Une femme m’apparut/1905/17

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 89-92).


XVII


C’était par un solennel clair de lune. Il y avait, dans l’air, une attente et une vénération. Le silence était semblable à un voile auguste que nul n’aurait osé soulever.

L’atelier de Lorély s’ouvrait, vaste comme un temple. Lorsque j’entrai, une fumée de parfums s’y dissipait avec lenteur.

Lorély se repliait en une immobilité intense… Elle s’anima enfin.

« Voici le clair de lune que j’attendais pour me révéler à toi, » dit-elle. « Il fallait de la prière et de l’extase autour de nous. »

Ses paroles sonnaient ainsi qu’une musique sacrée.

« Tu n’as saisi de moi que des apparences confuses, » continua-t-elle. « Cette nuit, tu me verras pour la première fois… »

Elle écarta les rideaux, et la clarté nocturne pénétra dans l’atelier. Il n’y avait point d’autre lumière.

Des lys très longs s’érigeaient, jaillissant de leurs vases d’argent, tels les cierges de leurs flambeaux. Lorély fit brûler de nouveaux parfums dans les cassolettes.

Elle s’avança, au milieu de l’espace lumineux encadré d’ombre. D’un geste rituel, elle laissa tomber ses voiles…

Et mes prunelles s’émerveillèrent de toute sa splendeur.

Ce fut un rayonnement de chair immaculée. Je ne vis jamais forme féminine plus parfaitement liliale. Le clair de lune épousait avec amour cette pâleur tiède.

Je m’agenouillai… Une passion très pure m’illuminait sereinement. La beauté de Lorély était absolue : elle transfigurait le désir et l’exaltait jusqu’à l’adoration mystique.

Autour de nous, le silence se recueillait. Les lys jetaient vers Lorély leurs parfums véhéments. Nous étions, elle et moi, debout sur le seuil de l’infini. Elle était la prêtresse qui, peu à peu, se substitue à l’idole indifférente… Elle était la prêtresse divinisée. Et moi, disciple fidèle, j’étais l’âme choisie entre toutes pour l’adorer éternellement. Une lumière nous isolait de l’univers. Les siècles passeraient sans me distraire de ma contemplation, sans me ravir ma félicité : les siècles légers passeraient sur mon front oublieux. Et, prêtresse et disciple, nous garderions, elle et moi, nos attitudes immuables et notre âme fixe et religieuse.