innombrables au point qu'ils semblent être le souffle, l'atmosphère azurée, la substance même du jardin merveilleux. Tyltyl, ébloui, éperdu, debout dans la lumière du jardin.]}} |
|||
Oh!... le ciel!... |
|||
{{didascalie|[Se tournant vers ceux qui ont fui.]}} |
|||
Venez vite!... Ils sont là!... C'est eux! c'est eux! c'est eux!...Nous les tenons enfin!... Des milliers d'oiseaux bleus! Des millions!... Des milliards!... Il y en aura trop!... Viens, Mytyl!... Viens, Tylô!... Venez tous!... Aidez-moi!... |
|||
{{didascalie|[S'élançant parmi les oiseaux.]}} |
|||
On les prend à pleines mains!... Ils ne sont pas farouches!... Ils n'ont pas peur de nous!... Par ici! par ici!... |
|||
{{didascalie|[Mytyl et les autres accourent. Ils entrent tous dans le jardin éblouissant, hormis la Nuit et la Chatte.]}} |
|||
Vous voyez!... Ils sont trop!... Ils viennent |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/91]]== |
|||
dans mes mains!... Regardez donc, ils mangent les rayons de la lune!... Mytyl, où donc es-tu?... Il y a tant d'ailes bleues, tant de plumes qui tombent qu'on n'y voit plus du tout!... Tylô! ne les mord pas.... Ne leur fais pas de mal!... Prends-les très doucement! |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
{{didascalie|[enveloppée d'oiseaux bleus.]}} |
|||
J'en ai déjà pris sept!... Oh! qu'ils battent des ailes!... Je ne puis les tenir!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Moi non plus!... J'en ai trop!... Ils s'échappent!... Ils reviennent!... Tylô en a aussi!... Ils vont nous entraîner!... nous porter dans le ciel!... Viens, sortons par ici!... La Lumière nous attend!... Elle sera contente!... Par ici, par ici!... |
|||
{{didascalie|[Ils s'évadent du jardin, les mains pleines d'oiseaux qui se débattent, et, traversant toute la salle parmi l'affolement des ailes azurées, sortent à droite, par où ils sont entrés, suivis du Pain et du Sucre qui n'ont pas pris d'oiseaux. Restés seuls, la Nuit et la Chatte remontent vers le fond et regardent anxieusement dans le jardin.]}} |
|||
{{personnage|LA NUIT}} |
|||
Ils ne l'ont pas?... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Non.... Je le vois là sur ce rayon de lune.... Ils n'ont pas pu l'atteindre, il se tenait trop haut.... |
|||
{{didascalie|[Le rideau tombe. Aussitôt après, devant le rideau tombé, entrent simultanément, à gauche la |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/92]]== |
|||
Lumière, à droite Tyltyl, Mytyl et le Chien, accourant tout couverts des oiseaux qu'ils viennent de capturer. Mais déjà ceux-ci paraissent inanimés et, la tête pendante et les ailes brisées, ne sont plus dans leurs mains que d'inertes dépouilles.]}} |
|||
{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
|||
Eh bien, l'avez-vous-pris?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Oui, oui!... Tant qu'on voulait.... Il y en a des milliers!... Les voici!... Les vois-tu!... |
|||
{{didascalie|[Regardant les oiseaux qu'il tend vers la Lumière et s'apercevant qu'ils sont morts.]}} |
|||
Tiens!... Ils ne vivent plus.... Qu'est-ce qu'on leur a fait?... Les tiens aussi, Mytyl?... Ceux de Tylô aussi. |
|||
{{didascalie|[Jetant avec colère les cadavres d'oiseaux.]}} |
|||
Ah! non, c'est trop vilain!... Qui est-ce qui les a tués?... Je suis trop malheureux!... |
|||
{{didascalie|[Il se cache la tête sous le bras et paraît tout secoué de sanglots.]}} |
|||
{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
|||
{{didascalie|[le serrant maternellement dans ses bras.]}} |
|||
Ne pleure pas, mon enfant.... Tu n'as pas pris celui qui peut vivre en plein jour.... Il est allé ailleurs.... Nous le retrouverons.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[regardant les oiseaux morts.]}} |
|||
Est-ce qu'on peut les manger?... |
|||
{{didascalie|[Ils sortent tous à gauche.]}} |
|||
{{scène|V}} |
|||
{{Center|''' |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/93]]== |
|||
LA FORÊT'''}} |
|||
Une forêt. Il fait nuit. Clair de lune. Vieux arbres de diverses espèces, notamment: un chêne, un hêtre, un orme, un peuplier, un sapin, un cyprès, un tilleur, un marronnier, etc. |
|||
{{didascalie|[Entre la Chatte.]}} |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[saluant les arbres à la ronde.]}} |
|||
Salut à tous les arbres!... |
|||
{{personnage|MURMURE DES FEUILLAGES}} |
|||
Salut!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
C'est un grand jour que ce jour-ci!... Notre ennemi vient délivrer vos énergies et se livrer lui-même.... C'est Tyltyl, le fils du bûcheron qui vous a fait tant de mal.... Il cherche l'Oiseau-Bleu que vous cachez à l'Homme depuis le commencement du monde, et qui sait seul notre secret.... |
|||
{{didascalie|[Murmure dans les feuilles.]}} |
|||
Vous dites?... Ah! c'est le Peuplier qui parle.... Oui, il possède un Diamant qui a la vertu de délivrer un instant nos esprits; il peut nous forcer à livrer l'Oiseau-Bleu, et nous serons dès lors, définitivement, à la merci de l'Homme.... |
|||
{{didascalie|[Murmure dans les feuilles.]}} |
|||
Qui parle?... Tiens! c'est le Chêne.... Comment allez-vous?... |
|||
{{didascalie|[Murmure dans les feuilles du Chêne.]}} |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/94]]== |
|||
Toujours enrhumé?... La Réglisse ne vous soigne plus?... Toujours les rhumatismes?... Croyez-moi, c'est à cause de la mousse; vous en mettez trop sur vos pieds.... L'Oiseau-Bleu est toujours chez vous?... |
|||
{{didascalie|[Murmures dans les feuilles du Chêne.]}} |
|||
Vous dites?... Oui, il n'y a pas à hésiter, il faut en profiter, il faut qu'il disparaisse.... |
|||
{{didascalie|[Murmure dans les feuilles.]}} |
|||
Plaît-il?... Oui, il est avec sa petite sœur; il faut qu'elle meure aussi.... |
|||
{{didascalie|[Murmure dans les feuilles.]}} |
|||
Oui, le Chien les accompagne; il n'y a pas moyen de l'éloigner.... |
|||
{{didascalie|[Murmure dans les feuilles.]}} |
|||
Vous dites?... Le corrompre?... Impossible.... J'ai essayé de tout.... |
|||
{{didascalie|[Murmures parmi les feuilles.]}} |
|||
Ah! c'est toi, le Sapin?... Oui, prépare quatre planches.... Oui, il y a encore le Feu, le Sucre, l'Eau, le Pain.... Ils sont tous avec nous, excepté le Pain qui est assez douteux.... Seule la Lumière est favorable à l'Homme; mais elle ne viendra pas.... J'ai fait croire aux petits qu'ils devaient s'échapper en cachette pendant qu'elle dormait.... L'occasion est unique.... |
|||
{{didascalie|[Murmure dans les feuilles.]}} |
|||
Tiens! c'est la voix du Hêtre!... Oui, vous avez raison; il faut que l'on prévienne les Animaux.... Le Lapin a-t-il son tambour?... Il est chez vous?... Bien, qu'il batte le rappel, tout de suite.... Les voici!... |
|||
{{didascalie|[On entend s'éloigner les roulements de tambour du Lapin. Entrent Tyltyl, Mytyl et le Chien.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
C'est ici?... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}}, |
|||
{{didascalie|[obséquieuse, doucereuse, empressé se précipitant au-devant des enfants.]}} |
|||
Ah! voilà, mon petit maître!... Que vous avez |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/95]]== |
|||
bonne mine et que vous êtes joli, ce soir!... Je vous ai précédé pour annoncer votre arrivée.... Tout va bien. Cette fois nous tenons l'Oiseau-Bleu, j'en suis sûre.... Je viens d'envoyer le Lapin battre le rappel afin de convoquer les principaux Animaux du pays.... On les entend déjà dans le feuillage.... Écoutez!... Ils sont un peu timides et n'osent approcher.... |
|||
{{didascalie|[Bruits d'animaux divers, tels que vaches, porcs, chevaux, ânes, etc. Bas à Tyltyl, le prenant à part.]}} |
|||
Mais pourquoi avez-vous amené le Chien?... Je vous l'ai déjà dit, il est au plus mal avec tout le monde, même avec les arbres.... Je crains bien que sa présence odieuse ne fasse tout manquer.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Je n'ai pu m'en débarasser.... |
|||
{{didascalie|[Au Chien, la menaçant]}} |
|||
Veux-tu bien t'en aller, vilaine bête!... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Qui?... Moi!... Pourquoi?... Qu'est-ce que j'ai fait?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Je te dis de t'en aller!... On n'a que faire de toi, c'est bien simple.... Tu nous embêtes à la fin!... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Je ne dirai rien.... Je suivrai de loin.... On ne me verra pas.... Veux-tu que je fasse le beau?... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[bas, à Tyltyl.]}} |
|||
Vous tolérez pareille désobéissance?... Donnez-lui donc quelques coups de bâton sur le nez, il est vraiment insupportable!... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/96]]== |
|||
TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[battant le Chien.]}} |
|||
Voilà qui t'apprendra à obéir plus vite!... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[hurlant.]}} |
|||
Aïe! Aïe! Aïe!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Qu'en dis-tu?... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Il faut que je t'embrasse puisque tu m'as battu!... |
|||
{{didascalie|[Il embrasse et caresse violemment Tyltyl.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Voyons.... C'est, bien.... Ça suffit.... Va-t'en!... |
|||
{{personnage|MYTYL}} |
|||
Non, non; je veux qu'il reste.... J'ai peur de tout quand il n'est pas là.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[bondissant et renversant presque Mytyl, qu'il accable de caresses précipitées et enthousiastes.]}} |
|||
Oh! la bonne petite fille!... Qu'elle est belle! Qu'elle est bonne!... Qu'elle est belle, qu'elle est douce!... Il faut que je l'embrasse! Encore! encore! encore!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Quel idiot!... Ma foi, nous verrons bien.... Ne perdons pas de temps.... Tournez le Diamant.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Où faut-il me placer? |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/97]]== |
|||
Dans ce rayon de lune; vous y verrez plus clair.... Là! tournez doucement.... |
|||
{{didascalie|[Tyltyl tourne le Diamant; aussitôt, un long frémissement agite les branches et les feuilles. Les troncs les plus anciens et les plus imposants s'entr'ouvrent pour livrer passage à l'âme que chacun d'eux renferme. L'aspect de ces âmes diffère suivant l'aspect et le caractère de l'arbre qu'elles représentent. Celle de l'Orme, par exemple, est une sorte de gnome poussif, ventru, bourru; celle du Tilleul est placide, familière, joviale: celle du Hêtre, élégante et agile; celle du Bouleau, blanche, réservée, inquiète; celle du Saule, rabougrie, échevelée, plaintive; celle du Sapin, longue, efflanquée, taciturne; celle du Cyprès, tragique; celle du Marronnier, prétentieuse, un peu snob; celle du Peuplier, allègre, encombrante, bavarde. Les unes sortent lentement de leur tronc, engourdies, s'étirant, comme après une captivité ou un sommeil séculaire, les autres s'en dégagent d'un bond, alertes, empressées, et toutes viennent se ranger autour des deux enfants, tout en se tenant autant que possible à proximité de l'arbre dont elles sont nées.]}} |
|||
{{personnage|LE PEUPLIER}} |
|||
{{didascalie|[accourant le premier et criant à tue-tête.]}} |
|||
Des Hommes!... De petits Hommes!... On pourra leur parler!... C'est fini le Silence!... C'est fini!... D'où viennent-ils?... Qui est-ce?... Qui sont-ils?... |
|||
{{didascalie|[Au Tilleul |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/98]]== |
|||
qui s'avance en fumant tranquillement sa pipe.]}} |
|||
Les connais-tu, toi, père Tilleul?... |
|||
{{personnage|LE TILLEUL}} |
|||
Je ne me rappelle pas les avoir vus.... |
|||
{{personnage|LE PEUPLIER}} |
|||
Mais si, voyons, mais si!... Tu connais tous les Hommes, tu es toujours à te promener autour de leurs maisons.... |
|||
{{personnage|LE TILLEUL}} |
|||
{{didascalie|[examinant les enfants.]}} |
|||
Mais non, je vous assure.... Je ne les connais pas.... Ils sont encore trop jeunes.... Je ne connais bien que les amoureux qui viennent me voir au clair de lune; ou les buveurs de bière qui trinquent sous mes branches.... |
|||
{{personnage|LE MARRONNIER}} |
|||
{{didascalie|[pincé, ajustant son monocle.]}} |
|||
Qu'est-ce que c'est que ça?... C'est des pauvres de la campagne?... |
|||
{{personnage|LE PEUPLIER}} |
|||
Oh! vous, monsieur le Marronnier, depuis que vous ne fréquentez plus que les boulevards des grandes villes.... |
|||
{{personnage|LE SAULE}} |
|||
{{didascalie|[s'avançant en sabots et geignard.]}} |
|||
Mon Dieu, mon Dieu!... Ils viennent encore me couper la tête et les bras pour en faire des fagots!... |
|||
{{personnage|LE PEUPLIER}} |
|||
Silence!... Voici le Chêne qui sort de son palais!... |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/99]]== |
|||
Il a l'air bien souffrant ce soir.... Ne trouvez-vous pas qu'il vieillit?... Quel âge peut-il avoir?... Le Sapin dit qu'il a quatre mille ans; mais je suis sûre qu'il exagère.... Attention, il va nous dire ce que c'est.... |
|||
{{didascalie|[Le Chêne s'avance lentement. Il est fabuleusement vieux, couronné de gui et vêtu d'une longue robe verte brodée de mousse et de lichen. Il est aveugle, sa barbe blanche flotte au vent. Il s'appuie d'une main sur un bâton noueux et de l'autre sur un jeune Chêneau qui lui sert de guide. L'Oiseau-Bleu est perché sur son épaule. À son approche, mouvement de respect parmi les arbres qui se rangent et s'inclinent.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Il a l'Oiseau-Bleu!... Vite! vite!... Par ici!... Donnez-le-moi!... |
|||
{{personnage|LES ARBRES}} |
|||
Silence!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[à Tyltyl.]}} |
|||
Découvrez-vous, c'est le Chêne!... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
{{didascalie|[à Tyltyl.]}} |
|||
Qui es-tu?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Tyltyl, monsieur.... Quand est-ce que je pourrai prendre l'Oiseau-Bleu?... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
Tyltyl, le fils du bûcheron?... |
|||
{{perso |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/100]]== |
|||
nnage|TYLTYL}} |
|||
Oui, monsieur.... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
Ton père nous a fait bien du mal.... Dans ma seule famille il a mis à mort six cents de mes fils, quatre cent soixante-quinze oncles et tantes, douze cents cousins et cousines, trois cent quatre-vingts brus et douze mille arrière-petits-fils!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Je ne sais pas, monsieur.... Il ne l'a pas fait exprès.... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
Que viens-tu faire ici, et pourquoi as-tu fait sortir nos âmes de leurs demeures?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir dérangé.... C'est la Chatte qui m'a dit que vous alliez nous dire où se trouve l'Oiseau-Bleu.... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
Oui, je sais, tu cherches l'Oiseau-Bleu, c'est-à-dire le grand secret des choses et du bonheur, pour que les Hommes rendent plus dur encore notre esclavage.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Mais non, monsieur; c'est pour la petite fille de la Fée Bérylune qui est très malade.... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
{{didascalie|[lui imposant le silence.]}} |
|||
Il suffit!... Je n'entends pas les Animaux.... Où |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/101]]== |
|||
sont-ils?... Tout ceci les intéresse autant que nous.... Il ne faut pas que nous, les Arbres, assumions seuls la responsabilité des mesures graves qui s'imposent.... Le jour où les Hommes apprendront que nous avons fait ce que nous allons faire, il y aura d'horribles représailles.... Il convient donc que notre accord soit unanime, pour que notre silence le soit également.... |
|||
{{personnage|LE SAPIN}} |
|||
{{didascalie|[regardant par-dessus les autres arbres.]}} |
|||
Les Animaux arrivent.... Ils suivent le Lapin.... Voici l'âme du Cheval, du Taureau, du Bœuf, de la Vache, du Loup, du Mouton, du Porc, du Coq, de la Chèvre, de l'Âne et de l'Ours.... |
|||
{{didascalie|[Entrée successive des âmes des Animaux qui, à mesure que les énumère le Sapin, s'avancent et vont s'asseoir entre les arbres, à l'exception de l'âme de la Chèvre qui vagabonde çà et là, et de celle du Porc qui fouille les racines.]}} |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
Tous sont-ils ici présents?... |
|||
{{personnage|LE LAPIN}} |
|||
La Poule ne pouvait pas abandonner ses œufs, le Lièvre faisait des courses, le Cerf a mal aux cornes, le Renard est souffrant, voici le certificat du médecin, l'Oie n'a pas compris et le Dindon s'est mis en colère.... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
Ces abstentions sont extrêmement regrettables.... Néanmoins, nous sommes en nombre suffisant.... Vous savez, mes frères, de quoi il est question. L'enfant |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/102]]== |
|||
que voici, grâce à un talisman dérobé aux puissances de la Terre, peut s'emparer de notre Oiseau-Bleu, et nous arracher ainsi le secret que nous gardons depuis l'origine de la Vie.... Or, nous connaissons assez l'Homme pour n'avoir aucun doute sur le sort qu'il nous réserve lorsqu'il se trouvera en possession de ce secret. C'est pourquoi il me semble que toute hésitation serait aussi stupide que criminelle.... L'heure est grave; il faut que l'enfant disparaisse avant qu'il soit trop tard.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Que dit-il?... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[rôdant autour du Chêne en montrant ses crocs.] }} |
|||
As-tu vu mes dents, vieux perclus?... |
|||
{{personnage|LE HÊTRE}} |
|||
{{didascalie|[indigné.] }} |
|||
Il insulte le Chêne!... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
C'est le Chien?... Qu'on l'expulse! Il ne faut pas que nous tolérions un traître parmi nous!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[bas, à Tyltyl.]}} |
|||
Éloignez le Chien.... C'est un malentendu.... Laissez-moi faire, j'arrangerai les choses.... Mais éloignez-le au plus vite.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[au Chien.]}} |
|||
Veux-tu t'en aller!... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Laisse-moi donc lui déchirer ses pantoufles de mousse à ce vieux goutteux-là!... On va rire!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/103]]== |
|||
Tais-toi donc!... Et va-t'en!... Mais va-t'en, vilaine bête!... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Bon, bon, on s'en ira.... Je reviendrai quand tu auras besoin de moi.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[bas, à Tyltyl.]}} |
|||
Il serait plus prudent de l'enchaîner, sinon il fera des bêtises; les Arbres se fâcheront, et tout cela finira mal.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Comment faire?... J'ai égaré sa laisse.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Voici tout juste le Lierre qui s'avance avec de solides liens.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[grondant.]}} |
|||
Je reviendrai, je reviendrai!... Podagre! bronchiteux!... Tas de vieux rabougris, tas de vieilles racines!...C'est la Chatte qui mène tout!... Je lui revaudrai ça!... Qu'as-tu donc à chuchoter ainsi, Judas, Tigre, Bazaine!... Wa, wa! wa!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Vous voyez, il insulte tout le monde.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
C'est vrai, il est insupportable et l'on ne s'entend plus.... Monsieur le Lierre, voulez-vous l'enchaîner?... |
|||
{{personnage|LE LIERRE}} |
|||
{{didascalie|[ |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/104]]== |
|||
s'approchant assez craintivement du Chien.]}} |
|||
Il ne mordra pas?... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[grondant.]}} |
|||
Au contraire! au contraire!... Il va bien t'embrasser!... Attends, tu vas voir ça!... Approche, approche donc, tas de vieilles ficelles!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[le menaçant du bâton.]}} |
|||
Tylô!... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[rampant aux pieds de Tyltyl en agitant la queue.]}} |
|||
Que faut-il faire, mon petit dieu?... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Te coucher, à plat ventre!... Obéis au Lierre.... Laisse-toi garotter, sinon.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[grondant entre les dents pendant que le Lierre le garotte.]}} |
|||
Ficelle!... Corde à pendus!... Laisse à veaux!... Chaîne à porcs!... Mon petit dieu, regarde.... Il me tord les pattes.... Il m'étrangle!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Tant pis!... Tu l'as voulu!... Tais-toi, tiens-toi tranquille, tu es insupportable!... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
C'est égal, tu as tort.... Ils ont de vilaines intentions.... Mon petit dieu, prends garde!... Il me ferme la bouche!... Je ne peux plus parler!... |
|||
{{personnage|LE LIERRE}} |
|||
{{dida |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/105]]== |
|||
scalie|[qui a ficelé le Chien comme un paquet.]}} |
|||
Où faut-il le porter?... Je l'ai bien bâillonné.... il ne souffle plus mot.... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
Qu'on l'attache solidement là-bas, derrière mon tronc, à ma grosse racine.... Nous verrons ensuite ce qu'il convient d'en faire.... |
|||
{{didascalie|[Le Lierre aidé du Peuplier porte le Chien derrière le tronc du Chêne]}} |
|||
Est-ce fait?... Bien, maintenant que nous voilà débarrassés de ce témoin gênant et de ce renégat, délibérons selon notre justice et notre vérité.... Mon émotion, je ne vous le cache point, est profonde et pénible.... C'est la première fois qu'il nous est donné de juger l'Homme et de lui faire sentir notre puissance.... Je ne crois pas qu'après le mal qu'il nous a fait, après les monstrueuses injustices que nous avons subies, il reste le moindre doute sur la sentence qui l'attend.... |
|||
{{personnage|TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX}} |
|||
Non! Non! Non!... Pas de doute!... La pendaison!... La mort!... Il y a trop d'injustice!... Il a trop abusé!... Il y a trop longtemps!... Qu'on l'écrase! Qu'on le mange!... Tout de suite!... Tout de suite!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[à la Chatte.]}} |
|||
Qu'ont-ils donc?... Ils ne sont pas contents?... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Ne vous inquiétez pas.... Ils sont un peu fâchés à cause que le Printemps est en retard.... Laissez-moi faire, j'arrangerai tout ça.... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/106]]== |
|||
Cette unanimité était inévitable.... Il s'agit à présent de savoir, pour éviter les représailles, quel genre de supplice sera le plus pratique, le plus commode, le plus expéditif et le plus sûr; celui qui laissera le moins de traces accusatrices lorsque les Hommes retrouveront les petits corps dans la forêt.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Qu'est-ce que c'est que tout ça?... Où veut-il en venir?... Je commence à en avoir assez.... Puisqu'il a l'Oiseau-Bleu, qu'il le donne.... |
|||
{{personnage|LE TAUREAU}} |
|||
{{didascalie|[s'avançant.]}} |
|||
Le plus pratique et le plus sûr, c'est un bon coup de corne au creux de l'estomac. Voulez-vous que je fonce?... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
Qui parle ainsi?... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
C'est le Taureau. |
|||
{{personnage|LA VACHE}} |
|||
Il ferait mieux de se tenir tranquille.... Moi, je ne m'en mêle pas.... J'ai à brouter toute l'herbe de la prairie qu'on voit là-bas, dans le bleu de la lune.... J'ai trop à faire.... |
|||
{{personnage|LE BŒUF}} |
|||
Moi aussi. D'ailleurs, j'approuve tout d'avance.... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/107]]== |
|||
LE HÊTRE}} |
|||
Moi, j'offre ma plus haute branche pour les pendre.... |
|||
{{personnage|LE LIERRE}} |
|||
Et moi le nœud coulant.... |
|||
{{personnage|LE SAPIN}} |
|||
Et moi les quatre planches pour la petite boîte.... |
|||
{{personnage|LE CYPRÈS}} |
|||
Et moi la concession à perpétuité.... |
|||
{{personnage|LE SAULE}} |
|||
Le plus simple serait de les noyer dans une de mes rivières.... Je m'en charge.... |
|||
{{personnage|LE TILLEUL}} |
|||
{{didascalie|[conciliant.]}} |
|||
Voyons, voyons.... Est-il bien nécessaire d'en venir à ces extrémités? Ils sont encore bien jeunes.... On pourrait tout bonnement les empêcher de nuire en les retenant prisonniers dans un clos que je me charge de construire en me plantant tout autour.... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
Qui parle ainsi?... Je crois reconnaître la voix mielleuse du Tilleul.... |
|||
{{personnage|LE SAPIN}} |
|||
En effet.... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
Il y a donc un renégat parmi nous, comme parmi les Animaux?... |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/108]]== |
|||
Jusqu'ici, nous n'avions à déplorer que la défection des Arbres fruitiers; mais ceux-ci ne sont pas de véritables Arbres.... |
|||
{{personnage|LE PORC}} |
|||
{{didascalie|[roulant de petits yeux gloutons.]}} |
|||
Moi, je pense qu'il faut d'abord manger la petite fille.... Elle doit être bien tendre.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Que dit-il celui-là?... Attends un peu, espèce de.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
Je ne sais ce qu'ils ont; mais cela prend mauvaise tournure.... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
Silence!... Il s'agit de savoir qui de nous aura l'honneur de porter le premier coup; qui écartera de nos cimes le plus grand danger que nous ayons couru depuis la naissance de l'Homme.... |
|||
{{personnage|LE SAPIN}} |
|||
C'est à vous, notre roi et notre patriarche, que revient cet honneur.... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
C'est le Sapin qui parle?... Hélas! je suis trop vieux! Je suis aveugle, infirme, et mes bras engourdis ne m'obéissent plus.... Non, c'est à vous, mon frère, toujours vert, toujours droit, c'est à vous, qui vîtes naître la plupart de ces Arbres, qu'échoit, à mon défaut, la gloire du noble geste de notre délivrance.... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/109]]== |
|||
LE SAPIN}} |
|||
Je vous remercie, mon vénérable père.... Mais comme j'aurai déjà l'honneur d'ensevelir les deux victimes, je craindrais d'éveiller la juste jalousie de mes collègues; et je crois qu'après nous, le plus ancien et le plus digne, celui qui possède la meilleure massue, c'est le Hêtre.... |
|||
{{personnage|LE HÊTRE}} |
|||
Vous savez que je suis vermoulu et que ma massue n'est point sûre.... Mais l'Orme et le Cyprès ont de puissantes armes.... |
|||
{{personnage|L'ORME}} |
|||
Je ne demanderais pas mieux; mais je puis à peine me tenir debout.... Une taupe, cette nuit, m'a retourné le gros orteil.... |
|||
{{personnage|LE CYPRÈS}} |
|||
Quant à moi, je suis prêt.... Mais, comme mon bon frère le Sapin, j'aurai déjà, sinon le privilège de les ensevelir, tout au moins l'avantage de pleurer sur leur tombe.... Ce serait illégitimement cumuler.... Demandez au Peuplier.... |
|||
{{personnage|LE PEUPLIER}} |
|||
A moi?... Y pensez-vous?... Mais mon bois est plus tendre que la chair d'un enfant!... Et puis, je ne sais ce que j'ai.... Je tremble de fièvre.... Regardez donc mes feuilles.... J'ai dû prendre froid ce matin au lever du soleil.... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
{{didascalie|[éclatant d'indignation.]}} |
|||
Vous avez peur de l'Homme!... Même ces petits enfants isolés et sans armes vous inspirent la terreur mystérieuse qui fit toujours de nous les esclaves que |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/110]]== |
|||
nous sommes!... Eh bien, non! C'est assez!... Puisqu'il en est ainsi, puisque l'heure est unique, j'irai seul, vieux, perclus, tremblant, aveugle, contre l'ennemi héréditaire!... Où est-il?... |
|||
{{didascalie|[Tâtonnant de son bâton, il s'avance vers Tyltyl.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[tirant son couteau de sa poche.]}} |
|||
C'est à moi qu'il en a, ce vieux-là, avec son gros bâton?... |
|||
{{didascalie|[Tous les autres Arbres, poussant un cri d'épouvante à la vue du couteau, l'arme mystérieuse et irrésistible de l'Homme, s'interposent et retiennent le Chêne.]}} |
|||
{{personnage|LES ARBRES}} |
|||
Le couteau!... Prenez garde!.... Le couteau!... |
|||
{{personnage|LE CHÊNE}} |
|||
{{didascalie|[se débattant.]}} |
|||
Laissez-moi!... Que m'importe!... Le couteau ou la hache!... Qui me retient?... Quoi! vous êtes tous ici?... Quoi! vous tous vous voulez?... |
|||
{{didascalie|[Jetant son bâton]}} |
|||
Eh bien, soit!... Honte à nous!... Que les Animaux nous délivrent!... |
|||
{{personnage|LE TAUREAU}} |
|||
C'est cela!... Je m'en charge!... Et d'un seul coup de corne!... |
|||
{{personnage|LE BŒUF et LA VACHE}} |
|||
{{didascalie|[le retenant par la queue.]}} |
|||
De quoi te mêles-tu?...Ne fais pas de bêtises!... C'est une mauvaise affaire!... Cela finira mal.... C'est nous qui trinquerons.... Laisse donc.... C'est affaire aux Animaux sauvages.... |
|||
{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/111]]== |
|||
LE TAUREAU}} |
|||
Non, non!... C'est mon affaire!... Attendez!... Mais retenez-moi donc ou je fais un malheur!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[à Mytyl qui pousse des cris aigus.]}} |
|||
N'aie pas peur!... Mets-toi derrière moi.... J'ai mon couteau.... |
|||
{{personnage|LE COQ}} |
|||
C'est qu'il est crâne, le petit!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Alors, c'est décidé, c'est à moi qu'on en veut?... |
|||
{{personnage|L'ÂNE}} |
|||
Mais bien sûr, mon petit, tu y a mis le temps, à t'en apercevoir!... |
|||
{{personnage|LE PORC}} |
|||
Tu peux faire ta prière, va, c'est ta dernière heure. Mais ne cache pas la petite fille.... Je veux m'en régaler les yeux.... C'est elle que je mangerai la première.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Qu'est-ce que je vous ai fait?... |
|||
{{personnage|LE MOUTON}} |
|||
Rien du tout, mon petit.... Mangé mon petit frère, mes deux sœurs, mes trois oncles, ma tante, bon-papa, bonne-maman.... Attends, attends, quand tu seras par terre, tu verras que j'ai des dents aussi.... |
|||
{{personnage|L'ÂNE}} |
|||
Et que j'ai des sabots!... |
|||
{{personnage|LE CHEVAL}} |
|||
{{didascalie|[piaffant |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/112]]== |
|||
fièrement.]}} |
|||
Vous allez voir ce que vous allez voir!... Aimez-vous mieux que je le déchire à belles dents ou que je vous l'abatte à coups de pied?... |
|||
{{didascalie|[Il s'avance magnifiquement sur Tyltyl qui lui fait face en levant son couteau. Tout à coup, le Cheval, pris de panique, tourne le dos et fuit à toutes jambes.]}} |
|||
Ah! mais non!... Ce n'est pas juste!... Ce n'est pas de jeu!... Il se défend!... |
|||
{{personnage|LE COQ}} |
|||
{{didascalie|[ne pouvant cacher son admiration.]}} |
|||
C'est égal, le petit n'a pas froid aux yeux!... |
|||
{{personnage|LE PORC}}, |
|||
{{didascalie|[à l'Ours et au Loup.]}} |
|||
Précipitons-nous tous ensemble.... Je vous soutiendrai par derrière.... Nous les renverserons et nous nous partagerons la petite fille quand elle sera par terre.... |
|||
{{personnage|LE LOUP}} |
|||
Amusez-les par là.... Je vais faire un mouvement tournant.... |
|||
{{didascalie|[Il tourne Tyltyl qu'il attaque par derrière et renverse à demi.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Judas!... |
|||
{{didascalie|[Il se redresse sur un genou, brandissant son couteau et couvrant de son mieux sa petite sœur qui pousse des hurlements de détresse. Le voyant à demi renversé, tous les Animaux et les Arbres se rapprochent et cherchent à lui porter des coups. L'obscurité se fait subitement. Éperdument, Tyltyl appelle à l'aide.]}} |
|||
A moi! A moi!... Tylô! Tylô!... Où est la Chatte? |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/113]]== |
|||
... Tylô!... Tylette! Tylette!... Venez! venez!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[hypocritement, à l'écart.]}} |
|||
Je ne peux pas.... Je viens de me fouler la patte.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[parant les coups et se défendant de son mieux.]}} |
|||
A moi!... Tylô! Tylô!... Je ne peux plus!... Ils sont trop!... L'Ours! le Cochon! le Loup! l'Âne! le Sapin! le Hêtre!... Tylô! Tylô! Tylô!... |
|||
{{didascalie|[Traînant ses liens brisés, le Chien bondit de derrière le tronc du Chêne et, bousculant Arbres et Animaux, se jette devant Tyltyl qu'il détend avec rage.]}} |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[tout en distribuant d'énormes coups de dent.]}} |
|||
Voilà! voilà! mon petit dieu!... N'aie pas peur! Allons-y!... J'ai de bons coups de gueule!... Tiens, voilà pour toi, l'Ours, là dans ton gros derrière!...Voyons, qui en veut encore?... Voilà pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue du Taureau! Voilà! j'ai déchiré la culotte du Hêtre et le jupon du Chêne!... Le Sapin f.... le camp!... C'est égal, il fait chaud!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[accablé.]}} |
|||
Je n'en peux plus!... Le Cyprès m'a donné un grand coup sur la tête.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Aïe! c'est un coup du Saule!... Il m'a cassé la patte!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/114]]== |
|||
Ils reviennent à la charge! Tous ensemble!... Cette fois, c'est le Loup!... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Attends, que je l'étrenne!... |
|||
{{personnage|LE LOUP}} |
|||
Imbécile!... Notre frère!... Ses parents ont noyé tes petits!... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Ils ont bien fait!... Tant mieux!... C'est qu'ils te ressemblaient!... |
|||
{{personnage|TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX}} |
|||
Renégat!... Idiot!... Traître! Félon! Nigaud!... Judas!... Laisse-le! C'est la mort! Viens à nous! |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[ivre d'ardeur et de dévouement.]}} |
|||
Non! non!... Seul contre tous!... Non, non!... Fidèle aux dieux! aux meilleurs! aux plus grands!... |
|||
{{didascalie|[À Tyltyl.]}} |
|||
Prends garde, voici l'Ours!... Méfie-toi du Taureau.... Je vais lui sauter à la gorge.... Aïe!... C'est un coup de pied.... L'Âne m'a cassé deux dents.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Je ne peux plus, Tylô!... Aïe!... C'est un coup de l'Orme.... Regarde, ma main saigne.... C'est le Loup ou le Porc.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Attends, mon petit dieu.... Laisse-moi t'embrasser. Là, un bon coup de langue.... Ça te fera du bien.... |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/115]]== |
|||
Reste bien derrière moi.... Ils n'osent plus approcher.... Si!... Les voilà qui reviennent!... Ah! ce coup, c'est sérieux!... Tenons ferme!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[se laissant tomber sur le sol.]}} |
|||
Non, ce n'est plus possible.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
On vient!... J'entends, je flaire!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Où donc?... Qui donc?... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Là! là!... C'est la Lumière!... Elle nous a retrouvés!... Sauvés, mon petit roi!... Embrasse-moi!... Sauvés!... regarde!... Ils se méfient!... Ils s'écartent!... Ils ont peur!... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
La Lumière!... La Lumière!... Venez donc!... Hâtez-vous!... Ils se sont révoltés!... Ils sont tous contre nous!... |
|||
{{didascalie|[Entre la Lumière: à mesure qu'elle s'avance, l'Aurore se lève sur la forêt qui s'éclaire.]}} |
|||
{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
|||
Qu'est-ce donc?... Qu'y a-t-il?...Mais, malheureux! tu ne savais donc pas!... Tourne le Diamant! Ils rentreront dans le Silence et dans l'Obscurité; et tu ne verras plus leurs sentiments.... |
|||
{{didascalie|[Tyltyl tourne le Diamant. Aussitôt les âmes de tous les Arbres se précipitent dans les troncs |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/116]]== |
|||
qui se referment. Les âmes des Animaux disparaissent également; et l'on voit, au loin, brouter une Vache et un Mouton paisibles, etc. La Forêt redevient innocente. Étonné, Tyltyl regarde autour de soi.]}} |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Où sont-ils?... Qu'avaient-ils?... Est-ce qu'ils étaient fous?... |
|||
{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
|||
Mais non, ils sont toujours ainsi; mais on ne le sait pas parce qu'on ne le voit pas.... Je te l'avais bien dit: il est dangereux de les réveiller quand je ne suis pas là.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
{{didascalie|[essuyant son couteau.]}} |
|||
C'est égal; sans le Chien et si je n'avais pas eu mon couteau.... Je n'aurais jamais cru qu'ils fussent si méchants!... |
|||
{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
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Tu vois bien que l'Homme est tout seul contre tous, en ce monde.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Tu n'as pas trop de mal, mon petit dieu?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Rien de grave.... Quant à Mytyl, ils ne l'ont pas touchée.... Mais toi, mon bon Tylô?... Tu as la bouche en sang, et ta patte est cassée?... |
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{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Pas la peine d'en parler.... Demain, il n'y paraîtra plus.... Mais l'affaire était chaude!... |
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{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[ |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/117]]== |
|||
sortant d'un fourré en boitant.]}} |
|||
Je crois bien!... Le Bœuf m'a donné un coup de corne dans le ventre.... On n'en voit pas la trace, mais il me fait bien mal.... Et le Chêne m'a cassé la patte.... |
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{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
J'aimerais bien savoir laquelle.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
|||
{{didascalie|[caressant la Chatte.]}} |
|||
Ma pauvre Tylette, est-ce vrai?... Où donc te trouvais-tu?... Je ne t'ai pas aperçue.... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[hypocritement.]}} |
|||
Petite mère, j'ai été blessée tout de suite, en attaquant le vilain Porc qui voulait te manger.... C'est alors que le Chêne m'a donné ce grand coup qui m'a étourdie.... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
{{didascalie|[à la Chatte, entre les dents.]}} |
|||
Toi, tu sais, j'ai deux mots à te dire.... Tu ne perdras rien pour attendre!... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[plaintivement, à Mytyl.]}} |
|||
Petite mère, il m'insulte.... Il veut me faire du mal.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
|||
{{didascalie|[au Chien.]}} |
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Veux-tu bien la laisser tranquille, vilaine bête.... |
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{{didascalie|[Ils sortent tous.]}} |
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'''RIDEAU''' |
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{{acte|IV}} |
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{{scène|VI}} |
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{{Center|''' |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/118]]== |
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DEVANT LE RIDEAU'''}} |
|||
{{didascalie|[Entrent Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, le Chat, le Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.]}} |
|||
{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
|||
J'ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui m'apprend que l'Oiseau-Bleu se trouve probablement ici.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Où ça?... |
|||
{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
|||
Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mur.... Il paraît qu'un des morts de ce cimetière le cache dans la tombe.... Reste à savoir lequel.... Il faudra qu'on les passe en revue.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
En revue?... Comment qu'on fera?... |
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{{personnage| |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/119]]== |
|||
LA LUMIÈRE}} |
|||
C'est bien simple : à minuit, pour ne pas trop les déranger, tu tourneras le Diamant. On les verra sortir de terre; ou bien on apercevra au fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Ils ne seront pas fâchés?... |
|||
{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
|||
Nullement, ils ne s'en douteront même pas.... Ils n'aiment pas qu'on les dérange; mais comme de toutes façons ils ont coutume de sortir à minuit, cela ne les gênera pas.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont si pâles et pourquoi qu'ils ne disent rien?... |
|||
{{personnage|LE LAIT}} |
|||
{{didascalie|[chancelant.]}} |
|||
Je sens que je vais tourner.... |
|||
{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
|||
{{didascalie|[bas, à Tyltyl.]}} |
|||
Ne fais pas attention.... Ils ont peur des morts.. |
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{{personnage|LE FEU}} |
|||
{{didascalie|[gambadant.]}} |
|||
Moi, je n'en ai pas peur!... J'ai l'habitude de les brûler.... Dans le temps, je les brûlais tous; c'était bien plus amusant qu'aujourd'hui.... |
|||
{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Et pourquoi Tylô tremble-t-il?... Est-ce qu'il a peur aussi? |
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{{personnage|LE CHIEN}} |
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{{didascalie|[ |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/120]]== |
|||
claquant des dents.]}} |
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Moi?... Je ne tremble pas!... Moi, je n'ai jamais peur; mais si tu t'en allais, je m'en irais aussi.... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Et la Chatte ne dit rien?... |
|||
{{personnage|LA CHATTE}} |
|||
{{didascalie|[mystérieuse.]}} |
|||
Je sais ce que c'est.... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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{{didascalie|[à la Lumière.]}} |
|||
Tu viendras avec nous?... |
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{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
|||
Non, il est préférable que je reste à la porte du cimetière avec les Choses et les Animaux.... L'heure n'est pas venue.... La Lumière ne peut pas encore pénétrer chez les morts.... Je vais te laisser seul avec Mytyl.... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Et Tylô ne peut pas rester avec-nous?... |
|||
{{personnage|LE CHIEN}} |
|||
Si, si, je reste, je reste ici.... Je veux rester près de mon petit dieu!... |
|||
{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
|||
C'est impossible.... L'ordre de la Fée est formel; du reste, il n'y a rien à craindre.... |
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{{personnage| |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/121]]== |
|||
LE CHIEN}} |
|||
Bien, bien, tant pis.... S'ils sont méchants, mon petit dieu, tu n'as qu'à faire comme ça. |
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{{didascalie|[il siffle.]}} |
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Et tu verras.... Ce sera comme dans la forêt: Wa! Wa! Wa!... |
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{{personnage|LA LUMIÈRE}} |
|||
Allons, adieu, mes chers petits.... Je ne serai pas loin.... |
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{{didascalie|[Elle embrasse les enfants.]}} |
|||
Ceux qui m'aiment et que j'aime me retrouvent toujours.... [Aux Choses et aux Animaux.] Vous autres.... par ici. |
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{{didascalie|[Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s'ouvre pour découvrir le septième tableau.]}} |
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{{scène|VII}} |
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{{Center|''' |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/122]]== |
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LE CIMETIÈRE'''}} |
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Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne. Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois, dalles funéraires, etc. |
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{{didascalie|[Tyltyl et Mytyl sont debout près d'un cippe.]}} |
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{{personnage|MYTYL}} |
|||
J'ai peur. |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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{{didascalie|[assez peu rassuré.]}} |
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Moi, je n'ai jamais peur.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
|||
C'est méchant, les morts, dis?.. |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Mais non, puisqu'ils ne vivent pas.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Tu en as déjà vu?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Oui, une fois, dans le temps, lorsque j'étais très jeune.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
|||
Comment c'est fait, dis?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/123]]== |
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C'est tout blanc, très tranquille et très froid, et ça ne parle pas.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
|||
Nous allons les voir, dis?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Bien sûr, puisque la Lumière l'a promis.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Où c'est qu'ils sont, les morts?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres. |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Ils sont là toute l'année?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Oui. |
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{{personnage|MYTYL}} |
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{{didascalie|[montrant les dalles.]}} |
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C'est les portes de leurs maisons?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Oui. |
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{{personnage|MYTYL}} |
|||
Est-ce qu'ils sortent quand il fait beau?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Ils ne peuvent sortir qu'à la nuit.... |
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{{pers |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/124]]== |
|||
onnage|MYTYL}} |
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Pourquoi?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Parce qu'ils sont en chemise.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Est-ce qu'ils sortent aussi quand il pleut? |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Quand il pleut, ils restent chez eux.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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C'est beau chez eux, dis?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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On dit que c'est fort étroit.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Est-ce qu'ils ont des petits enfants?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Bien sûr; ils ont tous ceux qui meurent.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Et de quoi vivent-ils?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Ils mangent des racines.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Est-ce que nous les verrons?... |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/125]]== |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Bien sûr, puisqu'on voit tout quand le Diamant est tourné. |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Et qu'est-ce qu'ils diront?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Ils ne diront rien, puisqu'ils ne parlent pas.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Pourquoi qu'ils ne parlent pas?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Parce qu'ils n'ont rien à dire.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Pourquoi qu'ils n'ont rien à dire?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
|||
Tu m'embêtes.... |
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{{didascalie|[Un silence.]}} |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Quand tourneras-tu le Diamant?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Tu sais bien que la Lumière a dit d'attendre à minuit, parce qu'alors on les dérange moins.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Pourquoi qu'on les dérange moins?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/126]]== |
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Parce que c'est l'heure où ils sortent prendre l'air. |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Il n'est pas minuit?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Vois-tu le cadran de l'église?... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Oui, je vois même la petite aiguille.... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Et bien! minuit va sonner.... Là!... Tout juste.... Entends-tu?... |
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{{didascalie|[On entend sonner les douze coups de minuit.]}} |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Je veux m'en aller!... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Ce n'est pas le moment.... Je vais tourner le Diamant.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Non, non!... Ne le fais pas!... Je veux m'en aller!... J'ai si peur, petit frère!... J'ai terriblement peur!... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Mais il n'y a pas de danger.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Je ne veux pas voir les morts!... Je ne veux pas les voir!... |
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{{personnage| |
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==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/127]]== |
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TYLTYL}} |
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C'est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les yeux.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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{{didascalie|[s'accrochant aux vêtements de Tyltyl.]}} |
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Tyltyl, je ne peux pas!... Non, ce n'est pas possible!... Ils vont sortir de terre!... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Ne tremble pas ainsi.... Ils ne sortiront qu'un moment.... |
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{{personnage|MYTYL}} |
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Mais tu trembles aussi, toi!... Ils seront effrayants!... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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Il est temps, l'heure passe.... |
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{{didascalie|[Tyltyl tourne le Diamant. Une terrifiante minute de silence et d'immobilité; après quoi, lentement, les croix chancellent, les tertres s'entr'ouvrent, les dalles se soulèvent.]}} |
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{{personnage|MYTYL}} |
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{{didascalie|[se blottissant contre Tyltyl.]}} |
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Ils sortent!... Ils sont là!... |
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{{didascalie|[Alors, de toutes les tombes béantes monte graduellement une floraison d'abord grêle et timide comme une vapeur d'eau, puis blanche et virginale et de plus en plus touffue, de plus en plus haute, surabondante et merveilleuse, qui peu à peu, irrésistiblement, envahissant toutes choses, transforme le cimetière en une sorte de jardin féerique et nuptial, sur lequel ne tardent pas à |
|||
==[[Page:Maeterlinck-L'oiseau bleu-1909.djvu/128]]== |
|||
se lever les premiers rayons de l'aube. La rosée scintille, les fleurs s'épanouissent, le vent murmure dans les feuilles, les abeilles bourdonnent, les oiseaux s'éveillent et inondent l'espace des premières ivresses de leurs hymnes au soleil et à la vie. Stupéfaits, éblouis, Tyltyl et Mytyl, se tenant par la main, font quelques pas parmi les fleurs en cherchant la trace des tombes.]}} |
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{{personnage|MYTYL}} |
|||
{{didascalie|[cherchant dans le gazon.]}} |
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Où sont-ils, les morts?... |
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{{personnage|TYLTYL}} |
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{{didascalie|[cherchant de même.]}} |
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Il n'y a pas de morts.... |
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'''RIDEAU''' |
Version du 6 juin 2018 à 12:24
LA MÈRE TYL
TYLTYL
MYTYL
LA FÉE
LE PAIN
LE FEU
L'EAU
LE LAIT
LE SUCRE
LE CHIEN
LE CHAT
LA LUMIÈRE
LES HEURES
LE PÈRE TYL
GRAND'MÈRE TYL
GRAND-PÈRE TYL
PIERROT
ROBERT
JEANNETTE
MADELEINE
PIERRETTE
PAULINE
RIQUETTE
LA NUIT
LE SOMMEIL
LA MORT
LE RHUME DE CERVEAU
LES ENFANTS BLEUS
LE ROI DES NEUF PLANÈTES
L'AMOUREUX
L'AMOUREUSE
LE TEMPS
LE PETIT FRÈRE A NAITRE
LES GARDIENNES
LE CHEF DES GROS BONHEURS
LES AUTRES BONHEURS
LES PETITS BONHEURS
LES ADOLESCENTS
LE CHEF DES BONHEURS
LES BONHEURS DE SE BIEN PORTER
LES BONHEURS DES HEURES DE SOLEIL
LA JOIE D'ÊTRE JUSTE
L'AMOUR MATERNEL
LES JOIES INCONNUES
LA VOISINE BERLINGOT
SA PETITE FILLE
ACTE PREMIER
Tableau I
LA MAISON DU BÛCHERON
Le théâtre représente l’intérieur d’une cabane de bûcheron, simple, rustique, mais non point misérable. — Cheminée à manteau où s’assoupit un feu de bûches. — Ustensiles de cuisine, armoire, huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc. — Sur une table, une lampe allumée. — Au pied de l’armoire, de chaque côté de celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et un Chat. — Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et bleu. Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une tourterelle. — Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs sont fermés. — Sous l’une des fenêtres, un escabeau. — À gauche, la porte d’entrée de la maison, munie d’un gros loquet. — À droite, une autre porte. — Échelle menant à un grenier. — Également à droite deux petits lits d’enfant, au chevet desquels, sur deux chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés.
Mytyl ?
Tyltyl ?
Tu dors ?
Et toi ?…
Mais non, je dors pas puisque je te parle…
C’est Noël, dis ?…
Pas encore ; c’est demain. Mais le petit Noël n’apportera rien cette année…
Pourquoi ?…
J’ai entendu maman qui disait qu’elle n’avait pu aller à la ville pour le prévenir… Mais il viendra l’année prochaine…
C’est long, l’année prochaine ?…
Ce n’est pas trop court… Mais il vient cette nuit chez les enfants riches…
Ah ?…
Tiens !… Maman a oublié la lampe !… J’ai une idée ?…
?…
Nous allons nous lever…
C’est défendu…
Puisqu’il n’y a personne… Tu vois les volets ?…
Oh ! qu’ils sont clairs !…
C’est les lumières de la fête.
Quelle fête ?
En face, chez les petits riches. C’est l’arbre de Noël. Nous allons les ouvrir…
Est-ce qu’on peut ?
Bien sûr, puisqu’on est seuls… Tu entends la musique ?… Levons-nous… (Les deux enfants se lèvent, courent à l’une des fenêtres, montent sur l’escabeau et poussent les volets. Une vive clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent avidement au dehors.)
On voit tout !…
sur l’escabeau.
Je vois pas…
Il neige !… Voilà deux voitures à six chevaux !…
Il en sort douze petits garçons !…
T’es bête !… C’est des petites filles…
Ils ont des pantalons…
Tu t’y connais… Ne me pousse pas ainsi !…
Je t’ai pas touché.
Tu prends toute la place…
Mais j’ai pas du tout de place !…
Tais-toi donc, on voit l’arbre !…
Quel arbre ?…
Mais l’arbre de Noël !… Tu regardes le mur !…
Je regarde le mur parce qu’y a pas de place…
Là !… En as-tu assez ?… C’est-y pas la meilleure ?… Il y en a des lumières ! Il y en a !…
Qu’est-ce qu’ils font donc ceux qui font tant de bruit ?…
Ils font de la musique.
Est-ce qu’ils sont fâchés ?…
Non, mais c’est fatigant.
Encore une voiture avec des chevaux blancs !…
Tais-toi !… Regarde donc !…
Qu’est-ce qui pend comme ça, en or, après les branches ?…
Mais les jouets, pardi !… Des sabres, des fusils, des soldats, des canons…
Et des poupées, dis, est-ce qu’on en a mis ?…
Des poupées ?… C’est trop bête ; ça ne les amuse pas…
Et autour de la table, qu’est-ce que c’est tout ça ?…
C’est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème…
J’en ai mangé une fois, lorsque j’étais petite…
Moi aussi ; c’est meilleur que le pain, mais on en a trop peu…
Ils n’en ont pas trop peu… Il y en a plein la table… Est-ce qu’ils vont les manger ?…
Bien sûr ; qu’en feraient-ils ?…
Pourquoi qu’ils ne les mangent pas tout de suite ?…
Parce qu’ils n’ont pas faim…
Ils n’ont pas faim ?… Pourquoi ?…
C’est qu’ils mangent quand ils veulent…
Tous les jours ?…
On le dit…
Est-ce qu’ils mangeront tout ?… Est-ce qu’ils en donneront ?…
À qui ?…
À nous…
Ils ne nous connaissent pas…
Si on leur demandait ?…
Cela ne se fait pas.
Pourquoi ?…
Parce que c’est défendu.
Oh ! qu’ils sont donc jolis !…
Et ils rient et ils rient !…
Et les petits qui dansent !…
Oui, oui, dansons aussi !… (Ils trépignent de joie sur l’escabeau.)
Oh ! que c’est amusant !…
On leur donne les gâteaux !… Ils peuvent y toucher !… Ils mangent ! ils mangent ! ils mangent !…
Les plus petits aussi !… Ils en ont deux, trois, quatre !…
Oh ! c’est bon !… Que c’est bon ! que c’est bon !…
Moi, j’en ai reçu douze !…
Et moi quatre fois douze !… Mais je t’en donnerai…
Qu’est-ce que c’est ?…
C’est papa !…
(Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se soulever de lui-même, en grinçant ; la porte s’entre-bâille pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et coiffée d’un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse, borgne ; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche courbée sur un bâton. Il n’est pas douteux que ce ne soit une fée.)
Avez-vous ici l’herbe qui chante ou l’oiseau qui est bleu ?…
Nous avons de l’herbe, mais elle ne chante pas…
Tyltyl a un oiseau.
Mais je ne peux pas le donner…
Pourquoi ?…
Parce qu’il est à moi.
C’est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau ?…
Dans la cage…
Je n’en veux pas ; il n’est pas assez bleu. Il faudra que vous alliez me chercher celui dont j’ai besoin.
Mais je ne sais pas où il est…
Moi non plus. C’est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la rigueur me passer de l’herbe qui chante ; mais il me faut absolument l’oiseau bleu. C’est pour ma petite fille qui est très malade.
Qu’est-ce qu’elle a ?…
On ne sait pas au juste ; elle voudrait être heureuse…
Ah ?…
Savez-vous qui je suis ?…
Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot…
En aucune façon… Il n’y a aucun rapport… C’est abominable !… Je suis la Fée Bérylune…
Ah ! très bien…
Il faudra partir tout de suite.
Vous viendrez avec nous ?…
C’est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j’ai mis ce matin et qui s’empresse de déborder chaque fois que je m’absente plus d’une heure… (Montrant successivement le plafond, la cheminée et la fenêtre.) Voulez-vous sortir par ici, par là ou par là ?…
J’aimerais mieux sortir par là…
C’est absolument impossible, et c’est une habitude révoltante !… (Désignant la fenêtre.) Nous sortirons par là… Eh bien !… Qu’attendez-vous ?… Habillez-vous tout de suite… (Les enfants obéissent et s’habillent rapidement.) Je vais aider Mytyl…
Nous n’avons pas de souliers…
Ça n’a pas d’importance. Je vais vous donner un petit chapeau merveilleux. Où sont donc vos parents ?…
Ils sont là ; ils dorment…
Et votre bon-papa et votre bonne-maman ?…
Ils sont morts…
Et vos petits frères et vos petites sœurs… Vous en avez ?…
Oui, oui ; trois petits frères…
Et quatre petites sœurs…
Où sont-ils ?…
Ils sont morts aussi…
Voulez-vous les revoir ?…
Oh oui !… Tout de suite !… Montrez-les !…
Je ne les ai pas dans ma poche… Mais ça tombe à merveille ; vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C’est sur la route de l’Oiseau-Bleu. Tout de suite à gauche, après le troisième carrefour. Que faisiez-vous quand j’ai frappé ?…
Nous jouions à manger des gâteaux.
Vous avez des gâteaux ?… Où sont-ils ?
Dans le palais des enfants riches… Venez voir, c’est si beau !…
Mais ce sont les autres qui les mangent !…
Oui ; mais puisqu’on voit tout…
Tu ne leur en veux pas ?…
Pourquoi ?…
Parce qu’ils mangent tout. Je trouve qu’ils ont grand tort de ne pas t’en donner…
Mais non, puisqu’ils sont riches… Hein ? que c’est beau chez eux !…
Ce n’est pas plus beau que chez toi.
Heu !… Chez nous c’est plus noir, plus petit, sans gâteaux…
C’est absolument la même chose ; c’est que tu n’y vois pas…
Mais si, j’y vois très bien et j’ai de très bons yeux. Je lis l’heure au cadran de l’église que papa ne voit pas…
Je te dis que tu n’y vois pas !… Comment donc me vois-tu ?… Comment donc suis-je faite ?… (Silence gêné de Tyltyl.) Eh bien, répondras-tu ? que je sache si tu vois ?… Suis-je belle ou bien laide ?… (Silence de plus en plus embarrassé.) Tu ne veux pas répondre ?… Suis-je jeune ou bien veille ?… Suis-je rose ou bien jaune ?… j’ai peut-être une bosse ?…
Non, non, elle n’est pas grande…
Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme… Ai-je le nez crochu et l’œil gauche crevé ?…
Non, non, je ne dis pas… Qui est-ce qui l’a crevé ?…
Mais il n’est pas crevé !… Insolent ! misérable !… Il est plus beau que l’autre ; il est plus grand, plus clair, il est bleu comme le ciel… Et mes cheveux, vois-tu ?… Ils sont blonds comme les blés… on dirait de l’or vierge !… Et j’en ai tant et tant que la tête me pèse… Ils s’échappent de partout… Les vois-tu sur mes mains ?…
Oui, j’en vois quelques-uns…
Quelques-uns !… Des gerbes ! des brassées ! des touffes ! des flots d’or !… Je sais bien que des gens disent qu’ils n’en voient point ; mais tu n’es pas de ces méchantes gens aveugles ; je suppose ?…
Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point…
Mais il faut voir les autres avec la même audace !… C’est bien curieux, les hommes… Depuis la mort des fées, ils n’y voient plus du tout et ne s’en doutent point… Heureusement que j’ai toujours sur moi tout ce qu’il faut pour rallumer les yeux éteints… Qu’est-ce que je sors de mon sac ?…
Oh ! le joli petit chapeau vert !… Qu’est-ce qui brille ainsi sur la cocarde ?…
C’est le gros diamant qui fait voir…
Ah !…
Oui ; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le diamant : de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci, vois-tu ?… Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne ne connaît, et qui ouvre les yeux…
Ça ne fait pas de mal ?…
Au contraire, il est fée… On voit à l’instant même ce qu’il y a dans les choses ; l’âme du pain, du vin, du poivre, par exemple…
Est-ce qu’on voit aussi l’âme du sucre ?…
Cela va sans dire !… Je n’aime pas les questions inutiles… L’âme du sucre n’est pas plus intéressante que celle du poivre… Voilà, je vous donne ce que j’ai pour vous aider dans la recherche de l’Oiseau-Bleu… Je sais bien que l’Anneau-qui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus utiles… Mais j’ai perdu la clef de l’armoire où je les ai serrés… Ah ! j’allais oublier… (Montrant le diamant.) Quand on le tient ainsi, tu vois… un petit tour de plus, on revoit le passé… Encore un petit tour, et l’on voit l’avenir… C’est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit…
Papa me le prendra…
Il ne le verra pas ; personne ne peut le voir tant qu’il est sur ta tête… Veux-tu l’essayer ?… (Elle coiffe Tyltyl du petit chapeau vert.) À présent, tourne le diamant… Un tour et puis après…
Qu’est-ce que c’est que toutes ces belles dames ?…
N’aie pas peur ; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses d’être libres et visibles un instant…
Et pourquoi que les murs sont si clairs ?… Est-ce qu’ils sont en sucre ou en pierres précieuses ?…
Toutes les pierres sont pareilles, toutes les pierres sont précieuses : mais l’homme n’en voit que quelques-unes…
Qu’est-ce que c’est que ces vilains bonshommes ?…
Rien de grave ; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles se trouvaient à l’étroit…
Et le grand diable rouge qui sent mauvais ?…
Chut !… Ne parle pas trop haut, c’est le Feu… Il a mauvais caractère.
insupportable.
Mon petit dieu !… Bonjour ! bonjour, mon petit dieu !… Enfin, enfin, on peut parler ! J’avais tant de choses à te dire !… J’avais beau aboyer et remuer la queue !… Tu ne comprenais pas !… Mais maintenant !… Bonjour ! bonjour !… Je t’aime !… Je t’aime !… Veux-tu que je fasse quelque chose d’étonnant ?… Veux-tu que je fasse le beau ?… Veux-tu que je marche sur les mains ou que je danse à la corde ?…
Qu’est-ce que c’est que ce monsieur à tête de chien ?…
Mais tu ne vois donc pas ?… C’est l’âme de Tylô que tu as délivrée…
cérémonieusement, avec circonspection.
Bonjour, Mademoiselle… Que vous êtes jolie ce matin !…
Bonjour, Monsieur… (À la Fée.) Qui est-ce ?…
C’est facile à voir ; c’est l’âme de Tylette qui te tend la main… Embrasse-la…
Moi aussi !… J’embrasse le petit dieu !… J’embrasse la petite fille !… J’embrasse tout le monde !… Chic !… On va s’amuser !… Je vais faire peur à Tylette !… Hou ! hou ! hou !…
Monsieur, je ne vous connais pas…
Toi, tu vas te tenir bien tranquille ; sinon tu rentreras dans le silence, jusqu’à la fin des temps…
Et la dame mouillée ?…
N’aie pas peur, c’est l’Eau qui sort du robinet…
(Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur le sol ; et du lait répandu s’élève une grande forme blanche et pudibonde qui semble avoir peur de tout.)
Et la dame en chemise qui a peur ?…
C’est le Lait qui a cassé son pot…
(Le Pain-de-sucre posé au pied de l’armoire grandit, s’élargit et crève son enveloppe de papier d’où émerge un être doucereux, et papelard, vêtu d’une souquenille mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement, s’avance vers Mytyl.)
Que veut-il ?…
Mais c’est l’âme du Sucre !…
Est-ce qu’il a des sucres d’orge ?
Mais il n’a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en est un…
(La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d’une incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles transparents et éblouissants, et se tient immobile en une sorte d’extase.)
C’est la Reine !
C’est la Sainte Vierge !…
Non, mes enfants, c’est la Lumière…
(Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme des toupies hollandaises, l’armoire à linge claque ses battants et commence un magnifique déroulement d’étoffes couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent l’échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes sont frappés à la porte de droite.)
C’est papa !… Il nous a entendus !…
Tourne le Diamant !… De gauche à droite !… (Tyltyl tourne vivement le diamant) Pas si vite !… Mon Dieu ! Il est trop tard !… Tu l’as tourné trop brusquement. Ils n’auront pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des ennuis… (La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l’horloge, le Rouet s’arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général, tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n’a pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en poussant des rugissements d’épouvante.) Qu’y a-t-il ?…
Il n’y a plus de place dans la huche !…
Mais si, mais si… (Poussant les autres pains qui ont repris leur place primitive.) Voyons, vite, rangez-vous…
Il n’y a pas moyen !… Il me mangera le premier !…
Mon petit dieu !… Je suis encore ici !… Je puis encore parler ! Je puis encore t’embrasser !… Encore ! encore ! encore !…
Comment, toi aussi ?… Tu es encore là ?…
J’ai de la veine… Je n’ai pas pu rentrer dan le silence ; la trappe s’est refermée trop vite…
La mienne aussi… Que va-t-il arriver ?… Est-ce que c’est dangereux ?
Mon Dieu, je dois vous dire la vérité : tous ceux qui accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage…
Et ceux qui ne les accompagneront pas ?…
Ils survivront quelques minutes…
Viens, rentrons dans la trappe…
Non, non !… Je ne veux pas !… Je veux accompagner le petit dieu !… Je veux lui parler tout le temps !…
Imbécile !…
Je ne veux pas mourir à la fin du voyage !… Je veux rentrer tout de suite dans ma huche !…
la pièce en poussant des sifflements d’angoisse.
Je ne peux plus rentrer dans le robinet !…
J’ai crevé mon papier d’emballage !…
On a cassé mon petit pot !…
Sont-ils bêtes, mon Dieu !… Sont-ils bêtes et poltrons !… Vous aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes, dans vos trappes et dans vos robinets que d’accompagner les enfants qui vont chercher l’Oiseau ?…
Oui ! oui ! Tout de suite !… Mon robinet !… Ma huche !… Ma cheminée !… Ma trappe !…
les débris de sa lampe.
Et toi, la Lumière, qu’en dis-tu ?…
J’accompagnerai les enfants…
Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer ; vous n’avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous… Mais toi, le Feu, ne t’approche de personne, toi, le Chien, ne taquine pas le Chat, et toi, l’eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas couler partout…
(Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.)
C’est encore papa !… Cette fois, il se lève, je l’entends marcher…
Sortons par la fenêtre… Vous viendrez tous chez moi, où j’habillerai convenablement les animaux et les phénomènes… (Au Pain.) Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra l’Oiseau-Bleu… Tu en auras la garde… Vite, vite, ne perdons pas de temps…
(La fenêtre s’allonge brusquement, comme une porte. Ils sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme primitive et se referme innocemment. La chambre est redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans l’ombre. La porte à droite s’entr’ouvre, et dans l’entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère Tyl.)
Tu les vois ?…
Bien sûr… Ils dorment tranquillement…
Je les entends respirer…
ACTE DEUXIÈME
Tableau II
CHEZ LA FÉE
Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée Bérylune. Colonnes de marbre clair à chapiteaux d’or et d’argent, escaliers, portiques, balustrades, etc.
Par ici. Je connais tous les détours de ce palais… La Fée Bérylune l’a hérité de Barbe-Bleue… Pendant que les enfants et la Lumière rendent visite à la petite fille de la Fée, profitons de notre dernière minute de liberté… Je vous ai fait venir ici, afin de vous entretenir de la situation qui nous est faite… Sommes-nous tous présents ?…
Voici le Chien qui sort de la garde-robe de la Fée…
Comment diable s’est-il habillé ?…
Il a pris la livrée d’un des laquais du carrosse de Cendrillon… C’est bien ce qu’il lui fallait… Il a une âme de valet… Mais dissimulons-nous derrière la balustrade… Je m’en méfie étrangement… Il vaudrait mieux qu’il n’entende pas ce que j’ai à vous dire…
C’est inutile… Il nous a éventés… Tiens, voilà l’Eau qui sort en même temps de la garde-robe… Dieu ! qu’elle est belle !…
Voilà ! voilà !… Sommes-nous beaux ! Regardez donc ces dentelles, et puis ces broderies !… C’est de l’or et du vrai !…
C’est la robe « couleur-du-temps » de Peau-d’Âne ?… Il me semble que je la connais…
Oui, c’est encore ce qui m’allait le mieux…
Elle n’a pas son parapluie…
Vous dites ?…
Rien, rien…
Je croyais que vous parliez d’un gros nez rouge que j’ai vu l’autre jour…
Voyons, ne nous querellons pas, nous avons mieux à faire… Nous n’attendons plus que le Pain : où est-il ?…
Il n’en finissait pas de faire de l’embarras pour choisir son costume…
C’est bien la peine, quand on a l’air idiot et qu’on porte un gros ventre…
Finalement, il s’est décidé pour une robe turque, ornée de pierreries, un cimeterre et un turban…
Le voilà !… Il a mis la plus belle robe de Barbe-Bleue…
(Entre le Pain, dans le costume qu’on vient de décrire. La robe de soie est péniblement croisée sur son énorme ventre. Il tient d’une main la garde du cimeterre passé dans sa ceinture et de l’autre la cage destinée à l’Oiseau-Bleu.
Eh bien ?… Comment me trouvez-vous ?…
Qu’il est beau ! qu’il est bête ! qu’il est beau ! qu’il est beau !…
Les enfants sont-ils habillés ?…
Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge, les bas blancs et la culotte bleue du Petit-Poucet ; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a la robe de Grethel et les pantoufles de Cendrillon… Mais la grande affaire, ç’a été d’habiller la Lumière !…
Pourquoi ?…
La Fée la trouvait si belle qu’elle ne voulait pas l’habiller du tout !… Alors j’ai protesté au nom de notre dignité d’éléments essentiels et éminemment respectables ; et j’ai fini par déclarer que, dans ces conditions, je refusais de sortir avec elle…
Il fallait lui acheter un abat-jour !…
Et la Fée, qu’a-t-elle répondu ?…
Elle m’a donné quelques coups de bâton sur la tête et le ventre…
Et alors ?…
Je fus promptement convaincu, mais au dernier moment, la Lumière s’est décidée pour la robe « couleur-de-lune » qui se trouvait au fond du coffre aux trésors de Peau-d’Âne…
Voyons, c’est assez bavardé, le temps presse… Il s’agit de notre avenir… Vous l’avez entendu, la Fée vient de le dire, la fin de ce voyage marquera en même temps la fin de notre vie… Il s’agit donc de le prolonger autant que possible et par tous les moyens possibles… Mais il y a encore autre chose ; il faut que nous pensions au sort de notre race et à la destinée de nos enfants…
Bravo ! bravo !… Le Chat a raison !…
Écoutez-moi… Nous tous ici présents, animaux, choses et éléments, nous possédons une âme que l’homme ne connaît pas encore. C’est pourquoi nous gardons un reste d’indépendance ; mais, s’il trouve l’Oiseau-Bleu, il saura tout, il verra tout, et nous serons complètement à sa merci… C’est ce que vient de m’apprendre ma vieille amie la Nuit, qui est en même temps la gardienne des mystères de la Vie… Il est donc de notre intérêt d’empêcher à tout prix qu’on ne trouve cet oiseau, fallût-il aller jusqu’à mettre en péril la vie même des enfants…
Que dit-il, celui-là ?… Répète un peu que j’entende bien ce que c’est ?
Silence !… Vous n’avez pas la parole !… Je préside l’assemblée…
Qui vous a nommé président ?…
Silence !… De quoi vous mêlez-vous ?…
Je me mêle de ce qu’il faut… Je n’ai pas d’observations à recevoir de vous…
Permettez… Ne nous querellons point… L’heure est grave… Il s’agit avant tout de s’entendre sur les mesures à prendre…
Je partage entièrement l’avis du Sucre et du Chat…
C’est idiot !… Il y a l’Homme, voilà tout !… Il faut lui obéir et faire tout ce qu’il veut !… Il n’y a que ça de vrai… Je ne connais que lui !… Vive l’Homme !… À la vie, à la mort, tout pour l’Homme !… l’Homme est dieu !…
Je partage entièrement l’avis du Chien.
Mais on donne ses raisons…
Il n’y a pas de raisons !… J’aime l’Homme, ça suffit !… Si vous faites quelque chose contre lui, je vous étranglerai d’abord et j’irai tout lui révéler…
Permettez… N’aigrissons pas la discussion… D’un certain point de vue, vous avez raison, l’un et l’autre… Il y a le pour et le contre…
Je partage entièrement l’avis du Sucre !…
Est-ce que tous ici, l’Eau, le Feu, et vous-mêmes le Pain et le Chien, nous ne sommes pas victimes d’une tyrannie sans nom ?… Rappelez-vous le temps où, avant la venue du despote, nous errions librement sur la face de la Terre… l’Eau et le Feu étaient les seuls maîtres du monde ; et voyez ce qu’ils sont devenus !… Quant à nous, les chétifs descendants des grands fauves… Attention !… N’ayons l’air de rien… Je vois s’avancer la Fée et la Lumière… La Lumière s’est mise du parti de l’Homme ; c’est notre pire ennemie… Les voici…
(Entrent à droite, la Fée et la Lumière, suivies de Tyltyl et de Mytyl.)
Eh bien ?… qu’est-ce que c’est ?… Que faites-vous dans ce coin ?… Vous avez l’air de conspirer… Il est temps de se mettre en route… Je viens de décider que la Lumière sera votre chef… Vous lui obéirez tous comme à moi-même et je lui confie ma baguette… Les enfants visiteront ce soir leurs grands-parents qui sont morts… Vous ne les accompagnerez pas, par discrétion… Ils passeront la soirée au sein de leur famille décédée… Pendant ce temps, vous préparerez tout ce qu’il faut pour l’étape de demain, qui sera longue… Allons, debout, en route et chacun à son poste !…
C’est tout juste ce que je leur disais, Madame la Fée… Je les exhortais à remplir consciencieusement et courageusement tout leur devoir ; malheureusement, le Chien qui ne cessait de m’interrompre…
Que dit-il ?… Attends un peu !…
(Il va bondir sur le chat, mais Tyltyl, qui a prévenu son mouvement, l’arrête d’un geste menaçant.)
À bas, Tylô !… Prends garde ; et s’il t’arrive encore une seule fois de…
Mon petit dieu, tu ne sais pas, c’est elle qui…
Tais-toi !…
Voyons, finissons-en… Que le Pain, ce soir, remette la cage à Tyltyl… Il est possible que l’Oiseau-Bleu se cache dans le Passé, chez les grands-parents… En tout cas, c’est une chance qu’il convient de ne point négliger… Eh bien, le Pain, cette cage ?…
Un instant, s’il vous plaît, Madame la Fée… (Comme un orateur qui prend la parole.) Vous tous, soyez témoins que cette cage d’argent qui me fut confiée par…
Assez !… Pas de phrases… Nous sortirons par là, tandis que les enfants sortiront par ici…
Nous sortirons tout seuls ?…
J’ai faim !…
Moi aussi !…
Ouvre ta robe turque et donne leur une tranche de ton bon ventre.
(Le Pain ouvre sa robe, tire son cimeterre et coupe, à même son gros ventre, deux tartines qu’il offre aux enfants.)
Permettez-moi de vous offrir en même temps quelques sucres d’orge…
(Il casse un à un les cinq doigts de sa main gauche et les leur présente.
Qu’est-ce qu’il fait ?… Il casse tous ses doigts…
Goûtez-les, ils sont excellents… C’est de vrais sucres d’orge…
Dieu qu’il est bon !… Est-ce que tu en as beaucoup ?…
Mais oui, tant que je veux…
Est-ce que ça te fait mal quand tu les casses ainsi ?…
Pas du tout… Au contraire ; c’est très avantageux, ils repoussent tout de suite, et de cette façon, j’ai toujours des doigts propres et neufs…
Voyons, mes enfants, ne mangez pas trop de sucre. N’oubliez pas que vous souperez tout à l’heure chez vos grands-parents…
Ils sont ici ?…
Vous allez les voir à l’instant…
Comment les verrons-nous, puisqu’ils sont morts ?…
Comment seraient-ils morts puisqu’ils vivent dans votre souvenir ?… Les hommes ne savent pas ce secret parce qu’ils savent bien peu de chose ; au lieu que toi, grâce au Diamant, tu vas voir que les morts dont on se souvient vivent aussi heureux que s’ils n’étaient point morts…
La Lumière vient avec nous ?…
Non, il est plus convenable que cela se passe en famille… J’attendrai ici près pour ne point paraître indiscrète… Ils ne m’ont pas invitée…
Par où faut-il aller ?…
Par là… Vous êtes au seuil du « Pays du Souvenir ». Dès que tu auras tourné le Diamant, tu verras un gros arbre muni d’un écriteau, qui te montrera que tu es arrivé… Mais n’oubliez pas que vous devez être rentré tous les deux à neuf heures moins le quart… C’est extrêmement important… Surtout soyez exacts, car tout serait perdu si vous vous mettiez en retard… À bientôt… (Appelant le Chat, le Chien, la Lumière, etc.) Par ici… Et les petits par là…
(Elle sort à droite avec la Lumière, les animaux, etc., tandis que les enfants sortent à gauche.)
Tableau III
LE PAYS DU SOUVENIR
Un épais brouillard d’où émerge, à droite, au tout premier plan, le tronc d’un gros chêne muni d’un écriteau. Clarté laiteuse, diffuse, impénétrable.
Voici l’arbre !…
Il y a l’écriteau !…
Je ne peux pas lire… Attends, je vais monter sur cette racine… C’est bien ça… C’est écrit : « Pays du Souvenir ».
C’est ici qu’il commence ?…
Oui, il y a une flèche…
Eh bien, où qu’ils sont, bon-papa et bonne-maman ?
Derrière le brouillard… Nous allons voir…
Je ne vois rien du tout !… Je ne vois plus mes pieds ni mes mains… (Pleurnichant.) J’ai froid !… Je ne veux plus voyager… Je veux rentrer à la maison…
Voyons, ne pleure pas tout le temps, comme l’Eau… T’es pas honteuse ?… Une grande petite fille !… Regarde, le brouillard se lève déjà… Nous allons voir ce qu’il y a dedans…
C’est bon-papa et bonne-maman !…
Oui ! Oui !… C’est eux !… C’est eux !…
Attention !… On ne sait pas encore s’ils remuent… Restons derrière l’arbre…
(Grand’maman Tyl ouvre les yeux, lève la tête, s’étire, pousse un soupir, regarde grand-papa Tyl qui lui aussi sort lentement de son sommeil.)
J’ai idée que nos petits-enfants qui sont encore en vie nous vont venir voir aujourd’hui…
Bien sûr, ils pensent à nous ; car je me sens tout chose et j’ai des fourmis dans les jambes…
Je crois qu’ils sont tout proches, car des larmes de joie dansent avant mes yeux…
Non, non ; ils sont fort loin… Je me sens encore faible…
Je te dis qu’ils sont là ; j’ai déjà toute ma force…
Nous voilà !… Nous voilà !… Bon-papa, bonne-maman !… C’est nous !… C’est nous !…
Là !… Tu vois !… Qu’est-ce que je disais ! J’étais sûr qu’ils viendraient aujourd’hui…
Tyltyl ! Mytyl !… C’est toi !… C’est elle !… C’est eux !… (S’efforçant de courir au-devant d’eux.) Je ne peux pas courir !… J’ai toujours mes rhumatismes !
Moi non plus… Rapport à ma jambe de bois qui remplace toujours celle que j’ai cassée en tombant du gros chêne…
Que tu es grandi et forci, mon Tyltyl !…
Et Mytyl !… Regarde donc !… Les beaux cheveux, les beaux yeux !… Et puis, ce qu’elle sent bon !…
Embrassons-nous encore !… Venez sur mes genoux…
Et moi, je n’aurai rien ?…
Non, non… À moi d’abord… Comment vont Papa et Maman Tyl ?…
Fort bien, bonne-maman… Ils dormaient quand nous sommes sortis…
Mon Dieu, qu’ils sont jolis et bien débarbouillés !… C’est maman qui t’a débarbouillé ?… Et tes bas ne sont pas troués !… C’est moi qui les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous pas nous voir plus souvent ?… Cela nous fait tant de plaisir !… Voilà des mois et des mois que vous nous oubliez et que nous ne voyons plus personne…
Nous ne pouvions pas, bonne-maman ; et c’est grâce à la Fée qu’aujourd’hui…
Nous sommes toujours là, à attendre une petite visite de ceux qui vivent… Ils viennent si rarement !… La dernière fois que vous êtes venus, voyons, c’était quand donc ?… C’était à la Toussaint, quand la cloche de l’église a tinté…
À la Toussaint ?… Nous ne sommes pas sortis ce jour-là, car nous étions fort enrhumés…
Non, mais vous avez pensé à nous…
Oui…
Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons et nous vous revoyons…
Comment, il suffit que…
Mais voyons, tu sais bien…
Mais non, je ne sais pas…
C’est étonnant, là-haut… Ils ne savent pas encore… Ils n’apprennent donc rien ?…
C’est comme de notre temps… Les Vivants sont si bêtes quand ils parlent des Autres…
Vous dormez tout le temps ?…
Oui, nous dormons pas mal, en attendant qu’une pensée des Vivants nous réveille… Ah ! c’est bien bon de dormir, quand la vie est finie… Mais il est agréable aussi de s’éveiller de temps en temps…
Alors, vous n’êtes pas morts pour de vrai ?…
Que dis-tu ?… Qu’est-ce qu’il dit ?… Voilà qu’il emploie des mots que nous ne comprenons plus… Est-ce que c’est un mot nouveau, une invention nouvelle ?…
Le mot « mort » ?…
Oui ; c’était ce mot-là… Qu’est-ce que ça veut dire ?…
Mais ça veut dire qu’on ne vit plus…
Sont-ils bêtes, là-haut !…
Est-ce qu’on est bien ici ?…
Mais oui ; pas mal, pas mal ; et même si l’on priait encore…
Papa m’a dit qu’il ne faut plus prier…
Mais si, mais si… Prier c’est se souvenir…
Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous veniez nous voir plus souvent… Te rappelles-tu, Tyltyl ?… La dernière fois, j’avais fait une belle tarte aux pommes… Tu en as mangé tant et tant que tu t’es fait du mal…
Mais je n’ai pas mangé de tarte aux pommes depuis l’année dernière… Il n’y a pas eu de pommes cette année…
Ne dis pas de bêtises… Ici il y en a toujours…
Ce n’est pas la même chose…
Comment ? Ce n’est pas la même chose ?… Mais tout est la même chose puisqu’on peut s’embrasser…
Tu n’as pas changé, bon-papa, pas du tout, pas du tout… Et bonne-maman non plus n’a pas changé du tout… Mais vous êtes plus beaux…
Eh ! ça ne va pas mal… Nous ne vieillissons plus… Mais vous, grandissez-vous !… Ah ! oui, vous poussez ferme !… Tenez, là, sur la porte, on voit encore la marque de la dernière fois… C’était à la Toussaint… Voyons, tiens-toi bien droit… (Tyltyl se dresse contre la porte.) Quatre doigts !… C’est énorme !… (Mytyl se dresse également contre la porte.) Et Mytyl, quatre et demi !… Ah, ah ! la mauvaise graine !… Ce que ça pousse, ce que ça pousse !…
Comme tout est bien de même, comme tout est à sa place !… Mais comme tout est plus beau !… Voilà l’horloge avec la grande aiguille dont j’ai cassé la pointe…
Et voici la soupière que tu as écornée…
Et voilà le trou que j’ai fait à la porte, le jour que j’ai trouvé le vilebrequin…
Ah oui ! tu en as fait des dégâts !… Et voici le prunier où tu aimais tant grimper quand je n’étais pas là… Il a toujours ses belles prunes rouges…
Mais elles sont bien plus belles !…
Et voici le vieux merle !… Est-ce qu’il chante encore ?…
Tu vois bien… Dès que l’on pense à lui…
Mais il est bleu !… Mais c’est lui, l’Oiseau-Bleu que je dois rapporter à la Fée !… Et vous ne disiez pas que vous l’aviez ici ! Oh ! qu’il est bleu, bleu, bleu, comme une bille de verre bleu !… (Suppliant.) Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous me le donner ?…
Bien oui, peut-être bien… Qu’en penses-tu, maman Tyl ?…
Bien sûr, bien sûr… À quoi qu’il sert ici… Il ne fait que dormir… On ne l’entend jamais…
Je vais le mettre dans ma cage… Tiens, où est-elle, ma cage ?… Ah ! c’est vrai, je l’ai oubliée derrière le gros arbre… (Il court à l’arbre, rapporte la cage et y enferme le merle.) Alors, vrai, vous me le donnez pour de vrai ?… C’est la Fée qui sera contente !… Et la Lumière donc !…
Tu sais, je n’en réponds pas, de l’oiseau… Je crains bien qu’il ne puisse plus s’habituer à la vie agitée de là-haut, et qu’il ne revienne ici par le premier bon vent… Enfin, on verra bien… Laisse-le là, pour l’instant, et viens donc voir la vache…
Et les abeilles, dis, comment vont-elles ?…
Mais elles ne vont pas mal… Elles ne vivent plus non plus, comme vous dites là-bas ; mais elles travaillent ferme…
Oh oui !… Ça sent le miel !… Les ruches doivent être lourdes !… Toutes les fleurs sont si belles !… Et mes petites sœurs qui sont mortes, sont-elles ici aussi ?…
Et mes trois petits frères qu’on avait enterrés, où sont-ils ?…
(À ces mots, sept petits enfants de tailles inégales, en flûte de Pan, sortent un à un de la maison.)
Les voici, les voici !… Aussitôt qu’on y pense, aussitôt qu’on en parle, ils sont là, les gaillards !…
(Tyltyl et Mytyl courent au-devant des enfants. On se bouscule, on s’embrasse, on danse, on tourbillonne, on pousse des cris de joie.)
Tiens, Pierrot !… (Ils se prennent aux cheveux.) Ah ! nous allons nous battre encore comme dans le temps… Et Robert !… Bonjour, Jean !… Tu n’as plus ta toupie ?… Madeleine et Pierrette, Pauline et puis Riquette…
Oh ! Riquette, Riquette !… Elle marche encore à quatre pattes !…
Oui, elle ne grandit plus…
Voilà Kiki dont j’ai coupé la queue avec les ciseaux de Pauline… Il n’a pas changé non plus…
Non, rien ne change ici…
Et Pauline a toujours son bouton sur le nez !…
Oui, il ne s’en va pas ; il n’y a rien à faire…
Oh ! qu’ils ont bonne mine, qu’ils sont gras et luisants !… Qu’ils ont de belles joues !… Ils ont l’air bien nourris…
Ils se portent bien mieux depuis qu’ils ne vivent plus… Il n’y a plus rien à craindre, on n’est jamais malade, on n’a plus d’inquiétudes…
Qu’est-ce que c’est ?…
Ma foi, je ne sais pas… Ce doit être l’horloge…
Ce n’est pas possible… Elle ne sonne jamais…
Parce que nous ne pensons plus à l’heure… Quelqu’un a-t-il pensé à l’heure ?…
Oui, c’est moi… Quelle heure est-il ?…
Ma foi, je ne sais plus… J’ai perdu l’habitude… Elle a sonné huit coups, ce doit être ce que, là-haut, ils appellent huit heures.
La Lumière m’attend à neuf heures moins le quart… C’est à cause de la Fée… C’est extrêmement important… Je me sauve…
Vous n’allez pas nous quitter ainsi au moment du souper !… Vite, vite, dressons la table devant la porte… J’ai justement une excellente soupe aux choux et une belle tarte aux prunes…
(On sort la table, on la dresse devant la porte, on apporte les plats, les assiettes, etc. Tous y aident.)
Ma foi, puisque j’ai l’Oiseau-Bleu… Et puis la soupe aux choux, il y a si longtemps !… Depuis que je voyage… On n’a pas ça dans les hôtels…
Voilà !… C’est déjà fait… À table, les enfants… Si vous êtes pressés, ne perdons pas de temps…
(On a allumé la lampe et servi la soupe. Les grands-parents et les enfants s’assoient autour du repas du soir, parmi des bousculades, des bourrades, des cris et des rires de joie.)
Qu’elle est bonne !… Mon Dieu, qu’elle est donc bonne !… J’en veux encore ! encore !
(Il brandit sa cuiller de bois et en frappe bruyamment son assiette.)
Voyons, voyons, un peu de calme… Tu es toujours aussi mal élevé ; et tu vas casser ton assiette…
J’en veux encore, encore !…
(Il atteint et attire à soi la soupière qui se renverse et se répand sur la table, et de là sur les genoux des convives. Cris et hurlements d’échaudés.)
Tu vois !… Je te l’avais bien dit…
Voilà pour toi !…
mettant ensuite la main sur la joue, avec ravissement.
Oh ! oui, c’était comme ça, les claques que tu donnais quand tu étais vivant… Bon-papa, qu’elle est bonne et que ça fait du bien !… Il faut que je t’embrasse !…
Bon, bon ; il y en a encore si ça te fait plaisir…
Huit heures et demie !… (il jette sa cuiller.) Mytyl, nous n’avons que le temps !…
Voyons !… Encore quelques minutes !… Le feu n’est pas à la maison… On se voit si rarement…
Non, ce n’est pas possible… La Lumière est si bonne… Et je lui ai promis… Allons, Mytyl, allons !…
Dieu, que les Vivants sont donc contrariants avec toutes leurs affaires et leurs agitations !…
en hâte et à la ronde.
Adieu, Bon-papa… Adieu, Bonne-maman… Adieu, frères, sœurs, Pierrot, Robert, Pauline, Madeleine, Riquette, et toi aussi, Kiki ! Je sens bien que nous ne pouvons plus rester ici… Ne pleure pas, Bonne-maman, nous reviendrons souvent…
Revenez tous les jours !…
Oui, oui ! nous reviendrons le plus souvent possible…
C’est notre seule joie, et c’est une telle fête quand votre pensée nous visite !…
Nous n’avons pas d’autres distractions…
Vite, vite !… Ma cage !… Mon oiseau !…
Les voici !… Tu sais, je ne garantis rien ; et s’il n’est pas bon teint !…
Adieu ! adieu !…
Adieu, Tyltyl !… Adieu, Mytyl !… Pensez au sucre d’orge !… Adieu !… Revenez !… Revenez !…
C’est par ici, Mytyl…
Où est la Lumière ?…
Je ne sais pas… (Regardant l’oiseau dans la cage.) Tiens ! l’oiseau n’est plus bleu !… Il est devenu noir !…
Donne-moi la main, petit frère… J’ai bien peur et bien froid…
ACTE III
Tableau IV
LE PALAIS DE LA NUIT
Une vaste et prodigieuse salle d’une magnificence austère, rigide, métallique et sépulcrale, donnant l’impression d’un temple grec ou égyptien, dont les colonnes, les architraves, les dalles, les ornements seraient de marbre noir, d’or et d’ébène. La salle est en forme de trapèze. Des degrés de basalte, qui occupent presque toute sa largeur, la divisent en trois plans successifs qui s’élèvent graduellement vers le fond. À droite et à gauche, entre les colonnes, des portes de bronze sombre. Au fond, porte d’airain monumentale. Une lumière diffuse qui semble émaner de l’éclat même du marbre et de l’ébène éclaire seule le palais.
Qui va là ?…
sur les degrés de marbre.
C’est moi, mère la Nuit… Je n’en peux plus…
Qu’as-tu donc, mon enfant ?… Tu es pâle, amaigrie et te voilà crottée jusqu’aux moustaches… Tu t’es encore battue dans les gouttières, sous la neige et la pluie ?…
Il est bien question de gouttières !… C’est de notre secret qu’il s’agit !… C’est, le commencement de la fin !… J’ai pu m’échapper un instant pour vous prévenir ; mais je crains bien qu’il n’y ait rien à faire…
Quoi ?… Qu’est-il donc arrivé ?…
Je vous ai déjà parlé du petit Tyltyl, le fils du bûcheron, et du Diamant merveilleux… Eh bien, il vient ici pour vous réclamer l’Oiseau-Bleu…
Il ne le tient pas encore…
Il le tiendra bientôt, si nous ne faisons pas quelque miracle… Voici ce qui se passe : la Lumière qui le guide et qui nous trahit tous, car elle s’est mise entièrement du parti de l’Homme, la Lumière vient d’apprendre que l’Oiseau-Bleu, le vrai, le seul qui puisse vivre à la clarté du jour, se cache ici, parmi les oiseaux bleus des songes qui se nourrissent des rayons de lune et meurent dès qu’ils voient le soleil… Elle sait qu’il lui est interdit de franchir le seuil de votre palais ; mais elle y envoie les enfants ; et comme vous ne pouvez pas empêcher l’Homme d’ouvrir les portes de vos secrets, je ne sais trop comment tout cela finira… En tout cas, s’ils avaient le malheur de mettre la main sur le véritable Oiseau-Bleu, nous n’aurions plus qu’à disparaître…
Seigneur, Seigneur !… En quels temps vivons-nous ! Je n’ai plus une minute de repos… Je ne comprends plus l’Homme, depuis quelques années… Où veut-il en venir ?… Il faut donc qu’il sache tout ?… Il a déjà saisi le tiers de mes Mystères, toutes mes Terreurs ont peur et n’osent plus sortir, mes Fantômes sont en fuite, la plupart de mes Maladies ne se portent pas bien…
Je sais, ma mère la Nuit, je sais, les temps sont durs, et nous sommes presque seules à lutter contre l’Homme… Mais je les entends qui s’approchent… Je ne vois qu’un moyen : comme ce sont des enfants, il faut leur faire une telle peur qu’ils n’oseront pas insister ni ouvrir la grande porte du fond, derrière laquelle se trouvent les oiseaux de la Lune… Les secrets des autres cavernes suffiront à détourner leur attention ou à les terrifier…
Qu’est-ce que j’entends ?… Ils sont donc plusieurs ?
Ce n’est rien ; ce sont nos amis : le Pain et le Sucre ; l’Eau est indisposée et le Feu n’a pu venir, parce qu’il est parent de la Lumière… Il n’y a que le Chien qui ne soit pas pour nous ; mais il n’y a jamais moyen de l’écarter…
(Entrent timidement, à droite, au premier plan, Tyltyl, Mytyl, le Pain, le Sucre et le Chien.)
Par ici, par ici, mon petit maître… J’ai prévenu la Nuit qui est enchantée de vous recevoir… Il faut l’excuser, elle est un peu souffrante ; c’est pourquoi elle n’a pu aller au-devant de vous…
Bonjour, madame la Nuit…
Bonjour ? Je ne connais pas ça… Tu pourrais bien me dire : bonne nuit, ou tout au moins : bonsoir…
Pardon, madame… Je ne savais pas… (Montrant du doigt les deux enfants.) Ce sont vos deux petits garçons ?… Ils sont bien gentils…
Oui, voici le Sommeil…
Pourquoi qu’il est si gros ?…
C’est parce qu’il dort bien…
Et l’autre qui se cache ?… Pourquoi qu’il se voile la figure ?… Est-ce qu’il est malade ?… Comment c’est qu’il se nomme ?…
C’est la sœur du Sommeil… Il vaut mieux ne pas la nommer…
Pourquoi ?…
Parce que c’est un nom qu’on n’aime pas à entendre… Mais parlons d’autre chose… Le Chat vient de me dire que vous venez ici pour chercher l’Oiseau-Bleu ?…
Oui, madame, si vous le permettez… Voulez-vous me dire où il est ?…
Je n’en sais rien, mon petit ami… Tout ce que je puis affirmer, c’est qu’il n’est pas ici… Je ne l’ai jamais vu…
Si, si… La Lumière m’a dit qu’il est ici ; et elle sait ce qu’elle dit, la Lumière… Voulez-vous me remettre vos clefs ?…
Mais, mon petit ami, tu comprends bien que je ne puis donner ainsi mes clefs au premier venu… J’ai la garde de tous les secrets de la Nature, j’en suis responsable et il m’est absolument défendu de les livrer à qui que ce soit, surtout à un enfant…
Vous n’avez pas le droit de les refuser à l’Homme qui les demande… je le sais…
Qui te l’a dit ?…
La Lumière…
Encore la Lumière ! et toujours la Lumière !… De quoi se mêle-t-elle à la fin ?…
Veux-tu que je les lui prenne de force, mon petit dieu ?…
Tais-toi, tiens-toi tranquille et tâche d’être poli… (À la Nuit.) Voyons, madame, donnez-moi vos clefs, s’il vous plaît…
As-tu le signe, au moins ?… Où est-il ?…
Voyez le Diamant…
Enfin… Voici celle qui ouvre toutes les portes de la salle… Tant pis pour toi s’il t’arrive malheur… Je ne réponds de rien.
Est-ce que c’est dangereux ?…
Dangereux ?… C’est-à-dire que moi-même je ne sais trop comment je pourrai m’en tirer, lorsque certaines de ces portes de bronze s’ouvriront sur l’abîme… Il y a là, tout autour de la salle, dans chacune de ces cavernes de basalte, tous les maux, tous les fléaux, toutes les maladies, toutes les épouvantes, toutes les catastrophes, tous les mystères qui affligent la vie depuis le commencement du monde… J’ai eu assez de mal à les enfermer là avec l’aide du Destin ; et ce n’est pas sans peine, je vous assure, que je maintiens un peu d’ordre parmi ces personnages indisciplinés… On voit ce qu’il arrive lorsque l’un d’eux s’échappe et se montre sur terre…
Mon grand âge, mon expérience et mon dévouement font de moi le protecteur naturel de ces deux enfants ; c’est pourquoi, madame la Nuit, permettez-moi de vous poser une question…
Faites…
En cas de danger, par où faut-il fuir ?…
Commençons par ici… Qu’y a-t-il derrière cette porte de bronze ?…
Je crois que ce sont les Fantômes… Il y a bien longtemps que je ne l’ai ouverte et qu’ils ne sont sortis…
Je vais voir… (Au Pain) Avez-vous la cage de l’Oiseau-Bleu ?…
Ce n’est pas que j’aie peur, mais ne croyez-vous pas qu’il serait préférable de ne pas ouvrir et de regarder par le trou de la serrure ?…
Je ne vous demande pas votre avis…
J’ai peur !… Où est le Sucre ?… Je veux rentrer à la maison !…
Ici, mademoiselle, je suis ici… Ne pleurez pas, je vais couper un de mes doigts pour vous offrir un sucre d’orge…
Finissons-en…
(Il tourne la clef et entr’ouvre prudemment la porte. Aussitôt s’échappent cinq ou six Spectres de formes diverses et étranges qui se répandent de tous côtés. Le Pain épouvanté jette la cage et va se cacher au fond de la salle, pendant que la Nuit, pourchassant les Spectres, crie à Tyltyl :
Vite ! vite !… Ferme la porte !… Ils s’échapperaient tous et nous ne pourrions plus les rattraper !… Ils s’ennuient là-dedans, depuis que l’Homme ne les prend plus au sérieux… (Elle pourchasse les Spectres en s’efforçant, à l’aide d’un fouet formé de serpents, de les ramener vers la porte de leur prison.) Aidez-moi !… Par ici !… Par ici !…
Aide-la, Tylô, vas-y donc !…
Oui ! oui ! oui !…
Et le Pain, où est-il ?…
Ici… Je suis près de la porte pour les empêcher de sortir…
(Comme un des Spectres s’avance de ce côté, il fuit à toutes jambes, en poussant des hurlements d’épouvante.)
Par ici, vous autres !… (À Tyltyl.) Rouvre un peu la porte… (Elle pousse les Spectres dans la caverne.) Là, ça va bien… (Le Chien en ramène deux autres.) Et encore ceux-ci… Voyons, vite, rangez-vous… Vous savez bien que vous ne sortez plus qu’à la Toussaint.
Qu’y a-t-il derrière celle-ci ?…
À quoi bon ?… Je te l’ai déjà dit, l’Oiseau-Bleu n’est jamais venu par ici… Enfin, comme tu voudras… Ouvre-là si ça te fait plaisir… Ce sont les Maladies…
Est-ce qu’il faut prendre garde en ouvrant ?…
Non, ce n’est pas la peine… Elles sont bien tranquilles, les pauvres petites… Elles ne sont pas heureuses… L’Homme, depuis quelque temps, leur fait une telle guerre !… Surtout depuis la découverte des microbes… Ouvre donc, tu verras…
(Tyltyl ouvre la porte toute grande. Rien ne paraît.)
Elles ne sortent pas ?…
Je t’avais prévenu, presque toutes sont souffrantes et bien découragées… Les médecins ne sont pas gentils pour elles… Entre donc un instant, tu verras…
(Tyltyl entre dans la caverne et ressort aussitôt après.)
L’Oiseau-Bleu n’y est pas… Elles ont l’air bien malades, vos Maladies… Elles n’ont même pas levé la tête… (Une petite Maladie, en pantoufles, robe de chambre et bonnet de coton, s’échappe de la caverne et se met à gambader dans la salle.) Tiens !… Une petite qui s’évade !… Qu’est-ce que c’est ?…
Ce n’est rien, c’est la plus petite, c’est le Rhume de cerveau… C’est une de celles qu’on persécute le moins et qui se portent le mieux… (Appelant le Rhume de cerveau) Viens ici, ma petite… C’est trop tôt ; il faut attendre l’hiver…
(Le Rhume de cerveau, éternuant, toussant et se mouchant, rentre dans la caverne dont Tyltyl referme la porte.)
Voyons donc celle-ci… Qu’est-ce que c’est ?…
Prends garde… Ce sont les Guerres… Elles sont plus terribles et plus puissantes que jamais… Dieu sait ce qui arriverait si l’une d’elles s’échappait !… Heureusement, elles sont assez obèses et manquent d’agilité… Mais tenons-nous prêts à repousser la porte tous ensemble, pendant que tu jetteras un rapide coup d’œil dans la caverne…
(Tyltyl, avec mille précautions, entrebâille la porte de manière qu’il n’y ait qu’une petite fente où il puisse appliquer l’œil. Aussitôt, il s’arc-boute en criant :)
Vite ! vite !… Poussez donc !… Elles m’ont vu !… Elles viennent toutes !… Elles ouvrent la porte !…
Allons, tous !… Poussez ferme ! … Voyons, le Pain, que faites-vous ?… Poussez tous !… Elles ont une force !… Ah ! voilà ! Ça y est… Elles cèdent… Il était temps !… As-tu vu ?…
Oui, oui !… Elles sont énormes, épouvantables !… Je crois qu’elles n’ont pas l’Oiseau-Bleu…
Bien sûr qu’elles ne l’ont point… Elles le mangeraient tout de suite… Eh bien, en as-tu assez ?… Tu vois bien qu’il n’y a rien à faire…
Il faut que je voie tout… La Lumière l’a dit…
La Lumière l’a dit… C’est facile à dire quand on a peur et qu’on reste chez soi…
Allons à la suivante… Qu’est-ce ?…
Ici, j’enferme les Ténèbres et les Terreurs…
Est-ce qu’on peut ouvrir ?…
Parfaitement… Elles sont assez tranquilles ; c’est comme les Maladies…
et risquant un regard dans la caverne.
Elles n’y sont pas…
Eh bien, les Ténèbres, que faites-vous ?… Sortez donc un instant, ça vous fera du bien, ça vous dégourdira. Et les Terreurs aussi… Il n’y a rien à craindre… (Quelques Ténèbres et quelques Terreurs, sous la figure de femmes couvertes, les premières de voiles noirs, les dernières de voiles verdâtres, risquent piteusement quelques pas hors de la caverne, et, sur un geste qu’ébauche Tyltyl, rentrent précipitamment.) Voyons, tenez-vous donc… C’est un enfant, il ne vous fera pas de mal… (À Tyltyl) Elles sont devenues extrêmement timides ; excepté les grandes, celles que tu vois au fond…
Oh ! qu’elles sont effrayantes !…
Elles sont enchaînées… Ce sont les seules qui n’aient pas peur de l’Homme… Mais referme la porte, de crainte qu’elles ne se fâchent…
Tiens !… Celle-ci est plus sombre… Qu’est-ce que c’est ?…
Il y a plusieurs Mystères derrière celle-ci… Si tu y tiens absolument, tu peux l’ouvrir aussi… Mais n’entre pas… Sois bien prudent, et puis préparons-nous à repousser la porte, comme nous avons fait pour les Guerres…
et passant craintivement la tête dans l’entre-bâillement.
Oh !… Quel froid !… Mes yeux cuisent !… Fermez vite !… Poussez donc ! On repousse !… (La Nuit, le Chien, le Chat et le Sucre repoussent la porte.) Oh ! j’ai vu !…
Quoi donc ?…
Je ne sais pas, c’était épouvantable !… Ils étaient tous assis comme des monstres sans yeux… Quel était le géant qui voulait me saisir ?…
C’est probablement le Silence ; il a la garde de cette porte… Il paraît que c’était effrayant ?… Tu en es encore tout pâle et tout tremblant…
Oui, je n’aurais pas cru… Je n’avais jamais vu… Et j’ai les mains gelées…
Ce sera bien pis tout à l’heure si tu continues…
Et celle-ci ?… Est-elle aussi terrible ?…
Non, il y a un peu de tout… J’y mets les Étoiles sans emploi, mes parfums personnels, quelques Lueurs qui m’appartiennent, tels que feux-follets, vers luisants, lucioles ; on y serre aussi la Rosée, le Chant des Rossignols, etc.
Justement, les Étoiles, le Chant des Rossignols… Ce doit être celle-là.
Ouvre-donc si tu veux ; tout cela n’est pas bien méchant…
Oh ! les jolies madames !…
Et qu’elles dansent bien !…
Et qu’elles sentent bon !…
Et qu’elles chantent bien !…
Qu’est-ce que c’est, ceux-là, qu’on ne voit presque pas ?…
Ce sont les parfums de mon ombre…
Et les autres, là-bas, qui sont en verre filé ?…
C’est la Rosée des forêts et des plaines… Mais en voilà assez… Ils n’en finiraient pas… C’est le diable de les faire rentrer une fois qu’ils se sont mis à danser… (Frappant dans ses mains.) Allons, vite, les Étoiles !… Ce n’est pas le moment de danser… Le ciel est couvert, il y a de gros nuages… Allons, vite, rentrez tous, sinon j’irai chercher un rayon de soleil…
(Fuite épouvantée des Étoiles, Parfums, etc., qui se précipitent dans la caverne que l’on referme sur eux. En même temps s’éteint le Chant des Rossignols.)
Voici la grande porte du milieu…
N’ouvre pas celle-ci…
Pourquoi ?…
Parce que c’est défendu…
C’est donc là que se cache l’Oiseau-Bleu ; la Lumière me l’a dit…
Écoute-moi, mon enfant… J’ai été bonne et complaisante… J’ai fait pour toi ce que je n’avais fait jusqu’ici pour personne… Je t’ai livré tous mes secrets… Je t’aime bien, j’ai pitié de ta jeunesse et de ton innocence et je te parle comme une mère… Écoute-moi et crois-moi, mon enfant, renonce, ne va point plus avant, ne tente pas le Destin, n’ouvre pas cette porte…
Mais pourquoi ?…
Parce que je ne veux pas que tu te perdes… Parce que nul de ceux, entends-tu, nul de ceux qui l’ont entr’ouverte, ne fût-ce que de l’épaisseur d’un cheveu, n’est revenu vivant à la lumière du jour… Parce que tout ce qu’on peut imaginer d’épouvantable, parce que toutes les terreurs, toutes les horreurs dont on parle sur terre, ne sont rien, comparées à la plus innocente de celles qui assaillent un homme dès que son œil effleure les premières menaces de l’abîme auquel personne n’ose donner un nom… C’est au point que moi-même, si tu t’obstines, malgré tout, à toucher cette porte, je te demanderai d’attendre que je sois à l’abri dans ma tour sans fenêtres… Maintenant c’est à toi de savoir, à toi de réfléchir…
et cherche à entraîner Tyltyl.)
Ne le faites pas, mon petit maître !… (Se jetant à genoux.) Ayez pitié de nous !… Je vous le demande à genoux… Vous voyez que la Nuit a raison…
C’est notre vie à tous que vous sacrifiez…
Je dois l’ouvrir…
Je ne veux pas !… Je ne veux pas !…
Que le Sucre et le Pain prennent Mytyl par la main et se sauvent avec elle… Je vais ouvrir…
Sauve qui peut !… Venez vite !… Il est temps !…
Attendez au moins que nous soyons au bout de la salle !…
Attendez !… attendez !…
(Ils se cachent derrière les colonnes à l’autre bout de la salle. Tyltyl reste seul avec le Chien, près de la porte monumentale.)
Moi, je reste, je reste… Je n’ai pas peur… Je reste !… Je reste près de mon petit dieu… Je reste !… Je reste…
C’est bien, Tylô, c’est bien !… Embrasse-moi… Nous sommes deux… Maintenant gare à nous !… (Il met la clef dans la serrure. Un cri d’épouvante part de l’autre bout de la salle où se sont réfugiés les fuyards. À peine la clef a-t-elle touché la porte que les hauts battants de celle-ci s’ouvrent par le milieu, glissent latéralement et disparaissent, à droite et à gauche, dans l’épaisseur des murs, découvrant tout à coup, irréel, infini, ineffable, le plus inattendu des jardins de rêve et de lumière nocturne, où, parmi les étoiles et les planètes, illuminant tout ce qu’ils touchent, volant sans cesse de pierreries en pierreries, de rayons de lune en rayons de lune, de féeriques oiseaux bleus évoluent perpétuellement et harmonieusement jusqu’aux confins de l’horizon, innombrables au point qu’ils semblent être le souffle, l’atmosphère azurée, la substance même du jardin merveilleux. — Tyltyl, ébloui, éperdu, debout dans la lumière du jardin :) Oh !… le ciel !… (Se tournant vers ceux qui ont fui.) Venez vite !… Ils sont là !… C’est eux ! c’est eux ! c’est eux !… Nous les tenons enfin !… Des milliers d’oiseaux bleus ! Des millions !… Des milliards !… Il y en aura trop !… Viens, Mytyl !… Viens, Tylô !… Venez tous !… Aidez-moi !… (S’élançant parmi les oiseaux.) On les prend à pleines mains !… Ils ne sont pas farouches !… Ils n’ont pas peur de nous !… Par ici ! par ici !… (Mytyl et les autres accourent. Ils entrent tous dans le jardin éblouissant, hormis la Nuit et le Chat.) Vous voyez !… Ils sont trop !… Ils viennent dans mes mains !… Regardez donc, ils mangent les rayons de la lune !… Mytyl, où donc es-tu ?… Il y a tant d’ailes bleues, tant de plumes qui tombent qu’on n’y voit plus du tout !… Tylô ! ne les mord pas… Ne leur fais pas de mal !… Prends-les très doucement !
J’en ai déjà pris sept !… Oh ! qu’ils battent des ailes !… Je ne puis les tenir !…
Moi non plus !… J’en ai trop !… Ils s’échappent !… Ils reviennent !… Tylô en a aussi !… Ils vont nous entraîner !… nous porter dans le ciel !… Viens, sortons par ici !… La Lumière nous attend !… Elle sera contente !… Par ici, par ici !…
Ils ne l’ont pas ?…
Non… Je le vois là sur ce rayon de lune… Ils n’ont pas pu l’atteindre, il se tenait trop haut…
(Le rideau tombe. Aussitôt après, devant le rideau tombé, entrent simultanément, à gauche la Lumière, à droite Tyltyl, Mytyl et le Chien, accourant tout couverts des oiseaux qu’ils viennent de capturer. Mais déjà ceux-ci paraissent inanimés et, la tête pendante et les ailes brisées, ne sont plus dans leurs mains que d’inertes dépouilles.)
Eh bien, l’avez-vous-pris ?…
Oui, oui !… Tant qu’on voulait… Il y en a des milliers !… Les voici !… Les vois-tu !… (Regardant les oiseaux qu’il tend vers la Lumière et s’apercevant qu’ils sont morts.) Tiens !… Ils ne vivent plus… Qu’est-ce qu’on leur a fait ?… Les tiens aussi, Mytyl ?… Ceux de Tylô aussi. (Jetant avec colère les cadavres d’oiseaux.) Ah ! non, c’est trop vilain !… Qui est-ce qui les a tués ?… Je suis trop malheureux !…
(Il se cache la tête sous le bras et paraît tout secoué de sanglots.)
Ne pleure pas, mon enfant… Tu n’as pas pris celui qui peut vivre en plein jour… Il est allé ailleurs… Nous le retrouverons…
Est-ce qu’on peut les manger ?…
Tableau V
LA FORÊT
Une forêt. — Il fait nuit. — Clair de lune. — Vieux arbres de diverses espèces, notamment : un chêne, un hêtre, un orme, un peuplier, un sapin, un cyprès, un tilleul, un marronnier, etc.
Salut à tous les arbres !…
Salut !…
C’est un grand jour que ce jour-ci !… Notre ennemi vient délivrer vos énergies et se livrer lui-même… C’est Tyltyl, le fils du bûcheron qui vous a fait tant de mal… Il cherche l’Oiseau-Bleu que vous cachez à l’Homme depuis le commencement du monde, et qui sait seul notre secret… (Murmure dans les feuilles.) Vous dites ?… Ah ! c’est le Peuplier qui parle… Oui, il possède un diamant qui a la vertu de délivrer un instant nos esprits ; il peut nous forcer à livrer l’Oiseau-Bleu, et nous serons dès lors, définitivement, à la merci de l’homme… (Murmure dans les feuilles.) Qui parle ?… Tiens ! c’est le Chêne… Comment allez-vous ?… (Murmure dans les feuilles du Chêne.) Toujours enrhumé ?… La Réglisse ne vous soigne plus ?… Toujours les rhumatismes ?… Croyez-moi, c’est à cause de la mousse ; vous en mettez trop sur vos pieds… L’Oiseau-Bleu est toujours chez vous ?… (Murmures dans les feuilles du Chêne.) Vous dites ?… Oui, il n’y a pas à hésiter, il faut en profiter, il faut qu’il disparaisse… (Murmure dans les feuilles.) Plaît-il ?… Oui, il est avec sa petite sœur ; il faut qu’elle meure aussi… (Murmure dans les feuilles.) Oui, le Chien les accompagne ; il n’y a pas moyen de l’éloigner… (Murmure dans les feuilles.) Vous dites ?… Le corrompre ?… Impossible… J’ai essayé de tout… (Murmures parmi les feuilles.) Ah ! c’est toi, le Sapin ?… Oui, prépare quatre planches… Oui, il y a encore le Feu, le Sucre, l’Eau, le Pain… Ils sont tous avec nous, excepté le Pain qui est assez douteux… Seule la Lumière est favorable à l’Homme ; mais elle ne viendra pas… J’ai fait croire aux petits qu’ils devaient s’échapper en cachette pendant qu’elle dormait… L’occasion est unique… (Murmure dans les feuilles.) Tiens ! c’est la voix du Hêtre !… Oui, vous avez raison ; il faut que l’on prévienne les Animaux… Le Lapin a-t-il son tambour ?… Il est chez vous ?… Bien, qu’il batte le rappel, tout de suite… Les voici !…
(On entend s’éloigner les roulements de tambour du Lapin. — Entrent Tyltyl, Mytyl et le Chien.)
C’est ici ?…
se précipitant au-devant des enfants.
Ah ! voilà, mon petit maître !… Que vous avez bonne mine et que vous êtes joli, ce soir !… Je vous ai précédé pour annoncer votre arrivée… Tout va bien. Cette fois nous tenons l’Oiseau-Bleu, j’en suis sûre… Je viens d’envoyer le Lapin battre le rappel afin de convoquer les principaux Animaux du pays… On les entend déjà dans le feuillage… Écoutez !… Ils sont un peu timides et n’osent approcher… (Bruits d’animaux divers, tels que vaches, porcs, chevaux, ânes, etc. — Bas à Tyltyl, le prenant à part.) Mais pourquoi avez-vous amené le Chien ?… Je vous l’ai déjà dit, il est au plus mal avec tout le monde, même avec les arbres… Je crains bien que sa présence odieuse ne fasse tout manquer…
Je n’ai pu m’en débarrasser… (Au Chien, la menaçant) Veux-tu bien t’en aller, vilaine bête !…
Qui ?… Moi !… Pourquoi ?… Qu’est-ce que j’ai fait ?…
Je te dis de t’en aller !… On n’a que faire de toi, c’est bien simple… Tu nous embêtes à la fin !…
Je ne dirai rien… Je suivrai de loin… On ne me verra pas… Veux-tu que je fasse le beau ?…
Vous tolérez pareille désobéissance ?… Donnez-lui donc quelques coups de bâton sur le nez, il est vraiment insupportable !…
Voilà qui t’apprendra à obéir plus vite !…
Aïe ! Aïe ! Aïe !…
Qu’en dis-tu ?…
Il faut que je t’embrasse puisque tu m’as battu !…
Voyons… C’est, bien… Ça suffit… Va-t’en !…
Non, non ; je veux qu’il reste… J’ai peur de tout quand il n’est pas là…
qu’il accable de caresses précipitées et enthousiastes.
Oh ! la bonne petite fille !… Qu’elle est belle ! Qu’elle est bonne !… Qu’elle est belle, qu’elle est douce !… Il faut que je l’embrasse ! Encore ! encore ! encore !…
Quel idiot !… Ma foi, nous verrons bien… Ne perdons pas de temps… Tournez le Diamant…
Où faut-il me placer ?
Dans ce rayon de lune ; vous y verrez plus clair… Là ! tournez doucement…
Des Hommes !… De petits Hommes !… On pourra leur parler !… C’est fini le Silence !… C’est fini !… D’où viennent-ils ?… Qui est-ce ?… Qui sont-ils ?… (Au Tilleul qui s’avance en fumant tranquillement sa pipe.) Les connais-tu, toi, père Tilleul ?…
Je ne me rappelle pas les avoir vus…
Mais si, voyons, mais si !… Tu connais tous les Hommes, tu es toujours à te promener autour de leurs maisons…
Mais non, je vous assure… Je ne les connais pas… Ils sont encore trop jeunes… Je ne connais bien que les amoureux qui viennent me voir au clair de lune ; ou les buveurs de bière qui trinquent sous mes branches…
Qu’est-ce que c’est que ça ?… C’est des pauvres de la campagne ?…
Oh ! vous, monsieur le Marronnier, depuis que vous ne fréquentez plus que les boulevards des grandes villes…
Mon Dieu, mon Dieu !… Ils viennent encore me couper la tête et les bras pour en faire des fagots !…
Silence !… Voici le Chêne qui sort de son palais !… Il a l’air bien souffrant ce soir… Ne trouvez-vous pas qu’il vieillit ?… Quel âge peut-il avoir ?… Le Sapin dit qu’il a quatre mille ans ; mais je suis sûre qu’il exagère… Attention, il va nous dire ce que c’est…
Il a l’Oiseau-Bleu !… Vite ! vite !… Par ici !… Donnez-le-moi !…
Silence !…
Découvrez-vous, c’est le Chêne !…
Qui es-tu ?…
Tyltyl, monsieur… Quand est-ce que je pourrai prendre l’Oiseau-Bleu ?…
Tyltyl, le fils du bûcheron ?…
Oui, monsieur…
Ton père nous a fait bien du mal… Dans ma seule famille il a mis à mort six cents de mes fils, quatre cent soixante-quinze oncles et tantes, douze cents cousins et cousines, trois cent quatre-vingts brus et douze mille arrière-petits-fils !…
Je ne sais pas, monsieur… Il ne l’a pas fait exprès…
Que viens-tu faire ici, et pourquoi as-tu fait sortir nos âmes de leurs demeures ?…
Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir dérangé… C’est le Chat qui m’a dit que vous alliez nous dire où se trouve l’Oiseau-Bleu…
Oui, je sais, tu cherches l’Oiseau-Bleu, c’est-à-dire le grand secret des choses et du bonheur, pour que les Hommes rendent plus dur encore notre esclavage…
Mais non, monsieur ; c’est pour la petite fille de la Fée Bérylune qui est très malade…
Il suffit !… Je n’entends pas les animaux… Où sont-ils ?… Tout ceci les intéresse autant que nous… Il ne faut pas que nous, les arbres, assumions seuls la responsabilité des mesures graves qui s’imposent… Le jour où les Hommes apprendront que nous avons fait ce que nous allons faire, il y aura d’horribles représailles… Il convient donc que notre accord soit unanime, pour que notre silence le soit également…
Les animaux arrivent… Ils suivent le Lapin… Voici l’âme du Cheval, du Taureau, du Bœuf, de la Vache, du Loup, du Mouton, du Porc, du Coq, de la Chèvre, de l’Âne et de l’Ours…
(Entrée successive des âmes des animaux qui, à mesure que les énumère le Sapin, s’avancent et vont s’asseoir entre les arbres, à l’exception de l’âme de la Chèvre qui vagabonde çà et là, et de celle du Porc qui fouille les racines.)
Tous sont-ils ici présents ?…
La Poule ne pouvait pas abandonner ses œufs, le Lièvre est en courses, le Cerf a mal aux cornes, le Renard est souffrant, — voici le certificat du médecin, — l’Oie n’a pas compris et le Dindon s’est mis en colère…
Ces abstentions sont extrêmement regrettables… Néanmoins, nous sommes en nombre suffisant… Vous savez, mes frères, de quoi il est question. L’enfant que voici, grâce à un talisman dérobé aux puissances de la Terre, peut s’emparer de notre Oiseau-Bleu, et nous arracher ainsi le secret que nous gardons depuis l’origine de la Vie… Or, nous connaissons assez l’Homme pour n’avoir aucun doute sur le sort qu’il nous réserve lorsqu’il se trouvera en possession de ce secret. C’est pourquoi il me semble que toute hésitation serait aussi stupide que criminelle… L’heure est grave ; il faut que l’enfant disparaisse avant qu’il soit trop tard…
Que dit-il ?…
As-tu vu mes dents, vieux perclus ?…
Il insulte le Chêne !…
C’est le Chien ?… Qu’on l’expulse ! Il ne faut pas que nous tolérions un traître parmi nous !…
Éloignez le Chien… C’est un malentendu… Laissez-moi faire, j’arrangerai les choses… Mais éloignez-le au plus vite…
Veux-tu t’en aller !…
Laisse-moi donc lui déchirer ses pantoufles de mousse à ce vieux goutteux-là !… On va rire !…
Tais-toi donc !… Et va-t’en !… Mais va-t’en, vilaine bête !…
Bon, bon, on s’en ira… Je reviendrai quand tu auras besoin de moi…
Il serait plus prudent de l’enchaîner, sinon il fera des bêtises ; les Arbres se fâcheront, et tout cela finira mal…
Comment faire ?… J’ai égaré sa laisse…
Voici tout juste le Lierre qui s’avance avec de solides liens…
Je reviendrai, je reviendrai !… Podagre ! bronchiteux !… Tas de vieux rabougris, tas de vieilles racines !…C’est le Chat qui mène tout !… Je lui revaudrai ça !… Qu’as-tu donc à chuchoter ainsi, Judas, Tigre, Bazaine !… Wa ! wa ! wa !…
Vous voyez, il insulte tout le monde…
C’est vrai, il est insupportable et l’on ne s’entend plus… Monsieur le Lierre, voulez-vous l’enchaîner ?…
Il ne mordra pas ?…
Au contraire ! au contraire !… Il va bien t’embrasser !… Attends, tu vas voir ça !… Approche, approche donc, tas de vieilles ficelles !…
Tylô !…
Que faut-il faire, mon petit dieu ?…
Te coucher, à plat ventre !… Obéis au Lierre… Laisse-toi garrotter ou sinon…
le Lierre le garrotte.
Ficelle !… Corde à pendus !… Laisse à veaux !… Chaîne à porcs !… Mon petit dieu, regarde… Il me tord les pattes… Il m’étrangle !…
Tant pis !… Tu l’as voulu !… Tais-toi, tiens-toi tranquille, tu es insupportable !…
C’est égal, tu as tort… Ils ont de vilaines intentions… Mon petit dieu, prends garde !… Il me ferme la bouche !… Je ne peux plus parler !…
Où faut-il le porter ?… Je l’ai bien bâillonné… il ne souffle plus mot…
Qu’on l’attache solidement là-bas, derrière mon tronc, à ma grosse racine… Nous verrons ensuite ce qu’il convient d’en faire… (Le Lierre aidé du Peuplier porte le Chien derrière le tronc du Chêne) Est-ce fait ?… Bien, maintenant que nous voilà débarrassés de ce témoin gênant et de ce renégat, délibérons selon notre justice et notre vérité… Mon émotion, je ne vous le cache point, est profonde et pénible… C’est la première fois qu’il nous est donné de juger l’Homme et de lui faire sentir notre puissance… Je ne crois pas qu’après le mal qu’il nous a fait, après les monstrueuses injustices que nous avons subies, il reste le moindre doute sur la sentence qui l’attend…
Non ! Non ! Non !… Pas de doute !… La pendaison !… La mort !… Il y a trop d’injustice !… Il a trop abusé !… Il y a trop longtemps !… Qu’on l’écrase ! Qu’on le mange !… Tout de suite !… Tout de suite !…
Qu’ont-ils donc ?… Ils ne sont pas contents ?…
Ne vous inquiétez pas… Ils sont un peu fâchés à cause que le Printemps est en retard… Laissez-moi faire, j’arrangerai tout ça…
Cette unanimité était inévitable… Il s’agit à présent de savoir, pour éviter les représailles, quel genre de supplice sera le plus pratique, le plus commode, le plus expéditif et le plus sûr ; celui qui laissera le moins de traces accusatrices lorsque les Hommes retrouveront les petits corps dans la forêt…
Qu’est-ce que c’est que tout ça ?… Où veut-il en venir ?… Je commence à en avoir assez… Puisqu’il a l’Oiseau-Bleu, qu’il le donne…
Le plus pratique et le plus sûr, c’est un bon coup de corne au creux de l’estomac. Voulez-vous que je fonce ?…
Qui parle ainsi ?…
C’est le Taureau.
Il ferait mieux de se tenir tranquille… Moi, je ne m’en mêle pas… J’ai à brouter toute l’herbe de la prairie qu’on voit là-bas, dans le bleu de la lune… J’ai trop à faire…
Moi aussi. D’ailleurs, j’approuve tout d’avance…
Moi, j’offre ma plus haute branche pour les pendre…
Et moi le nœud coulant…
Et moi les quatre planches pour la petite boîte…
Et moi la concession à perpétuité…
Le plus simple serait de les noyer dans une de mes rivières… Je m’en charge…
Voyons, voyons… Est-il bien nécessaire d’en venir à ces extrémités ? Ils sont encore bien jeunes… On pourrait tout bonnement les empêcher de nuire en les retenant prisonniers dans un clos que je me charge de construire en me plantant tout autour…
Qui parle ainsi ?… Je crois reconnaître la voix mielleuse du Tilleul…
En effet…
Il y a donc un renégat parmi nous, comme parmi les animaux ?… Jusqu’ici, nous n’avions à déplorer que la défection des arbres fruitiers ; mais ceux-ci ne sont pas de véritables arbres…
Moi, je pense qu’il faut d’abord manger la petite fille… Elle doit être bien tendre…
Que dit-il celui-là ?… Attends un peu, espèce de…
Je ne sais ce qu’ils ont ; mais cela prend mauvaise tournure…
Silence !… Il s’agit de savoir qui de nous aura l’honneur de porter le premier coup ; qui écartera de nos cimes le plus grand danger que nous ayons couru depuis la naissance de l’Homme…
C’est à vous, notre roi et notre patriarche, que revient cet honneur…
C’est le Sapin qui parle ?… Hélas ! je suis trop vieux ! Je suis aveugle, infirme, et mes bras engourdis ne m’obéissent plus… Non, c’est à vous, mon frère, toujours vert, toujours droit, c’est à vous, qui vîtes naître la plupart de ces arbres, qu’échoit, à mon défaut, la gloire du noble geste de notre délivrance…
Je vous remercie, mon vénérable père… Mais comme j’aurai déjà l’honneur d’ensevelir les deux victimes, je craindrais d’éveiller la juste jalousie de mes collègues ; et je crois qu’après nous, le plus ancien et le plus digne, celui qui possède la meilleure massue, c’est le Hêtre…
Vous savez que je suis vermoulu et que ma massue n’est point sûre… Mais l’Orme et le Cyprès ont de puissantes armes…
Je ne demanderais pas mieux ; mais je puis à peine me tenir debout… Une taupe, cette nuit, m’a retourné le gros orteil…
Quant à moi, je suis prêt… Mais, comme mon bon frère le Sapin, j’aurai déjà, sinon le privilège de les ensevelir, tout au moins l’avantage de pleurer sur leur tombe… Ce serait illégitimement cumuler… Demandez au Peuplier…
À moi ?… Y pensez-vous ?… Mais mon bois est plus tendre que la chair d’un enfant !… Et puis, je ne sais ce que j’ai… Je tremble de fièvre… Regardez donc mes feuilles… J’ai dû prendre froid ce matin au lever du soleil…
Vous avez peur de l’Homme !… Même ces petits enfants isolés et sans armes vous inspirent la terreur mystérieuse qui fit toujours de nous les esclaves que nous sommes !… Eh bien, non ! C’est assez !… Puisqu’il en est ainsi, puisque l’heure est unique, j’irai seul, vieux, perclus, tremblant, aveugle, contre l’ennemi héréditaire !… Où est-il ?…
(Tâtonnant de son bâton, il s’avance vers Tyltyl.)
C’est à moi qu’il en a, ce vieux-là, avec son gros bâton ?…
(Tous les autres arbres, poussant un cri d’épouvante à la vue du couteau, s’interposent et retiennent le Chêne.)
Le couteau !… Prenez garde !… Le couteau !…
Laissez-moi !… Que m’importe !… Le couteau ou la hache !… Qui me retient ?… Quoi ! vous êtes tous ici ?… Quoi ! vous tous vous voulez ?… (Jetant son bâton) Eh bien, soit !… Honte à nous !… Que les animaux nous délivrent !…
C’est cela !… Je m’en charge !… Et d’un seul coup de corne !…
De quoi te mêles-tu ?… Ne fais pas de bêtises !… C’est une mauvaise affaire !… Cela finira mal… C’est nous qui trinquerons… Laisse donc… C’est affaire aux animaux sauvages…
Non, non !… C’est mon affaire !… Attendez !… Mais retenez-moi donc ou je fais un malheur !…
N’aie pas peur !… Mets-toi derrière moi… J’ai mon couteau…
C’est qu’il est crâne, le petit !…
Alors, c’est décidé, c’est à moi qu’on en veut ?…
Mais bien sûr, mon petit, tu y as mis le temps, à t’en apercevoir !…
Tu peux faire ta prière, va, c’est ta dernière heure. Mais ne cache pas la petite fille… Je veux m’en régaler les yeux… C’est elle que je mangerai la première…
Qu’est-ce que je vous ai fait ?…
Rien du tout, mon petit… Mangé mon petit frère, mes deux sœurs, mes trois oncles, ma tante, bon-papa, bonne-maman… Attends, attends, quand tu seras par terre, tu verras que j’ai des dents aussi…
Et que j’ai des sabots !…
Vous allez voir ce que vous allez voir !… Aimez-vous mieux que je le déchire à belles dents ou que je vous l’abatte à coups de pied ?… (Il s’avance magnifiquement sur Tyltyl qui lui fait face en levant son couteau. Tout à coup, le Cheval, pris de panique, tourne le dos et fuit à toutes jambes.) Ah ! mais non !… Ce n’est pas juste !… Ce n’est pas de jeu !… Il se défend !…
C’est égal, le petit n’a pas froid aux yeux !…
Précipitons-nous tous ensemble… Je vous soutiendrai par derrière… Nous les renverserons et nous nous partagerons la petite fille quand elle sera par terre…
Amusez-les par là… Je vais faire un mouvement tournant… (Il tourne Tyltyl qu’il attaque par derrière et renverse à demi.)
Judas !… (Il se redresse sur un genou, brandissant son couteau et couvrant de son mieux sa petite sœur qui pousse des hurlements de détresse. — Le voyant à demi renversé, tous les animaux et les arbres se rapprochent et cherchent à lui porter des coups. Éperdument, Tyltyl appelle à l’aide.) À moi ! À moi !… Tylô ! Tylô !… Où est le Chat ?… Tylô !… Tylette ! Tylette !… Venez ! venez !…
Je ne peux pas… Je viens de me fouler la patte…
À moi !… Tylô ! Tylô !… Je ne peux plus !… Ils sont trop !… L’Ours ! le Cochon ! le Loup ! l’Âne ! le Sapin ! le Hêtre !… Tylô ! Tylô ! Tylô !…
(Traînant ses liens brisés, le Chien bondit de derrière le tronc du Chêne et, bousculant arbres et animaux, se jette devant Tyltyl qu’il détend avec rage.)
Voilà ! voilà ! mon petit dieu !… N’aie pas peur ! Allons-y !… J’ai de bons coups de gueule !… Tiens, voilà pour toi, l’Ours, là dans ton gros derrière !… Voyons, qui en veut encore ?… Voilà pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue du Taureau ! Voilà ! j’ai déchiré la culotte du Hêtre et le jupon du Chêne !… Le Sapin f… le camp !… C’est égal, il fait chaud !…
Je n’en peux plus !… Le Cyprès m’a donné un grand coup sur la tête…
Aïe ! c’est un coup du Saule !… Il m’a cassé la patte !…
Ils reviennent à la charge ! Tous ensemble !… Cette fois, c’est le Loup !…
Attends, que je l’étrenne !…
Imbécile !… Notre frère !… Ses parents ont noyé tes petits !…
Ils ont bien fait !… Tant mieux !… C’est qu’ils te ressemblaient !…
Renégat !… Idiot !… Traître ! Félon ! Nigaud !… Judas !… Laisse-le ! C’est la mort ! Viens à nous !
Non ! non !… Seul contre tous !… Non, non !… Fidèle aux dieux ! aux meilleurs ! aux plus grands !… (À Tyltyl.) Prends garde, voici l’Ours !… Méfie-toi du Taureau… Je vais lui sauter à la gorge… Aïe !… C’est un coup de pied… L’Âne m’a cassé deux dents…
Je ne peux plus, Tylô !… Aïe !… C’est un coup de l’Orme… Regarde, ma main saigne… C’est le Loup ou le Porc…
Attends, mon petit dieu… Laisse-moi t’embrasser. Là, un bon coup de langue… Ça te fera du bien… Reste bien derrière moi… Ils n’osent plus approcher… Si !… Les voilà qui reviennent !… Ah ! ce coup, c’est sérieux !… Tenons ferme !…
Non, ce n’est plus possible…
On vient !… J’entends, je flaire !…
Où donc ?… Qui donc ?…
Là ! là !… C’est la Lumière !… Elle nous a retrouvés !… Sauvés, mon petit roi !… Embrasse-moi !… Sauvés !… regarde !… Ils se méfient !… Ils s’écartent !… Ils ont peur !…
La Lumière !… La Lumière !… Venez donc !… Hâtez-vous !… Ils se sont révoltés !… Ils sont tous contre nous !…
(Entre la Lumière : à mesure qu’elle s’avance, l’Aurore se lève sur la forêt qui s’éclaire.)
Qu’est-ce donc ?… Qu’y a-t-il ?… Mais, malheureux ! tu ne savais donc pas !… Tourne le Diamant ! Ils rentreront dans le Silence et dans l’Obscurité ; et tu ne verras plus leurs sentiments…
(Tyltyl tourne le Diamant. — Aussitôt les âmes de tous les Arbres se précipitent dans les troncs qui se referment. — Les âmes des Animaux disparaissent également ; et l’on voit, au loin, brouter une Vache et un Mouton paisibles, etc. — La Forêt redevient innocente. Étonné, Tyltyl regarde autour de soi.)
Où sont-ils ?… Qu’avaient-ils ?… Est-ce qu’ils étaient fous ?…
Mais non, ils sont toujours ainsi ; mais on ne le sait pas parce qu’on ne le voit pas… Je te l’avais bien dit : il est dangereux de les réveiller quand je ne suis pas là…
C’est égal ; sans le Chien et si je n’avais pas eu mon couteau… Je n’aurais jamais cru qu’ils fussent si méchants !…
Tu vois bien que l’Homme est tout seul contre tous, en ce monde…
Tu n’as pas trop de mal, mon petit dieu ?…
Rien de grave… Quant à Mytyl, ils ne l’ont pas touchée… Mais toi, mon bon Tylô ?… Tu as la bouche en sang, et ta patte est cassée ?…
Pas la peine d’en parler… Demain, il n’y paraîtra plus… Mais l’affaire était chaude !…
Je crois bien !… Le Bœuf m’a donné un coup de corne dans le ventre… On n’en voit pas la trace, mais il me fait bien mal… Et le Chêne m’a cassé la patte…
J’aimerais bien savoir laquelle…
Ma pauvre Tylette, est-ce vrai ?… Où donc te trouvais-tu ?… Je ne t’ai pas aperçue…
Petite mère, j’ai été blessée tout de suite, en attaquant le vilain Porc qui voulait te manger… C’est alors que le Chêne m’a donné ce grand coup qui m’a étourdie…
Toi, tu sais, j’ai deux mots à te dire… Tu ne perdras rien pour attendre !…
Petite mère, il m’insulte… Il veut me faire du mal…
Veux-tu bien la laisser tranquille, vilaine bête…
ACTE IV
Tableau VI
DEVANT LE RIDEAU
J’ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui m’apprend que l’Oiseau-Bleu se trouve probablement ici…
Où ça ?…
Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mur… Il paraît qu’un des morts de ce cimetière le cache dans sa tombe… Reste à savoir lequel… Il faudra qu’on les passe en revue…
En revue ?… Comment qu’on fera ?…
C’est bien simple : à minuit, pour ne pas trop les déranger, tu tourneras le Diamant. On les verra sortir de terre ; ou bien on apercevra au fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas…
Ils ne seront pas fâchés ?…
Nullement, ils ne s’en douteront même pas… Ils n’aiment pas qu’on les dérange ; mais comme de toutes façons ils ont coutume de sortir à minuit, cela ne les gênera pas…
Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont si pâles et pourquoi qu’ils ne disent rien ?…
Je sens que je vais tourner…
Ne fais pas attention… Ils ont peur des morts…
Moi, je n’en ai pas peur !… J’ai l’habitude de les brûler… Dans le temps, je les brûlais tous ; c’était bien plus amusant qu’aujourd’hui…
Moi ?… Je ne tremble pas !… Moi, je n’ai jamais peur ; mais si tu t’en allais, je m’en irais aussi…
Et le Chat ne dit rien ?…
Je sais ce que c’est…
Tu viendras avec nous ?…
Non, il est préférable que je reste à la porte du cimetière avec les Choses et les Animaux… Les uns auraient trop peur, et je crains que les autres ne se conduisent pas convenablement… Le Feu, notamment, voudrait brûler les morts comme autrefois, et cela ne se fait plus. Je vais te laisser seul avec Mytyl…
Et Tylô ne peut pas rester avec nous ?…
Si, si, je reste, je reste ici… Je veux rester près de mon petit dieu !…
Bien, bien, tant pis… S’ils sont méchants, mon petit dieu, tu n’as qu’à faire comme ça (Il siffle.) et tu verras… Ce sera comme dans la forêt : Wa ! Wa ! Wa !…
Allons, adieu, mes chers petits… Je ne serai pas loin… (Elle embrasse les enfants.) Ceux qui m’aiment et que j’aime me retrouvent toujours… (Aux Choses et aux Animaux.) Par ici, vous autres…
(Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s’ouvre pour découvrir le septième tableau.)Tableau VII
LE CIMETIÈRE
Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne. Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois, dalles funéraires, etc.
(Tyltyl et Mytyl sont debout près d’un cippe.)
J’ai peur !…
Moi, je n’ai jamais peur…
C’est méchant, les morts, dis ?…
Mais non, puisqu’ils ne vivent pas…
Tu en as déjà vu ?…
Oui, une fois, dans le temps, lorsque j’étais très jeune…
Comment c’est fait, dis ?…
C’est tout blanc, très tranquille et très froid, et ça ne parle pas…
Nous allons les voir, dis ?…
Bien sûr, puisque la Lumière l’a promis…
Où c’est qu’ils sont, les morts ?…
Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres.
Ils sont là toute l’année ?…
Oui.
C’est les portes de leurs maisons ?…
Oui.
Est-ce qu’ils sortent quand il fait beau ?…
Ils ne peuvent sortir qu’à la nuit…
Pourquoi ?…
Parce qu’ils sont en chemise…
Est-ce qu’ils sortent aussi quand il pleut ?
Quand il pleut, ils restent chez eux…
C’est beau chez eux, dis ?…
On dit que c’est fort étroit…
Est-ce qu’ils ont des petits enfants ?…
Bien sûr ; ils ont tous ceux qui meurent…
Et de quoi vivent-ils ?…
Ils mangent des racines…
Est-ce que nous les verrons ?…
Bien sûr, puisqu’on voit tout quand le diamant est tourné.
Et qu’est-ce qu’ils diront ?…
Ils ne diront rien, puisqu’ils ne parlent pas…
Pourquoi qu’ils ne parlent pas ?…
Parce qu’ils n’ont rien à dire…
Pourquoi qu’ils n’ont rien à dire ?…
Tu m’embêtes…
Quand tourneras-tu le diamant ?…
Tu sais bien que la Lumière a dit d’attendre à minuit, parce qu’alors on les dérange moins…
Pourquoi qu’on les dérange moins ?…
Parce que c’est l’heure où ils sortent prendre l’air.
Il n’est pas minuit ?…
Vois-tu le cadran de l’église ?…
Oui, je vois même la petite aiguille…
Et bien ! minuit va sonner… Là !… Tout juste… Entends-tu ?…
Je veux m’en aller !…
Ce n’est pas le moment… Je vais tourner le diamant…
Non, non !… Ne le fais pas !… Je veux m’en aller !… J’ai si peur, petit frère !… J’ai terriblement peur !…
Mais il n’y a pas de danger…
Je ne veux pas voir les morts !… Je ne veux pas les voir !…
C’est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les yeux…
Tyltyl, je ne peux pas !… Non, ce n’est pas possible !… Ils vont sortir de terre !…
Ne tremble pas ainsi… Ils ne sortiront qu’un moment…
Mais tu trembles aussi, toi !… Ils seront effrayants !…
Il est temps, l’heure passe…
(Tyltyl tourne le diamant. Une terrifiante minute de silence et d’immobilité ; après quoi, lentement, les croix chancellent, les tertres s’entr’ouvrent, les dalles se soulèvent.)
Ils sortent !… Ils sont là !…
Où sont les morts ?…
Il n’y a pas de morts…