donc pas être pénétrés pour la mémoire de ce voyageur rare, qui le premier apporta dans ſa patrie une plante auſſi productive ! Il faudroit lui ériger une statue, & la reconnoiſſance ne manqueroit pas de faire tomber à ſes pieds habitans des campagnes dérobés aux horreurs de la famine, par le ſecours unique des pommes de terre.
Cette culture n’eſt fondée que ſur un ſeul principe, quels que ſoient la nature du ſol, & l’eſpèce de pomme de terre : il consiſte à rendre la terre auſſi meuble qu’il est poſſible avant la plantation & pendant toute la durée de l’accroiſſement de la plante, en ſe ſervant des bras ou des animaux ; mais le produit est toujours proportionné aux ſoins qu’on en prend.
Quoique la pomme de terre ne ſoit qu’une eſpèce de ſolanum, que Tournefort a déſignée ſous le nom de ſolanum tuberoſum eſculentum flore albo, & Linneus sous celui de ſolanum tuberoſum, nous en donnerons cependant une deſcription générique qui conviendra plus particulièrement aux différentes eſpèces ou variétés de cette plante provenant de toutes les parties de l’Amérique.
Il ſort des aiſſelles des feuilles, des bouquets de fleurs que je nommerai flabelliformes, parce que le péduncule commun, qui ſe bifurque à ſon extrémité, en ſe courbant à droite & à gauche, porte ſur la convexité de la bifurcation des péduncules particuliers, garnis chacun d’une fleur, qui reſſemblent à un éventail ouvert. Chacun de ces péduncules a cela de particulier, que quand la fleur tombe ſans nouer, une partie reſte adhérente à la fleur, & l’autre à la bifurcation.
Il est perſiſtant, d’une ſeule pièce, en forme de cloche, pentagone, découpé dans la moitié de ſa longueur en cinq parties preſque égales ; chaque découpure eſt large dans la moitié de ſa longueur, & bordée d’un feuillet membraneux blanc : le reſte est une eſpèce de filet étroit creuſé en gouttière, & pointu.
Elle eſt d’une ſeule pièce ouverte en forme de roſette ; le tube est très-court ; le limbe eſt grand, renverſé en dehors, pliſſé en cinq endroits, & garni de cinq pointes & de cinq échancrures ſur le bord. Quelquefois elle eſt double, tantôt d’un beau roſe, violette, bleue, gris de lin, blanche, & même panachée.
Elles ſont au nombre de cinq, moitié plus courtes que la corolle, raſſemblées autour du piſtil qu’elles embraſſent ; les filets ſont courts, en forme d’alêne, attachée au haut du tube ; les anthères ſont oblongues, rapprochées, les unes des autres, empreintes de quatre ſillons, compoſées de deux bourſes ſoudées en dehors, ſéparées en dedans, partagées intérieurement par un feuillet membraneux, & ouvertes en haut obliquement en dehors.
Il eſt une fois plus long que les étamines, placé dans leur centre ; l’ovaire a la forme d’un œuf ; il porte un ſtyle cylindrique, terminé par un ſtigmate oblong & inégal.
Ce ſont des baies plus ou moins groſſes, charnues, preſque rondes, liſſes, légèrement aplaties & ſillonnées des deux côtés : elles ſont vertes d’abord, & jauniſſent en mûriſſant ; elles contiennent un grand nombre de petites ſemences lenticulaires, blanches attachées à un placenta hémiſphérique, & enveloppées d’une ſubſtance pulpeuse.
Elles ſont ailées, terminées par une impaire, compoſées de folioles de trois grandeurs différentes, rangées le long de la côte : les plus grandes ſont pétiolées, les moyennes fort peu, & les petites preſque point ; leurs folioles ſont ovales, terminées en pointes, ridées, ſinuées, d’un vert plus ou moins foncé en deſſus, plus pâle en deſſous, & garnies d’un grand nombre de nervures.
Elles ſont herbacées, creuſes, cannelées, tachées, noueuſes, triangulaires & rameuſes. Elles s’élèvent à deux, trois, quatre & quelquefois cinq pieds de hauteur.
On en distingue de deux ſortes, la fibreuſe & la tubéreuſe, qui naissent également des nœuds de la portion de la tige qui eſt dans la terre : la première eſt compoſée de petits filaments qui ſe ramifient dans la terre, s’y enfoncent à différentes profondeurs, pour pomper la nourriture de la plante ; la ſeconde, beaucoup plus groſſe, blanchâtre & charnue, rampe entre deux terres, & jette des bulbes de différentes formes, groſſeur & couleur : quelquefois on ne voit qu’une bulbe à l’extrémité de cette eſpèce de racine ; le plus ſouvent elle en porte pluſieurs, qu’elle traverſe comme des grains de chapelet ; d’autres fois elle jette de courtes ramifications dans ſon trajet, qui portent un bulbe que l’on pourroit nommer trace ſouterraine, puiſqu’elle reproduit la plante. La ſurface des bulbes est fort inégale, & garnie d’un grand nombre de tubéroſités, ſouvent de tubercules, & toujours de foſſettes ou enfoncemens, qui ſont l’emplacement des bourgeons.
Les tiges s’élèvent d’abord perpendiculairement ; enſuite elles ſe couchent ſur la terre, ſouvent dans la moitié de leur longueur.
La pomme de terre paroît être indigène dans toutes les parties de l’Amérique : la Virginie, le Canada, le Pérou & le Chili en ont procuré différentes variétés à l’Europe, mais nulle part elle ne croît ſans culture ; les tubercules qui reſtent dans le champ après la récolte, ou les baies que la terre reçoit, donnent bien naiſſance à une plante qui produit une ou deux petites racines, mais c’eſt-là où ſe borne la génération.
C’eſt ſous le nom de potatoe que la pomme de terre a été tranſportée d’Angleterre en France ; on continue même de l’appeler ainſi dans toute la Grande-Bretagne & dans quelques-unes de nos provinces, en ſorte qu’elle a été confondue & et qu’on la confond journellement avec la patate, & même avec le topinambour, trois racines originaires, à la vérité, de l’Amérique, dont l’utilité alimentaire & la vigueur de la végétation ſont également inconteſtables, mais qui appartiennent chacune à des familles très diſtinctes, n’ayant entre elles nulle reſſemblance dans les parties de leur fructification, comme je me propoſe de le faire voir en terminant ce traité.
On déſigne encore, avec auſſi peu de fondement, la pomme de terre sous les noms de truffe blanche & de truffe rouge, mais il eſt également très-aiſé de diſtinguer les caractères qui établiſent les différences reſpectives avec cette ſubſtance fongueuſe informe, que les botaniſtes ont placée dans la cryptogamie.
Toutes ces dénominations données indifféremment au même végétal, malgré les obſervations les plus judicieuſes de M. le Chevalier Muſtel occaſionnent néceſſairement des mépriſes qu'il convient de prévenir, en fixant d'une manière irrévocable les caractères botaniques des trois plantes intéreſantes dont il s'agit, & en faiſant voir clairement que quels que ſoient la figure, le volume & la couleur de la pomme de terre, elle n'eſt ni la patate, ni le topinambour, ni la truffe : peut-être seroit-il utile de lui trouver une autre dénomination, puiſqu’elle n’eſt pas plus une pomme que le topinambour n’eſt une poire.
Quant à l’origine de cette plante, on eſt aſſez généralement d’accord ſur le canton d’où elle a été tirée d’abord, & l’époque de ſon introduction parmi nous ; cependant plusieurs auteurs allemands veulent que ce soit François Drake, anglois, qui ait apporté, du Pérou en Europe, les premières pommes de terre en 1586, qu’on les a plantées à Londres, qu’enſuite elles ont paſſé en Hollande, puis en Flandre, en Italie ; qu’enfin un Vaudois nommé Antoine Seignorel, en tranſporta sur le Rhin en 1710, où il les vendit, & d’où elles ſe répandirent en Allemagne, en Lorraine, en Alsace, &c.
Mais Houghton, rédacteur trés-inſtruit du premier journal d’agriculture d’Angleterre, & peut-être de l’Europe, écrivoit en 1699, que la pomme de terre avoit été apportée de Virginie en Europe, par ſir Walter Raleigh, qu’à son retour il aborda en Irlande, que cette plante y fut d’abord cultivée avec beaucoup de ſuccès, & devint d’une très-grande utilité à ſes habitans ; que dans la guerre qu’ils eurent à ſoutenir peu d’années après l’adoption de ſa culture en grand, les ennemis ayant détruit toutes les productions apparentes du ſol, celle-ci les préſerva des horreurs de la famine, & que tranſportée enſuite d’Irlande dans le Lancashire, elle y fut extrêmement multipliée.
Ce paſſage, confirmé par Hale, étant tiré d’un auteur anglois, dont l’aſſertion n’a été démentie par aucun de ſes compatriotes, paroît être d’un plus grand poids que celui ci-deſſus. Au reſte, Drake peut bien avoir apporté en Europe, après ſir Walter Raleigh, une autre eſpèce de pomme de terre, dont la culture ſe ſera étendue succeſſivement dans différens cantons, comme elle fut apportée dans l’île de Teneriffe, par don Jean-Baptiſte de Bettancourt Castro, dont les avantages sont développés par l’un de ſes deſcendans, M. Joſeph de Bettancourt, dans une lettre intéreſſante adreſſée à la ſociété royale des Arts. Mais il croit ſuperflu de s’arrêter plus long-temps à de pareilles recherches ; j’ai un objet plus utile à remplir.
Les pommes de terre diffèrent entre elles par leur couleur, leur volume & la qualité de leur chair ; mais ces différences ne ſont pas toujours, comme on l’a prétendu, l’ouvrage du terrain & de la ſaison ; elles dépendent encore d’eſpèces ou variétés particulières, puiſque la largeur, l’épaiſſeur, le tiſſu & le vert de leur feuillage, les nuances de couleur & la grandeur des fleurs, le nombre & la groſſeur des baies, ſont aſſez diſſemblables pour être facilement ſaiſies par l’œil le moins exercé : aidé ſur-tout des plus légères connoiſſances de botanique. Il s’agit de donner une courte deſcription, non de toutes les variétés qui exiſtent, mais de celles que j’ai cultivées& propagées dans le royaume ; je me crois d’ailleurs, à cet égard le plus riche propriétaire du monde.
Ceux des botaniſtes modernes qui ont parlé dans leurs ouvrages de la pomme de terre, n’en indiquent qu’une ſeule variété ; mais leurs obſervations sur cette plante, toujours plus relatives à la ſcience qu’à l’utilité publique, n’ont pas été pouſſées bien loin : ce n’eſt pas que les écrivains qui ont fait monter le nombre de ces variétés à plus de ſoixante, fuſſent mieux fondés ; ils ont compté pour autant d’eſpèces les nuances légères qui ſe trouvent dans chacune des variétés. Le moyen assuré de reconnoître les différentes eſpèces ou variétés de pommes de terre, ne ſeroit pas, ſans doute, de continuer à les déſigner, comme on le fait journellement, ſelon les cantons européens d'où elles ont été tirées, & l'époque de leur maturité, puiſque toutes viennent originairement de l'Amérique, & que le moment de la récolte varie beaucoup, à raiſon des années, des climats, des engrais & du ſol. Il paroît bien plus naturel, & en même temps plus ſimple, de les décrire d'après le port de la plante, la forme, le volume & la couleur de ſes tubercules.
L’étude ſuivie que j’ai eu l’occaſion de faire de l'économie végétale de toutes les variétés de pommes de terre d'uſage en Europe, me détermine à penſer que les blanches, les jaunes, les rouges & les violettes, les rondes, les longues, & les plates, conſtituent des variétés bien marquées, qui ſe reproduisent indépendamment du ſol, de la culture & des aſpects. Cette aſſertion, confirmée en outre par les obſervations de M. Deſcemet, médecin de la faculté de Paris, dont l'autorité en botanique eſt du plus grand poids, me laiſſe entrevoir qu’en faiſant une heureuſe application des différentes pommes de terre, il n’y a pas de terrain et d’expoſition qui ne leur deviendront propres. L’ordre dans lequel je vais les ranger, indiquera leur degré d’utilité.
Elle a les feuilles d’un vert foncé, plus liſſes & plus rudes en deſſous ; les folioles ſont larges, oblongues, aplaties & terminées en pointe ; ſes tiges ſont fortes & rampantes ; ſes fleurs commencent par être rouges, panachées, & finiſſent par le gris-de-lin ; elles ſont abondantes, ainsi que les baies. Cette variété eſt la plus vigoureuſe, la plus féconde & la plus commune dans nos marchés ; Elle réuſſit dans tous les terrains, mais ceux qui sont ſablonneux lui donnent une excellente qualité : ſes tubercules ſont conglomérés & marqués intérieurement par des points rouges plus ou moins ſenſibles. Dans certains cantons où on en nourrit le bétail, elle est appelée à cauſe de cela, Pomme de terre à vache : en Flandre on la nomme ſauvage, & ruſtique ailleurs. On n’en connoît pas d’autres eſpèces dans beaucoup de provinces ; ſes avantages sont inappréciables.
Son port reſſemble aſſez à celui de la groſſe-blanche ; mais la couleur du feuillage eſt plus foncée : la fleur eſt petite, très-échancrée & parfaitement blanche ; les tubercules ſont exempts de points rouges intérieurement. Cette variété eſt très-productive, & d’une excellente qualité. Il paroît que les Irlandois la cultivent particulièrement, car on la connoît dans quelques endroits, ſous le nom de Blanche Irlandoiſe. Elle pourra un jour remplacer la groſſe blanche pour l’uſage des hommes, comme elle, ſes tubercules ſont conglomérés, & ſouvent d’un très gros volume, mais ils gardent plus conſtamment la forme longue.
Elle a ſouvent ſix étamines ; la tige eſt verte & forte, la feuille crépue, profondément découpée, d’un vert olivâtre ; la fleur eſt panachée & ſouvent double ; les baies ſont abondantes, & ont des petits points blancs à partir du ſommet dans la direction de leur plus grand diamètre. Les tubercules, au lieu de ſe trouver raſſemblés au pied de la plante, s’en écartent & filent au loin : leur peau eſt fine, & la chair un peu jaunâtre. M. St-Jean de Crevecœur l’a envoyée de New-York. Elle demande un ſol léger, eſt farineuse & très-délicate à manger.
Cette variété reſſemble beaucoup, pour le port, à la longue-blanche ; la plante est auſſi forte, & ſes tiges ſont également vertes ; mais les feuilles ſont plus longues, plus droites, en faiſant un angle plus aigu avec la tige. Les tubercules ſont d’un rouge foncé, preſque ronds, intérieurement blancs, & parviennent quelquefois à une groſſeur énorme. Ils ſe plaiſent dans une terre un peu forte, & produiſent beaucoup. Cette variété eſt originaire de l’lle-longue. Sa chair eſt généralement ferme, fine, d’un goût excellent, & très riche en farine.
Sa tige eſt rougeâtre, velue sur ſa longueur ; les feuilles ſont d’un vert peu foncé, drapées en deſſous, chargées de poils le long des nervures ; la ſurface des tubercules eſt un peu raboteuſe, & garnie d’un beaucoup plus grand nombre de cavités ou yeux à bourgeons : elle est marquée intérieurement d’un cercle rouge ; & c’eſt, après la groſſe blanche, celle qui eſt la plus répandue : ſi elle ne produit pas autant, ſa qualité en paroît meilleure, ou du moins elle a plus de vogue, dans les marchés aux environs de Paris ; auſſi eſt-elle toujours plus chère mais moins précoce. Il lui faut un ſol gras. Sa forme eſt aſſez communément celle d’un rognon.
Les tiges ſont grêles & rouges par intervalles, les feuilles petites & crépues, les fleurs panachées d’abord, enſuite gris-de-lin ; les tubercules longs, aplatis, & quelquefois pointus à l’une de leurs extrémités. C’eſt de toutes les variétés, celle qui eſt la plus hâtive, quoiqu’elle ne fleuriſſe pas plus tôt que les autres ; mais une fois arrivée à cette époque, le feuillage ſe deſſèche inſenſiblement. Elle eſt d’une bonne qualité, & réuſſit aſſez conſtamment dans les terrains légers. Celles qu’on cultive en Angleterre ſous le nom de pommes de terre précoces, m’ont paru n’être qu’une variété de celle-ci, vu leur analogie dans le port de la plante. On la nomme en quelques endroits langue de bœuf.
Elle a preſque la forme d’un haricot : ſon port est à-peu-près ſemblable à celui de la pelure d’oignon ; un peu plus pointue à une de ſes extrémités, oblongue, jaunâtre, & très-bonne à manger. Elle produit conſidérablement, & s’enfonce beaucoup en terre. On lui donne quelquefois le nom d’eſpagnole.
Elle ne préſente aucune différence remarquable avec la groſſe-blanche, ni du côté des tiges, ni du côté des feuilles, tant pour la grandeur, que pour la groſſeur & la couleur, en ſorte qu’on pourrait la regarder comme une variété de la même plante. Souvent elle est conglomérée. La couleur des tubercules qui d’abord ont la chair d’un rouge éclatant, lorſqu’ils ſont venus par ſemis, s’affoiblit inſenſiblement, ſans cependant diſparoître tout-à-fait. Ils ne croiſſent point aux extrémités des racines fibreuſes comme dans les autres eſpèces, mais ils adhèrent à la baſe de la tige, en forme de grappe, & ils paroiſſent ſouvent hors de terre, ſi la plante est extrêmement féconde & fort vigoureuſe : cependant ſa qualité ne vaut pas la rouge-longue & ronde déjà décrites.
Sa parfaite analogie avec la rouge oblongue, tant pour la ſtructure & la couleur des fleurs, que pour le port des tiges, la forme des feuilles & la chair des tubercules, fait soupçonner avec quelque vraiſemblance qu’elle en provient : elle est ſeulement un peu plus précoce.
Le calice eſt taché en dehors de points violets, & la corolle eſt moitié plus longue, de couleur violette foncée en dedans, & moins en dehors : les tiges ſont grêles & les folioles d’un vert foncé, très rapprochées les unes des autres, courtes & preſque rondes : les tubercules ſont ronds quand ils ſont petits, & oblongs lorſqu’ils ont plus de volume : leur ſuperficie est marquée de taches violettes & jaunâtres. Cette eſpèce est un peu hâtive. Il y a tout lieu de croire que le nom de violette hollandoiſe qu’elle porte ordinairement, lui vient de ce qu’elle a été apportée d’Amérique en Hollande où elle ſe ſera répandue, & de là dans les autres cantons de l’Europe, ſa culture y a été bientôt circonſcrite, vu qu’elle n’est pas aſſez productive.
Ses tige & ſa feuilles ſont extrêmement grêles, mais plus multipliées & plus verticales, d’un vert clair ; ſes fleurs ſont petites & d’un beau bleu céleſte : ſes tubercules ſont aſſez conſtamment petits, irrégulièrement, ronds & de très-peu de rapport. On la connaît ſous les noms de petite chinoiſe ou ſucrée d’Hanovre, pour la même raison, ſans doute, qui a été été employée ci deſſus relativement à la violette hollandoiſe. Elles ſont fort bonnes à manger.
En reſtreignant les pommes de terre à douze eſpèces ou variétés, je ne prétends pas les avoir décrites toutes ; il eſt même presque impoſſible d’en déterminer le nombre & les qualités, puiſque la voie des ſemis & un concours d’autres circonſtances ſuffiſent pour en conſtituer de nouvelles, ou pour donner aux variétés qui exiſtent déja des propriétés oppoſées à celles qu’elles poſſèdent naturellement ; ces variétés ne feront même qu’augmenter, à meſure que la plante plus travaillée éprouvera ſous la main de l’homme induſtrieux, des modifications, & que ſa culture deviendra plus générale. Je me bornerai à faire obſerver que dans les fonds riches parfaitement bien fumés, les pommes de terre rondes s’alongent ou s’aplatiſſent quelquefois en groſſiſſant, tandis que dans les terrains médiocres & ſans engrais, les longues ſont petites, & ont preſque l’apparence ronde : la couleur de leur ſurface eſt également changée. Dans un ſol qui n’eſt que terreau, le blanc-mat, la pelure-d’oignon & la couleur jaunâtre, n’offrent plus qu’un gris ſale : il en est de même de celles à peau rouge, dont l’intenſité de couleur s’affoiblit ou augmente à raiſon des terrains.
La qualité de leur chair varie auſſi de couleur : elle eſt plus ou moins jaunâtre, s’écraſant ou cuiſant plus ou moins facilement, & offrant l’aſpect farineux. Mais quoique toutes les eſpèces de pommes de terre puiſſent ſervir indifféremment à certains uſages, et que dans les terrains qui leur conviennent le mieux, elles acquièrent en général un caractère farineux excellent, il s’en trouve cependant dans le nombre qui réuniſſent des qualités propres à les faire rechercher de préférence pour des emplois particuliers. La groſſe-blanche tachée de rouge, par exemple, est celle à laquelle il faut ſpécialement s’attacher pour la nourriture des beſtiaux, la préparation du pain & l’extraction de la farine, parce qu’elle est la plus vigoureuſe, la plus féconde de toutes, qu’elle convient à tous les terrains, et ſemble braver toutes les intempéries.
Cette eſpèce, déja ſi répandue, n’eſt pas la plus anciennement connue ; ſon introduction en Europe a même une date très-récente. M. Howard, gentilhomme anglois, ayant appris qu’une perſonne avoit apporté d’Amérique, en 1765, une nouvelle eſpèce de pomme de terre, il s’en procura ſix, qu’il planta par morceaux dans son jardin à Cardington en Bedfordshire, & le produit, pendant deux années qu’il les cultiva, lui parut ſi extraordinaire, qu’il en fit l’objet d’un mémoire qu’il lut à la Société de Londres dont il est membre. M. Howard ſe trouvoit préciſément à Paris, lorsque je publiai mon procédé pour faire le pain de pomme de terre ſans mélange de farine. Il accourut me témoigner ſa ſatiſfaction, en m’apprenant que ſa patrie reconnoiſſante lui avoit décerné une médaille frappée à l’occaſion du ſervice qu’il lui avoit rendu. La pomme de terre dont il s’agit mériteroit donc de porter le nom de pomme de terre d’Howard, au lieu de toutes les dénominations impropres qu’on lui a données.
Après cette variété eſt la blanche-longue, la plus ancienne en Europe ; et quoiqu’elle ne ſoit pas la plus généralement cultivée, elle eſt connue ſous le nom de pomme de terre d’Irlande, parce que les habitans de ce royaume en font un grand uſage pour eux & leurs beſtiaux. La blonde-jaunâtre de New-York vient enſuite ; elle eſt très-délicate. La rouge oblongue & la longue, dite ſouris, ayant également plus de ſaveur, doivent être deſtinées pour la table : la longue-rouge marbrée me paroît moins délicate, il faut l’abandonner aux beſtiaux ; la violette-hollandoiſe n’eſt pas aſſez productive, ni convenable à toutes ſortes de terrains.
A l’égard de la petite-blanche chinoiſe, ſon goût excluſivement ſucré auroit dû lui mériter la première place dans l’ordre que nous avons adopté pour décrire les pommes de terre ; mais elle est ſi peu productive, qu’elle ne peut tout au plus qu’amuser un curieux : malgré cet inconvénient, qui en eſt un grand à mes yeux, je ne ſaurois trop inviter ceux à qui j’ai adreſſé, ſoit ſes tubercules, soit ſa graine, à les cultiver pêle-mêle avec les autres eſpèces, afin qu’au moyen des pouſſières fécondantes, & de la plantation par ſemis, ils puisent obtenir des variétés qui réuniſſent l’abondance à la ſaveur exquise des petites-blanches chinoiſes ; alors il n’y aurait plus rien à déſirer dans la pomme de terre, qui, quoiqu’on l’ait aſſuré, n’aura jamais le goût de châtaigne, à moins d’un peu de matière ſucrée, ou des matériaux propres à la former. Il y a encore dans les pommes de terre d'autres propriétés dont il ſeroit possible de tirer un parti utile pour les habitans des campagnes : c'eſt la faculté que certaines ont d'être précoces ou tardives : ce double avantage est d'un bon augure pour oſer eſpérer qu'un jour on parviendra à en prolonger la durée d'une récolte à l'autre; mais je crois avoir remarqué que les blanches ſont généralement, plus hâtives ; que les rouges au contraire ſont plus tardives.
Le moyen d'accélérer leur accroiſſement, ce ſeroit de les expoſer dans un endroit chaud, à l'approche du printemps, de ne les planter que germées, à peu de profondeur, & dans des terrains graveleux, qui, pouſſant moins au feuillage, déterminent plus tôt la formation des tubercules. Quinze jours de plus pour la végétation de la plante, produiſent une grande différence pour le réſultat, ſans compter que le ſol débarraſſé de bonne heure, devient propre aux ſemailles d'hiver. Il eſt vrai que ſi on se preſſoit de les arracher avant le temps, on courroit les riſques de ne retirer que huit pour un ; tandis qu’en attendant un mois plus tard, la production ſe trouve conſidérablement augmentée, plus farineuſe, & par conſéquent plus nourriſſante.
Un autre moyen non moins efficace pour rendre les pommes de terre encore plus hâtives (mais il n’eſt praticable que dans les provinces méridionales), c’eſt de les planter de très bonne heure, parce que celles qui reſtent en terre après la récolte, donnent des tubercules précoces quand elles ne ſont pas à une trop grande profondeur. L’eſpèce pelure-d’oignon, eſſentiellement hâtive, mûre en Guienne le 13 juin 1788, ayant été replantée auſſi tôt, a donné deux récoltes dans le même champ ; mais, encore une fois, cet avantage appartient aux climats chauds ; & toutes les fois que j’ai tenté l’expérience sur cette eſpèce, les gelées blanches d’automne ont réduit ma ſeconde récolte à trop peu de choſe.
Il ſeroit bien important de propager dans les campagnes les pommes de terre dont on peut jouir dès le mois de juillet ou d’août. Quand la proviſion de l’hiver est conſommée, l’intervalle juſques à la récolte est bien long. C’est ſur-tout à la veille de la moiſſon que le petit cultivateur eſt à plaindre : manquant de tout, il ſoupire après la récolte, ſe jette sur les blés auſſitôt qu’ils sont coupés. Si à cette époque, toujours critique pour lui, il pouvoit ſe procurer des pommes de terre, il ſeroit dispenſé de faire uſage de grains trop nouveaux, auxquels il faut attribuer la plupart de ces maladies si fâcheuſes dans un temps où l’homme des champs a beſoin plus que jamais de ſa ſanté & de toute ſon énergie.
Les pommes de terre rouges de toutes les formes, à l’exception de la longue-ſouris, paroiſſent être les plus tardives : il n’eſt pas douteux qu’en les cultivant de préférence dans les provinces méridionales, & leur uſage pouvant ſe prolonger juſques à la fin d’avril, la récolte des eſpèces précoces ne remplaçât l’autre, ou du moins on ne fût privé de cette reſſource que deux à trois mois au plus dans l’année ; c’eſt-là ſans doute à quoi on parviendra par la ſuite.
La nature, en ſignalant ſon exceſſive libéralité en faveur des pommes de terre, ne leur a pas accordé excluſivement aux autres végétaux, une conſtitution capable de braver toutes les viciſſitudes des ſaiſons ; & quoiqu’elles puiſſent réſiſter aſſez long-temps aux effets de la ſéchereſſe & de l’humidité, du chaud & du froid, à l’action de la grêle, des brouillards & des vents, ces accidens ont cependant ſur la qualité & le produit de la récolte, une influence plus ou moins marquée, à raiſon des terrains & des expoſitions.
Quand la grêle tombe sur la pomme de terre avant la floraiſon, qu’elle hache le feuillage & ſuſpend la végétation par le refroidiſſement ſubit & momentané qu’elle imprime au champ qu’elle ravage, la plante n’en reprend pas moins sa première vigueur, pourvu toutefois que la ſaiſon enſuite favoriſe les différentes époques de ſon accroiſſement juſques à la maturité : nous en avons eu malheureuſement une preuve bien authentique dans les environs de la capitale, le 13 juillet 1788 ; les pommes de terre, au moment où a paru ce fléau paſſager, furent presque toutes défleuries, & le produit néanmoins a été encore assez conſidérable pour offrir une grande leçon sur les avantages de cette culture.
Dès que les pluies ſont abondantes à l’époque de la plantation ou de la récolte, les pommes de terre noyées d’eau pourriſſent bientôt, ſi les terrains auxquels on les confie ſont de nature glaiſeuſe, propre à retenir l’humidité, & à la raſſembler en maſſe : alors les tubercules parſemés de points blancs & brillans, acquièrent la conſiſtance d’une pâte liquide ſemblable à de la bouillie, & ils exhalent une odeur infecte. Cet accident, quoique rare, l’eſt encore davantage dans un ſol léger & ſablonneux.
L’extrême ſéchereſſe & le froid font également du tort à la culture des pommes de terre. J’ai vu dans le mois de mai & de juin, le feuillage flétri deux fois par la gelée, ſe rétablir une troiſième fois, mais donner une récolte fort médiocre. Au nombre des accidens que les pommes de terre peuvent encore éprouver, il ne faut pas oublier de compter les mauvaiſes herbes, que les circonſtances locales multiplient quelquefois au point qu’elles affament la bonne plante, lui font porter une tige élancée, qui ne produit que de petits tubercules. Il eſt donc très-important de ne pas négliger le ſarclage, parce que cette opération exécutée à temps, la pomme de terre devient à ſon tour un remède à cette maladie du terrain, si j’oſe m’exprimer ainſi : l’épaiſſeur de ſes tiges, & l’ombrage qui en réſulte, étouffe & détruit ces mauvaiſes herbes pour pluſieurs années. Auſſi dans les cantons où la culture des pommes de terre est bien accréditée, lorſque leurs habitans ne ſavent pas comment purger une terre qui en eſt infectée, ils y plantent de ces racines.
Comme le ſoc de la charrue, le pied des chevaux & des bœufs froiſſent la plante ſans l’endommager, puiſqu’elle se relève bientôt & continue ſa végétation, je ſuis autoriſé à avancer, d’après d’autres obſervations encore sur ſa force vivace, que, toutes choſes égales d’ailleurs, les pommes de terre avortent infiniment moins que les grains : il y a peu d’exemple à citer qu’on ait été forcé de recommencer la plantation de ces racines, ou que leur récolte ait entièrement manqué.
En effet, lorſqu’une des époques de la végétation des grains n’a pas été heureuſe, la ſaiſon a beau être favorable enſuite, tout eſt dit ; ils sont chétifs & peu abondans : au lieu que ſi la pomme de terre a langui pendant son accroiſſement, à cauſe du hâle : les pluies chaudes & abondantes qui ſurviennent font bientôt réparer tous ces contre-temps.
Quoiqu’il ſoit bien reconnu maintenant que la grêle ne porte point avec elle de poiſon capable de nuire aux productions après ſa chûte, puiſque ſon action est purement mécanique, & que ce n’est abſolument qu’une eau très-pure congelée par le froid, il est poſſible que la dilacération du feuillage ſous les coups redoublés des glaçons, préjudicie à la quantité de la récolte : mais j’ai obſervé que la plante avoit été frappée par ce fléau à deux époques différentes, l’une avant & l’autre après la floraiſon, ſans en avoir presque ſouffert ; il faut ajouter auſſi que la ſaiſon avoit bien réparé le tort réel qu’aurait pu occaſionner ce double accident.
Malgré les avantages réunis de la ſaiſon, du ſol, & de tous les ſoins qu’exige ſa culture, la pomme de terre eſt encore, comme les autres végétaux, aſſujettie à des maladies. Tantôt elle diminue de production, à meſure que la même espèce vient occuper un même terrain pendant pluſieurs années conſécutives ; tantôt elle contracte un goût amer & piquant, ſouvent gras & pâteux, & laiſſe en la mangeant une impreſſion déſagréable à la gorge, qui se diſſipe difficilement ; quelquefois enfin l’organiſation eſt tellement altérée, que la plante ne fleurit ni ne fructifie, & qu’au lieu de produire des tubercules charnus & farineux, elle ne donne plus que des racines chevelues & fibreuſes.
Pour remédier à ces différents degrés de dégénération, alarmante ſans doute pour les cantons qui ont fondé leur eſpoir de ſubſiſtance sur la reſſource des pommes de terre, il faut changer de ſemences : un moyen plus efficace encore pour arrêter le mal à la ſource, c’eſt de régénérer par la voie des ſemis les eſpèces fatiguées & abâtardies.
Mais il y a une maladie qui paroit attaquer plus particulièrement la pomme de terre : elle eſt connue dans le Lyonnois sous le nom de friſée, & en Flandre ſous celui de Pivre. Son caractère principal, c’eſt d’avoir la tige d’un vert brunâtre & comme bigarrée, les feuilles repliées ſur elles-mêmes, bouclées, maigres & voiſines de la tige, marquées de points jaunâtres, & d’une texture fort irrégulière : les tubercules ſont petits & peu nombreux. Quelques auteurs allemands ont décrit cette maladie, qu’ils attribuent plutôt à la ſemence qu’au terrain, & aux ſaiſons qui peuvent concourir à la développer.
Les expériences ſuivies que M. de Chancey, correſpondant de la Société royale d’agriculture, a faites à Saint-Dizier, au Mont-d’Or, l’ont convaincu que la pomme de terre affectée de cette maladie en produit la ſuivante, ce qui prouve combien il est eſſentiel de viſiter ſoigneuſement les plantes après qu’elles ſont développées, afin d’arracher tous les pieds malades, & de les remplacer auſſitôt ; car on ne ſauroit trop prendre de précautions pour éviter une maladie capable de réduire ſouvent la récolte au tiers, & même à moitié.
Les pommes de terre ſont encore exposées, comme les blés, à la rouille : on aperçoit quelquefois des gouttes d’eau à la ſurface des feuilles, les rayons trop ardens du du ſoleil en formant bientôt des taches qui font languir la plante & avorter le fruit ; ſouvent elles ſont dures, coriaces & filamenteuſes ; enfin il arrive que les racines ont dans leur intérieur des nodoſités noirâtres ſemblables à des skirrhes.
Pour ſavoir ſi ce dernier défaut ſe perpétuoit, ſe communiquoit, & pouvoit être ſaiſi dans les développemens de la fructification du végétal, j’ai planté des pommes de terre skirrheuſes ſeules, je les ai réunies enſuite à d’autres racines ſaines, & j’ai remarqué qu’elles végétoient plus lentement, & que ſi les tubercules se trouvaient exempts de ces nœuds, leur petit nombre devoit les faire rejeter pour la plantation ; enfin, que quand ils avoient ces défauts, il valoit mieux les donner aux beſtiaux, ſans craindre que leur uſage pût être ſuivi d’aucun inconvénient fâcheux.
Il exiſte encore des maladies qui paroiſſent inhérentes à la ſemence, puiſque les tubercules n’offrent dans leur intérieur aucun ſymptôme qui puiſſe l’y faire ſoupçonner. J’ai vu des pieds dans des carrés, qui, après avoir acquis dix à douze pouces d’élévation, ceſſoient tout-à-coup de végéter, ſans qu’il fût ſurvenu à la plante aucun accident viſible. On pourroit, à l’aide d’une couche, s’aſſurer ſi le végétal qu’on deſtine à la plantation est bon ou mauvais.
La maladie, qu’il m’a été permis de pouvoir caractériſer, d’après quelques ſignes extérieurs de végétation, n’attaque pas indiſtinctement toutes les variétés de pommes de terre : il en exiſte qui y sont plus expoſées les unes que les autres. M. de Chancey a remarqué que les variétés qui proviennent des montagnes en ſont ordinairement moins ſuſceptibles que celles récoltées dans les plaines ; que les rouges longues & rondes y ſont plus ſujettes que les blanches, & qu’en général la maladie eſt moins commune dans les terrains légers : il a auſſi obſervé que les ſemis étoient inſuffiſans pour la prévenir, puiſque les pommes de terre venues par cette voie, ont donné des pieds friſés : il faut donc les faire enlever avant la floraiſon, en les remplaçant par de nouvelles pommes réſervées à cet effet.
La très-ſage pratique des bons cultivateurs, qui ont grand ſoin chaque année de changer de ſemence, de ſe ſervir toujours de celle recueillie dans des terrains & à des aſpects opposés, doit être adoptée pour la plantation des pommes de terre, ſi on veut prévenir ou éloigner leur dégénération ; il faut donc préférer celles venues à quelque diſtance du lieu où on veut la mettre, & ne planter sur les terres légères & élevées que les pommes de terre des fonds bas & humides.
Outre les accidens & les maladies auxquels les pomme de terre sont aſſujetties pendant leur végétation, il peut y avoir encore d’autres circonſtances qui donnent lieu à des états particuliers. Il en eſt de même des animaux ; leurs maladies principales ſont connues, & leurs variations infinies : cela ne doit pas empêcher de chercher les moyens de prévenir celles dont on a découvert la nature & l’origine.
Les animaux ne reſpectent pas plus les pommes de terre que les autres végétaux ; ils les endommagent plus ou moins ſenſiblement, à raiſon des années, des terrains & des expoſitions : il y en a des eſpèces moins à l’abri de leurs ravages les unes que les autres. On voit quelquefois sur les feuilles de la pomme de terre longue-groſſe blanche, & la rouge oblongue particulièrement, des pucerons & une chenille qui n’y font pas à la vérité un tort bien conſidérable : les taupes, les mulots, les limaçons les attaquent bien autrement ; le ver blanc principalement eſt de tous les animaux celui qui préjudicie d’une manière notable à la pomme de terre : il ſe nourrit de la pulpe, & ne laiſſe souvent que l’enveloppe ou la peau, dans laquelle il ſe loge comme le rat dans le fromage.
Ce n’eſt qu’à la faveur de la charrue ou de la bêche qu’on parvient à faire ſortir le ver blanc, & à le livrer en proie aux corbeaux, s’ils étoient plus communs au printemps, ou aux cochons, s’ils n’étoient pas ſi friands de pommes de terre. La volaille en eſt aſſez ordinairement avide ; il ſuffit de lui donner à boire de temps en temps quand elle en eſt repue. Le seul moyen de les détruire, ſinon en totalité, du moins en, partie, c’est d’intéreſſer par un léger bénéfice les ouvriers qui font le premier binage, à les ramaſſer, car c’est préciſément à cette époque que, n’étant pas encore profondément en terre, & cherchant à ronger les racines des plantes qui végètent à la ſuperficie, on les trouve plus aiſément.
Beaucoup de bêtes fauves s’aviſent aussi de fouiller au pied des racines. Il faut interdire aux cochons l’entrée des champs qui en ſont plantés : les excurſions des ſangliers, des blaireaux, des cerfs, des biches, ne ſont pas moins dangereuſes, tant la pomme de terre a d’attraits pour ces animaux.
On a remarqué que le gros ver blanc étoit plus commun dans les terres ſablonneuses que dans les terres fortes. Ainſi, la nature ſemble avoir compenſé les torts inévitables que font ordinairement les pluies continuelles, par ceux qu'ils cauſent dans les terres légères.
Indépendamment des animaux que j'ai dit attaquer les pommes de terre, j‘obſerverai que M. Yvart, fermier à Maison, dont les obſervations ont ſouvent mérité les témoignages les plus flatteurs de la ſocieté royale d’agriculture, dont il eſt correſpondant, a ſouvent rencontré différentes eſpèces de ſcarabées logés ſous l’écorce. Ce cultivateur diſtingué s’est également apperçu que les liévres & les lapins n’endommageoient ces racines que quand ils étoient parvenus à les découvrir en les fouillant ; qu’alors ils les entamoient, & les abandonnoient ordinairement après en avoir enlevé un peu de pulpe ; qu’ils paſſoient enſuite à un autre tubercule qu’ils traitoient de la même manière. Quoique ces tubercules ne ſoient pas entièrement mangés, ils n’en ſont pas moins perdus pour le cultivateur, parce que, ou ils ſe pourriſſent étant expoſés aux intempéries des ſaiſons avant la maturité, ou leur organiſation étant léſée, ils contractent un mauvais goût.
Les groſſes-blanches & les rouges oblongues ont quelquefois leur ſurface chagrinée & comme dartreuſe ; il ſemble que ce ſoit l’ouvrage de quelques inſectes particuliers : le vulgaire les nomme dans cet état pommes de terre galeuſes, mais leur intérieur est fort ſain.
Il n’est pas douteux que le défaut de choix dans les eſpèces les plus propres à chaque canton, à chaque climat, à chaque terroir, la méthode défectueuſe de les cultiver pluſieurs années conſécutives dans le même champ, ſans jamais les changer ni les renouveler, la négligence, l’oubli ou l’épargne dans les façons, ne rendent les accidens, les maladies & l’attaque des animaux plus funeſtes aux pommes de terre. Cette plante eſt encore trop nouvelle parmi nous, pour que toutes ces circonſtances aient été ſuffiſamment étudiées & obſervées. On doit préſumer qu’elles le ſeront un jour de manière à ne plus laiſſer rien à déſirer à cet égard. M. de Ladebat en Guienne, M. de Puymaurin fils en Languedoc, M. Chancey dans le Lyonnais, M. de Hell en Alſace, & tant d’autres ſavans agronomes avec leſquels j’ai l’honneur de correſpondre, deviendront ſans doute, par leur eſſais en ce genre, les bienfaiteurs des provinces qu’ils habitent, comme l’ont déja été dans leurs cantons MM. Dumeny-Coſte, le Chevalier Muſtel, le Marquis de Turgot, Saint-Jean de Crevecœur, Engel, Vanberchen, &c.
Toutes les plantes fumées sont aſſez conſtamment plus belles & plus vigoureuſes que celles qui ont végété ſans ce ſecours, mais c’eſt une erreur de croire qu’il faille employer plus d’engrais pour les pommes de terre que pour les grains, puiſque dans le nombre des variétés, il y en a, telle que la groſſe-blanche, par exemple, qui peuvent venir dans le terrain le plus aride, ſans le concours d’aucun engrais. Le ſuccès de l’expérience de la plaine des Sablons en eſt un exemple frappant. Les autres eſpèces peuvent également réuſſir dans un bon ſol, qui aura rapporté du blé les années précédentes.
Les engrais des trois règnes ſont bons pour la reproduction des pommes de terre ; il s’agit de les diſtribuer convenablement, en mettant dans les trous creuſés par la bèche, ou dans les ſillons tracés par la charrue, du fumier placé immédiatement ſur le tubercule : il devient d’une grande économie, dans les pays ſur-tout où il n’eſt pas commun ; mais alors il eſt néceſſaire de n’employer que des fumiers conſommés, & de ne pas les enfouir un ou pluſieurs mois d’avance, comme on a raiſon de le faire pour les autres productions.
L’engrais diſtribué ainsi près de la racine, l’enveloppe & n’agit que pour elle : alors, comme il s’en faut que l’effet en ſoit entièrement perdu, lors de la récolte cet engrais peut, étant diſſéminé dans la totalité du champ par la charrue, opérer efficacement pour les grains qu’on y enſemencera.
On a donc eu tort d’effrayer le Cultivateur, en cherchant à lui inſinuer qu’il falloir pour les pommes de terre le double plus d’engrais qu’on n’en emploie pour le froment ; mais on l’a induit auſſi en erreurs en voulant lui perſuader qu’il ne falloit pas du tout fumer, principalement lorſqu’il s’agit de faire ſuccéder des récoltes en blés, à moins que ce ne ſoit ſur des terres nouvellement défrichées, ou ſur des prairies artificielles qu’on retourne.
Le marc de raisin eſt aussi un bon engrais pour les pommes de terre ; M. de Ladebat l’a employé plus d’une fois avec beaucoup de ſuccès, & les tubercules qu’il a obtenus dans la partie ainſi fumée, étoient abondans & d’une excellente qualité : voilà donc un moyen de culture de plus dans les pays vignoble. Pourquoi la pomme de terre elle-même ne deviendroit-elle pas pour des terrains ingrats, abandonnés, une ſorte d’engrais direct, en les y laiſſant pourrir au lieu de les récolter : celles qui échapperoient aux rigueurs de l’hiver, germeroient au printemps, & il en réſulteroit, ſans travail & ſans frais, un feuillage énorme, que les animaux pourroient venir brouter, & par conſéquent du fumier.
Si, comme il eſt démontré, la culture des pommes de terre peut déſinfecter un terrain des mauvaises herbes, elle eſt auſſi en état de ſervir d’engrais, ſoit de la manière que nous venons de l’indiquer, ou bien parce que ramenant les couches inférieures du ſol à la ſurface imprégnée des fumiers des années précédentes, elle la mêle en même-temps avec celles qui ont déja rapporté.
On a dit ſouvent que les labours répétés peuvent équivaloir les engrais ; & je crois que cette aſſertion, quoiqu’un peu exagérée, n’eſt pas ſans fondement pour les pommes de terre.
Puiſqu’il eſt démontré qu’il y a des engrais plus convenables que d’autres à certaines productions, il eſt au moins probable qu’il pourroit en exiſter de particuliers pour les pommes de terre. le marc de raisin dans des mains habiles en eſt déjà une preuve.
On connoît le moyen d’engrais que l’habitant des cantons où l’amendement eſt rare ou de difficile tranſport, s’eſt procuré pour y ſuppléer, & pour porter ſous un petit volume des maſſes de fumier dans des endroits inacceſſibles aux charrois. Il conſiſte à enſemencer un peu dru les différentes plantes ; on les enfouit après la floraiſon, en ſorte qu’elles rendent à la terre bien au-delà de ce qu’elles en ont reçu. M. de Chancey, qui a déja fait des eſſais heureux en ce genre, s’eſt propoſé de faire l’application de ce principe à la culture des pommes de terre, en ſemant à la fin d’août, dans le champ même qui y eſt deſtiné, des pois sauvages ou des veſces d’hiver, pour les enfouir le printemps suivant, & y planter auſſi-tôt ces tubercules. M. Yvart, de son côté, eſt auſſi dans l’intention de tenter des expériences comparatives ſur cet objet ; & il y a tout lieu d’eſpérer de ce concours de lumières & de patriotiſme, des connoiſſances utiles à l’agriculture.
Je crois devoir faire obſerver à cette occaſion que les engrais du règne animal doivent être préférés pour les grains, à ceux du règne végétal, qui valent mieux pour les racines, parce qu'ils tiennent la terre plus diviſée, & la rendent plus molle ; d'ailleurs ils peuvent, par leur contact immédiat avec le fumier, acquérir quelque chose d’âcre : auſſi remarque-t-on que dans certains cantons, les pommes de terre des gens de la campagne ſe débitent plus aisément que celles des jardiniers, qui, fumant ordinairement outre meſure, font perdre aux tubercules leur ſaveur délicate. Il s'en faut donc, d'après ces obſervations, que le fumier puiſſe être conſidéré comme un moyen de communiquer de la perfection aux pommes de terre ; il augmente ſeulement le nombre & la groſſeur des tubercules : c'eſt dans un ſol ſablonneux & gras, que, ſans le concours d'aucun engrais, elles ſont généralement d'une qualité supérieure.
Mais pour cette plante comme pour beaucoup d'autres, c'eſt au cultivateur intelligent qu’il appartient ſpécialement de régler l’eſpèce & la quantité de l’engrais ſur les ressources locales, ſur la nature du sol, & ſur la variété des pommes de terre : il doit s’attacher à faire ſuccéder des plantes qui réuſſiſſent bien les unes après les autres ; mais, encore une fois, il ne faut employer de fumier qu’une quantité égale à celle qu’exige la culture du froment ; & si l’on ſe dispense de ce secours, il faut s’attendre que la récolte amoindrira d’un ſixième, ſi ce ſont des pommes de terre blanches ordinaires, & davantage pour les eſpèces rouges-longues.
Il eſt reconnu que toutes les terres ne ſont pas propres à la culture des grains, tandis qu’il n’y en a preſque aucunes dont la pomme de terre ne s’accommode. Le ſable & le gravier lui conviennent même, avec cette différence cependant que l’abondance du produit eſt toujours relative à la qualité du ſol.
On pense bien que la craie & l’argile ne ſauroient convenir aux pommes de terre : dans la première, la racine y eſt comme deſſéchée & brûlée ; dans l’autre, au contraire, elle eſt trop humectée ; il ſe forme à la ſurface des terres fortes une croûte épaiſſe & dure, qui empêche l‘évaporation ou plutôt la diſtribution de la pluie : l’eau raſſemblée en maſſe la pourrit pourrit bientôt: c'eſt ce qui arrive quelquefois dans les fonds glaiſeux, à l'époque des ſemailles ou des récoltes. Que la terre soit aſſez meuble pour céder à l'écartement que les tubercules exigent pour groſſir & ſe multiplier, telle eſt la plus eſſentielle condition, ſans laquelle le ſuccès de cette plante eſt fort équivoque.
Le ſol le plus propre à la culture des pommes de terre doit être compoſé de ſable & de terre végétale, dans des proportions telles que le mélange humecté ne forme jamais ni liant ni boue : celui qui convient au ſeigle plutôt qu'au froment mérite la référence. On a encore remarqué que la culture de ces racines ſur les prairies artificielles retournées, devenoit, ſans aucun engrais, un moyen de détruire les chiendens toujours trop abondans dans les vieilles luzernières.
Quant aux expoſitions favorables au ſuccès de la pomme de terre, ce ſont ordinairement les endroits un peu élevés, & dont le terrain eſt d’une nature légère : la même eſpèce provenant d’un fonds bas & humide, n’a ſouvent aucune comparaiſon, pour la qualité avec celle de la montagne. Mais, règle générale, il faut pour cette plante que le ſol ne ſoit pas trop humide pour les blanches, ni trop aride pour les rouges, ni trop gras pour les unes & les autres ; en un mot, dans les terres à ſeigle, il faut mettre les blanches, & dans celles à froment les rouges, à l’exception de la groſſe-blanche, qu’on peut placer indifféremment partout où elle eſt en état de produire abondamment, vu que ſes défauts de qualité ne ſont absolument rien pour les uſages auxquels on la deſtine.
Mais ce n’eſt pas aſſez que le ſol deſtiné à recevoir le plant de pommes de terre réuniſſe les qualités indiquées ; il faut encore qu’il ait au moins ſept à huit pouces de fond : plus il en aura, & mieux ce ſera pour la récolte. Il eſt néceſſaire enſuite qu’il ſoit labouré le plus profondément poſſible auſſitôt après la récolte, avant l’hiver, enſuite pendant l’hiver, & la dernière fois au moment où il s’agit de faire la plantation. Ces labours, il eſt vrai, peuvent être diminués à raiſon de la nature du ſol ; une terre forte & tenace demande à être diviſée plus ſouvent qu’une terre légère : il vaudroit même mieux ajouter à la première du ſable, & à la ſeconde de l’argile, ſi on en avoit à ſa disposition, parce que dans l’un & l’autre cas, ces deux manières de marner deviennent un engrais plus efficace & plus durable.
Les obſervations que j’ai pu recueillir en plein champ ; & ſur la plante même qui m’occupe, tendent à prouver que dans toutes les terres déſignées ſous les noms de terres fortes, argileuſes, froides, compactes, humides, &c. la culture de la pomme de terre eſt généralement difficile & peu avantageuſe : 1°. Parce que ces terres ſont rarement ſuſceptibles de recevoir le degré d’ameubliſſement ſi néceſſaire avant & pendant cette culture ;
2°. Parce que leur excès d’humidité fait ſouvent pourrir le germe destiné à la reproduction ;
3°. Parce que les accidens & les maladies auxquels la plante eſt aſſujettie ſe manifeſtent plus fréquemment dans cette eſpèce de terre ;
4°. Parce que, enfin, elles retardent la maturité, augmentent les difficultés de la récolte, & expoſent davantage les tubercules aux effets de la pluie, de la gelée, & qu'elles ne produiſent aſſez communément que des pommes de terre petites & viſqueuſes.
On rapprocheroit, il eſt vrai, ces terres de l'état des terres légères, en employant les moyens connus & pratiqués en certains cantons avec tant de ſuccès, je veux dire en les défonçant, en les labourant souvent, ou les fumant, ou en les marnant avec du ſable, s’il s’en trouvoit abondamment dans le voiſinage.
J’ai déjà fait voir combien la nature du ſol influoit ſur les formes & les nuances de couleur des pommes de terre ; cette influence eſt plus ou moins marquée, relativement à leur qualité. Toutes les eſpèces ſont tendres & farineuſes dans un ſable un peu gras, viſqueuſes au contraire & de mauvais goût dans un fond glaiſeux & trop froid ; mais je ſuis toujours parvenu à restituer à ces dernières leur premier caractère de bonté, en les plantant dans un ſol léger & ſablonneux.
Le choix du terrain n’eſt donc pas une choſe indifférente pour les eſpèces de pommes de terre deſtinées à ſervir de nourriture en ſubſtance à l’homme : tous ſont également propres quand on n’a en vue que le bétail ; il faut ſeulement s’attacher à la qualité qui rend le plus, parce que le produit, quoique d’un goût inférieur, eſt beaucoup plus abondant, & que dans quelque fond que ſoit venue la groſſe blanche, elle peut ſervir d’engrais aux animaux.
S’il y une plante qui exige une terre parfaitement bien travaillée, c’eſt ſans contredit la pomme de terre. On conçoit bien qu’un terrain défoncé rapporte davantage, même ſans engrais, que celui béché, labouré ou fumé, qu’ainſi travaillé, il eſt amélioré pour pluſieurs années, & plus favorable par conſéquent aux autres productions, ce qui dédommage des frais que coûte une pareille façon : mais on peut établir que deux labours ſuffiſent pour diſpoſer toutes ſortes de terrains à la culture des pommes de terre ; le premier, très-profond, ſera fait avant l’hiver, & le ſecond au mois de février ou de mars, peu de temps avant la plantation.
Qu’il me ſoit permis d’ajouter encore une obſervation. Il n’y a point de terrains, quelque ſtériles qu’on les ſuppoſe, qui ne puiſſent, avec du travail, être appropriés à une production quelconque : auſſi Varlo, célèbre agriculteur Anglois, préſente-t-il à ſes compatriotes la pomme de terre comme un moyen de défricher les terrains de l’Angleterre couverts de genets, de bruyères ; & M. de l’Adebat aſſure que ſi jamais on s’occupe du défrichement des landes de Bordeaux, on ne peut ſe flatter de quelque ſuccès qu’en ſe livrant d’abord à la culture des pommes de terre.
Il faut toujours faire en ſorte que les pommes de terre deſtinées à cet objet, ſoient recueillies parfaitement mûres, qu’elles n’aient pas été frappées par le froid : celles qui ſont en pleine germination, ou dont on auroit arraché les premières pouſſes, pour arrêter la germination précoce, ne ſont pas moins propres à la plantation.’ Mais il exiſte pluſieurs queſtions, ſur leſquelles on n’eſt pas entièrement d’accord. Eſt-il plus avantageux de couper les pommes de terre en pluſieurs morceaux que de les planter entières ? Doit-on préférer les groſſes aux moyennes, & celles-ci aux petites ? Obtient-on d’un ſeul morceau iſolé autant de produit que de pluſieurs réunis ?
Quelques auteurs ont prétendu qu’il falloir mettre juſqu’à trois pommes de terre dans chaque trou ; d’autres, qu’on pouvoir les diviſer en huit ou dix morceaux, & que pourvu que chaque morceau eût un œilleton, cela ſuffiſoit : mais je penſe que les uns & les autres, guidés par des motifs diamétralement oppoſés, ont donné dans des excès bien contraires. Il eſt prouvé d’abord qu’une ſeule pomme de terre doit ſuffire dans tous les cas ; que quand elle a un certain volume, il y a toujours du profit à la diviſer en pluſieurs morceaux, & à laiſſer à chaque morceau deux à trois œilletons au moins, ſur-tout lorſqu’on a le ver du hanneton à appréhender : alors, malheur à ceux qui n’ont planté que des morceaux garnis d’un ou de deux œilletons ; ils courent les riſques de n’avoir aucune récolte, ou de n’en obtenir qu’une fort médiocre. Il faut auſſi avoir la précaution de laiſſer un ou deux jours à l’air les morceaux découpés, afin qu’ils ſe ſèchent un peu du côté de la tranche, parce que étant mis en terre tout de suite après avoir été découpés, ils courroient du danger.
Les expériences de M. de Chancey & les miennes prouvent que, s’il y a quelques inconvéniens à trop diviſer les eſpèces longues, on court plus de riſques encore pour les rondes. M. Cretté de Pavuel, membre de la Société royale d’agriculture, citoyen recommandable à plus d’un titre, s’eſt aſſuré que pour la plantation, il falloit préférer les groſſes pommes aux petites, les entières aux morceaux, & ſouvent pluſieurs morceaux à un ſeul, ſi on vouloit avoir conſtamment des tubercules plus volumineux & plus abondans. MM. Langlet, Mile & Yvart viennent de confirmer cette opinion, en aſſurant, d'après l'expérience que le tubercule produit, eſt toujours en raiſon du tubercule planté.
Nous obſerverons encore, en faveur de ceux qui n'auroient que de petites pommes de terre, qu'ils pourroient cependant les planter avec ſécurité, parce que leur moindre volume n'eſt nullement une preuve de leur avortement. En cherchant à ſaiſir le temps où la nature s'occupe des tubercules, j'ai remarqué qu'a l'inſtant, pour ainſi dire, de leur formation, le germe exiſtoit déjà. Qu’ils n’avoient pas moins des germes vigoureux que les gros ainſi que leurs autres principes conſtituans. N'y a-t-il pas dans tous les fruits des gradations marquées de groſſeur, & n'arrive-t-il pas qu’en général les plus petits ſont ordinairement doués de propriétés plus exquiſes ?
Il peut auſſi exiſter des circonſtances qui néceſſitent plutôt l’emploi des pommes de terre entières, que des morceaux. Je citerai celle-ci, par exemple ; il eſt poſſible qu’il s’en préſente une foule d’autres : dans les terres fortes, & lorſque le canton eſt pluvieux, la pomme de terre diviſée pourrit bien vite, mais en les plantant tout entières, & germées, on prévient cet accident ; & si, malgré ce ſoin, il en manque des pieds, il faut les remplacer.
Il ne s’agit plus maintenant que de la manière dont il faut diviſer la pomme de terre indépendamment de ſa forme & de ſon volume. On doit la couper en biſeaux, & non par tranches circulaires, dans la crainte d’endommager le germe, & pour leur conſerver plus de ſurface du côté de l’écorce. L’ouvrier le moins intelligent, peut, en moins d’une heure, séparer par quartiers quatre boiſſeaux, & quatre ſeptiers environ par jour ; mais peu importe pour le ſuccès de la plantation, que le morceaux ſoit placé d’une manière ou d’une autre : le germe futur prendra toujours une direction verticale.
Les cultivateurs ſavent de temps immémorial, que les grains auxquels il eſt survenu quelques accidens pendant leur végétation, & qui ſont connus dans le commerce sous les noms de blés retraits, blés rouillés, blés échaudés, blés coulés, peuvent germer, & pouſſer très-bien ; qu’étant à bas prix, & plus abondans en ſon qu’en farine, il y auroit toujours un bénéfice conſidérable à les faire ſervir excluſivement aux ſemailles : mais l’expérience leur a auſſi appris que ces grains ſont d’une complexion délicate, que le plus léger contre-temps préjudicie à leur parfait développement, & que plus ſuſceptibles des intempéries, ils produiſent aſſez conſtamment des tiges moins hautes & des épis moins nombreux ; que comme un homme vigoureux, ſain & bien conſtitué, réſiſte davantage aux viciſſitudes des ſaiſons que celui qui eſt né foible & délicat, de même auffi la ſemence la plus nette, la plus groſſe & la plus lourde, leur paroît mériter la préférence ; qu’enfin lorſque les circonſtances les forcent à employer ces grains chériſs, à défaut d’autres, il falloir néceſſairement mieux diſpoſer encore la terre, & répandre davantage de ſemence.
Ces vues générales des ſemailles, l’une des plus importantes opérations, & cependant la plus négligée de l’agriculture, étant appliquées à la plantation des pommes de terre, expliquent au mieux pourquoi les réſultats que j’ai obtenus ne ſont pas tout-à-fait conformes à ceux que j’ai expoſés plus haut ; pourquoi en diviſant une pomme de terre en trois parties, & les plantant chacune ſéparément, j’ai retiré trois fois autant que d’une pomme de terre de même poids & de même eſpèce ; pourquoi les petites pommes entières m’en ont donné d’auſſi groſſes que fi elles euſſent eu plus de volume : c’eſt que le terrain ſur lequel j’ai fait mes expériences étoit d’une excellente qualité, qu’il étoit bien préparé, bien fumé, bien cultivé, bien favoriſé par la ſaiſon.
J’en conclus donc que dans un ſol moins gras, & moins bien travaillé, il faut, comme pour les ſemailles, forcer un peu ſur la quantité, parce que beaucoup de germes avortent : de gros tubercules plutôt que des petits, & deux morceaux qu’un ſeul ; obſerver des diſtances moins éloignées afin que les pieds ſoit multipliés, que le feuillage plus abondant, faſſe la loi aux mauvaiſes herbes, & préſerve la plante de la chaleur du hâle, ſans craindre que les filets qui partent des racines s’entrelaſſent, ſe confondent & ſe nuiſent réciproquement. J’ai remarqué comme M. Hell, que dans les terres légères, lorſqu’il survient un temps ſec, on eſt trop heureux d’avoir planté des pommes de terre entières, ou des morceaux garnis de pluſieurs œilletons : un simple germe alors ne produit rien. Il eſt donc néceſſaire de proportionner à la nature du ſol la quantité de pommes de terre à planter : plus il eſt riche & propre à cette culture, plus il faudra en diminuer la quantité ; l’augmenter au contraire s’il eſt maigre, en bornant cette augmentation, car on remarque souvent à la récolte, que la racine-mère eſt bien éloignée d’être épuiſée de pulpe, malgré ſa nombreuſe génération.
La plus légère épargne en ce genre eſt digne de toute conſidération sur-tout dans les inſtans de criſe où les efforts doivent tendre vers les moyens de n’employer à la plantation que ce qu’il faut rigoureuſement pour faire produire à la terre tout ce qu’elle eſt en état de rapporter, ſans cependant la fatiguer par un trop grand nombre de plantes. ſi dans le premier cas il faut deux septiers de pommes de terre par arpent, trois & même plus deviendront néceſſaires dans le second : il en coûte un peu plus pour planter ; mais l’on en eſt bien dédommagé à la récolte.
C’eſt depuis le commencement d’avril juſque dans tout le courant du mois de mai, qu’il faut s’occuper de la plantation des pommes de terre. Les eſpèces hâtives peuvent encore arriver à maturité, lorſqu’elles ne ſont miſes en terre qu’aux premiers jours de juin ; & nous avons fait ſentir de quelle reſſource elles pouvoient être alors aux habitans des campagnes & des villes.
Se preſſer de planter les pommes de terre dès le mois de mars ne ſert absolument à rien, parce qu’il leur faut alors du temps pour lever, & elles courent plus de riſques dans le champ qu’au grenier : il vaut mieux attendre que les mars ſoient terminés ; mais en quelque endroit que l’on plante, & en quelque temps que ce ſoit, il eſt bon de les employer toutes germées : elles lèvent plus tôt, courent moins de riſques, & c’eſt, comme nous l’avons obſervé déja, un grand avantage pour les pauvres.
Si on plante dans le Lyonnois des rouges-longues & rondes juſqu’en mi juillet, il y a des années où elles produiſent encore des récoltes paſſables. Le temps le plus avantageux pour planter ces variétés, eſt du 1er au 15 juin. Depuis cette époque, l’on ſeroit bien de n’employer que des variétés hâtives germées. Il n’y a point d’avantages dans la culture en grand, de planter ces tubercules trop tôt ; il eſt bon d’attendre que la chaleur ambiante ſoit aſſez forte pour les faire pouſſer avec célérité.
Lorſque la ſéchereſſe du printemps a été exceſſive, & qu’il ſe trouve encore des pommes de terre dans les marchés, il eſt prident d’en ſuſpendre la conſommation comme nourriture, pour en deſtiner la totalité à la plantation dans les terres où les mars ont manqué : c’eſt un ſupplément à ménager pour l’usage des beſtiaux pendant l’hiver ; d’ailleurs il n’y a que les groſſes-blanches qui permettent d’obtenir une pareille reſſource : il ſeroit à cette époque trop tard pour planter les rouges ; elles n’arriveroient certainement pas à maturité, dans les provinces ſeptentrionales ſur-tout : comment donc a-t-on pu donner aux cultivateurs des conſeils diamétralement oppoſés ?
L’année rurale 1785, ſi remarquable par l’extrême ſéchereſſe qui a occaſionné la perte d’une partie des beſtiaux, a démontré que parmi les ſupplémens recommandés pour leur nourriture, j’ai indiqué ſpécialement la pomme de terre, & elle a le plus complètement rempli les expériences, puiſque ces racines plantées bien après la saiſon, n’en ont pas moins proſpéré dans les terrains où les menus grains avoient entièrement manqué. Cette plante peut donc être employée avec grand profit après l’enſemencement des mars, occuper encore les charrues & les bras, dans un temps où les travaux de la campagne ſont ſuſpendus.
Mais je ne ſaurois trop faire obſerver, contre l’opinion de quelques agronomes inſtruits, qui ont prétendu qu’en laiſſant paſſer aux racines l’hiver en terre, c’étoit un moyen d’accélérer leur maturité, que les pommes de terre laiſſées dans le champ après la récolte, ne donnent leurs racines que fort tard, parce qu’elles ſe trouvent ordinairement à une certaine profondeur, que le terrain eſt plus affaiſſé & plus compact, & que la chaleur au printemps y eſt moins forte qu’à la ſuperficie. Pour les rendre hâtives, il faut les planter germées, à peu de profondeur, & dans un terrain léger & ſablonneux.
Il exiſte pluſieurs méthodes de cultiver les pommes de terre, dont l’efficacité a été conſtatée par les expériences des savans qui les ont décrites. Il ſuffit de les nommer : MM. Duhamel, Engel, Vauberchen, de Sauſſure, Howard, Sprenger, le chevalier Muſtel, Beckman, &c. Mais ces méthodes varient entre elles, ſuivant la nature du ſol & l’étendue qu’on veut y conſacrer : il eſt bon de les indiquer toutes ; le laboureur choiſira à ſon gré celle qui lui paroîtra la plus avantageuſe pour ſon terrain, & pour l’emploi qu’il ſe propoſe de faire de ſes racines.
Le terrain étant hersé & uni à l’inſtant de la plantation, le laboureur commence A ouvrir une raie la plus droite poſſible ; deux perſonnes le ſuivent, l’une pour jeter une poignée de fumier, & l’autre les pommes de terre du côté où marche la charrue, c’eſt-à-dire proche la raie qu’elle vient de tracer, afin que le pied des chevaux ne dérange pas le fruit, & que l’oreille qui jette la terre ſur la raie voisine, pouſſe en même temps le fumier, qui enveloppe par ce moyen la pomme de terre : on pratique enſuite deux autres raies dans leſquelles on ne met rien ; ce n’eſt qu’à la troiſième qu’on recommence à fumer & à ſemer, & ainſi de ſuite juſqu’à la fin, de manière qu’il y ait toujours deux raies vides, & que les plantes, n’étant point vis-à-vis les unes des autres, ſoient ſéparées d’un pied & demi, puiſſent s’étendre, être cultivées & buttées à la charrue.
Lorſque le champ eſt ainſi couvert, on le laiſſe en cet état juſqu’à ce que la plante ait acquis environ trois pouces de hauteur.
Si au lieu d’ajouter le fumier auſſitôt que l’on plante, on le répand uniformément dans la pièce quelque temps auparavant, comme pour y faire venir du froment, on peut récolter d’aſſez bonne heure pour faire ſuccéder aux pommes de terre les semailles d’hiver, ce qui remplace par un grand profit la perte de l’année de ſéchereſſe. Cette méthode eſt également pratiquée par les Irlandois.
Après avoir labouré le terrain deſtiné aux pommes de terre, on le herſe afin de l’ameublir ; enſuite on fait pluſieurs rangs de trous d’un pied de profondeur ſur deux de largeur, éloignés les uns, des autres d’environ trois pieds ; on remplit ce trou de fumier qu’on foule exactement, & ſur lequel on place une pomme de terre, ou un quartier, qu’on recouvre enſuite avec une partie de la terre qu’on a retirée ; mais cette méthode, adoptée par les Irlandois, conſomme beaucoup d’engrais, & ne ſauroit être bien avantageuſe qu’aux environs des grandes villes, où ils ſont ordinairement plus communs.
Le champ qui doit ſervir à la plantation ayant été ſuffisamment préparé, deux ouvriers placés ſur une ligne pratiquent avec la bèche ou avec la houe des rigoles ou tranchées de cinq à ſix pouces de largeur & de profondeur ; deux autres jettent, l’un la pomme de terre à la diſtance d’un pied & demi, & l’autre une jointée de fumier par-deſſus : on recouvre le tout avec la terre qui provient de l’autre rigole, & ainſi ſucceſſivement, de manière que cette plantation s’exécute avec autant de célérité que de juſteſſe, & qu’on peut par ce moyen couvrir une grande étendue.
Elle eſt pratiquée depuis quelques années avec le plus grand ſuccès, par M. Crété de Palluel, l’un de nos plus habiles cultivateurs. Cette méthode conſiſte à renverser, à l’aide de la charrue, trois raies l’une ſur l’autre en forme de ſillons, ce qui élève le terrain, & fait des ados d’environ trois pieds de large ; le fonds de chaque ſillon eſt fumé & ensuite labouré à la bêche : c’eſt dans ce fonds & ſur ce fumier qu’il met la pomme de terre avec la houe, à un pied de diſtance ; de cette manière chaque rang eſt eſpacé de trois pieds, & chaque plante d’un pied, ce qui, en pouſſant, forme des rangées, & non des touffes iſolées.
La culture des pommes de terre ne deviendra réellement utile à la plupart de nos provinces, qu’autant qu’elle ſera exécutée en grand, & avec des animaux, comme on cultive les vignes en Gaſcogne.
Mais toutes les méthodes décrites peuvent être réduites à deux principales : la première, qui doit être la plus générale, conſiſte à les planter en ſuivant la charrue, & à les recouvrir en faiſant le ſillon suivant : la ſeconde eſt la culture à bras ; on la pratique en échiquier, en quinconce, par rangées droites, dans des trous, des rigoles, &c. &c.
Les cultivateurs qui veulent ménager du terrain, en plantant à un demi-pied tout au plus de diſtance l’un de l’autre, font une économie mal entendue : les racines n’ont pas la liberté de s’étendre : trop ſerrées, elles s’entortillent & ſe dérobent mutuellement leur nourriture ; au lieu qu’en les eſpaçant convenablement, les feuilles d’un pied ne touchent pas celles du pied voisin, ce qui établit entre chaque plante de grands courans d’air. Cette vérité eſt démontrée nonſeulement par la raiſon, mais encore par l’expérience à l’égard des arbres, des vignes & des autres végétaux.
Une autre méthode bien plus défectueuſe encore, pratiquée ſans doute dans la vue d’épargner le terrain & les frais de culture, c’eſt celle de faire des trous avec un piquet, & d’y jeter des pommes de terre ; mais ces trous ne ſont ni aſſez profonds ni aſſez larges : on devine bien d’ailleurs que le ſol peu meuble le devient moins encore, parce qu’en enfonçant ce piquet on comprime la terre dont il occupe la place, on la durcit, & on augmente d’autant les obſtacles à l’expanſion des tubercules. Combien de fois n’eſt-il pas arrivé qu’en ſuivant cette pratique vicieuſe, on en a conclu dans certains cantons, que la culture des pommes de terre n’y étoit nullement avantageuſe ?
La diſtance & la profondeur indiquées doivent être déterminées d’après la nature du ſol : s’il n’a pas beaucoup de fonds, il faut eſpacer un peu plus, afin d’avoir aſſez de terre pour butter. Les eſpèces de pommes de terre qui jettent de grandes tiges, telles que la groſſe-blanche, demandent à être plus eſpacées que celles dont le feuillage eſt moins touffu, comme les rouges. La qualité du ſol doit donc entrer auſſi en conſidération, & ſervir de règle à cet égard. Il faut planter plus clair dans les bons fonds que dans les terres maigres, & donner à celles-ci un morceau de pommes de terre plus garni d’œilletons.
Quelle que ſoit l’eſpèce de pomme de terre cultivée d’après la méthode adoptée, je ne ſaurois trop inſiſter ſur la néceſſité de bien obſerver entre chaque pied une diſtance ſuffisante, de placer toujours la ſemence à une profondeur convenable, afin qu’elle ſoit garantie des impreſſions du froid & de la chaleur, & de lui donner deux façons de culture ; la terre étant plus remuée, plus travaillée, les plantations qui ſuccèdent réuſſiſſent mieux.
La plupart des cultivateurs, il eſt vrai, n’ont ſouvent ni le temps ni les moyens de butter & de ſarcler à la main une grande étendue de terrain ; mais ces deux opérations très-eſſentielles peuvent toujours être exécutées à la charrue, au moins la dernière : sur-tout lorſqu’on aura obſervé des rangées droites, & une diſtance ſuffisante entre elles : l’épargne ſur le temps & ſur les frais de main-d’œuvre compenſera alors beaucoup au-delà le produit moindre qu’on obtiendra par ce moyen.
Dès que la plante eſt aſſez haute pour pouvoir être diſtinguée de la foule des herbes qui croiſſent en même-temps, il faut nétoyer le champ & labourer les intervalles, afin de bien ameublir la terre ; on ne doit pas même craindre d’en couvrir un peu la plante, ni de la coucher, car l’expérience a prouvé qu’elle ſe relève bientôt, & pouſſe ſes feuilles avec plus de vigueur. Quelquefois le ſol & la ſaiſon ſont ſi favorables à la végétation des plantes paraſites, qu’il eſt néceſſaire de répéter ce ſarclage : on n’y manque point dans les potagers, mais on y regarde à deux fois quand il s’agit d’une grande exploitation ; cependant rien ne préjudicie autant à l’accroiſſement des racines. Ce ſarclage ne peut guère s’exécuter avantageuſement qu’avec la houe américaine, dont M. Saint-Jean de Crevecœur m’a envoyé de New-Yorck un modèle : en voici une idée.
On ne cultive point, en Amérique, la pomme de terre & le mais ſans cette houe. Sa forme eſt un carré de la largeur de huit pouces, & de la hauteur de sept ; le côté le plus élevé eſt terminé en cœur : la douille ſe trouve du même côté, a deux pouces & demi de longueur, & douze à quatorze lignes de diamètre ; elle a un manche plus ou moins long, suivant la taille de celui qui s’en ſert. Pour que la houe ſoit bien faite, il faut qu’elle reſte plate ſur la terre, & que l’extrémité du manche vienne frapper la poitrine de l’ouvrier. Au reſte on en trouvera la figure dans les mémoires de la Société royale d’Agriculture de l’année 1786.
Cet inſtrument a cela de commode, qu’il eſt léger & n’exige point une pénible inclinaiſon, comme le peſant hoyau des pauvres vignerons : il coupe les mauvaiſes herbes, remue, fouille & raſſemble la terre en ſillon ou en butte autour des plantes. Je ne doute point que malgré la répugnance des habitans de la campagne à changer les outils auxquels ils étoient accoutumés, ils ne donnent à celui-ci la préférence, dès qu’ils en connoîtront parfaitement les avantages. Je me suis empreſſé d’en faire conſtruire un certain nombre, & de les multiplier aux environs de Paris.
Elle conſiſte à relever tout autour de la tige une ſuffisante quantité de terre pour en former une motte : cette opération, qu’on nomme butter, ne doit avoir lieu qu’au moment de la floraiſon, & il faut bien prendre garde de ne pas trop ébranler la plante : elle aide la tige à ſe ſoutenir, favoriſe la multiplication des racines, & détruit les mauvaiſes herbes qui ont pouſſé depuis le dernier binage : on l’exécute à l’aide de la houe ou de la charrue ; la terre renversée de droite & de gauche réchauffe le pied, en ſorte que le terrain qui étoit élevé devient creux.
Dans la culture à bras, on exécute cette opération au moyen de la houe américaine ; mais en grand, ce n’eſt que la charrue qu’on doit employer. Celle qui y convient le mieux eſt uſitée dans nos provinces méridionales; la charrue dont les Américains ſe ſervent pour cet objet, eſt ſans roue, mais elle a un manche, & eſt connue ſous le nom de petit cultivateur.
Il y a quelquefois des circonſtances où deux façons ne ſuffiſent point ; les terrains, par exemple, où les mauvaiſes herbes ſont abondantes, en demandent juſques à trois, tandis que dans ceux ou la pomme de terre eſt preſque la ſeule plante que le ſol produiſe, le ſarclage & le buttage peuvent ſe faire à-la-fois.
Mais le moyen de ménager toujours un travail de culture, c’eſt de herſer le champ avant la levée des pommes de terre ; cette opération, pratiquée avec ſuccès par pluſieurs cultivateurs diſtingués, retarde l'époque du premier ſarclage, en détruiſant une partie des plantes paraſites naiſſantes,
Il faut bien prendre garde de trop enterrer les racines en buttant les pommes de terre ; la qualité du ſol & la température doivent guider le cultivateur. Pour garantir les tubercules des ardeurs du ſoleil, qui les ramolliſſent & les deſſèchent, il eſt néceſſaire de les butter davantage dans les terres légères, & lorſqu’il fait ſec, que dans les terres fortes & quand il pleut, enfin plus ſur un plan incliné & moins en plaine.
S’il étoit poſſible de faire toujours autant d’ouvrage avec la bèche qu’avec la charrue, il n’y a pas de doute qu’on ne dût préférer la culture à bras à celle des animaux : il n’y en a point, en effet, qui remue mieux la terre, la renverſe auſſi bien ſens deſſus deſſous, la raſſemble plus exactement autour de la plante, & donne par conſéquent un produit plus abondant : mais une grande étendue exigeroit beaucoup de bras pour ſon exploitation, & doubleroit les frais qui ne ſeroient pas compenſés par l’excédent en récolte qu’on obtiendroit.
Après qu’on a ſarclé & butté la pomme de terre, on eſt diſpenſé de tout autre ſoin juſqu’à la récolte : elle peut commencer à ſe faire dès le mois de juillet, & ſe continuer juſqu’au mois de novembre ; cela dépend des eſpèces, du climat, du terrain & de la saiſon.
On peut tirer quelque parti du feuillage des pommes de terre ; mais le moment à ſaiſir pour faire ce retranchement, ſans nuire à l’accroiſſement des racines, eſt au commencement de ſeptembre, après que les baies ou fruits ſont formés ; encore ne doit-il avoir lieu qu’à huit pouces environ de la ſurface, & ſur l’eſpèce groſſe-blanche, parce que c’eſt celle dont La feuille foiſonne le plus, & qui paroît ſupporter ce retranchement ſans aucun danger : les autres variétés, & ſur-tout les rouges, ſouffriroient beaucoup d’une pareille mutilation.
Les ſignes auxquels on peut reconnoître que les pommes de terre ſont mûres, c’eſt lorſque les tiges, après avoir acquis toute leur étendue, jauniſſent & ſe flétriſſent d’elles-mêmes ſans accidens, ce qui arrive pour la plupart des eſpèces, à la fin de ſeptembre ou au commencement d’octobre : alors l’accroiſſement des tubercules ceſſe, & ils ne végètent plus. Si, paſſé cette époque, on les laiſſoit en terre, que la température continuât d’être douce & humide, les racines chevelues qui uniſſent enſemble ces tubercules, ſe deſſécheroient bientôt, &, livrés à leur propension naturelle à végéter, ils recommenceroient à germer, & contracteroient les mauvaiſes qualités qu’elles ont en cet état. On le répète, les pommes de terre dont le feuillage eſt flétri par les gelées blanches d’octobre, ou par la maturité, ne sauroient plus groſſir ni végéter à leur profit ; il ne faut pas différer de les récolter.
Elle s’exécute au moyen des animaux, ou à bras d’hommes. Avant de mettre la charrue, il faut amener dans le champ les vaches ou les moutons, pour qu’ils broutent le feuillage, ou bien le faucher, parce qu’en ſupposant qu’il ait encore une sorte de vigueur, il ſe ramaſſe ſous la charrue & embarraſſe le soc. La charrue déchauſſe promptement les racines, & met en rigoles ou raies ce qui étoit en ſillons, en jetant dehors les pommes de terre, qu’on détache des filets fibreux qui les attachent enſemble, pour les mettre dans des paniers. Six enfans peuvent deſſervir une charrue : il s’agit de les diſtribuer de manière à ce qu’ils ſoient placés à une certaine diſtance, les uns vis-à-vis des autres, en sorte qu’ils s’entendent bien. Pour ce travail, ils valent mieux que de grandes personnes, parce qu’ils ſont plus leſtes, n’ont pas beſoin de ſe baiſſer, de ſe fatiguer, pour ramaſſer & remplir leurs paniers ; n’ayant d’ailleurs aucuns préjugés, aucune opinion, ils font à la lettre ce qu’on leur commande.
Pour faire la récolte à bras dans les terres légères, on peut, en saisiſſant les tiges, tirer à ſoi ; toutes les racines viennent ordinairement en paquet : mais dans les terres fortes, il faut y employer un inſtrument ; & la fourche à deux & trois dents eſt l’outil le plus commode & le plus expéditif. La bèche & les différentes houes dont on ſe ſert communément, ont l’inconvénient d’entamer les pommes de terre, qu’il eſt plus économique de faire arracher à la tâche. Un homme peut, dans la journée, en recueillir facilement quarante-huit boiſſeaux meſure de Paris, en obſervant cependant de ſurveiller les ouvriers, dans la crainte que, pour aller plus vite, ils ſe bornent à ne ramaſſer que les groſſes, & laiſſent les petites, d’où il réſulteroit une perte.
Dans la culture en petit, une bèche, une houe & une fourche, ſuffiſent pour labourer, planter, sarcler, butter & récolter les pommes de terre ; mais il faut néceſſairement une charrue pour exécuter toutes ces opérations avec plus de célérité & d’économie.
Il seroit à ſouhaiter que les pommes de terre parvinſſent toutes en même temps, à maturité, mais il paroît bien difficile de leur procurer une meſure égale de végétation : pluſieurs cauſes déterminent à cet égard beaucoup de variations. M. Hell penſe que les différentes nuances de la terre végétale du même champ, ſon site, la diſtribution inégale de fumier, les racines plus ou moins profondément enterrées, buttées plus ou moins haut, & une foule d’autres circonſtances, peuvent ralentir ou accélérer leur maturité.
On s’eſt trompé en croyant que les pommes de terre dont le feuillage ſe trouve flétri par la gelée ou par d’autres accidens, pouvoient encore groſſir, ou que ce feuillage reſtant verd long-temps dans certains terrains où il eſt abondant, il falloit attendre qu’il fût fané pour commencer la récolte. Le plus fort accroiſſement des racines ſe fait en août ; elles ceſſent ordinairement de groſſir & de ſe multiplier dès l’arrivée d’octobre : il eſt donc inutile d’attendre au mois de novembre pour la récolte ; on peut, ſans, danger, la faire plus tôt, ce qui permettra les ſemailles d’hiver, & remplacera par un grand profit la perte des années de jachères.
Un autre inconvénient de trop différer la récolte des pommes de terre, c’eſt qu’on court les riſques de les perdre par le froid. Celles qui occupent la ſurface, ſont ſuſceptibles de geler ſur pied. En les découvrant dès le matin, ou leur laiſſant paſſer la nuit en tas pour les reſſuer, les premières couches du tas ſont expoſées au même danger, & aucune n’eſt reſſuée.
Nous obſerverons encore que quelques cultivateurs, pour épargner le labour qu’on doit donner après la récolte des pommes de terre, répandent le froment ſur le champ, avant de les arracher : par cette pratique, la semence eſt ſuffisamment enterrée ; mais il arrive auſſi que le grain ſe trouve inégalement diſperſé : il vaut donc infiniment mieux enſemencer à l’ordinaire, auſſitôt que la pièce aura été bien labourée & bien dreſſée.
L’extrême multiplication des pommes de terre eſt un exemple frappant des grandes reſſources de la nature pour la régénération des végétaux. On sait que cette plante eſt du nombre de celles dont on peut prolonger l’exiſtence, en la diviſant à l’infini : auſſi l’appelle-t-on polype végétal. La ſève y eſt ſi abondante, que ſouvent il ſe forme des tubercules le long des tiges, aux aiſſelles des feuilles, aux péduncules qui ſoutiennent les baies, & même aux baies ; j’ai vu plus d’une fois, mais ſans surpriſe, de ces tubercules abandonnés à eux-mêmes dans un endroit chaud & humide, pouſſer des germes, & ces germes donner des pommes plus ou moins groſſes, ayant chacune des commencemens de germination.
Un autre phénomène, qui ſert à prouver de plus en plus combien les pommes de terre conſervent long-temps leur végétation, c’eſt que les nouvelles eſpèces qui nous ont été envoyées de New-York & de Long-Island, par M. Saint-Jean de Crevecœur, quoique ſoigneuſement encaiſſées, ont végété pendant leur trajet, & n’ont plus offert à leur arrivée qu’une maſſe compoſée de germes entrelacés, en partie deſſéchés ou pourris. Miſes en terre dans cet état avarié, elles ſe ſont développées à merveille. Frappées avant la floraiſon d’une grêle énorme, qui a haché la totalité du feuillage, leur végétation n’a été ſuspendue qu’un moment ; bientôt elles ont repris leur première vigueur, & ont donné une abondante récolte. Faut-il s’étonner, après cela, que le principe de la reproduction réſide dans toutes ſes parties, & que la plante ſe perpétue par bouture, par provins & par ſemis ?
Au lieu de couper une pomme de terre en cinq ou ſix morceaux, on peut enlever les yeux ſeulement, à quatre ou cinq lignes du corps charnu de la racine : en les plantant enſuite ſéparément dans un bon terrain, mais très-rapprochés, ils produiſent deux à trois tubercules, moins gros à la vérité que ſi l'œilleton eût été accompagné de pulpe.
Lorſque les pommes de terre ont pouſſé leurs germes avant le moment de la plantation, on peut les détacher, & les mettre pluſieurs enſemble enterre, ſans pulpe : ils ne fourniront pas moins des tubercules, ſouvent auſſi gros & auſſi nombreux que s'ils tenoient à un morceau de la ſubſtance charnue, toujours plus conſidérables que ceux des ſimples œilletons, parce que les germes alimentés d'abord par la racine entière, ont déja acquis, lorſqu'on les en détache, une vigueur capable de ſe paſſer de la nourriture qu'elles reçoivent : la pomme de terre qui a ſouffert ce retranchement, n'en eſt pas moins propre à la plantation, en la diviſant à l'ordinaire.
Il eſt poſſible de coucher juſqu’à trois fois les branches latérales des pommes de terre, & d’obtenir de chaque branche couchée deux à trois tubercules. Cette manière de provigner la plante, pourroit devenir eſſentielle, lorſqu’elle auroit beaucoup pouſſé en tiges, & qu’il seroit utile d’interrompre le cours de la ſève trop abondante ; mais avant la plantation, il faudroit avoir prévu l’inconvénient, & laiſſer aſſez d’eſpace entre chaque pied pour y remédier, car ce travail pourroit gêner la plante voiſine. Chaque plante alors forme un cercle ; les branches de toutes les plantes pouſſent des pommes, & garniſſent entièrement le champ.
Dès que la pomme de terre a acquis huit à dix pouces d’élévation, on peut couper les tiges & les planter chacune ſéparément dans des trous ou des rigoles, avec la précaution de laiſſer leur ſurface à l’air, & de la couvrir légèrement d’un peu de paille, pour la préſerver du hâle : chaque tige peut donner deux à trois tubercules, & la plante d’où ces jets ont été détachés n’en ſouffre aucun dommage, ſur-tout ſi cette opération a lieu dans le moment ou le feuillage végète avec une grande célérité.
Ces différens moyens de reproduction ont toujours pour caractère une fécondité qu’on ne ſauroit aſſez admirer ; mais ils ne peuvent guère intéreſſer qu’un amateur qui auroit envie de ſe procurer promptement & abondamment une eſpèce rare, ſans avoir égard aux dépenſes, aux ſoins & à l’étendue du terrain employé : il seroit même encore poſſible d’y avoir recours dans une circonſtance malheureuſe, où il ne reſteroit d’autre reſſources que ces racines : alors il faut être moins prodigue en ſemence, & n’épargner ni temps ni travail.
Quand on a enlevé une groſſe pomme de terre tous ſes œilletons, il en reſte au moins les trois quarts ; c’eſt une racine excavée, qui augmenteroit la subſiſtance d’un canton dans un moment de détreſſe, où l’on ne pourroit pas s’en paſſer pour la nourriture des hommes & des beſtiaux, & dédommageroit du sacrifice ſur le produit de la récolte à venir.
Je me suis aſſuré que dans un excellent terrain, & avec une attention suivie, on pourroit régénérer, par ces différentes voies, toutes les variétés de pommes de terre que j’ai décrites ; mais c’eſt particulièrement ſur la groſſe-blanche tachée de rouge, que mes expériences ont eu un ſuccès complet, parce que, comme je l’ai déja dit plus d’une fois, elle peut, par la vigueur de ſa conſtitution, braver les inconvéniens du ſol de la saiſon, & toutes les mutilations.
Mais parmi les moyens les plus efficaces, pour augmenter dans les campagnes les meilleures qualités de pommes de terre, & prévenir leur dégénération, il n’en eſt point qui mérite une attention plus ſérieuſe que celui des ſemis : je m’empreſſe d’en développer tous les avantages dans un article particulier.
Cette voie a ſouvent été tentée, mais toujours ſans but ; jamais on n’a ſongé à en ſuivre les effets, ni à en développer les avantages : perſuadé que la régénération des pommes de terre obtenue ainſi, étoit douteuſe, difficile, & trop longue pour atteindre le produit ordinaire, cet objet nous a paru néanmoins aſſez important pour en faire le ſujet d’un mémoire inſéré dans ceux publiés par la Société royale d’agriculture pour l’année 1786, trimeſtre d’hiver. L’utilité dont il a déja été aux campagnes, ne me permet pas de l’oublier ici.
Je ne donnerai qu’un extrait ſuccinct de mon mémoire, après avoir aſſuré à ceux qui ſe plaignent de la dégénération des pommes de terre, qu'il n'y a pas d'autre moyen pour la prévenir que les ſemis, &c que s'ils veulent obtenir du ſuccès, il faut que le terrain ſoit parfaitement ameubli & fumé, ſans quoi ces ſemis manqueroient, quand bien même la graine appartiendroit à l'eſpèce la plus vigoureuſe. M. Chancey a remarqué que la partie abritée étoit conſtamment celle où la réuſſite paroiſſoit la plus complète.
Elles ſont plus ou moins abondantes en ſemence, ſelon l'eſpèce & la vigueur de la plante. Pour en faire la récolte, il faut attendre qu'elles ſoient parfaitement mûres, & c'eſt ordinairement, pour les hâtives, au mois de juillet, & pour les tardives au mois de ſeptembre; elles commencent alors à ſe ramollir & à blanchir au centre : il ne s'agit plus que de les cueillir & de les conſerver pendant l’hiver, juſqu’au retour du printemps.
On peut laiſſer aux baies le pédicule commun qui les attache immédiatement à la tige, & les ſuſpendre ainſi aux murs, aux planchers, à des cordes ; ou bien il ſuffiroit de les mettre auſſitôt après leur récolte, dans une caiſſe ou boîte, avec du ſable, lit ſur lit ; mais comme il faut dans tous le cas les écraſer & les mêler avec la terre pour les ſemer, j’ai pensé qu’on pouvoit s’épargner cet embarras, & rendre les ſemis plus avantageux, en employant le moyen suivant.
Dés que les baies ſont récoltées, on les met en un tas, dans un endroit tempéré, pour achever leur maturité, leur faire prendre un commencement de fermentation qui diminue leur viſcoſité ; elles contractent bientôt une odeur vineuſe aſſez agréable : on les écraſe alors entre les mains, & on les délaie à grande eau, pour ſéparer à l’aide d’un tamis, la ſemence du gluten pulpeux qui la renferme ; après quoi on la fait ſécher à l’air libre. Cette ſemence eſt de la claſſe des semences émulſives : elle eſt petite, oblongue. J’ai extrait d’une de ces baies de moyenne groſſeur, juſqu’à 302 grains.
On mêlera la graine avec du ſable ou de la terre, pour la ſemer au commencement ou à la fin d’avril, ſelon les climats, dans des rigoles de trois pouces de profondeur, pratiquées ſur des couches ou des planches de bonne terre bien diſpoſée, à cet effet, en obſervant de laiſſer entre ces rigoles une diſtance d’un pied, & de les bien recouvrir : quand la plante a quelques pouces d’élévation, on la tranſplante ſi elle eſt semée ſur couche à huit pouces de diſtance, ou bien on ſe dispenſe de cette opération : ſi c’eſt en pleine terre, on ſe borne ſeulement à les éclaircir, de manière que dans tous les cas il y ait neuf à dix pouces d’intervalle entre chaque pied ; on les butte enſuite à la manière ordinaire, & lorſque le feuillage commence à jaunir, on procède à la récolte avec les précautions indiquées.
Ils donnent la faculté d’envoyer d’une extrémité à l’autre du royaume de quoi propager les bonnes eſpèces de pommes de terre, de rajeunir celles dont le germe eſt fatigué, d’augmenter le nombre de leurs variétés, de prévenir leur dégénération, de les acclimater, d’obtenir enfin des récoltes plus abondantes, & de meilleure qualité.
C’eſt vraiſemblablement de cette manière que la nature s’y prend pour produire les effets mentionnés : il reſte toujours dans le champ, après la récolte des pommes de terre, des baies ou fruits ſur terre ; leur ſemences enterrées, échappées aux rigueurs de l’hiver, germent au printemps, & ſe confondent avec la plantation nouvelle : n’ayant qu’une groſſeur médiocre, on les met en réſerve pour les semences ; & voilà, ſans s’en douter, des variétés qui ſe multiplient.
La voie des ſemis, quoique plus longue que celle de la bouture, a procuré en différens endroits à des cultivateurs dignes de confiance, dès la première année, des pommes de terre de l’eſpèce groſſe-blanche, qui peſoient juſqu’à 24 onces, & des rouges-longues de 4 à 5 onces ; mais en général, elles ont peu de volume la première année, & ne ſont en plein rapport que la troisième. M. Chancey a remarqué que dans une planche de 150 pieds carrés, le produit s’eſt monté à 164 livres de racines, indépendamment des plantes ſemées trop dru, qu’il a fallu arracher & tranſplanter.
Il ſeroit ſuperflu de rappeler, même en précis, les différentes opinions auxquelles a donné lieu la dégéneration des pommes de terre. Je me bornerai seulement à faire obſerver qu’après quelques recherches à ce ſujet, j’ai cru en apercevoir la principale origine dans l’affoibliſſement du germe, parce qu’en général une poſtérité qui a eu pour père primitif une branche, une tige, une racine, ne prolong-eoit jamais la durée de ſon exiſtence auſſi longtemps que ſi elle étoit due à la graine, à ce précieux dépôt de la multiplication.
D’après ce principe, confirmé par l’expérience, il m’a paru eſſentiel d’inſiſter davantage ſur la néceſſité de renouveler de temps en temps les eſpèces, par l’emploi de la graine. Beaucoup de cantons ont déjà ſuivi mon conſeil, & j’apprends tous les jours qu’il ne leur a pas été préjudiciable.
En faiſant des ſemis de pommes de terre à l’inſtar des pépinières, on rajeunira l’eſpèce abâtardie, on diſtinguera les précoces de celles qui ſont tardives ; enfin on créera des variétés nouvelles. M. de Ladebat en a obtenu une à fleurs panachées très-vigoureuſe, qu’il propage en Guienne ; & M. Hell a remarqué que pluſieurs variétés, qui n’étoient pas bien bonnes d’abord, le ſont devenues d’année en année, notamment la rouge longue bigarrée intérieurement, que j’ai désignée comme une qualité inférieure, & qui s’eſt améliorée en perdant de ſon intensité de couleur. Peut-être vient-il un temps où le principe de la reproduction diſſéminé dans tout le corps de la plante, s’affoiblit d’une manière inſensible, & à mesure qu’il approche du terme de ſon extinction : c’eſt alors le cas d’avoir recours au ſemis. comme la diminution en qualité & en production des pommes de terre peut encore dépendre autant de la longue ſucceſſion de leur culture dans le même terrain, que du mélange des eſpèces dans le même champ, il faut, lorſqu’il s’agit d’expériences en petit, ſe régler d’après la conduite que trace M. Hell, correſpondant de la Société royale d’Agriculture, & Procureur-ſyndic de la commiſſion intermédiaire d’Alſace. Ce vertueux citoyen, qui a cherché à appliquer à la province qu’il habite tous les avantages des ſemis, prend des pommes de terre de la meilleure eſpèce, qu’il plante en quinconce dans un terrain ſablonneux, éloigné de toutes autres plantations de ces racines ; & pendant leur floraiſon il les couvre d’un canevas, pour, empêcher que les abeilles, les papillons, & autres inſectes ailés n’apportent ſur les fleurs des pouſſières fécondantes des autres eſpèces : il ôte le canevas auſſitôt que les corolles annoncent que la fructification eſt terminé et les baies attachées à ces plantes ſont celles qu’il choisit de préférence pour ſon ſemis futur.
Au reſte, je ne ſaurois trop le répéter, pour acclimater la pomme de terre dans tous les cantons, pour rendre cette plante propre au pays & aux expoſitions, où on la cultive, il faut la faire venir par ſemis. Depuis quatre ans j’ai l’attention de recueillir les baies, d’en extraire la ſemence, & de la diſtribuer à tous ceux qui, pénétrés comme moi de l’utilité de cette méthode, veulent bien me ſeconder dans les cantons qu’ils habitent,
On peut, après la récolte du colſa, du lin & d’autres productions hâtives, planter encore des pommes de terre. M. de Chancey a fait cette expérience pendant trois années conſécutives, dans le même champ, qu’on bêche & qu’on fume tous les ans ; mais il faut convenir que pour jouir conſtamment des avantages des doubles récoltes dans la même pièce, il eſt néceſſaire de ſupposer un excellent terrain, une saiſon très-favorable, & de compter encore ſur trois mois de végétation au moins ; car là où les gelées blanches commencent à ſe manifeſter dès les premiers jours de ſeptembre, la récolte ne dédommageroit point des frais de culture.
La plupart des végétaux n’admettent pas ordinairement parmi eux d’autres plantes de genre différent, du moins cette admiſſion n’eſt pas exempte de quelques reproches aſſez fondés. Le ſuccès conſtant que j’ai obtenu, en ſemant entre chaque rang, des fèves, des haricots, après la dernière façon, démontre que leur végétation ne nuit pas à celle de la pomme de terre, pourvu que les pieds ſoient aſſez eſpacés ; & que les hommes réduits à ne poſſéder qu’un ſeul petit terrain, ſont à même d’en retirer différentes productions utiles. Que de terrains vagues ou inutiles, excellens par eux-mêmes, mais perdus pour l’agriculture, & de nulle valeur pour les troupeaux ! combien de plantes s’aſſocieroient fructueuſement avec la pomme de terre ! Bornons-nous à citer quelques exemples.
Si, juſques à un certain point, l’ombrage du châtaignier n’eſt pas nuiſible aux grains, il le ſeroit encore moins à la culture des pommes de terre. Quelques expériences ont prouvé que ces racines pouvoient croître à l’ombre de certains arbres. Ce ſeroit un moyen de ſe procurer une double récolte, en sorte que l’une venant à manquer, ce qui n’arrive que trop ſouvent, les habitans du Limouſin & du Forez, par exemple, trouveroient dans l’autre un dédommagement ſans lequel ils auroient une peine infinie à subſiſter. M. Dubois de Saint-Hilaire avoit déterminé les habitans de ſes terres en Limouſin, à cuire enſemble les châtaignes & les pommes de terre ; ce mélange a pris faveur, & l’on voit les enfans épier le moment où ils pourront dérober ces racines, dont la fadeur naturelle eſt relevée par la ſapidité agréable de la châtaigne.
Si les vignerons plantoient des pommes de terre aux pieds de leurs vignes, quelle reſſource pour leur famille ! Elles leur donneroient, la moitié de l’année, une nourriture ſubſtantielle & ſalutaire, & en même-temps cette vigueur qui caractériſe les habitans du nord de la France, auxquels ces racines ſervent en partie de nourriture. Suivant l’obſervation de M. de Ladebat, en cultivant des pommes de terre dans les vignes. Lorſque le terrain eſt léger, elles pourroient dédommager d’une partie des engrais qu’on leur donne, & préparer la terre des plants l’année suivante : c’eſt sur-tout dans les vignes travaillées à la charrue, que cette culture eſt auſſi facile qu’économique. On fait des foſſes entre chaque pied de vignes, dans la direction des rangées ; on y met un peu de fumier ; on plante & on recouvre ; enſuite la culture de la vigne ſuffit à la culture des pommes de terre.
Immédiatement après qu’on a donné aux pommes de terre la dernière façon, c’eſt-à-dire qu’on les a buttées, on peut ſemer des navets ſur une ligne droite tracée entre les rangées vides ; cette plante, en sortant de terre, eſt fort délicate ; le hâle & la ſéchereſſe la détruiſent fort. ſouvent ; ſa première feuille eſt, la plupart du temps, la proie des inſectes : les rameaux de la pomme de terre couvrant la jeune plante, la préſerveroient de cet accident, entretiendroient la fraîcheur & l’humidité de la terre. Les navets ainsi plantés, n’entraînent aucun embarras : cette méthode eſt pratiquée par M. Vanberchen père, & ſe trouve inſérée dans le tome premier des Mémoires de la Société phyſique des ſciences de Lauſanne.
De toutes les plantes faciles à venir dans les entre-deux des pommes de terre, après qu’elles ſont buttées, l’eſpèce qui semble réuſſir le mieux eſt le chou tardif, principalement le chou cavalier : il s’élève fort haut, & eſt d’une bonne reſſource pour les vaches & les brebis ; mais il faut que ces entre-deux, devenus ſillons, ſoient fumés & labourés à la bêche. La terre renverſée par la récolte des pommes de terre, réchauffe la plante ; & les racines une fois enlevées, il ne reſte plus que le plant de choux en vigueur.
Encouragé par la réuſſite que j’ai obtenue en ſemant du maïs dans les planches de pommes de terre, M. de Chancey a voulu auſſi connoître par lui-même l’effet de la concurrence de ces deux productions. L’arpent bêché, fumé & planté ainſi, a produit 1005 boiſſeaux de pommes de terre, tandis que la même étendue de terrain qui lui ſervoit de pièce de comparaiſon, n’en a donné que 753, indépendamment. de la récolte du maïs, dont les pieds ſont devenus auſſi forts et auſſi vigoureux que s’ils euſſent été plantés ſeuls.
On peut donc récolter tout â-la-fois du maïs, des navets, des choux, des fêves, des haricots & des pommes de terre, ſans qu’il paroiſſe que ces différentes plantes ſe nuiſent réciproquement & épuiſent le sol.
Les riches propriétaires, les fermiers bien intentionnés, les cultivateurs humains, pourroient, ſans courir aucuns riſques pour leurs récoltes en grains, permettre aux indigens du voisinage de planter un rang de pommes de terre au bout de leurs ſillons, le long des chemins, des haies, & de tout autre objet qui termine les champs enſemencés M. de Saint Jean de Crevecœur a voyagé dans un pays où cette charitable inſtitution eſt établie ; & il ajoute que le bien que ce ſillon de charité répand eſt inconcevable.
Il exiſte dans le royaume une immenſe étendue de terrains incultes, qu’on pourroit occuper par des pommes de terre, & elles les diſpoſeroient par ce moyen à d’autres récoltes. Dans les domaines du roi & des princes, que de places vides ſur leſquelles on permet aux gardes de faire paître des beſtiaux, & qui trouvent à peine un peu d’herbe à brouter ! Que d’avantages n’en retireroit on pas, ſi elles étoient couvertes de nos racines, dont le ſuccès seroit aſſuré, à cauſe de l’humidité qui y règne continuellement. ll y a des forêts, où il ne peut croître que de la bruyère & du genet ; le gland qu’on y recueille eſt affermé juſqu’à douze mille francs, & ce fruit manque très-ſouvent.
Depuis pluſieurs années, M. le Breton, correſpondant de la Société royale d’agriculture ſollicitoit en vain les fermiers des environs de Saint-Germain de cultiver les pommes de. terre : avant de partir pour l’Angleterre, il fit venir M. Bled, fermier ; pour l’y engager de nouveau, mais ſans ſuccès.., alors M. le Breton lui donna ordre de prendre deux arpens de terre appartenans à M. le maréchal de Noailles, dans leſquels on avoit ſemé inutilement de l’orge, de l’avoine & du ſarraſin, pour les couvrir de ces racines ; ſon retour le fermier vint rendre compte de la récolte, perſuadé que M. le Breton s’étant chargé de payer tous les frais de culture, il en retiendroit le produit. Il lui a d’abord demandé ſi la récolte étoit bonne : — ſuperbe. — Tant mieux, lui répondit M. le Breton, j’en ſuis charmé pour vous. — Comment, Monſieur, eſt-ce que vous voudriez… — Oui, mon ami, vous m’en donnerez deux boiſſeaux : vous avez été grêlé. Y — Ah ! Monſieur, ſi je vous avois cru, j’en aurois cultivé douze arpens, & j’aurois payé mon fermage avec le produit de la vente. — Combien donc avez-vous eu de ſeptiers dans vos deux arpens ? — Cent.
S’il étoit permis aux malheureux de planter des pommes de terre dans mille endroits qui ne produiſent rien, les revers des foſſés, les bordures inutiles, le pied des murs, elles y viendroient d’autant mieux, que ces places vagues n’ont jamais été cultivées : alors ces racines donneroient une ſubſiſtance aſſurée à ceux qui n’en ont aucune. Pendant le ſéjour que M. Blanchet fit dans le Poitou, il détermina, par l’exemple & ſa générosité, de petits cultivateurs qui ne possédoient qu’une chétive portion de terrain, à y planter des pommes de terre : elles ont ſuffi par la ſuite à leur subſiſtance pendant tout l’hiver. Six années après, ayant eu l’occaſion de repaſſer dans le canton, il fut comblé de bénédictions par ces bonnes gens, qui lui crioient les larmes au yeux : Vous nous avez ſauvé la vie, brave homme, en nous montrant a retirer de notre petit champ ce qu’à peine des arpens entiers pourroient rendre.
Mais qui d’entre nous ayant voyagé ſur nos côtes maritimes, n’a pas apperçu ces miſérables cabanes enfoncées plutôt que bâties dans le ſable, où une pauvre famille n’a pour tout aliment qu’un pain noir & gras ; pour lits ou plutôt pour litière, qu’un peu de roseau ou de jonc, & peut à peine ſous quelques débris de planches attachées au nauffrage, mal aſſemblées, & percées de trous, ſe garantir des rigueurs de la ſaiſon ? C’eſt dans ces endroits arides & ſablonneux que la pomme de terre rendroit de grands ſervices ſi on l’y cultivoit.
Si dans les cantons du nord de la France, où l’on a coutume de planter des fèves dans un bois après qu’il eſt coupé, on préféroit d’y mettre des pommes de terre, le propriétaire obtiendroit un produit infiniment plus conſidérable, en même temps qu’il en réſulteroit pour le bois futur l’ameubliſſement du sol, & la deſtruction des mauvaiſes herbes : mais il faut convenir auſſi que ce ne ſeroit pas ſans des inconvéniens de plus d’un genre ; ſi on permettoit au premier venu la culture de ces racines dans les jeunes bois taillis : le travail qu’elle exigeroit nuiroit aux jeunes pouſſes ; indépendamment des dangers auxquels ſeroit expoſée la récolte elle-même, en devenant la proie de la bête fauve, & surtout du ſanglier. Ce ſeroit bien le cas d’abandonner à ceux qui voudroient cultiver des pommes de terre, tous ces laiſſes de mer, que ſouvent des intrigans ſollicitent, obtiennent, laiſſent incultes au détriment de l’agriculture & du peuple qui en profiteroit. N’eſt-ce pas en effet un attentat envers la société, que de la fruſtrer, par indolence ou par cupidité, des fruits qu’elle obtiendroit de mains plus induſtrieuſes & plus actives ?
La plupart des matelots n’ont de reſſources qu’à la mer & dans la pêche, tandis que leurs femmes chargées de beaucoup de jeunes enfans obligés de reſter à la maiſon, n’y trouvent qu’une chétive & pénible exiſtence. S’ils avoient des pommes de terre, la famille pourroit les cultiver, & en retirer une ſubſiſtance aſſurée pendant la morte saiſon, & de quoi nourrit une vache ou au moins un cochon, dont la vente ſuffiroit pour fournir des habits, du linge. De là naîtroit la plus grande population d’une claſſe ſi précieuſe à l’Etat.
Ces conſidérations ont paru d’un intérêt aſſez important à M. de Lormerie, correſpondant de la Société royale d’agriculture, pour les préſenter à un prince très-grand, puiſqu’il eſt le bienfaiteur de l’humanité, & pour le ſupplier de protéger la culture des pommes de terre ſur nos côtes, dont la diſtribution par chaque curé a ſes habitans, ſelon leur beſoins, propageroit ce végétal précieux, & deviendroit une belle action philanthropique.
Avec quel plaiſir j’ai vu quelque portions des dunes de Dunkerque couvertes en pommes de terre ! M. de Lormerie a encore ſollicité les ſoins d’un homme intelligent à Cherbourg, pour eſſayer la culture de cette plante, ſur des ſables infiniment plus fertiles que ceux des côtes de Calais & de Dunkerque. Il a préparé la même expérience pour ce printemps, ſur la côte du ſud de la Manche en baſſe-Normandie, à Granville, où il y a beaucoup de familles de pauvres matelots, & à Avranches, où, quoique les denrées ſoient infiniment à meilleur marché qu’à Paris, la pomme de terre vaut 24 ſous le boiſſeau ; je ne doute pas que bientôt on ne voie, pour la première fois, ſur ces ſables, de la verdure & des fleurs. Enfin M. de Lormerie, dont le zèle pour tout ce qui peut tendre au ſoulagement de la claſſe malheureuſe eſt ſans bornes, ne ſemble voyager que pour rapporter le fruit de ſes obſervations à ſa patrie, qu’il honore par ſes lumières & ſon humanité.
Tout ce qui vient d’être expoſé en faveur de l’extrême fécondité des pommes de terre, & de leur faculté végétative répandue dans toutes les parties de leur fructification, démontre en même temps que cette plante peut parer à une foule d’évènemens fâcheux, & que pluſieurs arpens qui en ſeroient plantés ſuffiroient, dans un temps de diſette, pour procurer à un canton entier de quoi ſubſiſter juſqu’au retour de l’abondance. Quelques exemples pris au haſard dans la multitude des faits atteſtés par les autorités les plus recommandables, que l’expérience juſtifie tous les jours, en offriront de nouvelles preuves.
Les ouvrages périodiques ne ſont remplis que d’obſervations qui annoncent qu’un ſeul morceau de pommes de terre pourvu d’un ou de deux œilletons, a produit trois cents tubercules & plus, depuis la groſſeur du poing juſqu’à celle d’un œuf de pigeon. M. le baron de Saint-Hilaire m’a écrit qu’une de ces racines iſolée & cultivée avec ſoin, en avoit donné 986, dont la moitié, à la vérité, étoit fort petite. M. Howard de Cardingston en a obtenu du poids de neuf livres.
Pluſieurs Sociétés d’agriculture, dans la vue d’encourager cette culture, ont accordé des prix aux uns pour avoir récolté huit milliers peſant de pommes de terre ſur une étendue d’un acre, qui rapportoit tout au plus 1000 liv. d’orge ou d’autres menus grains ; & aux autres pour en avoir fait produire 50 ſeptiers à un arpent d’une terre ſablonneuſe, médiocre, ſans fumier, qui n’auroit pas rendu le grain employé à l’enſemencer. Enfin une pomme de terre peſant une livre un quart, garnie de 22 œilletons, & diviſée en autant de morceaux, en a produit dans mon jardin 464 livres. Ces exemples de multiplication, que je pourrois accumuler ici, ont fait avancer à un cultivateur diſtingué, qu’avec une ſeule groſſe pomme de terre, il seroit poſſible de parvenir à enſemencer la huitième partie d’un arpent, & voici comment : 1°. en ſéparant exactement tous les œilletons ; 2°. en eſpaçant chaque œilleton de quatre à cinq pieds ; 3°. en arrachant les rejetons, & les tranſplantant ; 4°. enfin, en faiſant la même opération pour les tiges & les branches. Au reſte je ne doute pas que dans les provinces méridionales, l'eſpèce hâtive ne rende encore ce phénomène plus facile.
Je suis bien éloigné d'établir ſur ces prodiges de fécondité le rapport ordinaire des pommes de terre, parce qu'il n'y a guère de plantes dans toutes les familles composant le règne végétal, qui n'en offrent également des exemples plus ou moins frappans, & que ſouvent l'enthouſiasme qu'ils excitent disparoît bientôt, dès qu'on fait la plus légère attention aux ſoins particuliers qu'on a pris, à l'étendue du terrain employé, & aux autres frais qu'il a dû en coûter pour les opérer.
Cependant il faut convenir que, quoique les produits effectifs de la pomme de terre ſoient exorbitans, rien n'eſt plus fautif que tous les calculs donnés pour les établir. On ne ſait jamais de quelle eſpèce de pommes de terre il s'agit, ni de quelle nature eſt le ſol dont on s'eſt ſervi : la véritable continence des meſures, la diſtance obſervée entre chaque pied, & les façons qu’on a données, ne ſont pas non plus ſpécifiées ; ce qui fait infiniment varier les réſultats.
Le prix de la pomme de terre n’ayant pas, comme celui des grains, une baſe fixe, les uns, pour déprécier ſa culture, ont porté au plus haut les dépenſes, & la recette au plus bas ; les autres, par un motif contraire ont ſuivi une marche tout-à-fait oppoſée. La pomme de terre groſſe-blanche vaut communément à Paris, depuis 3 liv. 10 s. juſqu’à 4 liv. le ſac ou le ſeptier de 12 boiſſeaux, pesant 220 liv. Les rouges coûtent le double environ. Dans les marchés où on voit cette variété tardive juſques à l’arrivée des hâtives, elle eſt ſeulement plus chère en mai, juin & juillet. Par-tout où cette plante eſt peu cultivée, elle eſt hors de prix dans toutes les ſaiſons, lorſque les autres denrées y ſont ordinairement à bon compte. Enfin l’eſpèce commune a valu cette année-ci, à la halle, juſqu’à 12 liv. le sac, mais ce ſont de ces cas extraordinaires qu’il faut eſpérer ne voir paroître de long-temps. Toutes les exagérations que l’enthouſiasme a fait naître ſur cette production, doivent être dénoncées ici, parce que le laboureur qui, avec des ſoins & du travail, n’approcheroit pas de ces grands produits qu’on annonce, croiroit avoir mal cultivé ſon champ ; il accuſeroit le ſol, la ſemence, & la méthode qu’il pratique.
Au lieu donc de donner des tableaux de recette & de dépenſes arrangés aſſez ordinairement dans le ſilence du cabinet, nous nous bornerons à ſupposer qu’il s’agit d’un excellent fonds, & de la pomme de terre groſſe-blanche : alors nous ; dirons que ſa fécondité ne ſauroit être comparée à celle des autres racines potagères ; que ſi la récolte n’en eſt point chaque année également abondante, rarement manque-telle tout-à-fait, que ſon produit, à terrain égal, eſt dix fois plus conſidérable que celui de tous les grains connus en Europe ſans compter les autres végétaux que les rangées vides peuvent admettre, & tous les moyens que la plante elle-même a de ſe multiplier en la diviſant à l’infini. Nous dirons encore que la culture à bras eſt deux fois plus diſpendieuſe que celle des animaux, & que celle-ci doit toujours être préférée, quand on veut cultiver en grand cette plante, pour donner à propos & ſans beaucoup de dépenſe, les façons qu’elle exige. Ce que rapporte de plus la première méthode, ne ſauroit balancer les frais réels que la ſeconde coûte néceſſairement, de quelque manière qu’on s’y prenne pour l’exécuter. Enfin cent ſeptiers par arpent ſont le plus haut produit qu’on puiſſe eſpérer : le terme moyen eſt de 50 à 60.
Parmi les obſervations qui peuvent éclairer ſur les frais de la culture en grand, & le produit des pommes de terre qui en réſulte, nous ne citerons que celles de Duſſieux, correſpondant de la Société royale d’agriculture, parce qu’elles nous ont paru les plus raiſonnables. Ce citoyen diſtingué, qui eſt parvenu dans le voiſinage de ſes terres en Beauce & en Brie, à donner une opinion avantageuſe de cette plante, évalue les frais de culture d’un arpent meſure de Paris, d’une bonne terre, à 54 liv. 14 s., & le produit de ſoixante-quinze à quatre-vingt ſacs ou ſeptiers de douze boiſſeaux de pommes de terre groſſe-blanche ; & il eſt convaincu qu’un arpent de ſable un peu gras, employé à la culture de cette plante, équivaut à ſix arpents ſemés en avoine, & qu’il ſuffit à l’attelage d’une charrue, c’eſt-à-dire de trois chevaux.
J’ai déjà fait obſerver dans l’introduction de ce traité, que la culture en grand des pommes de terre étoit un moyen de rendre le ſol propre à toutes ſortes de plantes de faire rapporter au plus mauvais terrain quelque production, enfin d’augmenter dans les campagnes la maſſe des subſiſtances des hommes & des beſtiaux. Ces avantages ajoutés aux raiſons que j’ai déduites, ſuffiront ſans doute pour me juſtifier de n’être pas entré dans des détails de calculs toujours fautifs. Il faut d’ailleurs voir premièrement dans les pommes de terre, un aliment local, à conſommer dans l’endroit où on les a récoltées, & ſur lequel les acaparemens du monopoleur n’auront aucune priſe ; qui occaſionnera un grand commerce de bétail qu’on échangeroit avec les autres denrées plus communes dans les cantons voiſins ; enfin un moyen aſſuré de fumer les terres, & de doubler par conſéquent le produit des récoltes : toutes circonſtances inappréciables, & qu’on a oublié de faire entrer en ligne de compte dans les calculs établis.
L’utilité générale dont ſont aujourd’hui les pommes de terre, n’a point empêché depuis peu encore quelques auteurs de les accuſer de nuire à l’abondance des blés & des autres productions qui leur ſuccèdent. On a dit & on a repeté que leur culture exigeait beaucoup du ſol, que bientôt elle épuiſoit le meilleur terrain & le rendoit incapable de produire des grains. Mais avant de répondre à cette objection, la qualité du terrain, l’époque de la plantation, & les eſpèces de végétaux qu’on leur fait ſuccéder, doivent être pris en conſidération.
Nous obſerverons d’abord, que cette opinion défavorable aux pommes de terre vient moins d’expériences particulières deſtinées à en conſtater la vérité, que des fauſſes idées qu’on s’eſt formé de la végétation.
Perſuadés d’une part que la racine eſt l’organe principal deſtiné à pomper la nourriture, & à la transmettre au reſte de la plante ; voyant de l’autre la quantité énorme de racines charnues, farineuſes, accumulées aux pieds de la pomme de terre, on en a conclu que cette croiſſance vigoureuſe ne pouvoir s’opérer qu’aux dépens du terrain qu’elle devoit néceſſairement appauvrir. Mais une théorie moderne, appuyée ſur des faits, a démontré l’erreur de cette hypothèſe, en prouvant que les plantes tiroient leurs ſucs nourriciers en grande partie de l’atmoſphère au milieu de laquelle elles vivoient ; que les racines ne végétoient & ne ſe multiplioient qu’à la faveur de ce ſuc nourricier qu’elles recevoient des feuilles & des tiges, & que ſi les animaux venoient à brouter la feuille de pommes de terre avant que leurs tubercules fuſſent formés, ils avortoient & ne groſſiſſoient point : mais je n’inſiſterai pas de nouveau ſur ces détails étrangers à l’objet que je traite ici ; ils ſont conſignés dans mes Additions aux Récréations chimiques de Model.
Mais s’il étoit vrai que la pomme de terre méritât le reproche, & qu’elle épuiſât le ſol au point de le mettre hors d’état de produire. des grains, je demanderois pourquoi, dans certains cantons, ſa fécondité eſt-elle aujourd’hui ce qu’elle étoit il y a un ſiècle, & fait-on ſuccéder à cette culture celle des grains qui rapportent plus que les jachères ordinaires. En Irlande, les meilleures prairies, les champs les plus fertiles doivent leur origine à la culture des pommes de terre ; c’eſt à elle que ſes habitans doivent l’augmentation des terres labourables, loin qu’elle les ait jamais diminuées.
Il eſt bien certain que ſi le champ ſur lequel on cultive les pommes de terre eſt bien cultivé & bien fumé, le froment qu’on y ſème ensuite réuſſira conſtamment ; mais ſi, au contraire, ces tubercules ſont plantés dans un ſol très léger, & qu’on leur faſſe ſuccéder ce grain, on doit peu compter ſur le produit ; tandis que ſi c’eſt du ſeigle qu’on emploie de préférence, il viendra de la plus grande beauté. Si donc les terrains où l’on a récolté des pommes de terre ſont propres au froment, on peut les enſemencer en fumant de nouveau ; quelquefois même ce ſecours eſt inutile. Une expérience non-interrompue de beaucoup d’années, a encore démontré que toutes les production proſpèrent dans un champ planté de pommes de terre l’année d’auparavant ; que la fertilité de ce champ y eſt même aſſurée pour quelque temps. Les profonds labours donnés en automne & au printemps ; l’obligation dans laquelle on eſt d’émietter, de briſer les mortes, de ſarcler, de ramener la terre ; tous les ſoins que demande cette culture juſqu’à la récolte, diviſent le sol, le fument, ſans que le laboureur ſoit néceſſité à des avances trop longues, puiſqu’elles ſont payées immédiatement par l’emploi local du produit, applicable aux hommes & aux animaux.
La pomme de terre a donc cet avantage, qu’elle prépare le terrain à recevoir les végétaux qu’on voudra lui faire ſuccéder, ſoit froment, orge, chanvre, lin, &c. Il eſt même encore prouvé qu’il faut moins de ſemence dans un fond ainſi cultivé ; qu’il n’y a point de meilleur moyen de nétoyer la terre des mauvaiſes herbes, que les pièces d’avoine, couvertes précédemment de pommes de terre, ſont remarquables par le peu de ces plantes paraſites qui les infeſtent. Loin donc de détériorer le ſol, les pommes de terre concourent à ſa fécondité, & par les travaux qu’il a reçus, & par le fumier, qui, étant enfoui & mieux conſommé, ſe trouve plus uniformément répandu.
Comment donc la culture des pommes de terre pourroit-elle jamais devenir préjudiciable à celle des blés, bien entendu bien ſoignée ? Elle diminuera ſeulement la conſommation des grains dans les campagnes, & procurera l’abondance dans les villes, d’où s’enſuivra que le payſan ſera mieux nourri, & plus riche en beſtiaux ; que le journalier citadin gagnera de quoi ſuffire à la ſubſiſtance de ſa famille, & qu’on pourra établir dans le royaume des branches de commerce très-utiles. Mais il nous reſte à ajouter à cet article quelques obſervations relatives encore à la queſtion qui vient d’être diſcutée & éclaircie.
D’après une ſuite d’expériences entrepriſes en grand ſur la culture des pommes de terre, dans les environs de Lvon, M. Chancey s’eſt convaincu que cette plante effrite moins le ſol que le blé & les autres grains, & que quand on veut lui faire ſuccéder le froment, il faut labourer profondément, & bien amender. La récolte en pommes de terre eſt aſſez productive pour faire cette dépenſe, qui reſte toujours au profit du champ. Le colſa, le ſeigle, &c. prospèrent après ces racines. Le cultivateur doit s’attacher aux plantes qui réuſſiſſent bien les unes après les autres, en alternant, ſans diſcontinuer, ſes productions : voilà le ſeul moyen de ne pas appauvrir le ſol. Les fréquens remuemens de la terre, avant & pendant la culture des pommes de terre, ſont ſans contredit une des principales cauſes de l’abondance conſtante de la récolte que l’on obtient l’année ſuivante ; mais indépendamment de l’engrais que le ſol reçoit ordinairement avant cette culture, elle lui procure auſſi une quantité d’engrais végétal ; 1°. par la deſtruction de plantes paraſites avant la floraiſon, qui, en ſe décomposant ſur le ſol, lui rendent beaucoup plus qu’il n’en avoit emprunté ; 2°. par le detritus des feuilles, des tiges & des racines fibreuſes, qui, en reſtant ſur le ſol après l’enlèvement des racines tubéreuſes, dont il reſte auſſi quelques-unes qui ſe pourriſſent, doivent augmenter d’une manière ſenſible la quantité d’humus, ou terre végétale, ſi néceſſaire pour obtenir d’abondantes moiſſons. Sans doute cet amendement, auquel on ne fait peut-être pas aſſez d’attention, contribue eſſentiellement à l’abondance de la récolte ſuivante. L’auteur eſtimable du Guide du fermier aſſure également, d’après l’expérience, que la culture des pommes de terre a cet avantage, qu’il n’eſt pas néceſſaire de laiſſer repoſer le terrain, quelque maigre qu’il ſoit. Il a vu conſtamment, & pendant une longue ſuite d’années, planter des pommes de terre dans des terrains bien labourés, ou l’on jetoit peu d’engrais, qui ne fructifioient pas moins bien, n’en devenoient pas moins groſſes, pas moins abondantes, pas moins farineuſes.
Ces obſervations ſont conformes à celles de Duhamel, dont l’autorité en agriculture eſt ſi reſpectable. Il prétend qu’un champ planté en pommes de terre donne une récolte plus abondante que s’il n’avoit pas été précédé par cette culture ; & M. Yvart a informé la Société royale d’agriculture, qu’il avoit récolté ſur une pièce de quatre arpens & demi, plantée l’année précédente en pommes de terre, du ſeigle qui, avant la grêle du 13 juillet, étoit plus haut d’environ un pied, & plus grenu que celui ſemé à côté, ſur une pièce de la même qualité, qui avoit été en jachère. Dans une pièce d’orge de 30 arpens, à l’île des Cygnes, où j’en avois planté ſix en pommes de terre, le froment qu’on y a ſemé ensuite eſt plus beau dans cette place que dans le reſte du champ : enfin les deux arpens de la plaine des ſablons, ſur leſquels avoient été plantées ces racines en 1786, en ont donné l’année ſuivante, la même quantité ; & ſi les circonſtances l’euſſent permis, la troiſième année auroit offert une nouvelle preuve de cette importante vérité.
Il n’eſt pas douteux que ſi le laboureur ne reſtitue pas à la terre en proportion de ce qu’il obtient d’elle, toute culture ſera préjudiciable ; le ſol même le plus fertile deviendra bientôt ſtérile : ce ſont les dépenſes bien entendues qui fécondent les ſols les plus ingrats. Or, ſi la pomme de terre ruine le ſol dans quelques cantons, c’eſt parce qu’on épargne trop les fumiers, qu’on la cultive toujours ſur le même alignement deux années de ſuite, & que chaque domaine n’a pas aſſez de charrues. Que l’étendue de votre charrue, dit M. l’abbé Rozier, n’excède pas la force de votre travail : cultivez bien ; multipliez les beſtiaux ; alternez vos productions ; & la végétation, quel qu’en ſoit l’objet, ne pourra que contribuer à améliorer les fonds les moins riches. Tels ſont les préceptes que l’expérience a dictés, & dont la pratique formera par-tout une bonne agriculture.
La facilité & la durée de la conſervation des pommes de terre, dépendent autant de la perfection de leur maturité, que