Traité sur la culture et les usages des pommes de terre/Chapitre V

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CHAPITRE V.


Du Topinambour.


Cette plante eſt encore un préſent de l’Amérique : mais on ne ſait pas bien poſitivement ſi elle eſt originaire du Bréſil, ou bien du Canada ; les auteurs ſont partagés d’opinion ſur ce point. Ce qu’il y a de certain, c’eſt qu'à en juger par quelques-unes de ſes propriétés, le topinambour ſemble venir des pays ſitués au nord ; car il réſiste bien plus long-temps au froid que la pomme de terre & la patate ; mais, ainſi que ces deux plantes, il a une vigoureuſe végétation, & une grande fécondité.

Le topinambour eſt encore appelé poire de terre à cauſe de la forme de ſes racines. Il eſt du genre des fleurs radiées, & appartient à la claſſe des Corona solis. Il a été déſigné par Tournefort ſous la dénomination d’Helianthemum tuberoſum indicum ſive corona ſolis parvo flore tuberoſa radice, & appellé par Linné, Helianteus tuberoſus.


Description du topinambour.


La plante, dans ſa jeuneſſe, a un aſſez beau port ; ſa tige eſt plus ou moins groſſe, ſuivant le terrain, la ſaison & les ſoins de culture : l’écorce en eſt verte, rude au toucher. Des différens points de cette tige ſortent des feuilles larges vers le pétiole, & qui ſe terminent en pointes : elles ſont d’un vert foncé, rudes également au toucher ; au haut de la tige il croît des boutons qui en s’épanouiſſant produiſent des fleurs radiées comme le tourneſol ou ſoleil des jardins. Au pied de la plante ſe trouvent raſſemblés de gros tubercules d’un rouge verdâtre & blancs intérieurement.

Cette plante n’est pas aſſez cultivée pour avoir un grand nombre de variétés : ſ’il en exiſte, je ne les connois point. M. Queſnay de Beauvoir a fait part de diverſes obſervations à la ſociété royale d’agriculture, dont il eſt correſpondant, & il n’a fait mention que d’une ſeule eſpèce.

Culture du topinambour.


Elle n’eſt pas d’une exécution difficile. Il faut obſerver ſeulement que le topinambour vient mieux dans une terre forte, où le chanvre & le froment ſe plaiſent, que dans une terre ſablonneuſe ; que même un ſol trop léger ne lui convient pas du tout, tandis que la pomme de terre y réuſſit à merveille ; mais la végétation en eſt aussi vigoureuſe, & dès que la plante s’eſt emparée d’un champ, il eſt difficile de l’y détruire. Les endroits bas, humides & un peu ombragés ne lui paroiſſent pas contraires. La terre étant bien préparée, on diviſe les topinambours par morceaux auxquels on laiſſe deux à trois œilletons ; on met chacun à quatre pouces de profondeur, diſtans les uns des autres de neuf à dix pouces en tous ſens, dans des rigoles ou des trous qu'on recouvre : quand la plante a ſept à huit pouces d'élévation, on la ſarcle; on la butte enſuite, dès qu'elle a atteint une certaine force. Sa maturité est annoncée par le feuillage qui ſe flétrit, & la récolte s’opère avec la fourche à deux dents. On peut planter aux pieds des haricots grimpans. J’ai mis auſſi dans leurs rangées pluſieurs eſpèces de choux qui ont très bien réuſſi.

Le topinambour a encore cela de commun avec la pomme de terre & la patate, que les branches de cette plante, couchées ou coupées avec les précautions déjà indiquées, prennent racine, & fourniſſent enſuite des tubercules peu différens pour la groſſeur de la principale racine ; cette plante peut donc également ſe propager par bouture, par marcotte & par ſemis.

Analyse du topinambour.

J’ai dit que la pomme de terre & la patate, ſouvent confondues enſemble, différoient autant entre elles par leurs caractères botaniques que par la nature de leurs parties conſtituantes. Le topinambour, quoique pris auſſi pour l’une ou l’autre de ces deux plantes, n’a pas plus de reſſemblance avec elles, puiſque, examiné par l’analyſe, il fournit :

1°. Beaucoup d’eau de végétation ;

2°. Un extrait abondant & viſqueux ;

3°. Une matière fibreuſe.

Dépourvu d’amidon & de ſucre, le topinambour n’eſt pas suſceptible, comme la pomme de terre, de la fermentation panaire, ni de fournir de liqueur ſpiritueuſe comme la patate, par conſéquent de poſſéder la faculté alimentaire au même degré. Ainſi c’eſt des trois plantes qui ſont l’objet de ce traité, celle qui eſt la moins propre à remplir les vues économiques sous leſquelles je les ai conſidérées.

Conſervation des topinambours.

On peut les garder comme les racines potagères, en les plaçant dans un endroit ſec & frais : si on les laiſſait en tas trop épais, ils contracteroient bientôt une diſpoſition à germer ; alors ces tubercules, un peu filandreux, deviendraient encore mollaſſes & pâteux.

Uſage des topinambours pour l’homme.

On peut les cuire dans l’eau ou à la vapeur : le goût de cul-d’artichaut, qu’ils ont plus ou moins ſenſiblement, fait rechercher les topinambours par les amateurs de ce légume. Pendant l'hiver on les mange à la ſauce blanche ; on les fricaſſe au beurre avec des oignons ; on en relève la fadeur avec de la moutarde.

Uſage des topinambours pour les animaux.

Après avoir lavé & coupé par morceaux les topinambours, on les donne au bétail pluſieurs fois par jour : ſix vaches en mangent ſix à ſept boiſſeaux, mais elles les préfèrent à moitié cuits. On pourroit faire parquer les cochons dans les champs où cette plante auroit été cultivée, comme le pratiquent pour des pommes de terre les Anglois & les Américains.

Le topinambour offre encore une nourriture aux animaux par ſon feuillage : on coupe les tiges aux premières gelées blanches, & on les fait ſécher comme les feuilles d'arbres dont on fait la feuillée ; alors on les fagotte & on les arrange de manière à ce qu'elles ne s'échauffent point. Dans cet état elles ſervent pendant tout l'hiver à la nourriture des chèvres & des moutons.

Observations.

Nous ne penſons point que la culture des topinambours prenne jamais une grande faveur dans les endroits où celle des pommes de terre eſt bien établie ; mais il faut convenir auſſi qu'elle a quelques avantages qui ne sont pas à dédaigner.

Au mérite que le topinambour a de ne pas craindre la gelée comme les deux plantes qui nous ont occupé, il faut joindre celui de pouvoir reſter en terre pendant l'hiver, & de n'avoir pas beſoin de l'arracher pour en nourrir les animaux ; il a réuſſi d’ailleurs dans des terrains où la pomme de terre n’a eu que peu de ſuccès. M. Chancey a obſervé qu’un pied avoit donné 14 liv. poids de marc de tubercules, dans un endroit où une pomme de terre n’en a rendu que trois livres. M. le chevalier Mustel dit même en avoir vu réuſſir dans un ſol où les pommes de terre qu’il avoit plantées périrent toutes. Dans l’étendue de 50 pieds de terrain, formé de débris de carrières, ſitué à Conflans, près Paris, M. Queſnay de Beauvoir assure en avoir retiré trois boiſſeaux, d’où il conclut que, toutes choſes égales, un arpent de terre employé à cette culture, devroit rapporter 1800 boiſſeaux de ces racines, indépendamment des tiges qu’on pourroit, dans les pays privés de bois, employer avec profit au chauffage des fours pour leſquels on conſomme tant de paille, cet engrais ſi néceſſaire à l’agriculture.

Les plus belles tiges pourroient ſervir auſſi, dans les pays vignobles, d’échalas, & dans les jardins, à ramer les pois & haricots. Si l’on en croit quelques auteurs, il ſeroit possible que les vers à ſoie ſe nourriſſent des feuilles du topinambour ; que ſon écorce, préparée comme celle du chanvre, rempliſſe les mêmes uſages, & ſa moëlle celle du ſureau ; mais ces propriétés n’ont pas encore été juſtifiées par un aſſez grand nombre de faits, pour les invoquer en faveur du topinambour. Dans les taillis qu’on vient de couper, où il ſe trouve néceſſairement beaucoup de terre végétale, le topinambour y réuſſiroit à merveille. A meſure que le taillis grandiroit, la plante végéteroit mal, mais il reſteroit toujours aſſez de tubercules pour ſervir de nourriture aux cochons qu’on y enverroit pâturer.

Encore une fois ne proſcrivons aucune plante dont la racine est alimentaire, puiſque, ſuivant le proverbe, ce qui ne vaut rien là eſt bon ici. Nous avons dans le royaume une ſi grande diverſité de terrains & d'aſpects, que le topinambour, pour ne pas convenir à tous les ſols, peut trouver des endroits où ſa culture ſeroit excluſivement avantageuſe : Un pays n'eſt riche que par la multiplicité de ſes productions. Nous invitons donc M. Queſnay de Beauvoir, qui l'a déja introduite dans le Nivernois, de la répandre autant qu'il le pourra, sans cependant négliger celle des pommes de terre, infiniment préférable pour la nourriture des hommes & l'engrais des animaux.