Théorie de l’écoulement tourbillonnant et tumultueux des liquides dans les lits rectilignes à grande section/Tome 1/I

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§ I. — Objet de ce Mémoire.


» 1. Depuis les années 1870 et 1872, où ont été ramenées à des formules simples et vraisemblables du frottement tant intérieur qu’extérieur[1] les lois du régime uniforme des grands courants liquides, telles que Darcy, en 1854, mais surtout M. Bazin, en 1863, les avaient dégagées de leurs nombreuses et précises observations[2], aucune donnée expérimentale ou théorique de quelque intérêt, concernant les vitesses relatives ou les actions mutuelles des filets fluides, n’était venue s’ajouter aux notions déjà acquises dans ce problème capital de l’Hydraulique. Il restait cependant à y éclaircir un important détail, au sujet de l’écoulement dans un tuyau de conduite, soit plein de liquide, soit rempli seulement jusqu’à mi-hauteur des sections, ou plutôt remplacé alors par un canal demi-circulaire découvert, coulant à pleins bords. Darcy ayant mesuré, dans le premier cas, la vitesse au centre des sections (où elle acquiert son maximum ), au tiers des rayons et à leurs deux tiers, avait cru pouvoir conclure que sa diminution aux distances croissantes de l’axe était comme la puissance de ces distances. Or, dans le second cas, M. Bazin, après avoir multiplié, sur des canaux demi-circulaires, le mesurage des vitesses surtout aux grandes distances de l’axe, là où s’accuse le plus le décroissement considéré et où d’ailleurs ne se font plus guère sentir (à des profondeurs suffisantes) les inévitables troubles de la surface libre, à partir du filer superficiel moyen ou central, proportionnelles au cube de la distance à ce filet.

» Il est vrai que le désaccord des deux formules ne devenait bien sensible, vu leurs coefficients numériques obtenus, que dans la région des tuyaux non observée, c’est-à-dire aux distances supérieures à Mais il n’en était pas moins désirable de contrôler directement et de compléter les résultats de Darcy par des observations assez nombreuses sur une conduite de grande diamètre. C’est ce que vient de faire[3], avec toute la précision possible, M. Bazin, sur un tuyau circulaire en ciment de 0m,40 de rayon et 80m de longueur, où le régime uniforme se trouvait parfaitement établi dès le milieu de la longueur ; et ses observations, tout en confirmant comme loi approchée la proportionnalité de la différence au cube ont rendu possible un degré de plus d’approximation dans le calcul de cette différence.

» Le présent travail a pour principal objet de formuler cette deuxième approximation et d’en déduire quelques conséquences au sujet tant du débit que des frottements intérieurs. Toutefois, je reprendrai, à cette occasion, la théorie même du régime uniforme dans les écoulements tumultueux, afin d’y introduire quelques simplifications et aperçus faisant partie depuis plusieurs années de mon enseignement à la Sorbonne, mais non publiés encore.


  1. Voir les Comptes rendus du 29 août 1870 et du 3 juillet 1871, t. LXXI, p. 389, et t. LXXIII, p. 34, ainsi que l’Essai sur la théorie des eaux courantes, p. 24 à 87, au Recueil des Savants étrangers, t. XXIII.
  2. Recherches expérimentales relatives au mouvement de l’eau dans les tuyaux, par M. H. Darcy (Savants étrangers, t. XV ; 1858) et Recherches expérimentales sur l’écoulement de l’eau dans les canaux découverts, par M. Bazin (Savants étrangers, t. XIX ; 1865).
  3. Comptes rendus, t. CXXII, p. 1250, 1er juin 1896. Voir au même tome des Comptes rendus (p. 1525 ; séance du 29 juin 1896) le Rapport approbatif de ce Mémoire, qui paraîtra in extenso dans le Recueil des Savants étrangers.