CHAPITRE XVI.
Méthode générale pour trouver l’équation primitive d’une équation du premier ordre entre plusieurs variables, lorsque les fonctions dérivées sont linéaires, et pour trouver l’équation primitive d’une équation quelconque du premier ordre entre trois variables.
88. Nous avons vu comment on peut faire disparaître une fonction arbitraire contenue dans une équation donnée, au moyen de ses équations primes ; mais il y a, pour y parvenir, un moyen plus simple à quelques égards, fondé sur la considération que nous avons employée plus haut (no 82).
Considérons en général l’équation
dans laquelle soit égale à les deux fonctions désignées par les caractéristiques et étant données, et la fonction marquée par la caractéristique étant arbitraire ; on peut supposer une fonction de telle que la fonction prime de soit nulle ; alors pourra être traitée comme constante dans la fonction pourvu qu’on détermine par la condition que la fonction prime de soit nulle.
Désignons simplement par et de même par les fonctions primes de et de prises relativement à isolées et regardées comme indépendantes on aura, comme dans l’endroit cité, les deux équations primes
dont la première contiendra
et dont la seconde ne contiendra point
celle-ci servira à éliminer l’inconnue
la première, jointe à son équation primitive, servira à éliminer l’inconnue
Cette méthode a l’avantage de pouvoir s’appliquer aux équations qui contiendraient plusieurs fonctions arbitraires de la même fonction
En effet, si l’on avait l’équation
on trouverait d’abord, comme ci-dessus, une équation du premier ordre sans la fonction mais qui contiendrait encore la fonction ensuite, appliquant à cette équation le même procédé et éliminant de nouveau la fonction qui paraîtra dans son équation prime par la même équation ci-dessus, on aura une équation du second ordre qui contiendra et d’où l’on éliminera cette fonction par le moyen de l’équation du premier ordre ; et ainsi de suite, quel que puisse être le nombre des fonctions arbitraires de la même quantité
Mais, si l’équation proposée contenait les fonctions et et étant des fonctions différentes de on ne pourrait pas parvenir à une équation du second ordre, débarrassée des fonctions et et de leurs dérivées ; il faudrait alors passer à des équations d’un ordre supérieur.
89. Considérons les équations du premier ordre qui peuvent résulter de l’élimination d’une fonction arbitraire et supposons, pour plus de simplicité, ce qui est toujours possible, que l’équation primitive soit de la forme
étant
on aura alors les deux équations primes
qui seront délivrées de et il ne s’agira plus que d’éliminer
Le résultat de cette élimination est
d’où résulte cette équation du premier ordre
qui ne contient que avec les fonctions primes et
Cette équation pourra donc être mise sous cette forme
en faisant
d’où l’on peut conclure :
1o Que toutes les équations du premier ordre entre et qui ne seront pas réductibles à la forme précédente ne pourront pas être dérivées d’une équation primitive entre et étant une fonction de
2o Que toutes les équations du premier ordre réductibles à la forme précédente pourront toujours avoir pour équation primitive une équation de la forme supposée étant égal à
Car les valeurs des coefficients et étant données en fonction de on aura deux équations par lesquelles on pourra déterminer les deux fonctions marquées par les caractéristiques et et la fonction marquée pour demeurera arbitraire.
Ce problème étant l’un des plus intéressants de la théorie des fonctions, je vais en donner ici une solution directe.
90. Regardons, ce qui est permis, et comme des fonctions de dont les fonctions primes soient et et considérons les deux quantités et ces quantités deviendront, par la substitution des expressions précédentes de et de
Si l’on ajoute, et qu’on retranche en même temps du numérateur de la première la quantité et du numérateur de la seconde la quantité et qu’on fasse attention que est la fonction prime de que nous dénoterons simplement par que de même est la fonction prime de que nous dénoterons pareillement par on aura
Donc, si l’on fait les deux équations
ces équations seront équivalentes à ces deux-ci,
dont les équations primitives sont évidemment
et étant des constantes arbitraires, de sorte que ces équations primitives seront complètes à cause des deux constantes arbitraires et
Mais il est possible qu’en cherchant les équations primitives des équations
où et sont des fonctions données de on ne les trouve pas sous la forme précédente. Cependant, sous quelque forme qu’elles
puissent se présenter, si elles renferment deux constantes arbitraires
et
elles doivent être comprises dans les précédentes, et les constantes
et
ne pourront qu’être fonctions des constantes
et
Si donc on tire de ces équations primitives les valeurs des constantes
et
en
et que ces valeurs soient
et
en sorte que les équations dont il s’agit soient réduites à la forme
il s’ensuit que les fonctions
et
ne pourront être aussi que des fonctions de
et
Donc, puisque l’équation primitive d’où l’équation du premier ordre est dérivée, est de la forme
cette équation primitive deviendra
la fonction marquée par demeurant arbitraire d’où il résulte que sera une fonction quelconque de de sorte que l’équation primitive de l’équation du premier ordre
pourra être réduite, en général, à cette forme très-simple,
la fonction marquée par la caractéristique étant arbitraire. Cette méthode réduit, comme l’on voit, la détermination de la fonction de deux variables à celle de deux fonctions d’une seule variable, et elle est surtout remarquable par la simplicité et la généralité du résultat.
91. La méthode précédente peut s’étendre aussi aux fonctions de plus de deux variables. Ainsi, si est une fonction de trois variables déterminée par l’équation
et étant des fonctions données de et étant une
fonction quelconque de
on trouvera, par une analyse semblable à celle du
no 89, et regardant
et
comme des fonctions de
dont on déterminera les fonctions primes
et
par la supposition que
et
demeurent constantes, on trouvera, dis-je, une équation du premier ordre, dérivée de la fonction
de la forme suivante,
étant des fonctions données de et étant les fonctions primes de relativement à et de sorte que toute équation entre et les fonctions primes de qui ne serait pas de cette forme ne pourra pas être dérivée d’une équation primitive de la forme ci-dessus.
Pour les équations du premier ordre réductibles à la forme précédente, on trouvera aussi, par une analyse semblable à celle du numéro précédent, que, si l’on regarde comme des fonctions de déterminées par ces trois équations du premier ordre,
et qu’on en cherche les équations primitives qui devront renfermer trois constantes arbitraires qu’ensuite on tire de ces équations les valeurs de ces constantes, de manière que l’on ait
étant des fonctions données de on aura sur-lechamp
pour l’équation primitive de l’équation proposée, dans laquelle sera une fonction arbitraire de et
Cette méthode est présentée d’une manière plus simple et plus directe dans la Leçon XX du Calcul des fonctions[1], à laquelle nous nous contentons de renvoyer.
92. Mais, si l’on avait, pour la détermination de en fonction de et une équation quelconque du premier ordre entre et non réductible à la forme du no 89, la même méthode ne servirait plus. Cependant on peut toujours, quelle que soit la forme de l’équation proposée, la ramener à la forme du no 91 en y introduisant une variable de plus.
Soit donc proposée l’équation
la fonction indiquée par la caractéristique étant donnée ; je suppose et, comme est fonction de il est clair que sera aussi fonction de donc, prenant les fonctions primes relativement à seul, on aura Maintenant, l’équation proposée deviendra
prenant les fonctions primes relativement à seul, et observant que et sont fonctions de on aura
où les quantités dénotent les fonctions primes de prises relativement aux variables isolées ainsi que nous l’avons pratiqué jusqu’ici ; donc, substituant et pour et on aura l’équation
dans laquelle les quantités seront des fonctions données de et
Cette équation serait donc susceptible de la méthode précédente si était une fonction des variables regardées comme indépendantes entre elles ; mais rien n’empêche de les regarder comme telles et de regarder en même temps comme une simple fonction de , pourvu qu’on exprime, d’une manière conforme à cette supposition, les fonctions primes et qui se rapportent aux seules variables et
Qu’on dénote par et les fonctions primes de relativement à il est facile de voir, par les principes établis pour la formation des fonctions primes, que, puisque est essentiellement une fonction de et dont et sont les fonctions primes relativement à chacune de ces variables isolées, la valeur complète de la fonction prime de relativement à sera et que la valeur complète de la fonction prime de relativement à sera ces valeurs sont celles qui, dans l’équation ci-dessus, sont représentées simplement par et mais on a supposé et, par l’équation proposée, on a donc les valeurs à substituer à et seront et Faisant donc ces substitutions dans la dernière équation en et ordonnant les termes suivant les quantités et on aura
équation qui, étant comparée à la formule générale du no 91, donne
de sorte que les trois équations par lesquelles il faudra déterminer en fonction de seront
Ainsi la difficulté est réduite à trouver les équations primitives d’où celles-ci peuvent être déduites ; mais il suffira d’en trouver une, et il serait même inutile de trouver les deux autres.
93. En effet, supposons qu’on ait trouvé les trois équations primitives avec les trois constantes arbitraires et soient les valeurs de ces constantes qui en résultent ; on aura
pour la forme générale de l’équation primitive en (no 91).
Cette équation, où la caractéristique désigne une fonction arbitraire, satisfera dans toute son étendue à l’équation du premier ordre en dans laquelle est regardée comme fonction de mais a été supposée égale à et doit être, d’après l’équation proposée, une fonction de et donc l’équation
est trop générale, et il faudra encore chercher les limitations qu’on doit donner à la fonction arbitraire relativement aux deux quantités et pour que cette équation réponde exactement à l’équation proposée.
Mais, sans entrer dans cette recherche, j’observe que, quelle que puisse être la vraie forme de la fonction arbitraire, on peut la supposer égale à une constante, de sorte que c’est-à-dire une des équations primitives des trois équations ci-dessus, avec une constante arbitraire, donnera une valeur de qui satisfera à l’équation en
Maintenant, en remettant pour dans cette équation, on aura une équation du premier ordre entre et dans laquelle devra être regardée comme fonction de et mais, puisque cette équation ne contient que la fonction prime relative à on pourra regarder comme constante et comme une simple fonction de on trouvera donc son équation primitive par l’analyse des fonctions d’une seule variable, et, puisque est regardée comme constante, la constante arbitraire qui entrera dans cette équation primitive pourra être aussi une fonction quelconque de que nous nommerons
On aura ainsi une valeur de en et avec les deux quantités et qui satisfera à l’équation proposée. La constante demeurera arbitraire mais la fonction devra être déterminée conformément à cette équation. Pour cela, il n’y aura qu’à y substituer l’expression de dont il s’agit ; tous les termes qui renfermeront se détruiront, et il ne restera que des termes qui contiendront et de sorte que l’on aura de nouveau une équation du premier ordre entre les variables et dont l’équation primitive donnera la valeur de en avec une nouvelle constante arbitraire
De cette manière, on aura enfin une valeur de en et avec deux constantes arbitraires et qui satisfera à la proposée indépendamment des constantes. Cette valeur ne sera que particulière ; mais on pourra, par la méthode du no 83, trouver la valeur générale de qui contiendra une fonction arbitraire.
En effet, si
est l’équation trouvée pour la détermination de on fera et l’on égalera à zéro la fonction prime de prise relativement à la quantité regardée comme seule variable ; on aura une équation qui servira à déterminer et l’équation
sera l’équation primitive cherchée de la proposée du premier ordre, la fonction marquée par la caractéristique demeurant arbitraire.
J’ai cru devoir exposer cette méthode avec tout le détail nécessaire pour la faire bien entendre, parce qu’elle est nouvelle et qu’elle réduit toute l’analyse inverse des fonctions de deux variables qui ne passent pas le premier ordre à l’analyse des fonctions d’une seule variable.
94. Pour éclaircir cette méthode par un exemple dont le calcul soit assez simple, supposons que l’équation proposée soit de cette forme
et étant des constantes, et une fonction quelconque donnée de et de En rapportant cette équation à la formule générale du numéro précédent, on aura
donc
et de là, en prenant les fonctions primes relativement à
et
de sorte que, en faisant ces substitutions dans les trois équations du premier ordre entre la première d’entre elles deviendra
laquelle ne contenant que la variable qu’on suppose fonction de aura une équation primitive indépendamment des deux autres. En effet, si l’on multiplie cette équation par étant le nombre dont le logarithme hyperbolique est l’unité, son premier membre deviendra la fonction prime de
comme il est aisé de s’en assurer en cherchant la fonction prime de cette quantité par les formules du Chapitre III.
Ainsi, comme le second membre est nul, on aura, en passant aux fonctions primitives,
étant une constante arbitraire. Cette équation donnera donc
et, substituant pour sa valeur on aura l’équation prime
dans laquelle, étant la fonction prime de relativement à seul, on pourra regarder comme constante et comme fonction de Ainsi, comme le second membre ne contient ni ni sa fonction primitive dans cette supposition sera simplement
donc, passant des fonctions primes relatives à
seul aux fonctions primitives, on aura l’équation primitive
étant une fonction quelconque de qui peut être ajoutée comme constante, puisque sa fonction prime relativement à est nulle.
De cette expression de on tirera celles des deux fonctions primes et relatives à et et l’on aura
ces valeurs étant substituées dans l’équation proposée, elle deviendra
laquelle se réduit à
où l’on voit que les ont disparu, de manière qu’on pourra déterminer en fonction de seul.
Qu’on multiplie cette équation par et qu’on suppose
elle deviendra
et, passant aux fonctions primitives, on aura
étant une constante arbitraire. De là on tire
donc, substituant cette valeur dans l’expression de trouvée ci-dessus, on aura
Cette valeur de n’est que particulière ; mais, comme elle contient les deux constantes arbitraires et elle donnera la valeur générale si l’on fait et que l’on détermine par l’équation
en désignant par la fonction prime de prise relativement à
Si le calcul devient plus simple, et l’on trouvera, en faisant les deux équations
d’où il faudra éliminer
95. Cette dernière méthode est néanmoins sujette à quelques difficultés que nous avons résolues complétement dans la même Leçon XX déjà citée, où cette matière est envisagée d’une manière plus générale que nous ne l’avons fait ici.
Nous ne nous étendrons pas davantage sur ce qui regarde les fonctions de plusieurs variables. Ceux qui connaissent le Calcul qu’on appelle aux différences partielles pourront aisément le rapprocher de l’analyse de ces fonctions et donner par là à cette analyse les développements qu’on y pourrait encore désirer.
Notre objet, dans cette première Partie, n’a été que d’établir la théorie des fonctions et des équations dérivées d’une manière purement analytique et indépendante de toute supposition ou considération étrangère.