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Théorie des fonctions analytiques/Partie III/Chapitre 05

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Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome IXp. 377-385).
Troisième partie


CHAPITRE V.

Du mouvement d’un corps sur une surface donnée ou assujetti à de certaines conditions. Du mouvement de plusieurs corps liés entre eux. Des équations de condition entre les coordonnées de ces différents corps, et de la manière d’en déduire les forces qui résultent de leur action mutuelle. Démonstration générale du principe des vitesses virtuelles.

25. Reprenons les formules générales du no 15, et supposons que la force soit dirigée vers un point ou centre déterminé par les coordonnées si l’on nomme la distance rectiligne de ce centre au point de la courbe qui répond aux coordonnées on aura

et il est visible que seront les projections de la ligne sur les axes des donc seront les cosinus des angles que la ligne fait avec ces axes, c’est-à-dire des angles que la direction de la force fait avec les mêmes axes. Donc les termes dus à la force dans les valeurs de pourront être représentés par ce sont les forces qui résultent de la décomposition de la force suivant les directions des coordonnées

Si maintenant on suppose égale à une constante on aura l’équation d’une sphère dont sera le rayon et dont le centre sera déterminé par les coordonnées et la direction de la force sera perpendiculaire à la surface de cette sphère. Donc elle sera aussi perpendiculaire à toute autre surface qui passerait par le même point et qui serait tangente à la sphère.

Représentons par l’équation de la sphère

on aura, en prenant les fonctions primes,

et, comme on a supposé il est clair que les forces dirigées suivant et résultantes de la force seront exprimées par

26. Si l’on a une surface représentée par l’équation

laquelle soit tangente de la sphère dont il s’agit, il faudra, par ce qu’on a vu dans le no 40 de la deuxième Partie, que les trois fonctions primes de cette surface soient proportionnelles aux fonctions primes de la surface de la sphère. Donc, si la force agit perpendiculairement à cette surface, il en résultera, suivant les directions de trois forces proportionnelles à

Or, si l’on fait abstraction de la force et qu’on suppose que le corps soit forcé de se mouvoir sur cette surface, il est clair que l’action, ou plutôt la résistance que la surface oppose au corps, ne peut agir que dans une direction perpendiculaire à la surface donc il en résultera, sur le corps, des forces proportionnelles aux fonctions primes de l’équation de la surface.

Donc le même résultat aura lieu aussi si, en faisant abstraction de la surface, on considère seulement l’équation comme une équation de condition donnée par la nature de la question mécanique proposée, d’où l’on peut conclure que toute condition du-problème représentée par l’équation sera équivalente à des forces proportionnelles aux fonctions primes et dirigées suivant les coordonnées Ainsi, en prenant un coefficient indéterminé il faudra ajouter aux valeurs de des équations du no 15 les termes La quantité inconnue devra être éliminée, mais l’équation qu’on aura de moins par cette élimination sera remplacée par l’équation de condition

On peut étendre cette conclusion au cas où il y aurait deux équations de condition représentées par

elles équivaudraient à des forces exprimées par

et dirigées suivant qu’il faudrait ajouter aux valeurs de (no 15), les coefficients et étant indéterminés et devant être éliminés.

27. Jusqu’ici nous n’avons considéré qu’un corps isolé. Soient maintenant deux corps et attachés aux extrémités d’un fil inextensible qui passe sur une poulie fixe. Soient les coordonnées du corps celles du corps les coordonnées du point fixe où est placée la poulie, et la longueur donnée du fil ; il est clair qu’on aura l’équation

que nous représenterons par

Si l’on nomme la tension du fil qui agit également sur les deux corps, et qu’on applique ici l’analyse du no 25, il est clair que l’action du fil sur les deux corps produira sur le corps les forces suivant et sur le corps les forces suivant ses coordonnées

Il en serait de même si le fil passait sur deux poulies fixes dont la position dans l’espace fût déterminée par les coordonnées pour la première, et par pour la seconde. Alors, en désignant par la longueur totale du fil, moins la partie interceptée entre les deux poulies, qui est aussi donnée, l’équation de l’inextensibilité du fil donnerait

et, en représentant cette équation par

on aurait pareillement pour les forces qui tireraient le corps suivant les coordonnées et pour celles qui tireraient le corps suivant les coordonnées

Enfin, si l’on supposait que le fil auquel est attaché le corps après avoir passé sur la première poulie fixe, repassât sur le même corps et de là sur la même poulie, et de nouveau sur le corps et sur la poulie à plusieurs reprises, de manière qu’il y eût cordons entre le corps et la poulie ; qu’ensuite le fil, en quittant cette poulie, passât sur la seconde poulie fixe et de là sur le corps en faisant aussi plusieurs tours entre ce corps et la même poulie avant d’être attaché fixement au corps de manière qu’il y eût cordons entre ce corps et la poulie ; comme la tension est la même dans toute l’étendue du fil, le corps étant tiré par cordons, serait tiré vers la première poulie par une force égale à et le corps serait tiré vers la seconde poulie par une force égale à Or il est clair que dans ce cas l’équation qui renferme la condition de l’inextensibilité du fil serait

en désignant toujours par la longueur totale du fil, moins la longueur interceptée entre les deux poulies et il est facile de voir qu’en représentant cette équation par

on aurait aussi, pour les forces qui tireraient le corps suivant et le corps suivant les mêmes expressions que ci-dessus :

Si l’on suppose que et soient les forces qui tirent les corps et vers les deux poulies fixes, on aura et donc, puisque et doivent être des nombres entiers, si les quantités et sont commensurables, il faudra prendre pour leur commune mesure ; mais, quelles que soient les forces et on peut toujours les représenter par et en prenant, dans le cas où elles seraient incommensurables, les nombres et très-grands et la quantité infiniment petite, et les forces qui tirent les corps et suivant leurs coordonnées seront toujours proportionnelles aux fonctions primes de la même équation de condition relatives à ces coordonnées.

28. Maintenant, si au lieu de l’équation de condition

dépendante de l’inextensibilité du fil, on a une autre équation quelconque entre les mêmes coordonnées des deux corps, représentée par

on peut, en regardant les constantes qui entrent dans la première de ces équations comme arbitraires, faire coïncider non-seulement les équations mêmes, mais encore toutes leurs fonctions primes pour des valeurs données des variables de cette manière, les deux équations deviendront comme tangentes l’une de l’autre, par la théorie des contacts que nous avons donnée dans la deuxième Partie,

et, quelle que soit la liaison des deux corps qui est représentée par l’équation

elle deviendra équivalente à celle d’un fil qui passe par deux poulies.

On pourrait croire que, puisque l’équation de condition

pour un fil simple qui passe sur deux poulies fixes, renferme sept constantes arbitraires, elle peut toujours avoir un contact du premier ordre avec une équation quelconque, puisque ce contact ne demande que sept conditions ; mais, en représentant cette équation par

et prenant ses fonctions dérivées, il est visible qu’on a

de sorte qu’on ne pourrait plus satisfaire en général aux conditions du contact :

Cet inconvénient disparaît en prenant

pour l’équation de condition du fil multiple, à cause des nouveaux coefficients indéterminés et et l’on peut dire que l’équation de condition donnée

produit sur les corps et les mêmes forces que le fil,

On tire de là cette conclusion que, dans un système de deux corps dont la liaison dépend de l’équation

leur action mutuelle produit sur l’un des corps les forces suivant les trois coordonnées rectangles et sur l’autre corps les forces suivant les coordonnées rectangles étant un coefficient indéterminé.

29. Si le système était composé de trois corps ayant pour coordonnées rectangles on trouverait, par un pareil raisonnement, que toute équation entre ces coordonnées dépendante de la liaison des corps et représentée par

donnerait pour le premier corps les forces suivant pour le second corps les forces suivant et pour le troisième les forces suivant et ainsi de suite si le système était composé d’un plus grand nombre de corps. En effet, quel que soit le nombre des corps et quelle que soit leur liaison, elle ne peut produire sur chaque corps qu’une force déterminée suivant une certaine direction ; or toutes ces forces peuvent être aussi produites par la tension d’un même fil qui passerait successivement et à plusieurs reprises sur les mêmes corps et sur des poulies fixes.

Enfin, s’il y avait entre les mêmes coordonnées une seconde équation de condition représentée par

il en résulterait d’autres forces exprimées par pour le premier corps, par pour le second corps et par pour le troisième, et suivant les directions des mêmes coordonnées, le coefficient étant indéterminé comme le coefficient et ainsi de suite s’il y avait un plus grand nombre d’équations de condition.

30. On doit conclure de là, en général, que les forces qui peuvent résulter de l’action mutuelle des corps d’un système donné se déduisent directement des équations de condition qui doivent avoir lieu entre les coordonnées des différents corps du système, en prenant les fonctions primes des fonctions qui sont nulles en vertu de ces équations. Les fonctions primes de la même fonction, prises par rapport aux différentes coordonnées, sont toujours proportionnelles aux forces qui agissent suivant ces coordonnées, et qui dépendent de la condition exprimée par cette fonction.

J’étais déjà arrivé à un résultat semblable dans la Mécanique analytigue, en partant du principe général des vitesses virtuelles, et, en effet, ce principe est renfermé dans le résultat que nous venons de trouver ; car il est évident que, si plusieurs forces appliquées à un système de corps sont en équilibre, elles doivent être égales et directement opposées à celles qui résultent de leur action mutuelle.

Soient les forces appliquées à l’un des corps suivant les directions des coordonnées prolongées, les forces appliquées à un autre corps suivant le prolongement de ses coordonnées et les forces appliquées à un troisième corps suivant le prolongement de ses coordonnées on aura, par ce qu’on vient de démontrer,

et de là on tirera immédiatement

Le second membre de cette équation est évidemment nul, en vertu des équations de condition, puisque les quantités indéterminées, se trouvent multipliées par les fonctions primes de ces équations ; donc on aura

équation générale du principe des vitesses virtuelles pour l’équilibre

des forces dans laquelle les fonctions primes expriment les vitesses virtuelles des points auxquels sont appliquées les forces estimées suivant les directions de ces forces. [Voir la première Partie de la Mécanique analytique[1]].

Au reste, on ne doit pas être surpris de voir le principe des vitesses virtuelles devenir une conséquence naturelle des formules qui expriment les forces d’après les équations de condition, puisque la considération d’un fil qui par sa tension uniforme agit sur tous les corps et y produit des forces données suffit pour conduire à une démonstration directe et générale de ce principe, comme je l’ai fait voir dans la seconde édition de l’Ouvrage cité.


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  1. Œuvres de Lagrange, t. XI.