◄ Chapitre I - De la culture des Pommes de terre | Chapitre III - Des Pommes de terre considérées relativement à la nourriture ► |
quelques cantons, c’eſt parce qu’on épargne trop les fumiers, qu’on la cultive toujours ſur le même alignement deux années de ſuite, & que chaque domaine n’a pas aſſez de charrues. Que l’étendue de votre charrue, dit M. l’abbé Rozier, n’excède pas la force de votre travail : cultivez bien ; multipliez les beſtiaux ; alternez vos productions ; & la végétation, quel qu’en ſoit l’objet, ne pourra que contribuer à améliorer les fonds les moins riches. Tels ſont les préceptes que l’expérience a dictés, & dont la pratique formera par-tout une bonne agriculture.
La facilité & la durée de la conſervation des pommes de terre, dépendent autant de la perfection de leur maturité, que de l’influence du local. Si on tire de terre ces racines avant la ſaiſon, ſi on les laiſſe en tas au milieu d’une température trop chaude ou trop froide, elles ne tardent pas à ſe geler ou à germer. Il existe heureuſement des moyens de les mettre à l’abri de tout accident. Il s’agit de les indiquer ; mais avant, il nous paroît indispenſable de faire connoître les parties conſtituantes de ces tubercules, d’après les réſultats de l’analyſe.
Dans la vue de ne laiſſer aucun prétexte à l’opinion défavorable qui subſiſte encore dans quelques endroits contre ces racines, & de diſſiper en même-temps les alarmes qu’on a eſſayé de répandre ſur leurs différens uſages pour les hommes & les animaux, j’ai cru devoir les examiner en 1772, par toutes les voies que ſuggère l’analyſe. Mon travail ſe trouve conſigné dans un ouvrage qui a pour titre : Examen chimique des pommes de terre. Je me bornerai à en rappeler les principaux phénomènes, d’autant mieux que l’édition de cet ouvrage eſt épuiſée il y a long-tems, & que mes expériences ont été succeſſivement répétées depuis ſur toutes les variétés dont j’ai donné une note deſcriptive au commencement de ce traité. J’ajoute encore qu’avant de les ſoumettre à l’analyſe, j’ai eu ſoin de les priver de leurs germes, des racines chevelues, & de la terre qui y eſt toujours adhérente.
Les pommes de terre ſont revêtues d’une première peau ou eſpèce d’épiderme qui ne varie pas autant que leur forme & leur couleur, puiſqu’elle eſt toujours griſe : ſa texture eſt extrêmement ſerrée, auſſi prétend-on qu’un miniſtre de Rensburg en Allemagne, a trouvé le moyen d’en faire du papier. Lorſque ces racines ſont humides & fraîches, on enlève leur peau avec aſſez de facilité : c’eſt elle qui les garantit non ſeulement de la perte de leur humidité, mais encore de l’action immédiate de l’air ; car dès qu’elles en ſont privées, leur couleur rouge, vive & éclatante ſe ternit, les pommes de terre ſe fanent, s’amolliſſent & finiſſent par ſe gâter ou ſe deſſécher, selon le milieu où elles ſont en réserve.
Si on enlève avec beaucoup de ſoin la peau qui revêt la pomme de terre, on en apperçoit une ſeconde, plus mince il eſt vrai que la première, & plus tranſparente, d’une couleur blanchâtre, & d’une texture beaucoup moins ſerrée ; cette peau, par la chaleur du feu, ſe confond avec la première, enſorte que quand on pèle ces racines cuites, il n’en paroît plus qu’une ſeule, mais extraordinairement gonflée.
Les yeux ou cavités d’où ſortent les tiges ne ſont pas auſſi nombreux & n’ont pas non plus la même configuration dans toutes les eſpèces : les uns ſont unies, & ſe trouvent à la ſurface ; les autres ſont longs & informes, avec des excroiſſances ſouvent ſi fortes, qu’on croiroit qu’elles ſont compoſées de pluſieurs tubercules. Leur chair n’eſt pas également blanche : elle eſt souvent jaunâtre & très-blanche, quelquefois tachée de rouge & même preſque rouge ; d’autres fois on apperçoit dans l’épaiſſeur de la chair un cercle marqué par une raie rouge très-senſible, qui ſépare la portion corticale ſervant à la germination, de la ſubſtance médullaire, qui paroît n’y point contribuer eſſentiellement, puiſque dans ces racines, ainſi que dans beaucoup d’autres, telles que navets, carottes, etc., la germination s’opère après avoir enlevé entièrement cette ſubſtance médullaire.
Si on conſidère à la loupe une tranche de ces racines nouvellement coupée, on y remarque des petits points brillans, qui perdent bientôt de leur éclat étant expoſés à l’air. En mettant plusieurs morceaux dans une bouteille avec un peu d’eau, & la ſecouant, ces points blancs ſe raſſemblent en maſſe au fond. Nous ferons voir dans la ſuite de quelle nature ils ſont.
Toutes les eſpèces de pommes de terre bouillies à pluſieurs repriſes dans l’eau, donnent des décoctions qui ne ſont chargées d’aucunes de leurs nuances particulières ; elles ont une couleur plus ou moins vertes : les rouges donnent cette couleur plus intenſe.
Ces décoctions diſtribuées ſur pluſieurs aſſiettes au bain-marie, fourniſſent une matière extractive d’un poids ſupérieur au déchet que les racines ont éprouvé ; vraiſemblablement parce que l’eau en a remplacé une partie. Cette matière extractive s’humecte à l’air.
Réfléchiſſant depuis long-temps ſur les changemens particuliers que l’odeur & la ſaveur des ſubſtances ſubiſſent, étant expoſées à l’action de l’eau miſe en mouvement par le feu ; ſachant d’ailleurs combien cette action eſt deſtructive, lorſqu’elle s’exerce ſur des corps dont le tiſſu eſt lâche, très facile par conſéquent à ſe décomposer, je n'ai ceſſé d'élever la voix contre la défectuoſité de cette méthode d'analyſer, en démontrant que ſi l'extrait étoit le compoſé le plus eſſentiel de tout ce qui concourt à leurs effets, on ne pouvoit jamais obtenir par cette voie la totalité de ce qu'enferrnoient une graine, un fruit, une racine, une matière végétale ou animale quelconque, ni prononcer ſur ſes véritables propriétés d'après un pareil examen. Quoique l'analyſe à feu nu ſoit un autre moyen plus infidèle encore pour déterminer la nature des corps qui y ſont ſoumis, & que les résultats ne ſoient que les produits de la décompoſition de chacune des parties conſtituantes des ſubſtances qui y ſont ſoumiſes, j'ai cru, pour ne rien négliger, devoir l'employer comme moyen d'analogie.
J'ai d'abord commencé par la diſtillation au bain-marie : la liqueur que j'en ai obtenue n'avoit que l'odeur herbacée, aſſez ſemblable à celle que l'on retire des plantes appelées mal-à-propos plantes inodores. J’ai procédé ensuite à l’analyſe à feu nu : il en eſt réſulté également une énorme quantité d’eau, qui, ſur la fin de l’opération, eſt devenue de plus en plus acide ; il a paſſé de l’huile légère, & de l’huile peſante ſemblable à celles que fourniſſent les farineux ordinaires. Le réſidu charbonneux d’une livre de pommes de terre calciné dans un creuſet, a donné un demi-gros de cendres d’une ſaveur cauſtique, ayant le caractère végétal.
Pour pénétrer dans la texture organique des pommes de terre, ſans opérer la décompoſition de leurs parties conſtituantes, j’ai eu recours à la râpe & à la preſſe, & je me ſuis convaincu que dans leur état naturel, des racines étoient formées, indépendamment du germe & de l’enveloppe, de trois parties eſſentielles & diſtinctes, qui, examinées chacune ſéparément par tous les agens chimiques, me mettent en état de prononcer qu’une livre de pommes de terre contient :
1°. Onze onces & demie d’eau de végétation ; 2°. Deux onces & demie d’une fécule blanche, inſipide, inodore, comparable à l'amidon ;
3°. Six gros de matière fibreuſe, analogue à celle des racines potagères ;
4°. Une once deux gros d'extrait mucilagineux & ſalin.
Que produiſent donc les décoctions réitérées qu'on fait ſubir aux pommes de terre ? Elles tendent à combiner ces différens principes entre eux plus intimement, à en former un tout preſque indiſſoluble dans l'eau. Inutilement on voudroit diviſer enſuite ces racines à la faveur de la râpe, & les ſoumettre à la preſſe; il ne ſeroit plus poſſible d'en exprimer une goutte d'eau, ni d'en précipiter une molécule d'amidon.
Quoique la matière muqueuſe ſucrée ſoit une des conditions ſans laquelle il n'y a point de fermentation vineuſe, & par conſéquent d'eſprit ardent, l'abſence de cette matière dans les pommes de terre ne m'a point empêché d'employer la fermentation pour approfondir encore plus leur nature. J’ai donc employé ces racines dans tous les états, & ſous toutes les formes qu’elles peuvent prendre ; j’ai varié le procédé, tantôt en opérant ſur de grandes maſſes, & tantôt ſur de petites : jamais je n’ai obtenu qu’une liqueur gluante, fade & trouble.
Je ne me décourageai point ; il me reſtoit encore une expérience à faire, c’étoit de ſoumettre les pommes de terre à la germination pour savoir ſi gonflées comme les ſemences farineuſes, leurs parties, plus atténuées par cette opération, fermenteroient aiſément. Enfin j’ai traité ces racines comme les Allemands traitent les grains à deſſein d’en tirer de l’eau-de-vie ; elles n’ont rien fourni qui reſſemblât à de l’eſprit inflammable.
Ces eſſais repris en différentes saiſons, & tentés à ma ſolicitation dans pluſieurs provinces n’ayant eu aucun ſuccès, j’ai renoncé à l’eſpoir de pouvoir jamais en retirer une boiſſon vineuſe comparable à la bière, & de ſubſtituer la pomme de terre à l’orge, dans les cantons privés de toute boiſſon de ce genre, & où les grains ſont habituellement fort chers. L’examen particulier que j’ai fait enſuite de chacune des parties conſtituantes des pommes de terre, m’a préſenté des caractères dont je vais développer les principaux, parce qu’ils jettent du jour ſur leurs véritables propriétés, & ſur les reſſources que les arts, la médecine & l’économie, peuvent trouver dans ces racines.
Le ſuc réſultant des pommes de terre râpées & ſoumiſes à la preſſe, eſt absolument ſemblable à celui des plantes ſucculentes, telles que la bourrache & la buglose : ſa ſaveur eſt fade ; expoſé à l’air pendant quelques jours dans une température moyenne, il paſſe à l’état acide & putride : il ne peut ſe clarifier de lui-même ; il lui faut des intermèdes, & ces intermèdes ſont ceux dont on ſe ſert ordinairement pour la dépuration des autres ſucs : filtré alors à travers le papier, il préſente une liqueur tranſparente & foncée en couleur, comparable aux ſucs épurés des plantes. Outre les parties mucilagineuſes extractives tenues en diſſolution dans l’eau de végétation, ce ſuc contient un ſel eſſentiel analogue à celui de la plupart des végétaux ; (c’eſt-à-dire nitreux ou ſucré.)
C’eſt cette partie ſolide qui conſtitue le parenchyme, le ſquelète fibreux des pommes de terre. Dépouillée auſſi exactement qu’il eſt poſſible par des lotions répétées, elle eſt inſipide, & inſoluble dans l’eau froide. Deſſéchée à une douce chaleur & réduite en poudre fine, elle eſt un peu griſe & aſſez légère : délayée dans l’eau, elle devient plus griſe, & prend en cuiſant la conſiſtance d’une bouillie qui retient l’odeur d’une colle de farine.
La troiſième des parties conſtituantes des pommes de terre, celle qui a le plus fixé mon attention, c'eſt la fécule. Il étoit facile de voir à ſon indiſſolubilité dans l'eau froide, à ſa manière de ſe précipiter & de s'amonceler au fond du vaſe, à ſon cri, à ſon toucher froid & à ſon extrême diviſibilité, qu'elle avoit beaucoup d'analogie avec l'amidon : les expériences auxquelles je l'ai ſoumiſe ne m'ont plus permis d'en douter, & depuis que j'ai indiqué les avantages que la ſociété pouvoit en retirer ſous les rapports alimentaires, cet objet eſt devenu une branche de commerce aſſez importante pour avoir beſoin d'être traité plus en détail.
L'extraction facile des différentes parties des pommes de terre, ſans le concours d'aucuns moyens deſtructeurs, prouve aſſez que leur liaiſon entre elles n’eſt pas bien intime, qu’elles ſont conſtamment de la même nature, & que ſi elles varient quelquefois, ce n’eſt ſeulement que dans des proportions toujours dépendantes de la saiſon, du terrain & des eſpèces, ce qui en fait varier auſſi l’aſpect & le goût.
A l’égard de mes recherches pour développer dans ces racines la faculté fermenteſcible, quoique la choſe m’eût paru d’abord impoſſible, à cauſe du moteur qui leur manque, j’avouerai que je n’ai pas balancé à suivre avec l’attention la plus scrupuleuſe, toutes les recettes, tous les procédés annoncés, ſans avoir jamais entrevu une apparence de réuſſite.
Que penſer donc des auteurs qui ont annoncé qu’il ſuffiſoit de paſſer les pommes de terre au moulin, & de mettre tout ce qui en provient dans des futailles en fermentation pour avoir une liqueur spiritueuſe ? Ces écrivains s’en ſont rapporté ſans doute à l’expérience des autres, & s’ils euſſent pris la peine de la vérifier par eux-mêmes, je ne ſerois pas forcé aujourd’hui d’en conteſter le ſuccès. J’ajoute enfin que la réuſſite obtenue en Angleterre, en Allemagne & en Suiſſe, eſt due, ou à des matières ſucrées jointes à ces racines, ou plutôt à leurs baies, qui, comme la plupart des fruits, renferment toujours un corps muqueux, ſucré & doux, plus ou moins développé.
Les eaux-de-vie qui m’ont été adreſſées ſous le nom d’eau-de-vie de pommes de terre, n’ont rien de particulier que la ſaveur empyreumatique qui leur eſt étrangère. Je déclare que toutes ſont originaires des baies. M. Hell, qui a fait ſur cette eau-de-vie un travail ſuivi, s’eſt aſſuré qu’elle poſſédoit toutes les qualités de l’eau-de-vie ordinaire.
Si les pommes de terre ne ſauroient paſſer à la fermentation vineuſe, je crois que cette circonſtance, loin d’être défavorable, ne peut leur être que très avantageuſe : il eût été à craindre que le peuple de certaines contrées, déja très enclin à l’uſage des liqueurs fortes, ne changea en poiſon ce que la nature lui préſente en aliment ſalubre. Mais il nous reſte à examiner un reproche fait encore contre ces racines, & que leur analyse a ſuffisamment juſtifiée.
On ſait que le véhicule dans lequel les pommes de terre cuiſent, ſe colore en vert, & qu’en les mangeant, sur-tout la rouge-longue, elles laiſſent quelquefois une petite âcreté aſſez ſenſible à la gorge. Il n'en a pas fallu davantage aux détracteurs de ce végétal pour l'inculper de beaucoup de maladies. Mais j'ai prouvé encore que cette double propriété n'appartenoit point à la totalité de la pomme de terre ; qu'elle étoit due uniquement à la pellicule rouge dont elle eſt revêtue à ſon extérieur ; que beaucoup de racines préſentent les mêmes phénomènes, telles que les raves, qui ſe décolorent à mesure qu'elles éprouvent le contact de l'eau bouillante, en donnant à celle-ci une teinte verte, & perdant également la ſaveur piquante qu’on leur connoît ; qu’enfin cette partie colorante verte que fourniſſoient à l’eau toutes les eſpèces de pommes de terre, étoit purement extractive, & ne devoit pas plus faire naître de craintes, que la racine d’enula campana, de bardane, & dont la décoction eſt également d’un beau vert ; qu’enfin elle ne contenoit rien de virulent & de ſalin.
D’ailleurs, comment cette couleur verte seroit-elle capable de nuire, puiſque les pommes de terre cuites ſous la cendre, & qui par conſéquent ne l’on pas perdue, ſont auſſi saines que celle qu’on a fait bouillir dans l’eau ? Elles ont au contraire par deſſus ces dernières, l’avantage d’être plus ſavoureuſes, & plus délicates, avantage qu’il faut attribuer à la déperdition du fluide aqueux, & qui peut être dû à cet extrait qui communique à l’eau la couleur verte.
Quelques partiſans des pommes de terre, alarmés de cette couleur verte, & perſuadés qu’elle résidoit dans le suc de ces racines, ont propoſé de l’en extraire, & de le remplacer par de l’eau ; mais il n’exiſte peut-être point de propoſition plus abſurde. On ſépare dans nos îles le suc du manioque ; parce qu’il eſt réellement un poiſon. J’ai imité également le travail des Américains pour beaucoup de racines farineuſes de nos plantes indigènes, qui seroient très-dangereuſes ſans cette extraction préalable. Le ſuc de la pomme de terre eſt bien éloigné de contenir rien de ſemblable ; il lui eſt eſſentiel comme à tous les autres principes, lorſqu’il s’agit de la manger en ſubſtance. Pour l’en séparer, ne faudroit-il pas rompre l’aggrégation, déchirer les réſeaux fibreux qui le renferment, & ne plus faire usage que du résidu exprimé ? Or ce travail préalable, loin de concourir à la ſalubrité des pommes de terre, n’en formeroit qu’un aliment fade, incommode. & fort cher.
Avant de dépoſer les pommes de terre dans l'endroit où elles doivent demeurer en réſerve, il eſt néceſſaire de les laiſſer un peu ſe reſſuer au soleil, ou ſur l'aire d'une grange, après les avoir mondées de toutes les racines chevelues & fibreuſes qui les réuniſſoient aux pieds de la plante. Cette opération préliminaire achève de diſſiper l'humidité la plus ſuperficielle, détruit l'adhérence d'un peu de terre qui leur feroit contracter un mauvais goût, & aſſure davantage leur conſervation.
Il faut encore ſéparer les eſpèces, faire le triage des groſſes d’avec les petites, mettre les premières à part pour la plantation ou la nourriture des beſtiaux, & les autres pour la table ; ce sera un embarras de moins lors de la conſommation : il convient encore d'enlever celles qui ſont entamées, pour les manger les premières, & rejeter les gâtées, vu qu’une ſeule d’entre elles ſuffiroit pour endommager toutes les autres. Une autre précaution dont l’uſage eſt quelquefois indiſpenſable, c’eſt que les pommes de terre miſes au grenier doivent être remuées à la pelle : ce mouvement imprimé au tas les rafraîchit, & interrompt la fermentation inteſtine qui pourroit s’y établir.
Mais les différentes pratiques de conſervation adoptées ou propoſées comme préférables, dépendent de la proviſion, il paroît utile de les expoſer toutes : il ſeroit douloureux de ſe voir en un inſtant privé d’une reſſource eſſentielle, par l’oubli de certaines précautions ignorées dans quelques endroits, faciles néanmoins à être employées par-tout.
On peut conſerver les pommes de terre comme les autres racines potagères, en les mettant dans un lieu ſec & frais, avec de la paille ou du ſable, lit ſur lit ; mais la cave ou le grenier dont on ſe ſert pour cet objet, laiſſent ſouvent pénétrer le chaud & le froid, enſorte que la proviſion gèle ou germe, & qu’elle ne peut plus ſervir à la nourriture ni à la plantation, ſi on la perd de vue un moment.
Beaucoup de cultivateurs éclairés ayant un emplacement convenable, & les moyens de faire quelques avances, conſervent les pommes de terre dans des tonneaux avec des feuilles ſechées ; ils portent enſuite ces tonneaux bien remplis, dans des endroits inacceſſibles au chaud & au froid.
Elle eſt généralement adoptée par les Anglais & les Allemands, qui la tiennent des Américains. On creuſe dans le terrain le plus élevé, le plus ſec, le plus voiſin de la maiſon, une foſſe d’une profondeur & largeur relatives à la quantité de pommes de terre qu’on veut conſerver ; on garnit le fond & les parois avec de la paille longue : les racines une fois diſpoſées, ſont recouvertes enſuite d’un autre lits de paille, & on fait au-deſſus une meule en forme de cône ou de talus. On a ſoin que la foſſe ſoit moins profonde du côté où l’on tire la pomme de terre pour la conſommation, en obſervant de bien fermer l’entrée chaque fois qu’on en ôte. Moyennant cet arrangement & cette précaution, ni le chaud, ni le froid, ni l’humidité, ni les animaux ne peuvent pénétrer juſqu’aux pommes de terre, qui ſe conſervent ainsi en bon état pendant tout l’hiver.
Lorſqu’on a cultivé des pommes de terre ſur pluſieurs arpens, pour la nourriture des beſtiaux, il ſeroit très-embarraſſant de ſe ſervir des différentes pratiques déja expoſées, parce qu’il faudroit les multiplier à l’infini, & que ſouvent l’emplacement s’y refuſeroit. M. Planazu a propoſé de les mettre dans le ventilateur ou tuyau d’air ménagé dans l’intérieur des meules de fourrage, pour achever leur deſſiccation : ce ventilateur, devenu inutile pour le moment où l’on récolte ces racines, eſt rempli juſqu’au comble. M. le marquis de Guerchy m’a aſſuré, d’après l’expérience, qu’elles ſe conſervent très bien par ce moyen, quoiqu’elles contractent néanmoins une saveur herbacée qui ne répugne pas aux animaux. Mais cette pratique paroît inſuffisante encore pour une grande quantité ; car le ventilateur d’une meule ordinaire contiendroit à peine 40 ſeptiers de pommes de terre, qu’il faudroit d’ailleurs monter au haut de la meule, jeter ensuite d’environ 50 pieds de haut, & qu’on ne pourroit retirer que difficilement. Ce ſont ces réflexions que M. Yvart m’a communiquées, qui lui ont ſuggéré la pratique suivante à eſſayer.
Elle conſiſteroit à faire avec de la paille de peu de prix, très-commune dans preſque toutes les fermes, une meule creuſe arrangée de cette manière. On seroit d’abord avec des brouſſaillcs & de la paille, un large ſouſtrait très épais & très-ſerré, afin de garantir les pommes de terre de l’humidité & des rats (qui m’ont convaincu à mes dépens qu’elle ne leur déplairoient pas), on élèveroit ensuite tout-autour de ce ſouſtrait, un mur de paille de trois pieds de haut environ, ſur 4 de large au moins ; on y placeroit facilement & commodément les pomme de terre, au moyen d’une ouverture pratiquée d’un côté, ou même en les jetant par deſſus le mur ; lorſque la cavité ſeroit comblée, on couvriroit le tas d’une couche de paille, & on continueroit à élever le mur de la même manière, & à multiplier ſuivant le beſoin le nombre des couches qui pourroient auſſi renfermer les différentes eſpèces qu'on auroit cultivées. On recouvriroit le tout d'une quantité de paille ſuffisante pour prévenir l'accès du froid, du chaud, de la pluie ; toutes les fois qu'on auroit beſoin de pommes de terre, il ſeroit facile d'en entamer une couche, ſans nuire en aucune manière à celles de deſſous.
Une manière particulière, peu coûteuſe à tout cultivateur, facile & certaine dans l'exécution, que propose M. Cretté de Palluel, eſt de faire dans l'intérieur d'une grange, avec des claies dont on ſe sert ordinairement pour le parc des moutons, ou avec des planches, un eſpace plus ou moins grand, suivant l'étendue de la récolte qu'on a à eſpérer, en obſervant un paſſage pour y conduire, lequel paſſage sert à les y dépoſer, & à les enlever à meſure de la conſommation. On sent aiſément que cet eſpace eſt entouré tous les ans par les grains & les fourrages qu’on dépoſe dans la grange. Cette manière qui ſupplée aux caves, aux foſſes, etc ; conſerve les pommes de terre ſans aucun inconvénient.
Quand le danger des grandes gelées eſt paſſé, on peut porter les eſpèces tardives de la cave au grenier, & les expoſer ensuite au ſoleil, qui les flétrit & en détruit le germe : on les met enſuite dans des endroits bien aérés, en prenant garde de ne pas les entaſſer trop épais ; c’eſt le moyen de les conſerver pendant l’été, ou du moins d’en avoir juſqu’à la maturité des nouvelles : mais avant de les cuire, il faut les mettre tremper dans de l’eau chaude ; elles reprennent bientôt leur état naturel, c’eſt-à-dire leur volume et leur fermeté.
La très-grande quantité d’eau que renferment les pommes de terre, & leur extrême propenſion à germer, ne permettent guère de les conſerver long-temps après l’époque de la plantation, quel que ſoit le procédé employé pour faire remplacer une récolte par l’autre. En les diviſant par tranches, & les expoſant au feu, on les prive bien de leur humidité surabondante, on détruit même le principe de leur reproduction ; mais les racines qui ont ſubi cette deſſiccation, la plus ſimple, la plus naturelle & la plus expéditive de toutes, ne peuvent plus reprendre enſuite par la cuiſſon leur première flexibilité ni leur ſaveur, ſoit dans la compoſition du pain, ſoit dans la préparation de la bouillie où on les fait entrer : toujours elles préſentent une ſubſtance déſagréable à la vue & au goût. Ce moyen tant vanté de faire la farine de pommes de terre, doit donc être rejeté. Leur uſage en cet état, ne convient guère qu’aux beſtiaux, encore faut-il les mélanger ; mais en faiſant précéder la cuiſſon à la deſſication, on obtient deux réſultats qui n’ont de commun que la même ſource.
Après quelques bouillons dans l’eau, les pommes de terre étant pelées, diviſées par tranches, & expoſées au-deſſus d’un four de boulanger, elles perdent en moins de 24 heures les trois quarts de leur poids, & acquièrent la tranſparence & la dureté d’une corne, alors elles ſe caſſent net, & offrent dans leur caſſure un état vitreux. Elles ſe conſervent ainsi dans tous les climats, un temps infini, ſans s’altérer.
L’objet de la conſervation des pommes de terre me paroît d’un intérêt ſi important, que pour ne rien omettre d’eſſentiel à cet égard, j’ai réuni la plupart des pratiques uſitées en différens cantons, ſans prétendre néanmoins les garantir toutes. C’eſt aux cultivateurs à choiſir celle qui eſt la plus conforme à leur poſition, & dont ils ont déja retiré des avantages.
Il exiſte encore d’autres méthodes de conſervation plus ou moins défectueuſes, auxquelles je ne me ſuis pas arrêté, parce qu’il auroit fallu en faire la critique. Telle eſt celle, par exemple, qui conſiſte à les garder ſous terre en les couvrant de ſable, de terre & de planches, afin que la pluie, ou la neige, en fondant, puiſſent s’écouler aiſément ; mais pendant les hivers pluvieux ou très-froids, l’humidité ou la gelée peuvent y pénétrer. La foſſe ſous un toit vaut infiniment mieux.
Sans doute que la proviſion des pommes de terre qui ne conſiſte que dans quelques boiſſeaux, & qu’on peut tranſporter en un moment d’un endroit dans l’autre, demande peu d’attention, & eſt toujours d’une garde facile. Les greniers placés au-deſſus des étables les mettent à l’abri des gelées & de l’humidité, qui les diſpoſe preſque toujours à la germination dès le mois de novembre ; des lits de ſable sec, des paillaſſons autour des murs, garantiſſent de l’air extérieur ; dans les caves, les celliers, les hangards, &c.
Mais auſſi tôt que les pommes de terre ſont récoltées, une précaution qui influe ſur la durée de leur garde, c’eſt de les laiſſer au soleil dans un endroit où l’air puiſſe circuler librement, afin qu’elles commencent à ſe reſſuer, que la terre s’en détache, & que l’eau pour ainsi dire ſurabondante à celle qui fait une des parties conſtituantes, s’en exhale. Un autre ſoin eſt de ne les laver qu’au moment de s’en ſervir, car elles contracteroient un mauvais goût & pourroient s’altérer.
Il faut avouer que malgré les ſoins de la prévoyance la plus attentive pour garantir juſqu’au printemps les pommes de terre d’événemens fâcheux, un froid inopiné, exceſſif & durable, tel, par exemple, que celui que nous venons d’éprouver ; une température douce, humide & continue, comme celle de l’année précédente 1787 ; une ſaiſon tardive, & des gelées blanches dès le mois de ſeptembre : tous ces contre-temps peuvent mettre en défaut les pratiques qui ont été indiquées.
Les pommes de terre dans ces différens états, ne ſont guère ſuſceptibles d’une longue conſervation : mais il ſeroit malheureux que la reſſource d’un canton pour l’hiver fût abſolument perdue, faute de connoître les uſages auxquels elles peuvent être encore employées ſans inconvénient. L’ignorance ou les préjugés ont donné des conſeils perfides à cet égard. Hâtons-nous de les diſſiper par les armes de l’expérience & du raiſonnement. L’homme ſeroit infiniment moins à plaindre, s’il n’avoit que les fléaux de la nature à redouter.
Les pommes de terre frappées par le froid, dégelées enſuite ſpontanément, ne tardent pas à s’altérer, parce que l’eau qu’elles contenoient s’en ſépare, chargée d’une portion de la matière extractive : la ſurface de chaque tubercule ſe recouvre d’une humidité collante, ſouvent rouſſâtre, à cauſe de la terre qui y adhère, & avec laquelle elle fait corps : bientôt la moisiſſure paroît, & il s’établit dans le tas une fermentation qui accélère le dépériſſement total, ſi on ne ſe hâte de les employer.
Curieux de connoître l’effet du froid ſur les pommes de terre, j’en ai expoſé à la gelée pendant vingt-quatre heures ; elles ſont devenues dures & ſonores comme un caillou : leur intérieur préſente des glaçons tranſparents. Portées dans une température douce, elles ſe ramolliſſent, ſe mouillent, & en les preſſant, l’eau en ruiſſelle de toutes parts, & prend à l’air une couleur très-foncée. La pelure qui les enveloppe s’en détache aiſément.
Pour connoître d’une manière plus poſitive encore l’action du froid ſur les pommes de terre ; je les ai fait geler & dégeler à diverſes repriſes, & j’ai remarqué que ces racines, après avoir été alternativement dans des températures oppoſées étoient encore plus ſuſceptibles des effets du froid, par la raiſon que la foible adhérence de l’eau avec les autres parties conſtituantes, étant diminuée encore, ce fluide devenu plus libre occupoit davantage la ſuperficie des racines.
Les pommes de terre dégelées ſpontanément, & examinées peu de temps après, à l’aide de la râpe & de la preſſe, fourniſſent abſolument les mêmes principes que celles qui n’ont pas été frappées par le froid ; ce qui prouve que la gelée ſe porte particulièrement ſur le principe aqueux qu’elle ſépare des autres parties. Les pommes de terre gelées ou dégelées, ſont un peu plus de temps à cuire ; mais elles reprennent dans l’eau ou à ſa vapeur leur première conſiſtance. Il faut avoir néceſſairement un objet de comparaiſon ſous le palais, pour juger qu’elles ſont ſeulement un peu plus fades. Cette légère différence, qui diſparoît tout-à-fait avec le moindre aſſaiſonnement, pourroit peut-être provenir autant de l’eau glacée, qui, comme on ſait a moins de goût quand elle a été fondue, que du dérangement occaſionné dans la texture organique des parties ; dérangement plus ſenſible dans les eſpèces rouges que dans les blanches.
A meſure que les pommes de terre s’éloignent du moment de leur dégel, elles perdent de leur caractère ; leur blancheur ſe ternit ; elles ſe couvrent de moiſiſſure, & exhalent une odeur de ſauvageon : alors on ne peut plus s’en ſervir en ſubſtance ; il faut les porter au moulin, pour en extraire l’amidon : ſi elles ont acquis tout ce qui caractériſe la détérioration la plus complète, elles ne ſont plus bonnes qu'à jeter ſur le fumier.
Dans cet état, elles ſont molles, flexibles, d’une ſaveur herbacée ſouvent âcre & amère, au point que les aſſaiſonnemens les plus relevés ſont incapables d'en maſquer le goût; & ſi elles ont pouſſé à un certain degré, les animaux n'en veulent plus.
Soumiſes à l'analyse, les pommes de terre germées donnent moins d'amidon, mais une plus grande quantité d'extrait & de matière fibreuſe : elles ne gèlent plus avec la même facilité ; & cuites à l'eau ou ſous les cendres, elles ſont toujours un peu coriaces & filandreuſes.
Il eſt inutile d'ajouter ici que ces racines germées peuvent ſervir à la plantation : nous avons eu plus d'une fois l'occasion de montrer les avantages qu’elles avoient ſous ce point de vue, & de prouver que même dans l’état d’altération ou ſe trouvoit quelquefois la pulpe nourricière, les germes pouſſés n’en continuoient pas moins bien en terre leur vigoureuſe végétation.
Lorſque la végétation a été languiſſante, & que les gelées blanches ont flétri le feuillage, les racines, privées des puiſſances qu’elles avoient pour enlever dans l’atmoſphère les fluides eſſentiels à leur entier accroiſſement, reſtent au point de maturité où elles étaient alors.
L’examen chimique des pommes de terre non mûres, comparé à celui des pommes de terre qui ont atteint toute leur perfection, ne préſente d’autre différence, ſi ce n’eſt qu’elles fourniſſent un peu moins d’amidon & d’extrait : elles ſont auſſi plus ſuſceptibles du froid, cuiſent plus aiſément, & ſont moins ſapides ; toutes circonſtances qui ſemblent dépendre de la même cauſe, je veux dire de l’eau qui s’y trouve par ſurabondance, & peut-être encore de l’union un peu lâche avec les autres parties conſtituantes.
C’eſt ſans doute encore à cette trop grande quantité d’eau renfermée dans les pommes de terre non mûres, qu’eſt due la difficulté du reſſuage au grenier, & en général de leur conſervation : je les compare dans cet état, aux pommes de terre venues par ſemis, qui, la première année, n’ont pas encore la quantité d’amidon qu’elles acqueront par la ſuite ; mais cet amidon, ainsi que les autres principes, jouiſſent déja de toutes leurs propriétés phyſiques & économiques.
Le froid, & la chaleur humide ſont des ennemis bien redoutables pour les pommes de terre, puiſque l’un leur enlève la faculté de ſe conſerver long-temps & de pouvoir ſe reproduire, tandis que l’autre les met hors d’état de ſervir de nourriture en ſubſtance : mais dans le premier cas, le principe alimentaire, qui eſt l’amidon, n’a ſouffert ni en déchet ni en propriété ; dans le ſecond, au contraire une portion s’eſt combiné avec les autres parties pour concourir à la formation du germe.
J’étois trop intéreſſé à prévenir ce qui pouvoit donner du diſcrédit aux pommes de terre, pour négliger les moyens de ramener ces racines à leur premier état, quand elles ont été ſaiſies par le froid. Mes recherches ont été infructueuſes : l’eau de végétation, qui dans l’état naturel tient leurs parties écartées les unes des autres, s’en ſépare, ſe raſſemble en maſſe, & devient l’inſtrument de leur propre deſtruction ; ces parties s’y trouvent comme noyées & diſſoutes, bientôt l’organiſation eſt décompoſée. En ſuppoſant que le principe de la germination n’ait point été altéré par le froid, & que l’époque de la plantation ſoit peu éloigné, comment parviendra-t-on à empêcher que l’eau ſéparée des autres parties conſtituantes n’exerce une action deſtructive ſur elles, & que les racines miſes en terre en cet état, n’y pourriſſent avant de germer, puiſque expoſées ſeulement à l’air libre avec certaine précaution elles ſe détériorent inſenſiblement.
Il n’en eſt pas ainſi des pommes de terre germées : on arrête le travail de la germination en arrachant ces jeunes pouſſes, & portant les racines dans un endroit ſec, & frais. C’eſt ce que pratiquent les marchands qui, par négligence ou autrement, les ont laiſſé s’échauffer au grenier ou à la cave.
Les ſeuls défauts des pommes de terre non mûres, ne viennent que de l’eau qu’elles ont par ſurabondance : de là l’origine de leur inſipidité & de leur diſpoſition à geler. ou à germer ; car dans cet état, elles ne produiſent pas moins abondamment ; ce qui confirme ce que nous avons déja avancé, que l’organe de la reproduction n’eſt point la dernière œuvre dont s’occupe la nature végétante.
Réſumons. Le plus grand inconvénient qu’aient les pommes de terre, c’eſt de geler facilement ; & une fois dégelées de ne pouvoir plus ſe garder long-temps ni ſervir à la plantation. Les pommes de terre germées ou non mûres, n’ont pas de pareils défaut, mais elles offrent, les unes & les autres des reſſources pour l’homme & les animaux : il seroit ridicule de les en priver ſur des craintes puériles & mal fondées.
On doit diſtinguer la farine de pommes de terre, de leur fécule ou amidon, parce que l’une eſt ordinairement la réunion des différentes parties conſtituantes de ces racines, rapprochées par la ſouſtraction du fluide aqueux, & diviſées à la faveur de pilons ou de meules ; tandis que l’autre n’en eſt qu’un des principes que la végétation a formé, & qu’on obtient aiſément ſous forme pulvérulente, ſans le concours du feu ou de la fermentation.
Toutes les pommes de terre, pourvu qu’elles, ne ſoient ni gâtées à un certain point, ni cuites, ni ſéchées, peuvent fournir conſtamment leur amidon ; il ne diffère que par les proportions. Le moment le plus favorable pour l’extraire eſt toujours avant l’hiver, parce qu’à meſure que ces racines s’éloignent de l’époque de la récolte, l’amidon qu’elles renferment, ſe combinant inſenſiblement avec les autres parties conſtituantes, devient d’une extraction moins facile ; & ſa quantité par conſéquent diminue.
La préparation de la fécule ou amidon de pommes de terre ſe réduit à pluſieurs points principaux, pour l’exécution deſquels il ne faut que de l’attention & beaucoup de célérité, parce que ſi la saiſon étoit trop chaude, la matière s’aigriroit bientôt. Arrêtons-nous ſur chacun de ces points, puiſque, comme nous l’avons déjà dit, cet objet eſt devenu une branche de commerce, dont l’extenſion s’accroît de jour en jour. Cette préparation conſiſte,
1°. A laver les pommes de terre.
2°. A les râper.
3°. A extraire l’amidon.
4°. A le ſécher à l’étuve.
Mais avant d’entrer dans le détail de ces différentes opérations, nous donnerons une idée de l’inſtrument, ſans lequel elles seroient toujours d’une exécution longue & difficile, & le résultat par conſéquent d’un prix qui en circonſcriroit néceſſairement les uſages.
Une ſimple râpe a été le premier moulin employé à l’extraction de l’amidon de pommes de terre. Inſtruit que quelques bons citoyens cherchoient à abréger l’opération, je crus qu’il étoit de mon devoir de les guider dans leurs recherches, en les avertiſſant qu’un inſtrument qui diviſeroit en coupant ou en broyant, ne rempliroit nullement l’objet qu’on devoit ſe propoſer, parce qu’il ne s’agiſſoit point d’écraſer ni de piler ces racines, ni de réduire leurs parties intégrantes en petits morceaux ; qu’il falloit néceſſairement rompre leur aggrégation, déchirer les réſeaux fibreux, briſer le tiſſu vaſculaire, pour forcer l’eau & l’amidon qui s’y trouvent renfermés, de s’en dégager ; qu’en conſéquence, il n’y avoit que la râpe qui pût opérer complètement cet effet ; mais qu’au lieu de la monter ſur un châſſis, comme cela s’étoit pratiqué juſqu’à préſent, on pourroit en armer une meule, & imiter en quelque ſorte le moulin dont on ſe ſert dans nos îles pour la préparation du manioque, ce qui abrègeroit infiniment le travail, & expédieroit davantage d’amidon. J’ai cru devoir y adapter un volant, pour en régler le mouvement & en faciliter le jeu. Ce moulin expédie 48 boiſſeaux de pommes de terre, & deux ouvriers peuvent en faire 120 d’amidon.
Comme il eſt impoſſible de séparer par aucun autre moyen, l’amidon d’une foule de racines charnues farineuſes dans leſquelles l’aliment eſt à côté du poiſon, j’ai engagé M. Moleron, officier ingénieur, d’embarquer ce moulin à bord de la flotte commandée par M. de la Peyrouze, pour l’appliquer aux racines qu’il rencontrera chez les peuples qui habitent les îles de la mer du Sud.
Depuis, pluſieurs patriotes zélés ont dirigé leurs vues vers cet objet. M. Ravelet eſt venu généreuſement m’offrir un moulin de ſon invention, qui a été gravé dans mes Recherches ſur les végétaux nourriſſans, mais on l’a trouvé un peu trop compliqué. M. Gouge, qui a établi une fabrique de cet amidon à Senecourt, près Clermont en Beauvoiſis, emploie des cylindres mus par l’eau, & en fait beaucoup à-la-fois. Ce citoyen a en outre rendu un ſervice aux cultivateurs de ce canton, en couvrant de pommes de terre des terrains ci-devant incultes. Enfin M. Beaumé, le premier chimiſte. qui ait parlé de l’amidon d’une manière claire & préciſe, a bien voulu me faire part d’une machine qu’il a imaginée. En voici la deſcription.
Une râpe de tôle de Suède en cylindre d’environ ſept pouces de diamètre, & huit de haut, dont la bavure des trous eſt en dedans, eſt ſoutenue par trois pieds de ſix à ſept pouces de hauteur en petit fer plat ſolidement attaché à la râpe cylindrique avec des cloux rivés : le bas de chaque pied eſt coudé d’environ un pouce, & percé chacun d’un trou pour recevoir une vis en bois. A un pouce au-deſſous de l’extrémité ſupérieure du trépied, on a attaché une étoile à trois branches de petit fer plat rivé à tenons, pour maintenir l’écartement des pieds : le milieu de l’étoile eſt percé d’un trou carré, pour ſervir de point d’appui à un axe ou arbre de fer dont nous parlerons dans un inſtant. Le deſſus.de la râpe cylindrique eſt garni d’une trémie de tôle d’environ dix pouces de diamètre, & de cinq pouces de hauteur. Dans l’intérieur de la râpe cylindrique eſt une ſeconde râpe conique, dont la pointe eſt un peu tronquée : elle eſt de même tôle ; mais les bavures des trous ſont en dehors : ce cône eſt placé la baſe en bas, & on y a rivé un triangle ou étoile à trois branches de petit fer plat : dans le milieu on y a pratiqué un trou carré, pour recevoir un arbre ou axe. On a renforci la pointe tronquée du cône par une crapaudine de fer plat percée d’un trou carré, & attachée avec deux clous rivés.
Toute cette machine eſt ſurmontée d’une étoile à trois branches en petit fer plat percé dans le milieu d’un trou rond, pour être enfilé par l’axe : chaque branche de l’étoile eſt repliée par ſon extrémité, pour l’aſſujettir autour de la trémie.
L’axe ou l’arbre eſt une tige de fer de ſeize pouces de long, d’environ ſept lignes carrées, rondes par les deux bouts, pour pouvoir tourner dans ſes points d'appui, & carré par ſon extrémité ſupérieure, pour recevoir une manivelle d'environ neuf pouces de longueur avec laquelle on fait tourner la râpe conique.
Lorſqu'on veut faire uſage de ce moulin, on le place dans un des côtés d'un grand baquet de 18 pouces de profondeur. On fixe les pieds avec trois vis, & on met par-deſſus le moulin une planche percée dans ſon milieu pour paſſer l'axe ; cette planche peut avoir trois pouces de large, & être aſſez longue pour être fixée avec des clous ou des vis ſur les bords du baquet. Alors on met dix pouces d'eau dans le baquet ; on remplit de pommes de terre l'intérieur du moulin, & on fait agir la manivelle ; les pommes de terre ſont râpées ſucceſſivement & promptement. Au moyen de ce que le râpage ſe fait dans l'eau, le moulin ne s'engorge jamais ; les pommes de terre ſe dégagent à meſure. Avec cette machine, toute petite qu’elle eſt, on peut râper cent livres de pommes de terre dans trois heures.
Les mieux nétoyées en apparence, ne doivent jamais paſſer au moulin-râpe qu’au préalable elles n’aient été bien lavées. Pour cet effet, on les met tremper dans un tonneau défoncé, rempli d’eau claire ; on les remue ſouvent avec un balai rude & uſé, afin d’en ſéparer le ſable & toute la terre qui s’y trouve adhérente. Il eſt même néceſſaire de répéter ce lavage, juſqu’à ce que l’eau ne ſe trouble abſolument plus, & eſt inutile ensuite de mettre ſécher les racines.
Quand les pommes de terre ſont bien lavées, on les jette toutes mouillées dans la trémie du moulin : les racines une fois diviſées, tombent dans un baquet placé ſous le moulin, ayant la forme d’une pâte liquide, & qui, de blanche qu’elle étoit d’abord, devient d’un brun foncé.
A meſure que le baquet ſe remplit, on met la pâte qu’il contient dans un tamis de crin d’une dimenſion égale à celle du baquet ſur lequel il poſe, & l’eau qu’on y verſe entraîne avec elle l’amidon qui ſe dépoſe à la partie inférieure. Lorſqu’on s’apperçoit à la couleur rougeâtre de la pâte, qu’il ne reſte plus d’amidon, on les preſſe entre les mains. Dans le tamis eſt la matière fibreuſe dont nous avons déjà indiqué la nature, & que l’on peut encore employer utilement à la nourriture des beſtiaux.
Le dépôt étant achevé, on jette l’eau qui le ſurnage, & on en ajoute de nouvelle tant qu’elle eſt colorée : on agite le tout au moyen d’une manivelle, juſqu’à ce qu’elle forme un lait ; on le transvaſe ensuite dans un autre baquet au-deſſus duquel eſt un tamis de ſoie ; & dès que la fécule eſt dépoſée on jette l’eau : on en ajoute deux ou trois pintes environ pour enlever la craſſe qui ſalit la ſuperficie, ce qu’on nomme dégraiſſer. On agite de nouveau, on remplit le baquet deux à trois fois d’eau : c’eſt alors que l’amidon eſt blanc & pur.
L’opération une fois achevée, & la fécule parvenue au degré de blancheur qui caractériſe ſa pureté, on imite préciſément les ſoins de l’amidonnier & du vermicellier ; on enlève le précipité bien lavé, on le diviſe par morceaux que l’on diſtribue ſur des tablettes à claire-voie garnies de papier ; quand il eſt un peu reſſué à l’air, on le porte à l’étuve. A mesure qu’il ſe sèche, il perd le gris ſale qu’il avoit au ſortir de l’eau pour prendre l’état ſec, blanc & brillant. Paſſé ensuite à travers un tamis de ſoie, il acquiert une ténuité comparable au plus bel amidon.
Ce produit dépend des eſpèces & du terrain. La blanche commune venue dans le ſable contient ſenſiblement plus d’amidon que la même plante dans une terre forte : les rouges en donnent toujours davantage ; mais en général une livre de ces racines produit ordinairement deux onces & demie juſqu’à trois onces d’amidon : on peut donc eſtimer que le ſac compoſé de douze boiſſeaux en fournit trente livres environ. Cet amidon s’eſt vendu juſqu’à 7 liv. la livre, & je l’ai amené à ne plus valoir que 8 ſ. Il diminuera ſans doute inſensiblement au point de ne plus coûter que deux à trois ſols, à mesure qu’on multipliera par-tout les moulins-râpe, & qu’on étendra la culture en grand des pommes de terre ; alors, dans une circonſtance de cherté de grains, il pourra concourrir a augmenter la maſſe alimentaire du pain.
On juge aiſément que l’amidon étant tout formé dans les grains, il exiſte également dans les pommes de terre, puiſqu’il ſuffit de déchirer les celulles dans leſquelles il eſt renfermé. La plus grande quantité que les eſpèces rouges en fourniſſent, ne ſauroît jamais les faire préférer pour cet objet, parce qu’indépendamment que leur rapport n’eſt point en proportion, elles exigent un terrain plus riche que les blanches, produiſent infiniment moins, de manière que l’excédant en amidon qui en résulteroit, ne pourroit jamais compenſer les avantages des groſſes-blanches, dont je n’ai ceſſé de recommander l’emploi dans ce cas.
Les deux autres parties conſtituantes des pommes de terre, ſavoir, le ſuc décanté de deſſus la matière féculente & la matière fibreuſe bien épuiſée par les lotions, ayant été ſoumiſes aux épreuves des amidonniers, n’ont rien laiſſé précipiter qui reſſemblât à de l’amidon.
J’ai laiſſé des pommes de terre tout entières s’altérer un peu ; râpées ensuite, & le mélange mis dans l’eau ſûre des amidonniers, il ne m’a pas donné au bout d’un certain temps une plus grande quantité d’amidon que les pommes de terre fraîches ; il avoit ſeulement un peu d’aigreur. Je recommande donc à ceux qui ont établi des fabriques de cet amidon, de ne pas laiſſer paſſer leurs eaux à l’acide, parce que cet amidon eſt deſtiné particulièrement aux uſages internes.
Tous les moyens vantés par ceux qui les ont propoſés pour retirer une plus grande quantité d’amidon de pommes de terre, ſont donc absolument illusoires. La quantité indiquée n’eſt absolument que celle qui exiſte dans ces racines ; toutes les recherches doivent ſe réunir ſur le moulin deſtiné à l’extraire, pour en rendre encore, s’il eſt poſſible, l’opération moins coûteuſe.
La préparation de l’amidon admet les pommes de terre dans tous les états, ſurpriſes par le froid ou par la germination, ou ayant un défaut de maturité, ſous la condition cependant qu’on n’attendroit point qu’elles ſoient long-temps dégelées, pouſſées à un certain point, ou à peine formées ; car alors le réſultat ne seroit ni aſſez beau, ni aſſez considérable, pour dédommager des frais de l’opération.
Il paroît donc prouvé que dans les cantons où les pommes de terre ne valent que trois à quatre ſols le boiſſeau, l’extraction de leur fécule ou amidon peut être très-avantageuſe, cette opération ayant lieu ſur-tout pendant l’hiver, dans un temps où il y a peu d’ouvrage. Le moulin de M. Beaumé, vu ſon modique prix & ſa simplicité, pourroit être établi dans tous les gros ménages, & en préparer ſuffisamment pour les beſoins de la famille. On verra bientôt, par l’universalité de ſes usages domeſtiques, combien cet amidon peut devenir utile.
J’ai cru être fondé à définir l’amidon en général, d’après ſes propriétés que j’ai approfondies, une eſpèce de gomme particulière, une gelée ſèche, ſi j’oſe m’exprimer ainsi, répandue dans toutes les parties de la fructification d’une infinité de végétaux, indépendante de leur odeur, de leur ſaveur & de leur couleur, jouiſſant toujours d’un grand degré de blancheur, de fineſſe & d’inſipidité, inaltérable à l’air & indiſſoluble dans les véhicules aqueux, ſpiritueux & acides, ſans le concours de la chaleur.
On s’eſt bien apperçu dès 1739, que les pommes de terre contenoient une fécule comparable à l’amidon du blé ; mais les particuliers qui ont fait ces premières obſervations, ont borné leur vue à l’emploi qu’on pouvoit en faire à la place de celui des grains, ſans s’être aſſurés préalablement par la plus légère expérience, ſi la ſubſtitution qu’ils propoſoient étoit poſſible dans tous les cas. Cet objet m’a spécialement occupé, & il eſt juſte que je m’y arrête ici. Après m’être convaincu par beaucoup d’expériences, que l’amidon des pommes de terre partageoit les propriétés phyſiques de celui de froment & d’orge, il me reſtoit à voir s’il pouvoit ſoutenir toutes les épreuves de comparaiſon dans les arts pour leſquels ce dernier eſt ordinairement fabriqué.
J’obſerverai d’abord que les ſavans choiſis pour juger de la qualité de cet amidon, n’ont fait non plus aucune expérience pour éclaircir la queſtion ; ils ſe ſont contentés d’objecter vaguement, que ſi l’empois qu’on en préparoit paroiſſoit bien conditionné, l’émail bleu ne s’y mêloit pas auſſi uniformément que dans celui des grains. Mais j’ai fait voir que cette légère différence dépendoit de la pureté de la fécule, & que le mélange étoit auſſi parfait.
Dans l’état d’empois, l’amidon de pommes de terre, comme celui des grains, ſubit les mêmes altérations que les gelées végétales, c’eſt-à-dire qu’au bout de quelque temps il ſe tourne en eau & s’aigrit ; le grand froid & le grand chaud hâtent ſa deſtruction.
J’ai pris une once d’amidon de pommes de terre, & autant de celui des grains ; je les ai converties en empois avec douze onces d’eau pour chacun ; j’ai prié ensuite uns ſœur de la Charité d’avoir la complaiſance de les eſſayer dans la lingerie de l’hôtel des Invalides : elle m’a aſſuré qu’ils donnoient l’un & l’autre la même roideur & le même éclat au linge. Pluſieurs personnes qui blanchiſſent les dentelles & les blondes dans la perfection, firent auſſi, à ma prière, une ſemblable expérience, & elles en furent.également contentes.
L’amidon de pommes de terre eſt spécifiquement plus peſant que celui des grains : examinés tous deux au microscope, le premier eſt entièrement tranſparent, & l’autre infiniment moins. Cette différence, quoique légère, m’a fait naître le ſoupçon que l’objet d’économie pour pour lequel on avoit propoſé l’usage des pommes de terre, étoit préciſément celui qu’il ne pouvoit ſuppléer ; ce qu’il eût été très-facile néanmoins de vérifier, ſi on ne préféroit rejeter ou adopter plutôt que d’examiner.
J’ai chargé pluſieurs perruquiers intelligens d’examiner avec attention les effets de l’amidon de pommes de terre dans leurs accommodages : tous ſe ſont accordés â dire que cet amidon ne ſe répandoit pas uniformément, qu’il tomboit par plaques ſur les cheveux, & n’y adhéroit point.
Mêlé avec parties égales d’amidon de grains, il a été ſoumis aux mêmes eſſais, & l’inconvénient, quoique diminué, eſt encore trop conſidérable pour être employé dans ces proportions à la place de la poudre à poudrer.
Pour chercher à donner à l’amidon de pommes de terre l’état de diviſion qui lui manque, & le faire ſervir à l’objet deſiré, je l’ai étendu, après les lavages ordinaires, dans une grande quantité d’eau, & lorſqu’il a été ſuffisamment ſec, je l’ai paſſé à travers le tamis de ſoie le plus fin, & broyé dans un mortier de marbre ; mais la houppe de cygne, la houppe de ſoie ne l’enlèvent pas mieux, ni ne le diſtribuent plus uniformément.
Il me reſtoit une dernière reſſource, & je l’ai eſſayée, c’étoit de ſoumettre l’amidon de pommes de terre à la fermentation dans l’eau ſure des amidonniers : dès qu’une portion a été détruite par ce moyen, j’ai ſéparé l’autre qui avoit l’odeur aigre, & quand elle fut ſéchée, je la donnai aux perruquiers, qui continuèrent de lui trouver les mêmes défauts.
L’amidon de pommes de terre ſaines, gelées, ou dégelées depuis peu, ou non mûres, obtenu par extraction ou par fermentation, récemment ou anciennement préparé, avec toutes les eſpèces, n’a pas plus de réuſſite. Cet amidon ſemble compoſé de lames criſtallines & brillantes ; peut-être eſt-ce là la nuance qui diſtingue l’amidon des racines d’avec celui des grains.
J’ai lu dans l’avant-propos d’un mémoire ſur les pommes de terre, que la régence de Zurich, occupée des moindres détails ſur ce qui concerne les ouvriers qui par état emploient de la colle de farine, leur avoit sévèrement défendu de ſe ſervir d’autre farine que de celle qu’on prépare avec ces racines.
Cette économie n’eſt certainement pas à dédaigner dans les pays qui ne récoltant pas aſſez de grains pour leur consommation, ſont forcés d’avoir recours à l’étranger : elle n’eſt pas même indifférente en France, ſur-tout dans les grandes manufactures, où la quantité de froment employée à la colle eſt énorme ; on prétend même que celle de pommes de terre s’altère moins aiſément : peut-être que leur empois auroit auſſi quelques avantages que le temps & l’uſage feroient découvrir ; mais, comme poudre à poudrer, il ne me paroît. pas que juſques à préſent il puiſſe la ſuppléer. Les expériences que je viens d’expoſer, & qui ont été faites il y a long-temps pour la première fois, à deſſein de prouver ſans réplique qu’il n’exiſte pas dans les pommes de terre plus d’amidon que la râpe n’en extrait, & qu’on peut ſe dispenſer de ſoumettre ces racines à l’opération de l’amidonnier, auroient dû éclairer ſur tous les moyens propoſés pour en obtenir, davantage.
On vient encore de rappeler que M. Dombey avoit apporté du Pérou le ſeul remède employé dans cette partie du monde, pour réparer la perte inévitable des pommes de terre gelées, comme un moyen nouveau & utilement praticable dans cette circonſtance. Il conſiſte « à les faire macérer, rouir pour ainsi dire, dans des ſacs qu’on laiſſe quinze a dix-huit jours dans l’eau courante, & juſqu’à ce que, réduites en farine, la ſubſtance ſe ſépare de l’écorce. On rejette cette dernière au moyen d’un crible qui laiſſe paſſer la pulpe ; la fécule en retient l’écorce. C’eſt de cette fécule farineuſe, ainsi lavée & purgée de ſon odeur virulente, au moyen de l’eau, que les Péruviens préparent leurs bouillies, leurs ſoupes farineuſes, leurs alimens, en la mêlant au pain, & de toute autre manière. » Voyez Hiſtoire des plantes du Dauphiné, tome II, pag. 49.
Personne, j’oſe le croire, n’eſtime plus que moi M. Dombey & ſes travaux ; mais je ne puis me diſpenſer de faire ici une obſervation : ſi les Péruviens emploient réellement un pareil procédé pour retirer des pommes de terre gelées l’amidon qu’elles renferment, je déclare que ce moyen eſt on ne peut plus défectueux, parce que s’il étoit poſſible que la totalité de la fécule ſe détachât de la matière fibreuſe, par les colliſions répétées de l’eau en mouvement, & non par la pourriture des racines, elle seroit bientôt chariée, entraînée avec ce fluide à travers le tiſſu des sacs, comme nous l’avons remarqué M. Cretté de Palluel & moi, en répétant le procédé, malgré la perſuaſion dans laquelle nous étions l’un & l’autre qu’il ne valoit absolument rien. Peut-être ne s’agit-il point de pommes de terre comparables aux nôtres ; ou bien M. Dombey, quoique excellent obſervateur, a pu échapper certaines particularités de ce procédé.
Lorſqu’en 1772, bien avant le départ de M. Dombey pour le Pérou, je publiai, d’après une ſuite d’expériences, que les pommes de terre gelées pouvoient encore fournir leur amidon, que cet amidon n’ayant ſouffert ni en déchet ni en propriété, il ſerviroit à tous les usages que je proposois pour celui des pommes de terre qui n’avoient point été atteintes par le froid,. on ne it aucune attention à cette vérité, parce que vraiſemblablement elle n’avoit pas le mérite de venir de pays lointains, ni l’avantage d’avoir été entrevue par des peuples ſauvages. Mais je ne m’attendois guère que dix-ſept ans après la publicité de mon travail, on viendroit offrir au gouvernement, comme une nouveauté, une pratique vicieuſe de retirer des pommes de terre gelées à peine quelques molécules de leur amidon, & oppoſer cette pratique à la mienne, à celle qui, dans l’eſpace de douze heures, convertit en amidon cent vingt boiſſeaux de pommes de terre ; qu’en un mot, le procédé des Péruviens ſeroit prôné par des ſavans du premier ordre, qui, ſans s’être donné la peine de le vérifier, ont fait tous les frais d’une théorie, pour en expliquer les cauſes & les effets. Juſques à quand verrons-nous donc l’hiſtoire de la dent d’or ſe renouveler ?
En préſentant le réſultat de quelques expériences ſur l’amidon de pommes de terre, mon deſſein a été de fixer irrévocablement l’opinion à l’égard de cette matière, propoſée comme pouvant ſuppléer en totalité l’amidon des grains, pour lequel on ne conſomme que trop ſouvent le froment dans le meilleur état : il eſt bon que les perſonnes en place ſachent au moins à quoi s’en tenir, quand des gens à projets les ſolliciteront pour obtenir, ſous le prétexte du bien public, la permiſſion d’établir des fabriques de ce genre, dans l’eſpérance de trouver dans cet amidon des bénéfices immenſes.
On a annoncé encore dans quelques feuilles périodiques, que l’on avoit fait de ſuperbes bougies, en combinant l’amidon de pommes de terre avec la cire. Nous nous ſommes réunis, MM. Déyeux, Cadet-de-Vaux & moi, pour tenter cet eſſai ; mais la lumière de ces prétendues bougies eſt languiſſante & fort obſcure, à cauſe du champignon qui ſe forme.
Mais en conſidérant l’amidon du côté de ſes propriétés phyſiques, on apperçoit bientôt qu’il réunit à un très-grand degré toutes les qualités qui caractériſent la vertu alimentaire. D’abord il n’en faut qu’une très-petite quantité pour donner à beaucoup de fluide aqueux, aidé de la chaleur, une conſiſtance de gelée ſemblable en tout point à celle que nous retirons des ſubſtances végétales & animales les plus ſubſtantielles : enſuite, ſi on analyſe l’amidon par la diſtillation à la cornue, on en obtient les mêmes produits que fourniſſent le miel, le ſucre, & en général tous les corps doués de la faculté éminemment nutritive.
Cela poſé, l’amidon de pommes de terre a bien plus d’avantage, conſidéré comme aliment. Sous ce point de vue, on ne ſauroit trop recommander à ceux qui le préparent, la plus grande attention pour n’y rien laiſſer d’étranger, pour ne pas laiſſer aigrir les eaux dans leſquelles il ſéjourne, parce que d’ailleurs ils n’en retirent pas une plus grande quantité.
Après avoir ſéparé les différentes parties conſtituantes des pommes de terre, ſavoir, l’amidon, la matière fibreuſe & l’extrait, pour examiner chacun en particulier, & en déterminer la nature ainſi que les propriétés ; après avoir indiqué toutes les pratiques qui peuvent mettre ces racines à l’abri de tout accident, il eſt juste de les conſidérer sous leurs rapports alimentaires.
Entre les ſubſtances végétales, les plus convenables à la nourriture & à ſervir de ſupplément aux grains, les pommes de terre méritent d’occuper le premier rang : c’eſt ce double avantage qui m’a attaché à en développer toutes les reſſources.
Pour diſpoſer ces racines à devenir un aliment pour l’homme, il faut les ſoumettre à la cuiſſon, c’eſt-à-dire, réunir leurs parties conſtituantes iſolées dans l’état naturel, pour ne plus former qu’un tout homogène, que l’aſſociation de quelques grains de ſel, de très-peu de beurre, de graiſſe, de lard, de crême ou de lait, ſuffit pour en faire un comeſtible agréable & ſalutaire : mais cette opération, toute