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Théorie du mouvement des corps célestes/Préface

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Traduction par Edmond Dubois.
(p. i-viii).

PRÉFACE.
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Après la découverte des lois des mouvements planétaires, le génie de Képler ne manqua pas de moyens pour déterminer, à l’aide des observations, les éléments de chaque planète. Tycho-Brahé, par lequel l’astronomie d’observation était arrivée à. une hauteur inconnue avant lui, avait observé toutes les planètes pendant de longues années avec le plus grand soin, et avec tant de persévérance qu’il resta seulement alors à Képler, le plus digne héritier d’un pareil trésor, le soin de choisir parmi toutes ces observations celles qui paraissaient convenir au but proposé quel qu’il fût. Les mouvements moyens des planètes déterminés depuis longtemps avec une grande précision, d’après les plus anciennes observations, ne facilitèrent pas médiocrement cette recherche.

Les astronomes qui, après Képler, entreprirent de calculer avec encore plus de soin les orbites des planètes, au moyen d’observations plus récentes ou plus précises, jouirent des mêmes avantages ou d’autres encore plus grands. Il ne s’agissait plus, en effet, d’obtenir des éléments entièrement inconnus, mais seulement de corriger ceux déjà obtenus en les renfermant dans des limites plus étroites.

Le principe de la gravitation universelle, découvert par le grand Newton, ouvrit un champ entièrement nouveau et apprit que tous les astres, du moins ceux maîtrisés dans leurs mouvements par la force attractive du Soleil, doivent absolument se conformer, en les modifiant seulement un peu, à ces mêmes lois que Képler avait reconnues gouverner cinq planètes. Képler, appuyé sur le témoignage des observations, avait en effet déclaré que l’orbite d’une planète quelconque est une ellipse dans laquelle les aires sont décrites uniformément autour du Soleil occupant un des foyers de la courbe, et de telle sorte que les carrés des temps de révolution dans les différentes ellipses sont dans le rapport des cubes des demi-grands axes. Newton réciproquement, en se basant sur le principe de la gravitation universelle, démontra a priori : que tous les astres gouvernés par la force attractive du Soleil doivent se mouvoir dans des sections coniques dont les planètes nous montrent un genre, c’est-à-dire les ellipses, mais que les autres genres, les paraboles et les hyperboles, doivent être considérés comme également possibles, pourvu qu’il existe des astres dont la vitesse soit dans un certain rapport avec la force du Soleil ; qu’un des foyers de ces sections coniques est toujours occupé par le Soleil ; que les aires décrites par un même astre autour du Soleil, dans différents intervalles, sont proportionnelles à ces intervalles, et enfin que les aires décrites par différents astres, dans des temps égaux, sont proportionnelles à la racine carrée des demi-paramètres des orbites. La dernière de ces lois, identique avec la dernière loi de Képler dans le mouvement elliptique, s’applique aux mouvements parabolique et hyperbolique auxquels ne peut s’appliquer celle de Képler, puisque les révolutions n’existent pas.

Ce fil une fois trouvé, on put, grâce à lui, parcourir le labyrinthe du mouvement des comètes autrefois inaccessible. Ce qui réussit si heureusement, que la seule hypothèse que les orbites sont des paraboles suffirait pour expliquer les mouvements de toutes les comètes observées avec soin. Le système de la gravitation universelle avait ainsi préparé à l’analyse des triomphes nouveaux et les plus brillants ; et les comètes jusqu’alors toujours indomptées, ou si elles paraissaient vaincues, bientôt séditieuses et rebelles, souffrirent le frein qui les enchaînait, et d’ennemies devenues soumises, poursuivent religieusement leur route dans les sentiers tracés par le calcul et d’après les lois éternelles auxquelles obéissent les planètes.

En déterminant les orbites paraboliques des comètes d’après les observations, il se présentait néanmoins des difficultés beaucoup plus grandes que dans la détermination des orbites elliptiques des planètes, principalement de ce que les comètes, n’étant visibles que pendant un court intervalle de temps, ne fournissaient pas un choix d’observations particulièrement commodes pour telle ou telle méthode, mais obligeaient l’astronome à employer les observations qu’il avait accidentellement obtenues ; de telle sorte que l’on était presque toujours forcé d’avoir recours à des méthodes spéciales rarement employées dans les calculs planétaires. Le grand Newton lui-même, le premier géomètre de son siècle, ne dissimula pas la difficulté du problème ; cependant, comme on pouvait s’y attendre, il sortit aussi vainqueur de cette lutte. Plusieurs géomètres après Newton se sont occupés du même problème avec plus ou moins de succès, de manière cependant que de nos jours il laisse peu de chose à désirer.

Mais il ne faut pas oublier que dans cette question la connaissance d’un élément de la section conique diminue fort à propos la difficulté, puisque d’après l’hypothèse même de l’orbite parabolique, le grand axe est supposé infini. Toutes les paraboles, en laissant de côté la position, diffèrent seulement par la distance plus ou moins grande du sommet au foyer, tandis que les sections coniques, considérées d’une manière générale, admettent une variété infinie. Il n’y avait certainement pas de raison suffisante pour supposer les orbites des comètes rigoureusement paraboliques ; on doit plutôt considérer comme infiniment peu probable que la nature des choses puisse jamais s’accorder avec une telle hypothèse. Toutefois, puisqu’il est certain que le mouvement d’un astre décrivant une ellipse ou une hyperbole dont le grand axe est dans un rapport très-grand avec le paramètre diffère très-peu, aux environs du périhélie, du mouvement dans une parabole ayant la même distance focale, et que cette différence est d’autant moindre que le rapport du grand axe au paramètre est plus grand ; puisque ensuite, l’expérience a montré qu’entre le mouvement observé et le mouvement calculé dans l’orbite parabolique il ne reste presque jamais de différences plus grandes que celles qui peuvent en toute sûreté être attribuées aux erreurs d’observations (ici le plus souvent assez considérables), les astronomes pensent qu’il faut s’en tenir à la parabole ; fort à propos sans doute, puisque les moyens manqueraient entièrement pour savoir d’une manière suffisamment certaine s’il y a une différence plus ou moins grande avec la parabole. Il faut excepter pourtant la célèbre comète de Halley qui, décrivant une ellipse très-allongée, nous a plusieurs fois donné le temps de sa révolution ; mais alors, la grandeur du grand axe pouvant s’en déduire, le calcul des autres éléments peut à peine être considéré comme plus difficile que la détermination de ceux d’une orbite parabolique.

Nous ne pouvons en vérité passer sous silence que des astronomes ont tenté de déterminer l’écart de la parabole pour quelques comètes observées pendant un temps un peu plus long ; toutefois, toutes les méthodes proposées ou employées dans ce but se sont appuyées sur l’hypothèse que la différence avec la parabole n’était pas considérable ; par suite, la parabole elle-même calculée primitivement a fourni pour ces essais une valeur approchée de chaque élément (excepté le grand axe ou le temps de révolution qui en dépend), devant seulement subir de légers changements. On doit aussi avouer que tous ces essais n’ont presque jamais fourni de données certaines, si l’on en excepte par hasard la comète de 1770.

Dès qu’on fut certain que le mouvement de la nouvelle planète découverte en 1781 ne pouvait s’accorder avec l’hypothèse parabolique, les astronomes commencèrent à lui adapter une orbite circulaire qu’on détermina par un calcul simple et très-facile. Par un hasard heureux l’orbite de cette planète était si peu excentrique que, par le fait, les éléments obtenus, d’après cette hypothèse, fournirent au moins une sorte d’approximation sur laquelle on put ensuite baser la détermination des éléments elliptiques. Plusieurs autres avantages se présentaient. Le mouvement lent de la planète et la petite inclinaison de l’orbite sur le plan de l’écliptique rendaient en effet, non-seulement les calculs beaucoup plus simples et permettaient de faire usage de méthodes spéciales ne pouvant s’appliquer à d’autres cas, mais elles dissipaient aussi la crainte que la planète plongée dans les rayons du Soleil ne vînt ensuite défier toutes les recherches (crainte qui autrement, eût pu nuire aux observations, surtout si la lumière de l’astre fût en outre devenue moins vive) ; on pouvait donc, d’après cela, remettre entièrement la détermination plus exacte de l’orbite jusqu’à ce qu’il fût permis de choisir, parmi des observations plus nombreuses et plus écartées, celles qui paraîtraient plus convenables au but proposé.

C’est pourquoi, dans tous les cas où il s’agit de déduire des observations l’orbite d’un astre, il ne faut pas mépriser certains avantages qui réclament ou au moins qui tolèrent l’application de méthodes spéciales, particulièrement utiles en ce qu’elles permettent d’obtenir promptement, par des suppositions hypothétiques et avant d’entreprendre le calcul des éléments elliptiques, la valeur approchée de certains éléments. On trouvera néanmoins assez étonnant que le problème général :

Déterminer l’orbite d’un astre sans aucune hypothèse, d’après des observations n’embrassant pas un intervalle trop grand ni même choisi pour qu’elles puissent souffrir l’application de méthodes spéciales, ait été jusqu’au commencement de ce siècle presque entièrement négligé, ou du moins n’ait été traité par personne sérieusement et d’une manière convenable, quoique certainement ce problème se recommandât aux théoriciens par sa difficulté et son élégance, bien que sa grande utilité pratique n’eût pas été constatée par les observateurs. Chez tous les astronomes, en effet, l’opinion qu’il était impossible de faire complètement une pareille détermination au moyen d’observations renfermées dans un court espace de temps était certes mal fondée, puisqu’on est actuellement convaincu de la manière la plus certaine que, sans aucune hypothèse, on peut maintenant déterminer l’orbite d’un astre d’une manière approchée, à l’aide de bonnes observations embrassant seulement un petit nombre de jours.

Au mois de septembre 1801, alors occupé d’un travail tout différent, il m’était venu quelques idées qui paraissaient devoir me conduire à la solution du grand problème dont je viens de parler. Il n’est pas rare, en pareil cas, qu’afin de ne pas trop nous distraire d’une recherche intéressante, nous laissions se dissiper un ensemble d’idées qui, examinées plus attentivement, pourraient fournir des résultats féconds. Le même sort était peut-être aussi réservé à mes idées si elles n’étaient fort heureusement arrivées dans un temps certainement plus favorable qu’aucun autre pour qu’elles fussent conservées et cultivées. Vers la même époque, en effet, le bruit de la nouvelle planète découverte le 1er janvier de cette année dans le télescope de Palerme, courait de bouche en bouche, et les observations de cet astre faites depuis cette époque jusqu’au 11 février, par l’éminent Piazzi, parvinrent à la publicité. Nous ne trouvons certes nulle part dans les annales de l’astronomie une occasion aussi sérieuse, et l’on eût pu à peine en imaginer une aussi grave pour faire le plus vivement sentir l’importance de ce problème, que cette circonstance impérieuse où tout espoir de retrouver dans le ciel la planète atome au milieu des innombrables étoiles et après une année presque écoulée, dépendait uniquement de la connaissance suffisamment approchée de l’orbite établie sur ce petit nombre d’observations. Aurais-je jamais pu expérimenter plus à propos la valeur pratique de mes théories qu’en les employant alors à la détermination de l’orbite de Cérès, de cette planète qui décrivit seulement un arc géocentrique de trois degrés dans l’espace de ces 41 jours et qui, après une année écoulée, dut être cherchée en un point de la voûte céleste très-éloigné de cet arc ? La première application de cette théorie est faite dans le mois d’octobre 1801, et la première nuit sereine dans laquelle la planète est cherchée[1], d’après les positions fournies par cette méthode, a rendu la transfuge aux observations. Trois autres planètes nouvelles, découvertes depuis cette époque, ont fourni de nouvelles occasions d’examiner et de s’assurer de l’efficacité et de la généralité de la méthode.

Aussitôt après que Cérès eut été retrouvée, plusieurs astronomes témoignèrent le désir que je fisse connaître les méthodes employées pour ces calculs ; mais plusieurs choses empêchèrent que je ne me rendisse alors à ces sollicitations amicales : d’autres travaux, le désir de traiter un jour la question d’une manière plus complète, et principalement l’espoir qu’en continuant à m’occuper de ce problème, j’amènerais différentes parties de la solution à plus de généralité et à toute l’élégance et la simplicité possibles. Puisque cet espoir n’a pas été déçu, je ne crois pas devoir me repentir de ma manière d’agir. Les méthodes employées dans le principe ont effectivement subi des changements si grands et en si grand nombre, qu’entre la méthode à l’aide de laquelle l’orbite de Cérès a autrefois été calculée et celle développée dans cet ouvrage il reste à peine quelques traces de ressemblance. Quoiqu’à dire vrai il soit étranger au plan de cet ouvrage de raconter complètement tous les perfectionnements que ces recherches ont successivement éprouvés, j’ai pensé cependant que dans plusieurs occasions, toutes les fois surtout qu’il s’est agi d’un certain problème plus important, il ne fallait pas supprimer entièrement les méthodes antérieures. J’ai même considéré, en outre du problème principal, plusieurs solutions qui, dans un travail d’une certaine longueur sur le mouvement des astres dans les sections coniques, m’ont paru plus dignes d’attention, soit à cause de leur élégance analytique, soit surtout en raison de leur usage pratique. J’ai cependant toujours donné avec plus de soins les questions ou les méthodes qui me sont propres, traitant seulement succinctement un sujet connu et en tant qu’il paraisse se rattacher aux autres questions.

L’ouvrage entier est, d’après cela, divisé en deux parties. Dans le premier livre sont développées les relations existant entre les quantités dont dépend, d’après les lois de Képler, le mouvement des astres autour du Soleil ; les deux premières sections contenant les relations dans lesquelles une position unique de l’astre est considérée, et la troisième et la quatrième celles où l’on considère plusieurs positions. Ces deux dernières sections contiennent non-seulement l’exposition des méthodes habituellement en usage, mais encore particulièrement d’autres qui doivent, si je ne me trompe, leur être de beaucoup préférées dans la pratique, et à l’aide desquelles on obtient, d’après les éléments connus, les positions des astres ; les deux autres sections traitent de questions beaucoup plus importantes et qui préparent la voie aux opérations inverses. Puisqu’en effet les positions de la planète se déduisent des éléments par une suite de considérations longues et ingénieuses, il est nécessaire d’apercevoir plus profondément la nature de ce tissu avant qu’il soit permis d’entreprendre, avec espoir de succès, l’explication des fils et la solution de la question dans ses différentes parties. Nous donnons donc, dans le premier livre, les formules et les moyens à l’aide desquels, dans l’autre livre, ce travail difficile est ensuite achevé ; la partie la plus importante du travail consiste donc alors en ce que ces moyens, choisis comme il faut, soient disposés dans une suite convenable et dirigés vers le but proposé.

Les problèmes les plus importants sont pour la plupart éclaircis par des exemples extraits toujours, toutes les fois que la chose a été possible, d’observations véritables. De la sorte on accordera, non-seulement une plus grande confiance à l’efficacité des méthodes et leur usage se montrera plus clairement aux yeux, mais j’espère aussi avoir évité que les calculateurs moins exercés ne soient détournés de l’étude de ces questions qui constituent, sans aucun doute, la partie la plus féconde et la plus brillante de l’astronomie théorique.

Gœttingue, 28 mars 1809
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  1. 7 décembre 1801, par le célèbre Zach.