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Abecido
Correspondance, I (1711-1735)GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 1-70).


1[1]. — À M. FYOT DE LA MARCHE[2].

À Paris, ce 8 may.[3]

Monsieur, ma lettre va augmenter le nombre de celles que vous recevez de ce pays cy, chacun s’y dispute et l’honneur d’avoir perdu le plus en vous perdant et l’avantage d’être le premier à vous écrire ; je ne me suis rendu que sur le dernier article, et je n’ay peu vous écrire qu’aujourdhuy parce que je reviens actuellement de la campagne. Je ne vous diray point combien votre éloignement m’afflige ; si une petite absence d’un jour ou deux vous a peu faire dire

Bien tristement j’ay passé ma journée,


je puis à présent vous dire avec plus de raison

Bien tristement je passe mon année....


Je finirois en vers, mais le chagrin n’est point un Apollon pour moy, et j’aime autant dire la vérité en prose. Je vous asseure sans fiction que je m’aperçois bien que vous n’êtes plus icy : toutes les fois que je regarde par la fenestre, je voi votre chambre vuide ; je ne vous entends plus rire en classe ; je vous trouve de manque partout, et il ne reste plus que le plaisir de vous écrire, et de m’entretenir de vous avec le père Polou[4] et vos autres amis. On m’a flatté de l’espérance de vous revoir au mois d’aoust, je croy que vous aurez la bonté de me le faire sçavoir ; je ferois volontiers un voyage en Bourgogne[5] pour vous dire de bouche tout ce que je vous écris ; votre départ m’avoit si fort désorienté que je n’eus ny l’esprit ni la force de vous parler, lorsque vous me vîntes dire adieu ; et le soir que je soutins ma thèse, je répondis aussi mal aux argumentans qu’à l’honnesteté que vous me fistes : comme dans peu je soutiendray encor, j’aurois grand besoin de vous voir pour me remettre un peu. Ma lettre à ce que je vois est assez à bastons rompus, et pour continuer sur le mesme ton je vous diray que M. l’abbé Poirier[6], qui vient de me faire une répétition, est venu frapper deux fois à votre porte, ne se souvenant plus que vous n’étiez point icy, et s’est apparemment impatienté que vous ne luy ouvrissiez point ; il m’a chargé de vous faire force compliments, et pareillement le rév. père Polou.

Au reste cette lettre cy n’est que la préface des autres, et je prétends vous écrire toutes les semaines sur un ton un peu plus guay que celui-cy. En attendant, je suis et seray toujours avec un profond respect et toute l’amitié possible votre très-humble et très-obéissant serviteur,

Arouet.


2[7]. — À M. FYOT DE LA MARCHE.

À Paris, ce 23 du mois de may[8].

Monsieur, tout frais moulu d’une retraite[9], tout nouvellement débarqué du noviciat, muny de cinquante sermons, je viens pour surcroît de consolations de recevoir votre lettre : je vous fais réponse en m’endormant, mais fort éveillé sur votre chapitre. Ma solitude de 8 jours m’apprend à être icy un peu solitaire ; mais que je renoncerois volontiers à cette vie monastique pour avoir le bonheur de vous voir ! Car enfin, lorsqu’on est seul, outre qu’on est souvent en danger de trouver la compagnie ennuyeuse[10], il faut du moins avoir quelqu’un à qui on puisse dire que la solitude est agréable. Si j’avois appris des nouvelles au noviciat, je vous en dirois, mais je n’avois point de commerce avec le monde : je vous diray seulement que M. Feydau[11] vous a suivy de prez, et qu’il s’est envolé comme vous ; je ne sçay si je devrois souhaitter aussi la clef des champs ; si vous avez pris votre volée le premier, tout lourd que vous êtes, c’est que vous avez de meilleures ailes que moy. N’ayant donc point de nouvelles à vous apprendre, et ne voulant point borner ma lettre à dix ou douze lignes, je vous diray ce que je vous ay desja dit si souvent, mais comme je sors de retraitte ce sera en style de dévot que je diray que j’ay pour vous une singulière dévotion, que je pousse mainte fois plusieurs pieuses affections en votre endroit. Je vois bien que ce n’est pas là mon langage, ainsi pour continuer je veux revenir à mon naturel, et répondre à votre lettre, dont j’ay fait la critique, et dont je vous envoye icy quelques errata. La première faute à corriger, ce sont les compliments que vous me faittes ; la seconde, c’est l’indifférence que vous avez pour le souvenir que j’ay de vos ouvrages ; troisième faute, vous dites que vous êtes bien aise que je pense souvent à vous : au lieu de souvent mettez toujours ; quatrièmement, vous pensez beaucoup à moy et à quelques autres philosophes : corrigez cette façon de parler, et mettez à des philosophes. Voylà à peu prez ce que j’avois à vous dire touchant les errata de votre lettre ; vous ne pouvez pécher que par trop de bonté pour moy, car pour le stile et les pensées, ce n’est pas ce qu’on y peut reprendre ; c’est la différence qu’il y a de vous à moy ; il n’y a de mauvais dans ma lettre que la manière dont je l’écris, et je ne crains point que vous m’envoyiez un errata quand je vous diray que tout le collége a fait en vous une grande perte, qu’il n’y a personne qui ne vous estime et ne vous aime, enfin que tout le monde est dans les mesmes sentiments pour vous. Je vous prie de ne point manquer à me faire sçavoir de vos nouvelles le plus souvent que vous pourrez ; pour moy, je vous écriray tous les huit jours et tacheray de vous mander les nouvelles du collége et de Paris : mandez moy pareillement celles de Disjon et particulièrement comment se porte monsieur votre père, qu’on m’a dit qui étoit malade. Je vous prie que notre commerce de lettres ne soit point interrompu, puisque l’amitié dont vous m’honorez ne l’a jamais été. Enfin je n’ay plus rien à vous dire. On est un peu embarrassé quand on écrit à une personne d’esprit. Pardonnez moy donc, mon cher monsieur, si la stérilité où je me trouve, non de sentiments mais d’expressions, me fait mettre un peu plus tôt que je ne voudrois cette formule ordinaire que les amis et les personnes indifférentes placent indifféremment à la fin d’une lettre agréable ou ennuyante ; l’ennuyant peut fort bien me convenir, mais non pas l’indiffèrent. Et c’est avec sincérité et avec toute l’affection et tout le respect possible que je suis et seray toujours votre très-humble et très-obéissant serviteur et amy,

Arouet.

Vous voulez bien, monsieur, que j’ajoute icy quelques mots pour le père Polou, le père Thoulier[12] et notre régent, qui tous trois m’ont chargé de vous marquer combien ils vous estiment et vous honorent. Je vous fais aussi des compliments de la part de M. Perrot ; pour vos autres amis je crois qu’ils s’en acquittent eux mesmes. Adieu encor une fois, mon cher monsieur, je souhaite avec passion de vous voir, et je finis avec peine quoyque je ne vous dise rien de bon.

Si je ne vous écris que cinq jours aprez que votre lettre est arrivée, c’est que je ne l’ay receüe qu’en sortant de la retraitte.


3[13]. — À M. FYOT DE LA MARCHE.

À Paris, ce 3 juin[14].

Vous me parlez, monsieur, du ton dont je devrois vous parler : je vous asseure que loing d’être au donjon dudit chastau, je n’en connois pas mesme les avenuës, et je vous avoueray plus sincèrement que vous que j’ay pris un chemin tout-à-fait opposé, et qu’aprez votre départ du collége, j’ay profité moins que jamais de vos bons exemples. Laissant la fiction des lunettes dont je ne sçay point me servir, et du chastau ou je n’ay jamais habité, je vous diray qu’en quelque état que vous soyez je serois trop heureux de vous ressembler en tout, voire mesme en mentant comme vous faites dans toutes les lettres que vous me faittes l’honneur de m’écrire et dans lesquelles vous ne cessez de vous nommer paresseux et épicurien. Aprez tout je croy que j’ay un peu tort de me plaindre de cette tromperie prétendue, car si vous êtes épicurien, vous ne mettez la volupté que dans la sagesse et dans la vertu : pour moy, n’ayant ny vertu ny sagesse, je ne conois point la volupté et je ne goûte de tous les plaisirs que celuy de vous écrire un peu souvent et de recevoir de vos lettres. Multipliez donc ce plaisir, mon cher monsieur, et soyez toujours aussi ponctuel que vous l’estes à me faire réponse ; en voylà assez sur le chapitre du plaisir, venons à celuy de votre conversion. Premièrement, si vous changez ce ne peut être que de bien en mal, et si vous voulez que je vous fasse changer encore, ce ne peut être que de mal en pis. Désabusez moi donc s’il vous plait de votre perversité comme je vous désabuse de l’opinion que vous avez de ma vertu, et faittes moy un aveu aussi sincère que celuy que je vous fais. Je sçay qu’il vous en coûtera plus qu’à moy, mais je ne croy pas que vous vouliez me cacher les véritables sentiments où vous êtes ; ce sera pour moy une leçon dont peut-être je ne profiteray pas et que je me contenteray d’admirer ; video meliora proboque, deteriora sequor. Je finis par cette parole, de peur qu’en continuant le portrait je ne le rende si vray que vous me croiriez aussi peu sincère que vous, quand vous parlez de vous mesme. Faites moy viste réponse, mon cher ami. C’est encor un coup le plus grand plaisir que je puisse goûter. Adieu. Je suis avec toute l’amitié et toute l’estime possible votre très-humble et obéissant serviteur,

Arouet.

Sur l’adresse : À Monsieur, Monsieur de La Marche, fils de Monsieur de La Marche, président à mortier de Dijon. À Chaalons sur Saône pour la Marche.


4[15]. — À M. FYOT DE LA MARCHE.

Ce 23 juillet[16].

Que je suis ravy, mon cher amy, que vous n’ayez point succombé à la tentation de ne me point écrire ; étois-ce la lecture de ma dernière lettre qui vous avoit inspiré une telle pensée ? N’étois-ce point quelque démon plus méchant sans doute que le lutin Complégor, je dis plus méchant, car il me seroit plus sensible d’être privé de vos lettres que d’être assassiné des couplets de M. Dauphin[17]. Vos lettres sont des témoignages de votre amitié, ses satires sont des marques de sa légèreté : lesquelles des deux doivent me toucher davantage ; je sçay que quelquefois ce n’est point l’amitié qui dicte les lettres, comme ce n’est pas souvent la simple légèreté qui éguise les traits de la satire ; mais je ne puis douter icy que la prose que vous m’écrivez et que les vers que forgeoit notre poète ne partent de ces principes. J’ai veu hier votre ancien précepteur qui m’a fait craindre qu’une autre raison que le prétexte de m’importuner ne vous empêchât de me donner de vos nouvelles ; j’ay été un peu fâché, je vous l’avoue, d’apprendre d’un autre que de vous que vous aviez été malade, et j’allois mettre la main à la plume pour m’informer à vous de votre santé, lorsque j’ay receu votre lettre, qui a dissipé et le chagrin que j’avois de votre indisposition et la crainte où j’étois que vous ne m’eussiez un peu oublié. Pardonnez moy ce petit soupçon dont je vous fais part si témérairement. N’est-il pas juste qu’une personne qui vous aime autant que je le fais se plaigne d’avoir été quinze jours sans recevoir de vos nouvelles : pardonnez moy cette plainte, et je vous pardonneray votre petite négligence ; il faut que tout soit égal dans l’amitié, et pour réparer notre faute, je ne me plaindray plus, et pour vous votre pénitence sera de m’écrire dès que vous aurez receu ma lettre. Que je vous impose avec plaisir cette pénitence ! Je souhaite que vous la receviez de mesme ; le mot de pénitence me fait ressouvenir d’une chose assez plaisante que me dit M. Blanchard, qui me vint voir ces jours passez : il m’apprit que vous aviez fait partie avec moy de vous faire relligieux ; je répondis que je n’avois pas assez de mérite pour tourner de ce costé là, et que vous aviez trop d’esprit pour faire une pareille sottise. En effet je ne crois pas que nous ayons grande envie d’imiter certains écoliers du collége des jésuittes, qui dans une conversation pieuse et badine, je n’ose pas dire ridicule, ayant fait réflexion sur les dangers du monde dont ils ne connoissoient pas encor les charmes, et sur les douceurs de la vie religieuse dont ils ne prévoyoient pas les dégoûts, conclurent enfin qu’il falloit renoncer au monde ; il ne leur restoit plus que l’embarras de choisir l’ordre où ils prétendoient recueillir les fruits de leur conversation ; choisir étoit trop pour eux ; tout genre de vie leur paroissoit bon pourveü qu’ils quittassent le pays du crime : c’est ainsi qu’ils appeloient tout ce qui n’étoit point cloître ou moinerie ; tous les ordres considérez l’un aprez l’autre en un quart d’heure leur paroissoient si doux qu’ils ne pouvoient s’attacher à aucun sans regretter les autres, et ne se fussent jamais déterminez, ainsi que l’âne de Buridan, qui mourut entre deux picotins d’avoine ; enfin comme la raison ne pouvoit décider, ils résolurent de faire le sort maître du party qu’ils devoient prendre pour le reste de leur vie ; l’habit des successeurs d’Élysée échüt à l’un, l’autre eüt pour son partage le bonnet et la robe des faiseurs d’évesques : ainsi un coup de dez détermina la vocation d’un carme et d’un jésuite. Pour moy ma vocation est d’être toujours de vos amis ; je renoncerois à beaucoup d’autres en faveur de celle là. Soufrez que je réitère à la fin de ma lettre une prière que je vous ay fait au commencement, c’est celle de me récrire ; et afin que vous n’ayez aucun scrupule, je vous apprends que je ne soutiens point de demy acte[18] ; mon père a changé de résolution, et mon mal de teste qui m’empêche d’étudier m’a fait aussi changer d’envie ; ainsi vous n’aurez plus aucun prétexte de délay. Et moy, flatté de l’espérance que je vois[19] recevoir une de vos lettres dans quatre ou cinq jours d’icy, je mets à la fin de la mienne avec bien du plaisir : je suis votre très-humble serviteur et amy

Arouet.



5[20]. — À M. FYOT DE LA MARCHE[21].

Monsieur, j’ay différé deux ou trois jours à vous écrire afin de pouvoir vous dire des nouvelles de la tragédie que le père Lejay[22] vient de faire représenter : une grosse pluye a fait partager le spectacle en deux après dinées, ce qui a fait autant de plaisir aux écoliers que de chagrin au père Lejay ; deux moines se sont cassez le col l’un après l’autre si adroitement qu’ils n’ont semblé tomber que pour servir à notre divertissement ; le nonce de Sa Sainteté nous a donnez huit jours de congez. M. Thevenard a chanté, le père Lejay s’est enroué ; le père Porée[23] a prié Dieu pour obtenir un bon temps ; le ciel n’a pas été d’airain pour luy, au plus fort de sa prière, le ciel a donné une pluye abondante ; voylà à peu prez ce qui s’est passé icy. Il ne me reste plus pour jouir des vacances que d’avoir le plaisir de vous voir à Paris, mais bien loing de pouvoir vous posséder, je ne puis mesme avoir le bonheur de contenter mon amitié par une plus longue lettre ; la poste, qui va partir, me force de me dire à la hâte votre très humble et très obéissant serviteur et amy,

Arouet.



6. — À MADEMOISELLE DUNOYER[24].

1713.
Lisez cette lettre en bas, et fiez-vous au porteur.

Je crois, ma chère demoiselle, que vous m’aimez ; ainsi préparez-vous à vous servir de toute la force de votre esprit dans cette occasion. Dès que je rentrai hier au soir à l’hôtel, M. L.[25] me dit qu’il fallait partir aujourd’hui, et tout ce que j’ai pu faire a été d’obtenir qu’il différât jusqu’à demain ; mais il m’a défendu de sortir de chez lui jusqu’à mon départ ; sa raison est qu’il craint que madame votre mère ne me fasse un affront qui rejaillirait sur lui et sur le roi. Il ne m’a pas seulement permis de répliquer, il faut absolument que je parte, et que je parte sans vous voir. Vous pouvez juger de ma douleur ; elle me coûterait la vie, si je n’espérais de pouvoir vous servir en perdant votre chère présence. Le désir de vous voir à Paris me consolera dans mon voyage. Je ne vous dis plus rien pour vous engager à quitter votre mère, et à revoir votre père[26], des bras duquel vous avez été arrachée pour venir ici être malheureuse.... Si vous balanciez un moment, vous mériteriez presque tous vos malheurs. Que votre vertu se montre ici tout entière ; voyez-moi partir avec la même résolution que vous devez partir vous-même. Je serai à l’hôtel toute la journée. Envoyez-moi trois lettres, pour monsieur votre père, pour monsieur votre oncle, et pour madame votre sœur[27] ; cela est absolument nécessaire, et je ne les rendrai qu’en temps et lieu, surtout celle de votre sœur : que le porteur de ces lettres soit le cordonnier, promettez-lui une récompense ; qu’il vienne ici une forme à la main, comme pour venir accommoder mes souliers ; joignez à ces lettres un billet pour moi : que j’aie en partant cette consolation ; surtout, au nom de l’amour que j’ai pour vous, ma chère, envoyez-moi votre portrait, faites tous vos efforts pour l’obtenir de madame votre mère ; il sera bien mieux entre mes mains que dans les siennes, puisqu’il est déjà dans mon cœur. Le valet que je vous envoie est entièrement à moi ; si vous voulez le faire passer, auprès de votre mère, pour un faiseur de tabatières, il est Normand, et jouera fort bien son rôle : il vous rendra toutes mes lettres, que je mettrai à son adresse, et vous me ferez tenir les vôtres par lui ; vous pouvez lui confier votre portrait. Je vous écris cette lettre pendant la nuit, et je ne sais pas encore comment je partirai ; je sais seulement que je partirai : je ferai tout mon possible pour vous voir demain avant de quitter la Hollande. Cependant, comme je ne puis vous en assurer, je vous dis adieu, mon cher cœur, pour la dernière fois : je vous le dis en vous jurant toute la tendresse que vous méritez. Oui, ma chère Pimpette, je vous aimerai toujours : les amants les moins fidèles parlent de même ; mais leur amour n’est pas fondé, comme le mien, sur une estime parfaite : j’aime votre vertu autant que votre personne, et je ne demande au ciel que de puiser auprès de vous les nobles sentiments que vous avez. Ma tendresse me fait compter sur la vôtre ; je me flatte que je vous ferai souhaiter de voir Paris ; je vais dans cette belle ville solliciter votre retour : je vous écrirai tous les ordinaires par le canal de Lefèvre, à qui je vous prie de donner quelque chose pour chaque lettre, afin de l’encourager à bien faire. Adieu encore une fois, ma chère maîtresse ; songez un peu à votre malheureux amant, mais n’y songez point pour vous attrister ; conservez votre santé, si vous voulez conserver la mienne ; ayez surtout beaucoup de discrétion ; brûlez ma lettre, et toutes celles que vous recevrez de moi : il vaut mieux avoir moins de bonté pour moi, et avoir plus de soin de vous ; consolons-nous par l’espérance de nous revoir bientôt, et aimons-nous toute notre vie. Peut-être viendrai-je moi-même vous chercher : je me croirais alors le plus heureux des hommes ; mais enfin, pourvu que vous veniez, je suis trop content ; je ne veux que votre bonheur ; je voudrais le faire aux dépens du mien, et je serai trop récompensé quand je me rendrai le doux témoignage que j’ai contribué à vous remettre dans votre bien-être. Adieu, mon cher cœur ; je vous embrasse mille fois.

Arouet.

Lefèvre vient de m’avertir ce matin qu’on lui a ordonné de rendre à Son Excellence les lettres que je lui donnerais à porter ; ainsi, sans doute, on interceptera les lettres qui viendront par son canal : choisissez donc quelqu’un à qui l’on puisse se fier, s’il en est dans le monde ; vous me manderez son adresse ; surtout envoyez-moi ce soir vos lettres, et instruisez bien votre commissionnaire ; ne chargez point Lisbette de ce message ; tenez-vous prête demain de bonne heure : je tâcherai de vous voir avant de partir, et nous prendrons nos dernières mesures.

Arouet.


7. — À MADEMOISELLE DUNOYER.


Je suis ici prisonnier au nom du roi ; mais on est maître de m’ôter la vie, et non l’amour que j’ai pour vous. Oui, mon adorable maîtresse, je vous verrai ce soir, dussé-je porter ma tête sur un échafaud. Ne me parlez point, au nom de Dieu, dans des termes aussi funestes que vous m’écrivez ; vivez, et soyez discrète : gardez-vous de madame votre mère, comme de l’ennemi le plus cruel que vous ayez ; que dis-je ? gardez-vous de tout le monde, ne vous fiez à personne ; tenez-vous prête dès que la lune paraîtra ; je sortirai de l’hôtel incognito, je prendrai un carrosse, ou une chaise, nous irons comme le vent à Scheveling[28] ; j’apporterai de l’encre et du papier, nous ferons nos lettres[29]. Mais si vous m’aimez, consolez-vous, rappelez toute votre vertu et toute votre présence d’esprit ; contraignez-vous devant madame votre mère, tâchez d’avoir votre portrait, et comptez que l’apprêt des plus grands supplices ne m’empêchera pas de vous servir. Non, rien n’est capable de me détacher de vous : notre amour est fondé sur la vertu, il durera autant que notre vie. Donnez ordre au cordonnier d’aller chercher une chaise ; mais non, je ne veux point que vous vous en fiiez à lui ; tenez-vous prête dès quatre heures, je vous attendrai proche votre rue. Adieu ; il n’est rien à quoi je ne m’expose pour vous : vous en méritez bien davantage. Adieu, mon cher cœur.

Arouet.


8. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Je ne partirai, je crois, que lundi ou mardi ; il semble, ma chère, qu’on ne recule mon départ que pour me faire mieux sentir le cruel chagrin d’être dans la même ville que vous, et de ne pouvoir vous y voir. On observe ici tous mes pas : je ne sais même si Lefèvre pourra te rendre cette lettre. Je te conjure, au nom de Dieu, sur toutes choses, de n’envoyer ici personne de ta part sans en avoir concerté avec moi ; j’ai des choses d’une conséquence extrême à vous dire : vous ne pouvez pas venir ici ; il m’est impossible d’aller de jour chez vous : je sortirai par une fenêtre à minuit ; si tu as quelque endroit où je puisse te voir ; si tu peux à cette heure quitter le lit de ta mère, en prétextant quelque besoin, au cas qu’elle s’en aperçoive ; enfin, si tu peux consentir à cette démarche sans courir de risque, je n’en courrai aucun ; mande-moi si je peux venir à ta porte cette nuit, tu n’as qu’à le dire à Lefèvre de bouche. Informe-moi surtout de ta santé. Adieu, mon aimable maîtresse ; je t’adore, et je me réserve à t’exprimer toute ma tendresse en te voyant.

Arouet.


9. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Je viens d’apprendre, mon cher cœur, que je pourrai partir avec M. de M*** en poste, dans sept ou huit jours ; mais que le plaisir de rester dans la ville où vous êtes me coûtera de larmes ! On m’a imposé la nécessité d’être prisonnier jusqu’à mon départ, ou de partir sur-le-champ. Ce serait vous trahir que de venir vous voir ce soir : il faut absolument que je me prive du bonheur d’être auprès de vous, afin de vous mieux servir. Si vous voulez pourtant changer nos malheurs en plaisirs, il ne tiendra qu’à vous ; envoyez Lisbette sur les trois heures, je la chargerai pour vous d’un paquet qui contiendra des habillements d’homme ; vous vous accommoderez chez elle, et si vous avez assez de bonté pour vouloir bien voir un pauvre prisonnier qui vous adore, vous vous donnerez la peine de venir sur la brune à l’hôtel. À quelle cruelle extrémité sommes-nous réduits, ma chère ? Est-ce à vous à me venir trouver ? Voilà cependant l’unique moyen de nous voir : vous m’aimez ; ainsi j’espère vous voir aujourd’hui dans mon petit appartement. Le bonheur d’être votre esclave me fera oublier que je suis le prisonnier de ***. Mais comme on connaît mes habits, et que par conséquent on pourrait vous reconnaître, je vous enverrai un manteau qui cachera votre justaucorps et votre visage ; je louerai même un justaucorps pour plus de sûreté : mon cher cœur, songez que ces circonstances sont bien critiques ; défiez-vous, encore un coup, de madame votre mère, défiez-vous de vous-même ; mais comptez sur moi comme sur vous, et attendez tout de moi, sans exception, pour vous tirer de l’abîme où vous êtes ; nous n’avons plus besoin de serments pour nous faire croire. Adieu, mon cher cœur ; je vous aime, je vous adore.

Arouet.

C’est le valet de pied en question qui vous porte cette lettre.


10. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Je ne sais si je dois vous appeler monsieur ou mademoiselle ; si vous êtes adorable en cornettes, ma foi vous êtes un aimable cavalier, et notre portier, qui n’est point amoureux de vous, vous a trouvé un très-joli garçon. La première fois que vous viendrez, il vous recevra à merveille. Vous aviez pourtant la mine aussi terrible qu’aimable, et je crains que vous n’ayez tiré l’épée dans la rue, afin qu’il ne vous manquât plus rien d’un jeune homme : après tout, tout jeune homme que vous êtes, vous êtes sage comme une fille.

Enfin je vous ai vu, charmant objet que j’aime,
En cavalier déguisé dans ce jour ;
J’ai cru voir Vénus elle-même
Sous la figure de l’Amour.
L’Amour et vous, vous êtes du même âge,
Et sa mère a moins de beauté ;
Mais, malgré ce double avantage,
J’ai reconnu bientôt la vérité.
Olympe, vous êtes trop sage
Pour être une divinité.

Il est certain qu’il n’est point de dieu qui ne dût vous prendre pour modèle, et il n’en est point qu’on doive imiter : ce sont des ivrognes, des jaloux, et des débauchés. On me dira peut-être :

Avec quelle irrévérence
Parle des dieux ce maraud[30] !

Mais c’est assez parler des dieux, venons aux hommes. Lorsque je suis en train de badiner, j’apprends par Lefèvre qu’on vous a soupçonnée hier : c’est à coup sûr la fille qui vous annonça qui est la cause de ce soupçon qu’on a ici ; ledit Lefèvre vous instruira de tout, c’est un garçon d’esprit, et qui m’est fort affectionné ; il s’est tiré très-bien de l’interrogatoire de Son Excellence. On compte de nous surprendre ce soir ; mais ce que l’amour garde est bien gardé : je sauterai par les fenêtres, et je viendrai sur la brune chez ***, si je le puis. Lefèvre viendra chercher mes habits sur les quatre heures ; attendez-moi sur les cinq en bas, et si je ne viens pas, c’est que je ne le pourrai absolument point. Ne nous attendrissons pas en vain ; ce n’est plus par des lettres que nous devons témoigner notre amour, c’est en vous rendant service. Je pars vendredi avec M. de M***; que je vienne vous voir, ou que je n’y vienne point, envoyez-moi toujours ce soir vos lettres par Lefèvre, qui viendra les quérir ; gardez-vous de madame votre mère, gardez un secret inviolable ; attendez patiemment les réponses de Paris ; soyez toujours prête pour partir ; quelque chose qui arrive, je vous verrai avant mon départ : tout ira bien, pourvu que vous vouliez venir en France, et quitter une mère barbare pour retourner dans les bras d’un père. Comme on avait ordonné à Lefèvre de rendre toutes mes lettres à Son Excellence, j’en ai écrit une fausse que j’ai fait remettre entre ses mains ; elle ne contient que des louanges pour vous et pour lui, qui ne sont point affectées. Lefèvre vous rendra compte de tout. Adieu, mon cher cœur ; aimez-moi toujours, et ne croyez pas que je ne hasarderai pas ma vie pour vous.

Arouet.


11. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

À la Haye, le 6 décembre 1713.

On a découvert notre entrevue d’hier, ma charmante demoiselle : l’amour nous excuse l’un et l’autre envers nous-mêmes, mais non pas envers ceux qui sont intéressés à me tenir ici prisonnier. Le plus grand malheur qui pouvait m’arriver était de hasarder ainsi votre réputation. Dieu veuille encore que notre monstre aux cent yeux ne soit pas instruit de votre déguisement ! Mandez-moi exactement tout ce que cette barbare mère dit hier à M. de La B*** et à vous, et ne comptez pas que nous puissions nous voir avant mon départ, à moins que nous ne voulions achever de tout gâter : faisons, mon cher cœur, ce dernier effort sur nous-mêmes. Pour moi, qui donnerais ma vie pour vous voir, je regarderai votre absence comme un bien, puisqu’elle doit me procurer le bonheur d’être longtemps auprès de vous à l’abri des faiseurs de prisonniers et des faiseuses de libelles[31]. Je ne puis vous dire dans cette lettre que ce que je vous ai dit dans toutes les autres : je ne vous recommande pas de m’aimer ; je ne vous parle pas de mon amour, nous sommes assez instruits de nos sentiments ; il ne s’agit ici que de vous rendre heureuse : il faut pour cela une discrétion entière. Il faut dissimuler avec madame votre mère ; ne me dites point que vous êtes trop sincère pour trahir vos sentiments. Oui, mon cher cœur, soyez sincère avec moi, qui vous adore, et non pas avec une.....[32]. ce serait un crime que de lui laisser découvrir tout ce que vous pensez : vous conserverez sans doute votre santé, puisque vous m’aimez ; et l’espérance de nous revoir bientôt nous tiendra lieu du plaisir d’être ensemble. Je vous écrirai tous les ordinaires à l’adresse de Mme  Santoc de Maisan ; vous mettrez la mienne : À M. Arouet, le cadet, chez M. Arouet, trésorier de la chambre des comptes, cour du Palais, à Paris. Je mettrai vendredi une lettre pour vous à la poste de Rotterdam ; j’attendrai une lettre de vous à Bruxelles, que le maître de la poste me fera tenir. Envoyez-moi vos lettres pour monsieur votre père et monsieur votre oncle, par le présent porteur. Si Lefèvre ne peut pas te porter cette lettre, confie-toi à celui que j’enverrai ; remets-lui le paquet et les lettres. Adieu, ma chère Olympe ; si tu m’aimes, console-toi ; songe que nous réparerons bien les maux de l’absence ; cédons à la nécessité : on peut nous empêcher de nous voir, mais jamais de nous aimer. Je ne trouve point de termes assez forts pour t’exprimer mon amour ; je ne sais même si je devrais t’en parler, puisqu’en t’en parlant je ne fais sans doute que t’attrister, au lieu de te consoler. Juge du désordre où est mon cœur par le désordre de ma lettre ; mais, malgré ce triste état, je fais un effort sur moi ; imite-moi si tu m’aimes. Adieu encore une fois, ma chère maîtresse ; adieu, ma belle Olympe ; je ne pourrai point vivre à Paris si je ne t’y vois bientôt. Songe à dater toutes tes lettres.

Arouet.


12. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Ce dimanche au soir, 10 décembre.

Je vous écris une seconde fois, ma pauvre Olympe, pour vous demander pardon de vous avoir grondée ce matin, et pour vous gronder encore mieux ce soir, au hasard de vous demander pardon demain. Quoi ! vous voulez parler à M. L***[33] ? Eh ! ne savez-vous pas que ce qu’il craint le plus c’est de paraître favoriser votre retraite ? Il craint votre mère, il veut ménager les excellences : vous devez vous-même craindre les uns et les autres, et ne point vous exposer d’un côté à être enfermée, et de l’autre à recevoir un affront. Lefèvre m’a rapporté que votre mère[34]..., et que vous êtes malade. Le cœur m’a saigné à ce récit ; je suis coupable de tous vos malheurs, et, quoique je les partage avec vous, vous n’en souffrez pas moins. C’est une chose bien triste pour moi que mon amour ne vous ait encore produit qu’une source de chagrins ; le triste état où je suis réduit moi-même ne me permet pas de vous donner aucune consolation, vous devez la trouver dans vous-même. Songez que vos peines finiront bientôt, et tâchez du moins d’adoucir un peu la maligne férocité de votre mère ; représentez-lui doucement qu’elle vous fera mourir. Ce discours ne la touchera pas, mais il faudra qu’elle paraisse en être touchée ; ne lui parlez jamais ni de moi, ni de la France, ni de M. L***[35] ; surtout gardez-vous de venir à l’hôtel. Ma chère Pimpette, suivez mes conseils une fois, vous prendrez votre revanche le reste de ma vie, et je ferai toujours vœu de vous obéir. Adieu, mon cher cœur ; nous sommes tous deux dans des circonstances fort tristes ; mais nous nous aimons, voilà la plus douce consolation que nous puissions avoir. Je ne vous demande pas votre portrait, je serais trop heureux, et je ne dois pas l’être tandis que vous êtes malheureuse. Adieu, mon cher cœur ; aimez-moi toujours, informez-moi de votre santé.

Arouet.


13. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Ce mercredi soir, 13 décembre.

Je ne sais que d’hier, ma chère, que vous êtes malade ; ce sont là les suites des chagrins que je vous ai causés : quoi ! je suis cause de vos malheurs, et je ne puis les adoucir ! Non, je n’ai jamais ressenti de douleur plus vive et plus juste ; je ne sais pas quelle est votre maladie : tout augmente ma crainte ; vous m’aimez et vous ne m’écrivez point ; je juge de là que vous êtes malade véritablement. Quelle triste situation pour deux amants ! l’un au lit, et l’autre prisonnier. Je ne puis faire autre chose pour vous que des souhaits, en attendant votre guérison et ma liberté. Je vous prierais de vous bien porter, s’il dépendait de vous de m’accorder cette grâce ; mais du moins il dépend de vous de songer à votre santé, et c’est le plus grand plaisir que vous me puissiez faire. Je ne vous ai point écrit de lettre où je ne vous aie recommandé cette santé, qui m’est si chère ; je supporterai toutes mes peines avec joie, si vous pouvez prendre un peu le dessus sur toutes les vôtres. Mon départ est reculé encore. M. de M***, qui vient actuellement dans ma chambre, m’empêche de continuer ma lettre : adieu, ma belle maîtresse ; adieu, mon cher cœur. Puissiez-vous être aussi heureuse toute votre vie que je suis malheureux actuellement ! Adieu, ma chère ; tâchez de m’écrire.
Arouet.


14. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

La Haye, ce samedi soir, 16 décembre.

Est-il possible, ma chère maîtresse, que je ne puisse du moins jouir de la satisfaction de pleurer au pied de votre lit, et de baiser mille fois vos belles mains, que j’arroserais de mes larmes ! Je saurais du moins à quoi m’en tenir sur votre maladie, car vous me laissez là-dessus dans une triste incertitude ; j’aurais la consolation de vous embrasser en partant, et de vous dire adieu, jusqu’au temps où je pourrais vous voir à Paris. On vient de me dire qu’enfin c’est pour demain ; je m’attends pourtant

encore à quelque délai ; mais, en quelque temps que je parte, vous recevrez toujours de moi une lettre, datée de Rotterdam, dans laquelle je vous manderai bien des choses de conséquence, mais dans laquelle je ne pourrai pourtant vous exprimer mon amour comme je le sens. Je partirai dans de cruelles inquiétudes, que vos lettres adouciront à leur ordinaire. Je vous ai mandé, dans ma dernière lettre, que je ne m’occupais que du plaisir de penser à vous ; cependant j’ai lu, hier et aujourd’hui, les Lettres galantes de Mme  D…[36] ; son style m’a quelquefois fait oublier

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je suis à présent bien convaincu qu’avec beaucoup d’esprit on peut être bien… J’ai été très-content du premier tome, qui ôte bien du prix à ses cadets. On remarque surtout, dans les quatre derniers, un auteur qui est lassé d’avoir la plume à la main, et qui court au grand galop à la fin de l’ouvrage. J’ai imité l’auteur en cela, et je me suis dépêché d’achever. J’ai reconnu le portrait de B… ; c’est un des plus mauvais endroits de tout l’ouvrage ; mais en vérité il me semble que je parle un peu trop des personnes que je hais, lorsque je ne devrais parler que de celle que j’adore. Que je vous sais bon gré, mon cher cœur, d’avoir pris le bon de votre mère, et d’en avoir laissé le mauvais ! Mais que je vous saurai bien meilleur gré lorsque vous la quitterez entièrement, et que vous abandonnerez un pays que vous ne devez plus regarder qu’avec horreur ! Peut-être, dans le temps que je vous parle de voyage, n’êtes-vous guère en état d’en faire ; peut-être êtes-vous actuellement souffrante dans votre lit… Qu’il vaudrait bien mieux que je fusse dans votre chambre au lieu d’elle ! Mes tendres baisers vous en convaincraient, ma bouche serait collée sur la vôtre. Je vous demande pardon, ma belle Pimpette, de vous parler avec cette liberté ; ne prenez mes expressions que comme un excès d’amour, et non comme un manque de respect. Ah ! je n’ai plus qu’une grâce à vous demander : c’est que vous ayez soin de votre santé, et que vous m’en disiez des nouvelles. Adieu, mon cher cœur ; voilà peut-être la dernière lettre que je daterai de la Haye. Je vous jure une constance éternelle ; vous seule pouvez me rendre heureux, et je suis trop heureux déjà quand je me remets dans l’esprit les tendres sentiments que vous avez pour moi ; mon amour les mérite. Je me rends avec plaisir ce témoignage ; je connais trop bien le prix

de votre cœur pour ne vouloir pas m’en rendre digne : adieu, mon adorable Olympe ; adieu, ma chère ; si on pouvait écrire en des baisers, je vous en enverrais une infinité par le courrier. Je baise, au lieu de vous, vos précieuses lettres, où je lis ma félicité. Adieu, mon cher cœur.

Arouet.


15. — DE MADEMOISELLE DUNOYER[37].

Dans l’incertitude où je suis si j’aurai le plaisir de te voir ce soir, je t’avertis que ce n’était pas M. de La Bruyère[38], qui était hier chez nous. C’est une méprise de la cordonnière, qui nous alarma fort mal à propos. Ma mère ne sait pas que je t’ai parlé, et, grâce au ciel, elle te croit déjà parti. Je ne te parlerai point de ma santé ; c’est ce qui me touche le moins, et je pense trop à toi pour avoir le temps de penser à moi-même. Je t’assure, mon cher cœur, que si je doutais de ta tendresse je me réjouirais de mon mal ; oui, mon cher enfant, la vie me serait trop à charge si je n’avais la douce espérance d’être aimée de ce que j’ai de plus cher au monde.

Fais ce que tu pourras pour que je te voie ce soir : tu n’auras qu’à descendre dans la cuisine du cordonnier, et je te réponds que tu n’as rien à craindre, car notre faiseuse de quintessence[39] te croit déjà à moitié chemin de Paris. Ainsi, si tu le veux, j’aurai le plaisir de te voir ce soir ; et si cela ne se peut pas, permets-moi d’aller à la messe de l’hôtel. Je prierai M. La Bruyère de me montrer la chapelle : la curiosité est permise aux femmes ; et puis, sans faire semblant de rien, je lui demanderai si l’on n’a pas encore de tes nouvelles, et depuis quand tu es parti. Ne me refuse pas cette grâce, mon cher Arouet, je te le demande au nom de ce qu’il y a de plus tendre, c’est-à-dire au nom de l’amour que j’ai pour toi. Adieu, mon aimable enfant ; je t’adore, et je te jure que mon amour durera autant que ma vie !

Dunoyer.

P. S. Au moins, si je n’ai pas le plaisir de te voir, ne me refuse pas la satisfaction de recevoir de tes chères nouvelles.


16. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Du fond d’un yacht, ce 19 décembre.

Je suis parti hier lundi, à huit heures du matin, avec M. de M ***. Lefèvre nous accompagna jusqu’à Rotterdam, où nous prîmes un yacht qui doit nous conduire à Anvers ou à Gand. Je n’ai pu vous écrire de Rotterdam, et Lefèvre s’est chargé de vous donner de mes nouvelles ; je pars sans vous voir, ma chère Pimpette, et le chagrin dont je suis rongé actuellement est aussi grand que mon amour. Je vous laisse dans la situation du monde la plus cruelle ; je connais tous vos malheurs mieux que vous, et je les regarde comme les miens, d’autant plus que vous les méritez moins. Si la certitude d’être aimé peut servir de quelque consolation, nous devons un peu nous consoler tous deux ; mais que nous servira le bonheur de nous aimer, sans celui de nous voir ? C’est alors que je pourrais avec raison me regarder comme le plus heureux de tous les hommes. Comme j’aime votre vertu autant que vous, n’ayez aucun scrupule sur le retour que vous devez à ma tendresse. Je fais humainement tout ce que je puis pour vous tirer du comble des malheurs où vous êtes. N’allez pas changer de résolution, vous en seriez cruellement punie, en restant dans le pays où vous êtes. Le désir que j’ai de vous procurer le sort que vous méritez me force à vous parler ainsi ; quelque part que je sois, je passerai des jours bien tristes si je les passe sans vous ; mais je mènerai une vie bien plus misérable si la seule personne que j’aime reste dans le malheur ; je crois que vous avez pris une ferme résolution que rien ne peut changer ; l’honneur vous engage à quitter la Hollande : que je suis heureux que l’honneur se trouve d’accord avec l’amour ! Écrivez-moi à Paris, à mon adresse, tous les ordinaires ; mandez-moi les moindres particularités qui vous regarderont : ne manquez pas à m’envoyer, dans la première lettre que vous m’écrirez, une autre lettre s’adressant à moi, dans laquelle vous me parlerez comme à un ami et non comme à un amant ; vous y ferez succinctement la peinture de tous vos malheurs : que votre vertu y paraisse dans tout son jour sans affectation. Enfin servez-vous de tout votre esprit pour m’écrire une lettre que je puisse montrer à ceux à qui je serai obligé de parler de vous : que notre tendresse cependant ne perde rien à tout cela ; et si, dans cette lettre dont je vous parle, vous ne me parlez que d’estime, marquez-moi, dans l’autre, tout l’amour que le mien mérite ; surtout informez-moi de votre chère santé, pour laquelle je tremble ; vous aurez besoin de toute votre force pour soutenir les fatigues du voyage sur lequel je compte ; et il faudra, ou que monsieur votre père soit aussi fou que M. B…[40], ou que vous reveniez en France jouir du bien-être que vous méritez ; mais je me fais déjà les idées les plus agréables du monde de votre séjour à Paris. Vous seriez bien cruelle envers vous et envers moi si vous trompiez mes espérances ; mais non, vous n’avez pas besoin d’être fortifiée dans vos bons sentiments ; et, au regret près d’être séparé de vous pour quelque temps, je n’ai point à me plaindre. La première chose que je ferai, en arrivant à Paris, ce sera de mettre le P. Tournemine[41] dans vos intérêts, ensuite je rendrai vos lettres ; je serai obligé d’expliquer à mon père le sujet de mon retour, et je me flatte qu’il ne sera pas tout à fait fâché contre moi, pourvu qu’on ne l’ait point prévenu ; mais, quand je devrais encourir toute sa colère, je me croirai toujours trop heureux lorsque je penserai que vous êtes la personne du monde la plus aimable, et que vous m’aimez. Je n’ai point passé dans ma petite vie de plus doux moments que ceux où vous m’avez juré que vous répondiez à ma tendresse ; continuez-moi ces sentiments, autant que je les mériterai, et vous m’aimerez toute votre vie. Cette lettre-ci vous viendra, je crois, par Gand, où nous devons aborder : nous avons un beau temps et un bon vent, et par-dessus cela, de bon vin et de bons pâtés, de bons jambons et de bons lits. Nous ne sommes que nous deux, M. de M*** et moi, dans un grand yacht : il s’occupe à écrire, à manger, à boire, et à dormir, et moi à penser à vous : je ne vous vois point, et je vous jure que je ne m’aperçois point que je suis dans la compagnie d’un bon pâté et d’un homme d’esprit. Ma chère Olympe me manque, mais je me flatte qu’elle ne me manquera pas toujours, puisque je ne voyage que pour vous faire voyager vous-même. N’allez pas prendre pourtant exemple sur moi ; ne vous affligez point, et joignez à la faveur que vous me faites de m’aimer celle de me faire espérer que je vous verrai bientôt ; encore un coup écrivez-moi tous les ordinaires, et, si vous êtes sage, brûlez mes lettres, et ne m’exposez point une seconde fois au chagrin de vous voir maltraitée pour moi ; ne vous exposez point aux fureurs de votre mère ; vous savez de quoi elle est capable. Hélas ! vous ne l’avez que trop expérimenté ; dissimulez avec elle, c’est le seul parti qu’il y a à prendre : dites, ce que j’espère que vous ne ferez jamais, dites que vous m’avez oublié ; dites que vous me haïssez, et aimez-m’en davantage ; conservez votre santé et vos bonnes intentions. Plût au ciel que vous fussiez déjà à Paris : ah ! que je me récompenserais bien alors de notre cruelle séparation ! Ma chère Pimpette, vous aurez toujours en moi un véritable amant et un véritable ami ; qu’on est heureux quand on peut unir ces deux titres, qui sont garants l’un de l’autre ! Adieu, mon adorable maîtresse ; écrivez-moi dès que vous aurez reçu ma lettre, et adressez la vôtre à Paris ; surtout ne manquez pas à m’envoyer celle que je vous demande, au commencement de celle-ci : rien n’est plus essentiel. Je crois que vous êtes à présent en état d’écrire, et, comme on se persuade ce qu’on souhaite, je me flatte que votre santé est rétablie. Hélas ! votre maladie m’a privé du plaisir de recevoir de vos nouvelles ; réparons vite le temps perdu. Adieu, mon cher cœur ; aimez-moi autant que je vous aime : si vous m’aimez, ma lettre est bien courte. Adieu, ma chère maîtresse ; je vous estime trop pour ne vous pas aimer toujours.


17. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Paris, ce jeudi matin, 28 décembre.

Je suis parti de la Haye, avec M. de M***, le lundi dernier, à huit heures du matin ; nous nous embarquâmes à Rotterdam, où il me fut absolument impossible de vous écrire. Je chargeai Lefèvre de vous instruire de mon départ. Au lieu de prendre la route d’Anvers, où j’attendais une de vos lettres, nous prîmes celle de Gand. Je mis donc à Gand une lettre pour vous à la poste, à l’adresse de Mme  Santoc de Maisan. J’arrivai à Paris, la veille de Noël. La première chose que j’ai faite, a été de voir le P. Tournemine. Ce jésuite m’avait écrit à la Haye, le jour que j’en partis : il fait agir pour vous monsieur l’évêque d’Évreux[42], votre parent ; je lui ai remis entre les mains vos trois lettres, et on dispose actuellement monsieur votre père à vous revoir bientôt : voilà ce que j’ai fait pour vous ; voici mon sort actuellement. À peine suis-je arrivé à Paris que j’ai appris que M. L***[43] avait écrit à mon père, contre moi, une lettre sanglante ; qu’il lui avait envoyé les lettres que madame votre mère lui avait écrites, et qu’enfin mon père a une lettre de cachet pour me faire enfermer ; je n’ose me montrer : j’ai fait parler à mon père. Tout ce qu’on a pu obtenir de lui a été de me faire embarquer pour les îles ; mais on n’a pu le faire changer de résolution sur son testament qu’il a fait, dans lequel il me déshérite. Ce n’est pas tout, depuis plus de trois semaines je n’ai point reçu de vos nouvelles ; je ne sais si vous vivez et si vous ne vivez point bien malheureusement ; je crains que vous ne m’ayez écrit à l’adresse de mon père, et que votre lettre n’ait été ouverte par lui. Dans de si cruelles circonstances je ne dois point me présenter à messieurs vos parents ; ils ignoreront tous que c’est par moi que vous revenez en France, et c’est actuellement le P. Tournemine qui est entièrement chargé de votre affaire. Vous voyez à présent que je suis dans le comble du malheur, et qu’il est absolument impossible d’être plus malheureux, à moins que d’être abandonné de vous. Vous voyez, d’un autre côté, qu’il ne tient plus qu’à vous d’être heureuse ; vous n’avez plus qu’un pas à faire : partez dès que vous aurez reçu les ordres de monsieur votre père ; vous serez aux Nouvelles-Catholiques avec Mme  Constantin[44] ; il vous sera aisé de vous faire chérir de toute votre famille, et de gagner entièrement l’amitié de monsieur votre père, et de vous faire à Paris un sort heureux. Vous m’aimez, ma chère Olympe, vous savez combien je vous aime ; certainement ma tendresse mérite du retour. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour vous remettre dans votre bien-être ; je me suis plongé, pour vous rendre heureuse, dans le plus grand des malheurs : vous pouvez me rendre le plus heureux de tous les hommes ; pour cela revenez en France, rendez-vous heureuse vous-même, alors je me croirai bien récompensé. Je pourrai, en un jour, me raccommoder entièrement avec mon père ; alors nous jouirons en liberté du plaisir de nous voir. Je me représente ces moments heureux comme la fin de tous nos chagrins, et comme le commencement d’une vie douce et aimable, telle que vous devez la mener à Paris. Si vous avez assez d’inhumanité pour me faire perdre le fruit de tous mes malheurs, et pour vous obstiner à rester en Hollande, je vous promets bien sûrement que je me tuerai à la première nouvelle que j’en aurai. Dans le triste état où je suis, vous seule pouvez me faire aimer la vie ; mais, hélas ! je parle ici de mes maux, tandis que peut-être vous êtes plus malheureuse que moi : je crains tout pour votre santé, je crains tout de votre mère ; je me forme là-dessus des idées affreuses. Au nom de Dieu, éclaircissez-moi ; mais, hélas ! je crains même que vous ne receviez point ma lettre. Ah ! que je suis malheureux, mon cher cœur, et que mon cœur est livré à une profonde et juste tristesse ! Peut-être m’avez-vous écrit à Anvers ou à Bruxelles ; peut-être m’avez vous écrit à Paris ; mais enfin depuis trois semaines je n’ai point reçu de vos nouvelles. Écrivez-moi tout, le plus tôt que vous pourrez, à M. Dutilly, rue Maubuée, à la Rose rouge. Écrivez-moi une lettre bien longue, qui m’instruise sûrement de votre situation. Nous sommes tous deux bien malheureux, mais nous nous aimons ; une tendresse mutuelle est une consolation bien douce ; jamais amour ne fut égal au mien, parce que personne ne mérita jamais mieux que vous d’être aimée. Si mon sincère attachement peut vous consoler, je suis consolé moi-même. Une foule de réflexions se présentent à mon esprit ; je ne puis les mettre sur le papier : la tristesse, la crainte, et l’amour, m’agitent violemment ; mais j’en reviens toujours à me rendre le secret témoignage que je n’ai rien fait contre l’honnête homme, et cela me sert beaucoup à me faire supporter mes chagrins. Je me suis fait un vrai devoir de vous aimer ; je remplirai ce devoir toute ma vie : vous n’aurez jamais assez de cruauté pour m’abandonner. Ma chère Pimpette, ma belle maîtresse, mon cher cœur, écrivez-moi bientôt, ou plutôt sur-le-champ : dès que j’aurai vu votre lettre, je vous manderai mon sort. Je ne sais pas encore ce que je deviendrai ; je suis dans une incertitude affreuse sur tout ; je sais seulement que je vous aime. Ah ! quand pourrai-je vous embrasser, mon cher cœur !

Arouet.
18. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Paris, 2 janvier 1714.

Depuis que je suis à Paris, j’ai été moi-même à la grande poste tous les jours, afin de retirer vos lettres, que je craignais qui ne tombassent entre les mains de mon père. Enfin je viens d’en recevoir une, ce mardi au soir, 2 janvier : elle est datée de la Haye, du 28 décembre, et j’y fais réponse sur-le-champ. J’ai baisé mille fois cette lettre, quoique vous ne m’y parliez pas de votre amour ; il suffit qu’elle vienne de vous pour qu’elle me soit infiniment chère : je vous prouverai pourtant, par ma réponse, que je ne suis pas si poli que vous le dites ; je ne vous appellerai point madame, comme vous m’appelez monsieur ; je ne puis que vous nommer ma chère, et si vous vous plaignez de mon peu de politesse, vous ne vous plaindrez pas de mon peu d’amour. Comment pouvez-vous soupçonner cet amour, qui ne finira qu’avec moi ? Et comment pouvez-vous me reprocher ma négligence ? Ce serait bien à moi à vous gronder, puisque aussi bien je renonce à la politesse, ou plutôt je suis bien malheureux que vous n’ayez pas reçu deux lettres que je vous écrivis, l’une de Gand et l’autre de Paris. Ne seriez-vous point vous-même assez négligente pour n’avoir point retiré ces lettres ? Si vous les avez vues, vous condamnerez bien vos reproches et vos soupçons ; vous y aurez lu que je suis plus malheureux que vous, et que je vous aime plus que vous ne m’aimez. Vous aurez appris que M. Ch…[45] écrivit à mon père, déjà irrité contre moi, une lettre telle qu’il n’en écrirait point contre un scélérat. J’arrivai à Paris dans le temps que, sur la foi de cette lettre, mon père avait obtenu une lettre de cachet pour me faire enfermer, après m’avoir déshérité. Je me suis caché pendant quelques jours, jusqu’à ce que mes amis l’aient un peu apaisé, c’est-à-dire l’aient engagé à avoir du moins la bonté de m’envoyer aux îles, avec du pain et de l’eau : voilà tout ce que j’ai pu obtenir de lui, sans avoir pu même le voir. J’ai employé les moments où j’ai pu me montrer en ville à voir le P. Tournemine, et je lui ai remis les lettres dont vous m’avez chargé. Il engage l’évêque d’Évreux dans vos intérêts. Pour moi, je me donnerai bien de garde que votre famille puisse seulement soupçonner que je vous connais : cela gâterait tout, et vous savez que votre intérêt seul me fait agir. Je ne m’arrête point à me plaindre inutilement de l’imprudence avec laquelle nous avons tous deux agi à la Haye : c’est cette imprudence qui sera cause de bien des maux ; mais enfin cette faute est faite, et l’excuse peut seule la réparer. Je vous ai déjà dit, dans mes lettres, que la consolation d’être aimé fait oublier tous les chagrins ; nous avons l’un et l’autre trop besoin de consolation pour ne nous pas aimer toujours : il viendra peut-être un temps où nous serons plus heureux, c’est-à-dire où nous pourrons nous voir ; cédons à la nécessité, et écrivons-nous bien régulièrement, vous à M. Dutilly, rue Maubuée, à la Rose rouge, et moi à Mme  Bonnet. Je vous donnerai peut-être bientôt une autre adresse pour moi, car je crois que je partirai incessamment pour Brest ; ne laissez pas pourtant de m’écrire à Paris ; mandez moi les moindres particularités qui vous regardent ; mandez-moi vos sentiments surtout, et soyez persuadée que je vous aimerai toujours, ou je serai le plus malheureux de tous les hommes. Vous savez bien, ma chère Olympe, que mon amour n’est point du genre de celui de la plupart des jeunes gens, qui ne cherchent en aimant qu’à contenter la débauche et leur vanité : regardez-moi comme un amant, mais regardez-moi comme un ami véritable ; ce mot renferme tout. L’éloignement des lieux ne changera rien à mon cœur : si vous me croyez, je vous demande, pour prix de ma tendresse, une lettre de huit pages écrites menu ; j’oubliais à vous dire que les deux que vous n’avez point reçues sont à l’adresse de Mme  Santoc de Maisan, à la Haye. Récrivez-moi sur-le-champ, afin que, si vous avez quelques ordres à me donner, votre lettre me trouve encore à Paris prêt à les exécuter : je me réserve, comme vous, à vous mander certaines choses lorsque j’aurai reçu votre réponse. Adieu, ma belle maîtresse ; aimez un peu un malheureux amant qui voudrait donner sa vie pour vous rendre heureuse ; adieu, mon cœur.

Arouet.



19. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

À Paris, ce 20 janvier.

J’ai reçu, ma chère Olympe, votre lettre du 1er de ce mois, par laquelle j’ai appris votre maladie. Il ne me manquait plus qu’une telle nouvelle pour achever mon malheur ; et comme un mal ne vient jamais seul, les embarras où je me suis trouvé m’ont privé du plaisir de vous écrire, la semaine passée. Vous me demanderez quel est cet embarras : c’était de faire ce que vous m’avez conseillé. Je me suis mis en pension chez un procureur[46], afin d’apprendre le métier de robin auquel mon père me destine, et je crois par là regagner son amitié. Si vous m’aimiez autant que je vous aime, vous vous rendriez un peu à mes prières, puisque j’obéis si bien à vos ordres. Me voilà fixé à Paris pour longtemps : est-il possible que j’y serai sans vous ? Ne croyez pas que l’envie de vous voir ici n’ait pour but que mon plaisir ; je regarde votre intérêt plus que ma satisfaction, et je crois que vous en êtes bien persuadée ; songez par combien de raisons la Hollande doit vous être odieuse. Une vie douce et tranquille à Paris n’est-elle pas préférable à la compagnie de madame votre mère ? Et des biens considérables dans une belle ville ne valent-ils pas mieux que la pauvreté à la Haye ? Ne vous piquez pas là-dessus de sentiments que vous nommez héroïques ; l’intérêt ne doit jamais, je l’avoue, être assez fort pour faire commettre une mauvaise action ; mais aussi le désintéressement ne doit pas empêcher d’en faire une bonne, lorsqu’on y trouve son compte. Croyez-moi, vous méritez d’être heureuse, vous êtes faite pour briller partout ; on ne brille point sans biens, et on ne vous blàmera jamais lorsque vous jouirez d’une bonne fortune, et vos calomniateurs vous respecteront alors ; enfin vous m’aimez, et je ne serais pas retourné en France si je n’avais cru que vous me suivriez bientôt ; vous me l’avez promis, et vous, qui avez de si beaux sentiments, vous ne trahirez pas vos promesses. Vous n’avez qu’un moyen pour revenir : M. Le Normant, évêque d’Évreux, est, je crois, votre cousin ; écrivez-lui, et que la religion et l’amitié pour votre famille soient vos deux motifs auprès de lui ; insistez surtout sur l’article de la religion ; dites-lui que le roi souhaite la conversion des huguenots, et que, étant ministre du Seigneur, et votre parent, il doit, par toutes sortes de raisons, favoriser votre retour ; conjurez-le d’engager monsieur votre père dans un dessein si juste ; marquez-lui que vous voulez vous retirer dans une communauté, non comme religieuse pourtant, je n’ai garde de vous le conseiller : ne manquez pas à le nommer monseigneur. Vous pouvez adresser votre lettre à Monseigneur l’évêque d’Évreux, à Évreux, en Normandie ; je vous manderai le succès de la lettre, que je saurai par le P. Tournemine. Que je serais heureux si, après tant de traverses, nous pouvions nous revoir à Paris ! Le plaisir de vous voir réparerait mes malheurs ; et si ma fidélité peut réparer les vôtres, vous êtes sûre d’être consolée. En vérité ce n’est qu’en tremblant que je songe à tout ce que vous avez souffert, et j’avoue que vous avez besoin de consolation : que ne puis-je vous en donner, en vous disant que je vous aimerai toute ma vie ! Ne manquez pas, je vous en conjure, d’écrire à l’évêque d’Évreux, et cela le plus tôt que vous pourrez : mandez-moi comment vous vous portez depuis votre maladie, et écrivez-moi : À M. de Saint-Fort, chez M. Alain, procureur au Châtelet, rue Pavée-Saint-Bernard. Adieu, ma chère Pimpette ; vous savez que je vous aimerai toujours.

Arouet.
20. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Paris, le 10 février.

Ma chère Pimpette, toutes les fois que vous ne m’écrivez point, je m’imagine que vous n’avez point reçu mes lettres : car je ne peux croire que l’éloignement des lieux ait fait sur vous ce qu’il ne peut faire sur moi, et, comme je vous aime toujours, je me persuade que vous m’aimez encore. Éclaircissez-moi donc de deux choses : l’une, si vous avez reçu mes deux dernières lettres, et si je suis encore dans votre cœur ; mandez-moi surtout si vous avez reçu ma dernière, que je vous écrivis le 20 janvier, dans laquelle il était parlé de l’évêque d’Évreux, et d’autres personnes dont j’ai hasardé les noms ; mandez-moi quelque chose de certain par votre réponse à cette lettre ; surtout instruisez-moi, je vous conjure, de l’état de votre santé et de vos affaires ; adressez votre lettre à M. le chevalier de Saint-Fort, chez M. Alain, près les degrés de la place Maubert. Que votre lettre soit plus longue que la mienne ; je trouverai toujours plus de plaisir à lire une de vos lettres de quatre pages que vous n’en aurez à en lire de moi une de deux lignes.

Arouet.



21. — À MADAME LA MARQUISE DE MIMEURE.[47]
(Juillet) 1715.

J’ai vu, madame, votre petite chienne, votre petit chat, et Mlle Aubert. Tout cela se porte bien, à la réserve de Mlle Aubert, qui a été malade, et qui, si elle n’y prend garde, n’aura point de gorge pour Fontainebleau. À mon gré c’est la seule chose qui lui manquera, et je voudrais de tout mon cœur que sa gorge fût aussi belle et aussi pleine que sa voix.

Puisque j’ai commencé par vous parler de comédiennes, je vous dirai que la Duclos[48] ne joue presque point, et qu’elle prend tous les matins quelques prises de séné et de casse, et le soir plusieurs prises du comte d’Uzès. N*** adore toujours la dégoûtante Lavoie, et le maigre N*** a besoin de recourir aux femmes, car les hommes l’ont abandonné. Au reste, on ne nous donne plus que de très-mauvaises pièces, jouées par de très-mauvais acteurs. En récompense, Mlle  de Moutbrun[49] récite très-joliment des pièces comiques. Je l’ai entendue déclamer des rôles du Misanthrope avec beaucoup d’art et beaucoup de naturel. Je ne vous dis rien de l’Important[50], car je vous écris avant la représentation, et je veux me réserver une occasion de vous écrire une seconde fois.

On joue à l’Opéra Zéphyre et Flore[51]. On imprime l’Anti-Homère de Terrasson[52], et les vers héroïques, moraux, chrétiens, et galants, de l’abbé du Jarry[53]. Jugez, madame, si on peut en conscience m’interdire la satire ; permettez-moi donc d’être un peu malin.

J’ai pourtant une plus grande grâce à vous demander : c’est la permission d’aller rendre mes devoirs à M. de Mimeure et à vous, dans l’un de vos châteaux où peut-être vous ennuyez-vous quelquefois. Je sais bien que je perdrais auprès de vous tout le fiel dont je me nourris à Paris ; mais afin de ne me pas gâter tout à fait, je ne resterais que huit ou dix jours avec vous. Je vous apporterais ce que j’ai fait d’Œdipe. Je vous demanderais vos conseils sur ce qui est déjà fait, et sur ce qui n’est pas travaillé, et j’aurais à M. de Mimeure et à vous une obligation de faire une bonne pièce.

Je n’ose pas vous parler des occupations auxquelles vous avez dit que vous vous destiniez pendant votre solitude. Je me flatte pourtant que vous voudrez bien m’en faire la confidence tout entière :

Car nous savons que Vénus et Minerve
De leurs trésors vous comblent sans réserve.

Les Grâces même et la troupe des Ris,
Quoiqu’ils soient tous citoyens de Paris,
Et qu’en ces lieux ils se plaisent à vivre,
Jusqu’en province ont bien voulu vous suivre.

Ayez donc la bonté de m’envoyer, madame, signée de votre main, la permission de venir vous voir. Je n’écris point à M. de Mimeure, parce que je compte que c’est lui écrire en vous écrivant. Permettez-moi seulement, madame, de l’assurer de mon respect et de l’envie extrême que j’ai de le voir.



22. — À M. L’ABBÉ DE CHAULIEU.
De Sully, 20 juin 1716.

Monsieur, vous avez beau vous défendre d’être mon maître, vous le serez, quoi que vous en disiez. Je sens trop le besoin que j’ai de vos conseils ; d’ailleurs les maîtres ont toujours aimé leurs disciples, et ce n’est pas là une des moindres raisons qui m’engagent à être le vôtre. Je sens qu’on ne peut guère réussir dans les grands ouvrages sans un peu de conseils et beaucoup de docilité. Je me souviens bien des critiques que monsieur le grand-prieur[54], et vous, me fîtes dans un certain souper chez M. l’abbé de Bussy. Ce souper-là fit beaucoup de bien à ma tragédie, et je crois qu’il me suffirait pour faire un bon ouvrage de boire quatre ou cinq fois avec vous. Socrate donnait ses leçons au lit, et vous les donnez à table : cela fait que vos leçons sont sans doute plus gaies que les siennes.

Je vous remercie infiniment de celles que vous m’avez données sur mon épître à M. le Régent ; et quoique vous me conseilliez de louer, je ne laisserai pas de vous obéir.

Malgré le penchant de mon cœur,
À vos conseils je m’abandonne.
Quoi ! je vais devenir flatteur !
Et c’est Chaulieu qui me l’ordonne !

Je ne puis vous en dire davantage, car cela me saisit. Je suis, avec une reconnaissance infinie, etc.

23. — À M. L’ABBÉ DE CHAULIEU.
De Sully, 15 juillet 1716.

À vous, l’Anacréon du Temple ;
À vous, le sage si vanté,
Qui nous prêchez la volupté
Par vos vers et par votre exemple,
Vous dont le luth délicieux.
Quand la goutte au lit vous condamne,
Rend des sons aussi gracieux
Que quand vous chantez la tocane[55],
Assis à la table des dieux.

Je vous écris, monsieur, du séjour du monde le plus aimable, si je n’y étais point exilé, et dans lequel il ne me manque, pour être parfaitement heureux, que la liberté d’en pouvoir sortir. C’est ici que Chapelle a demeuré, c’est-à-dire s’est enivré deux ans de suite. Je voudrais bien qu’il eût laissé dans ce château un peu de son talent poétique : cela accommoderait fort ceux qui veulent vous écrire. Mais, comme on prétend qu’il vous l’a laissé tout entier, j’ai été obligé d’avoir recours à la magie, dont vous m’avez tant parlé ;

Et dans une tour assez sombre
Du château qu’habita jadis
Le plus léger des beaux esprits,
Un beau soir j’évoquai son ombre.
Aux déités des sombres lieux
Je ne fis point de sacrifice.
Comme ces fripons qui des dieux
Chantaient autrefois le service ;
Ou la sorcière Pythonisse,
Dont la grimace et l’artifice
Avaient fait dresser les cheveux
À ce sot prince des Hébreux,
Qui crut bonnement que le diable
D’un prédicateur ennuyeux
Lui montrait le spectre effroyable.
Il n’y faut point tant de façon
Pour une ombre aimable et légère :
C’est bien assez d’une chanson,
Et c’est tout ce que je puis faire.

Je lui dis sur mon violon :
« Eh ! de grâce, monsieur Chapelle,
Quittez le manoir de Pluton,
Pour cet enfant qui vous appelle.
Mais non, sur la voûte éternelle
Les dieux vous ont reçu, dit-on,
Et vous ont mis entre Apollon
Et le fils joufflu de Sémèle.
Du haut de ce divin canton,
Descendez, aimable Chapelle. »
Cette familière oraison
Dans la demeure fortunée
Reçut quelque approbation :
Car enfin, quoique mal tournée,
Elle était faite en votre nom.
Chapelle vint. À son approche
Je sentis un transport soudain ;
Car il avait sa lyre en main,
Et son Gassendi[56] dans sa poche ;
Il s’appuyait sur Bachaumont,
Qui lui servit de compagnon
Dans le récit de ce Voyage,
Qui du plus charmant badinage
Fut la plus charmante leçon.

Je vous dirai pourtant en confidence, et si la poste ne me pressait, je vous le rimerais ; ce Bachaumont n’est pas trop content de Chapelle. Il se plaint qu’après avoir tous deux travaillé aux mêmes ouvrages, Chapelle lui a volé la moitié de la réputation qui lui appartenait. Il prétend que c’est à tort que le nom de son compagnon a étouffé le sien : car c’est moi, me dit-il tout bas à l’oreille, qui ai fait les plus jolies choses du Voyage, et, entre autres,

Sous ce berceau qu’Amour exprès…

Mais il ne s’agit pas ici de rendre justice à ces deux messieurs ; il suffit de vous dire que je m’adressai à Chapelle pour lui demander comment il s’y prenait autrefois dans le monde


Pour chanter toujours sur sa lyre,
Ces vers aisés, ces vers coulants,

De la nature heureux enfants,
Où l’art ne trouve rien à dire.
« L’amour, me dit-il, et le vin
Autrefois me firent connaître
Les grâces de cet art divin ;
Puis à Chaulieu l’épicurien
Je servis quelque temps de maître :
Il faut que Chaulieu soit le tien. »


24. — À M. LE DUC DE BRANCAS.[57]
Sully, 1716.

Monsieur le duc, je crois qu’il suffit d’être malheureux et innocent pour compter sur votre protection, et je vous puis assurer que je la mérite. Je ne me plains point d’être exilé, mais d’être soupçonné de vers infâmes, également indignes, j’ose le dire, de la façon dont je pense et de celle dont j’écris. Je m’attendais bien à être calomnié par les mauvais poètes, mais pas à être puni par un prince qui aime la justice. Souffrez que je vous présente une Épître[58] en vers que j’ai composée pour monseigneur le Régent, Si vous la trouvez digne de vous, elle le sera de lui, et je vous supplie de la lui faire lire dans un de ces moments qui sont toujours favorables aux malheureux, quand ce prince les passe avec vous. J’ai taché d’éviter dans cet ouvrage les flatteries trop outrées et les plaintes trop fortes, et d’y être libre sans hardiesse. Si j’avais l’honneur d’être plus connu de vous que je ne le suis, vous verriez que je parle dans cet écrit comme je pense ; et si la poésie ne vous en plaît pas, vous en aimeriez du moins la vérité.

Permettez-moi de vous dire que, dans un temps comme celui-ci, où l’ignorance et le mauvais goût commencent à régner, vous êtes d’autant plus obligé de soutenir les beaux-arts que vous êtes presque le seul qui puisse le faire ; et qu’en protégeant ceux qui les cultivent avec quelque succès, vous ne protégez que vos admirateurs ; je ne me servirai point ici du droit qu’ont tous les poètes de comparer leur patron à Mécène.


Ainsi que toi, régissant des provinces.
Comblé d’honneurs, et des peuples chéri,

L’heureux Mécène était le favori
Du dieu des vers et du plus grand des princes ;
Mais à longs traits goûtant la volupté,
Son premier dieu ce fut l’oisiveté.
Si quelquefois réveillant sa mollesse,
Sa main légère, entre Horace et Maron,
Daignait toucher la lyre d’Apollon,
Comme La Fare il chantait la paresse.
Pour toi, mêlant le devoir au plaisir,
Dans les travaux tu te fais un loisir ;
Tu sais charmer au conseil comme à table.
Mécène à toi n’est pas à comparer,
Et je te crois, j’ose ici l’assurer,
Moins paresseux, et non pas moins aimable.

Heureux, monsieur le duc, ceux qui peuvent jouir de votre protection et de votre entretien ! Pour moi, la seule grâce que je vous demande est celle de vous voir.


25 — À M. LE MARQUIS D’USSÉ.[59]

À Sully, 20 juillet.

Monsieur, je ne sais si vous vous souviendrez de moi, après l’honneur qu’on m’a fait de m’exiler. Souffrez que je vous demande une grâce : ce n’est point d’employer votre crédit pour moi, car je ne veux point vous proposer de vous donner du mouvement ; ce n’est point non plus d’aider à rétablir ma réputation : cela est trop difficile ; mais de me dire votre sentiment sur l’Épîre que je vous envoie. Elle ne verra le jour qu’autant que vous l’en jugerez digne, et, si vous voulez bien avoir la bonté de me faire voir toutes les fautes que vous y trouverez, je vous aurai plus d’obligation que si vous me faisiez rappeler. Peut-être êtes-vous occupé à présent autour d’un alambic, et serez-vous tenté d’allumer vos fourneaux avec mes vers ; mais, je vous supplie, que la chimie ne vous brouille point avec la poésie.

Souvenez-vous des airs charmants
Que vous chantiez sur le Parnasse,
Et cultivez en même temps
L’art de Paracelse et d’Horace.

Jusques au fond de vos fourneaux
Faites couler l’eau d’Hippocrème,
Et je vous placerai sans peine
Entre Homberg[60] et Despréaux.

Jetez donc, monsieur, un œil critique sur mon ouvrage ; et, si vous avez quelque bonté pour moi, renvoyez-le-moi avec les notes dont vous voudrez bien l’accompagner. Vous voyez bien de quelle conséquence il est pour moi que cet ouvrage soit ignoré dans le public avant d’être présenté au Régent ; et j’attends que vous me garderez le secret. Surtout ne dites point à M. le duc de Sully[61] que je vous aie écrit ; enfin, que tout ceci soit, je vous supplie, entre vous et moi.

Je suis, etc.


26. — À MADAME LA MARQUISE DE MIMEURE.
À Sully, 1716.

Je vous écris de ces rivages
Qu’habitèrent plus de deux ans
Les plus aimables personnages
Que la France ait vus de longtemps,
Les Chapelles, les Manicamps,
Ces voluptueux et ces sages
Qui, rimants, chassants, disputants,
Sur les bords heureux de la Loire,
Passaient l’automne et le printemps
Moins à philosopher qu’à boire.

Il serait délicieux pour moi de rester à Sully, s’il m’était permis d’en sortir. M. le duc de Sully est le plus aimable des hommes, et celui à qui j’ai le plus d’obligation. Son château est dans la plus belle situation du monde ; il y a un bois magnifique dont tous les arbres sont découpés par des polissons ou des amants qui se sont amusés à écrire leurs noms sur l’écorce.

À voir tant de chiffres tracés.
Et tant de noms entrelacés.
Il n’est pas malaisé de croire
Qu’autrefois le beau Céladon
A quitté les bords du Lignon
Pour aller à Sully-sur-Loire.

Il est bien juste qu’on m’ait donné un exil agréable, puisque j’étais absolument innocent des indignes chansons qu’on m’imputait. Vous seriez peut-être bien étonnée si je vous disais que dans ce beau bois, dont je viens de vous parler, nous avons des nuits blanches comme à Sceaux. Mme  de La Vrillière, qui vint ici pendant la nuit faire tapage avec Mme  de Listenay, fut bien surprise d’être dans une grande salle d’ormes, éclairée d’une infinité de lampions, et d’y voir une magnifique collation servie au son des instruments, et suivie d’un bal où parurent plus de cent masques habillés de guenillons superbes. Les deux sœurs trouvèrent des vers sur leur assiette ; on assure qu’ils sont de l’abbé Courtin. Je vous les envoie ; vous verrez de qui ils sont[62].

Après tous les plaisirs que j’ai à Sully, je n’ai plus à souhaiter que d’avoir l’honneur de vous voir à Ussé, et de vous donner des nuits blanches comme à Mme  de La Vrillière.

Je vous demande en grâce, madame, de me mander si vous n’irez point en Touraine. J’irais vous saluer dans le château de M. d’Ussé, après avoir passé quelque temps à Preuilly, chez M. le baron de Breteuil[63] ; c’est la moitié du chemin.

Ne me dédaignez pas, madame, comme l’an passé. Songez que vous écrivîtes à Roi[64], et que vous ne m’écrivîtes point. Vous devriez bien réparer vos mépris par une lettre bien longue, où vous me manderiez votre départ pour Ussé ; sinon je crois que, malgré les ordres du Régent, j’irai vous trouver à Paris, tant je suis avec un véritable dévouement, etc.


27. — À M. L’ABBÉ DE BUSSY[65].

De Sully, 1716.

Non, nous ne sommes point tous deux
Aussi méchants qu’on le publie ;
Et nous ne sommes, quoi qu’on die.
Que de simples voluptueux,
Contents de couler notre vie
Au sein des Grâces et des Jeux.

Et si dans quelque douce orgie
Votre prose et ma poésie
Contre les discours ennuyeux
Ont fait quelque plaisanterie,
Cette innocente raillerie
Dans ces repas dignes des dieux
Jette une pointe d’ambroisie.

Il me semble que je suis bien hardi de me mettre ainsi de niveau avec vous, et de faire marcher d’un pas égal les tracasseries des femmes et celles des poëtes. Ces deux espèces sont assez dangereuses. Je pourrai bien, comme vous, passer loin d’elles mon hiver ; du moins je resterai à Sully après le départ du maître de ce beau séjour. Je suis sensiblement touché des marques que vous me donnez de votre souvenir ; je le serai beaucoup plus de vous retrouver.

Ornement de la bergerie,
Et de l’Église, et de l’Amour,
Aussitôt que Flore à son tour
Peindra la campagne fleurie,
Revoyez la ville chérie
Où Vénus a fixé sa cour.
Est-il pour vous d’autre patrie ?
Et serait-il dans l’autre vie
Un plus beau ciel, un plus beau jour,
Si l’on pouvait de ce séjour
Exiler la Tracasserie ?
Évitons ce monstre odieux,
Monstre femelle dont les yeux
Portent un poison gracieux ;
Et que le ciel en sa furie.
De notre bonheur envieux,
A fait naître dans ces beaux lieux
Au sein de la galanterie.
Voyez-vous comme un miel flatteur
Distille de sa bouche impure ?
Voyez-vous comme l’Imposture
Lui prête un secours séducteur ?
Le Courroux étourdi la guide,
L’Embarras, le Soupçon timide,
En chancelant suivent ses pas.
De faux rapports l’Erreur avide
Court au-devant de la perfide.
Et la caresse dans ses bras.
Que l’Amour, secouant ses ailes,
De ces commerces infidèles

Puisse s’envoler à jamais !
Qu’il cesse de forger des traits
Pour tant de beautés criminelles !
Et qu’il vienne au fond du Marais,
De l’innocence et de la paix
Goûter les douceurs éternelles !
Je hais bien tout mauvais rimeur
De qui le bel esprit baptise
Du nom d’ennui la paix du cœur,
Et la constance, de sottise.
Heureux qui voit couler ses jours
Dans la mollesse et l’incurie,
Sans intrigues, sans faux détours,
Près de l’objet de ses amours,
Et loin de la coquetterie ?
Que chaque jour rapidement
Pour de pareils amants s’écoule !
Ils ont tous les plaisirs en foule,
Hors ceux du raccommodement.
Quelques amis dans ce commerce
De leur cœur, que rien ne traverse.
Partagent la chère moitié ;
Et dans une paisible ivresse
Ce couple avec délicatesse
Aux charmes purs de l’amitié
Joint les transports de la tendresse.

Voilà, monsieur, des médiocrités nouvelles pour l’antique gentillesse dont vous m’avez fait part. Savez-vous bien où est ce réduit dont je vous parle ? M. l’abbé Gourtin dit que c’est chez Mme de Charost[66]. En quelque endroit que ce soit, n’importe, pourvu que j’aie l’honneur de vous y voir.

Rendez-nous donc votre présence,
Galant prieur de Trigolet,
Très-aimable et très-frivolet ;
Venez voir votre humble valet
Dans le palais de la Constance.
Les Grâces, avec complaisance,
Vous suivront en petit collet ;
Et moi, leur serviteur follet,

J’ébaudirai Votre Excellence
Par des airs de mon flageolet,
Dont l’Amour marque la cadence
En faisant des pas de ballet.

En attendant, je travaille ici quelquefois au nom de M. l’abbé Courtin, qui me laisse le soin de faire en vers les honneurs de son teint fleuri et de sa croupe rebondie. Nous vous envoyons, pour vous délasser dans votre royaume, une lettre à monsieur le grand-prieur, et la réponse de l’Anacréon[67] du Temple. Je ne vous demande pour tant de vers qu’un peu de prose de votre main. Puisque vous m’exhortez à vivre en bonne compagnie, que je commence à goûter bien fort, il faudra, s’il vous plaît, que vous me souffriez quelquefois près de vous à Paris.


28. — À M. LE PRINCE DE VENDOME[68].

1716.

De Sully, salut et bon vin
Au plus aimable de nos princes.
De la part de l’abbé Courtin,
Et d’un rimailleur des plus minces,
Que son bon ange et son lutin
Ont envoyé dans ces provinces.

Vous voyez, monseigneur, que l’envie de faire quelque chose pour vous a réuni deux hommes bien différents.

L’un, gras, rond, gros, court, séjourné.
Citadin de Papimanie[69],
Porte un teint de prédestiné.
Avec la croupe rebondie.
Sur son front respecté du temps,
Une fraîcheur toujours nouvelle
Au bon doyen de nos galants
Donne une jeunesse éternelle.
L’autre dans Papefigue est né ;
Maigre, long, sec, et décharné,
N’ayant eu croupe de sa vie,
Moins malin qu’on ne vous le dit,

Mais peut-être de Dieu maudit,
Puisqu’il aime et qu’il versifie.

Notre premier dessein était d’envoyer à Votre Altesse un ouvrage dans les formes, moitié vers, moitié prose, comme en usaient les Chapelle, les Desbarreaux, les Hamilton, contemporains de l’abbé, et nos maîtres. J’aurais presque ajouté Voiture, si je ne craignais de fâcher mon confrère, qui prétend, je ne sais pourquoi, n’être pas assez vieux pour l’avoir vu.

L’abbé, comme il est paresseux,
Se réservait la prose à faire,
Abandonnant à son confrère
L’emploi flatteur et dangereux
De rimer quelques vers heureux,
Qui peut-être auraient pu déplaire
À certain censeur rigoureux
Dont le nom doit ici se taire.

Comme il y a des choses assez hardies à dire par le temps qui court, le plus sage de nous deux, qui n’est pas moi, ne voulait en parler qu’à condition qu’on n’en saurait rien.

Il alla donc vers le dieu du mystère[70],
Dieu des Normands, par moi très-peu fêté,
Qui parle bas quand il ne peut se taire,
Baisse les yeux et marche de côté.
Il favorise, et certes c’est dommage,
Force fripons ; mais il conduit le sage.
Il est au bal, à l’église, à la cour ;
Au temps jadis il a guidé l’Amour.

Malheureusement ce dieu n’était pas à Sully ; il était en tiers, dit-on, entre M. l’archevêque de… et Mme  de… sans cela nous eussions achevé notre ouvrage sous ses yeux.

Nous eussions peint les jeux voltigeant sur vos traces ;
Et cet esprit charmant, au sein d’un doux loisir,

Agréable dans le plaisir,
Héroïque dans les disgrâces.

Nous vous eussions parlé de ces bienheureux jours,

Jours consacrés à la tendresse.
Nous vous eussions, avec adresse,
Fait la peinture des amours,
Et des amours de toute espèce.

Vous en eussiez vu de Paphos,
Vous en eussiez vu de Florence ;
Mais avec tant de bienséance
Que le plus âpre des dévots
N’en eût pas fait la différence.

Bacchus y paraîtrait de tocane échauffé,

D’un bonnet de pampre coiffé,

Célébrant avec vous sa plus joyeuse orgie.
L’Imagination serait à son côté,
De ses brillantes fleurs ornant la Volupté

Entre les bras de la Folie.
Petits soupers, jolis festins.
Ce fut parmi vous que naquirent
Mille vaudevilles malins
Que les Amours, à rire enclins,
Dans leurs sottisiers recueillirent,
Et que j’ai vus entre leurs mains.
Ah ! que j’aime ces vers badins.
Ces riens naïfs et pleins de grâce
Tels que l’ingénieux Horace
En eût fait l’âme d’un repas.
Lorsqu’à table il tenait sa place
Avec Auguste et Mécénas.

Voilà un faible crayon du portrait que nous voulions faire mais

Il faut être inspiré pour de pareils écrits ;

Nous ne sommes point beaux esprits :
Et notre flageolet timide
Doit céder cet honneur charmant
Au luth aimable, au luth galant
De ce successeur de Clément,
Qui dans votre temple réside[71].
Sachez donc que l’oisiveté
Fait ici notre grande affaire[72].
Jadis de la Divinité
C’était le partage ordinaire ;

C’est le vôtre, et vous m’avouerez
Qu’après tant de jours consacrés
À Mars, à la cour, à Cythère,
Lorsque de tout on a tâté,
Tout fait, ou du moins tout tenté,
Il est bien doux de ne rien faire.



29. — À M. ***

1716.

Jouissez, monsieur, des plaisirs de Paris, tandis que je suis, par ordre du roi, dans le plus aimable château et dans la meilleure compagnie du monde. Il y a peut-être quelques gens qui s’imaginent que je suis exilé ; mais la vérité est que M. le Régent m’a donné ordre d’aller passer quelques mois dans une campagne délicieuse, où l’automne amène beaucoup de personnes d’esprit, et, ce qui vaut bien mieux, des gens d’un commerce aimable, grands chasseurs pour la plupart, et qui passent ici les beaux jours à assassiner des perdrix.

Pour moi chétif, on me condamne
À rester au sacré vallon ;
Je suis fort bien près d’Apollon,
Mais assez mal avec Diane.

Je chasse peu, je versifie beaucoup ; je rime tout ce que le hasard offre à mon imagination ;

Et, par mon démon lutiné,
On me voit souvent d’un coup d’aile
Passer des fureurs de Lainé[73]
À la douceur de Fontenelle.
Sous les ombrages toujours cois
De Sully, ce séjour tranquille,
Je suis plus heureux mille fois
Que le grand prince qui m’exile
Ne l’est près du trône des rois.

N’allez pas, s’il vous plaît, publier ce bonheur dont je vous fais confidence, car on pourrait bien me laisser ici assez de temps pour y pouvoir devenir malheureux ; je connais ma portée, je ne suis pas fait pour habiter longtemps le même lieu.

L’exil assez souvent nous donne
Le repos, le loisir, ce bonheur précieux

Qu’à bien peu de mortels ont accordé les dieux,

Et qui n’est connu de personne
Dans le séjour tumultueux
De la ville que j’abandonne.

Mais la tranquillité que j’éprouve aujourd’hui,
Ce bien pur et parfait où je n’osais prétendre,
Est parfois, entre nous, si semblable à l’ennui

Que l’on pourrait bien s’y méprendre.

Il n’a point encore approché de Sully ;

Mais maintenant dans le parterre
Vous le verrez, comme je croi,
Aux pièces du poëte Roi :
C’est là sa demeure ordinaire.

Cependant on me dit que vous ne fréquentez plus que la comédie italienne. Ce n’est pas là où se trouve ce gros dieu dont je vous parle. J’entends dire

Que tout Paris est enchanté
Des attraits de la nouveauté ;
Que son goût délicat préfère
L’enjouement agréable et fin
De Scaramouche et d’Arlequin,
Au pesant et fade Molière !



30. — À M. DE LA FAYE[74].

1716

La Faye, ami de tout le monde.
Qui savez le secret charmant
De réjouir également
Le philosophe, l’ignorant.
Le galant à perruque blonde ;
Vous qui rimez, comme Ferrand[75],
Des madrigaux, des épigrammes.
Qui chantez d’amoureuses flammes
Sur votre luth tendre et galant ;
Et qui même assez hardiment

Osâtes prendre votre place
Auprès de Malherbe et d’Horace,
Quand vous alliez sur le Parnasse
Par le café de la Laurent[76].

Je voudrais bien aller aussi au Parnasse, moi qui vous parle : j’aime les vers à la fureur ; mais j’ai un petit malheur, c’est que j’en fais de détestables, et j’ai le plaisir de jeter tous les soirs au feu tout ce que j’ai barbouillé dans la journée.

Parfois je lis une belle strophe de votre ami M. de Lamotte, et puis je me dis tout bas : « Petit misérable, quand feras-tu quelque chose d’aussi bien ? » Le moment d’après, c’est une strophe peu harmonieuse et un peu obscure, et je me dis : « Garde-toi d’en faire autant. » Je tombe sur un psaume ou sur une épigramme ordurière de Rousseau ; cela éveille mon odorat : je veux lire ses autres ouvrages, mais le livre me tombe des mains. Je vois des comédies à la glace, des opéras fort au-dessous de ceux de l’abbé Pic[77], une épître au comte d’Ayen qui est à faire vomir, un petit voyage[78] de Rouen fort insipide, une ode à M. Duché fort au-dessous de tout cela ; mais, ce qui me révolte et ce qui m’indigne, c’est le mauvais cœur qui perce à chaque ligne. J’ai lu son épître à Marot, où il y a de très-beaux morceaux ; mais je crois y voir plutôt un enragé qu’un poète. Il n’est pas inspiré, il est possédé : il reproche à l’un sa prison, à l’autre, sa vieillesse ; il appelle celui-ci athée, celui-là, maroufle. Où donc est le mérite de dire en vers de cinq pieds des injures si grossières ? Ce n’était pas ainsi qu’en usait M. Despréaux, quand il se jouait aux dépens des mauvais auteurs : aussi son style était doux et coulant ; mais celui de Rousseau me paraît inégal, recherché, plus violent que vif, et teint, si j’ose m’exprimer ainsi, de la bile qui le dévore. Peut-on souffrir qu’en parlant de M. de Crébillon, il dise qu’il vient de sa griffe Apollon molester ?

Quels vers que ceux-ci :

Ce rimeur si sucré
Devient amer, quand le cerveau lui tinte,
Plus qu’aloès ni jus de coloquinte !

(Epître à Cl. Marot.)

De plus, toute cette épître roule sur un raisonnement faux : il veut prouver que tout homme d’esprit est honnête homme, et que tout sot est fripon ; mais ne serait-il pas la preuve trop évidente du contraire, si pourtant c’est véritablement de l’esprit que le seul talent de la versification ? Je m’en rapporte à vous et à tout Paris. Rousseau ne passe point pour avoir d’autre mérite ; il écrit si mal en prose que son factum est une des pièces qui ont servi à le faire condamner. Au contraire celui de M. Saurin est un chef-d’œuvre.

    .    .    .    .    . Et quid facundia posset
Tum patuit     .    .    .    .    .

(ovid., Métam., XIII, v. 382.)


Enfin voulez-vous que je vous dise franchement mon petit sentiment sur MM. de Lamotte et Rousseau ? M. de Lamotte pense beaucoup, et ne travaille pas assez ses vers : Rousseau ne pense guère, mais il travaille ses vers beaucoup mieux. Le point serait de trouver un poète qui pensât comme Lamotte, et qui écrivît comme Rousseau (quand Rousseau écrit bien, s’entend) ; mais

Pauci, quos æquus amavit
Jupiter, aut ardens evexit ad æthera virtus,
Dîri geniti, potuere…

(En., VI, 129.)

J’ai bien envie de revenir bientôt souper avec vous et raisonner de belles-lettres : je commence à m’ennuyer beaucoup ici[79]. Or il faut que je vous dise ce que c’est que l’ennui :

Car vous qui toujours le chassez,
Vous pourriez l’ignorer peut-être :

Trop heureux si ces vers, à la hâte tracés,

Ne l’ont pas déjà fait connaître !
C’est un gros dieu lourd et pesant,
D’un entretien froid et glaçant,
Qui ne rit jamais, toujours bâille.
Et qui, depuis cinq ou six ans,
Dans la foule des courtisans
Se trouvait toujours à Versaille.
Mais on dit que, tout de nouveau,
Vous l’allez revoir au parterre.
Au Capricieux[80] de Rousseau :
C’est là sa demeure ordinaire.

Au reste je suis charmé que vous ne partiez pas si tôt pour Gênes[81] ; votre ambassade m’a la mine d’être pour vous un bénéfice simple. Faites-vous payer de votre voyage, et ne le faites point : ne ressemblez pas à ces politiques errants qu’on envoie de Parme à Florence, et de Florence à Holstein, et qui reviennent enfin ruinés dans leur pays, pour avoir eu le plaisir de dire : le roi mon maître. Il me semble que je vois des comédiens de campagne qui meurent de faim après avoir joué le rôle de César et de Pompée.

Non, cette brillante folie
N’a point enchaîné vos esprits :
Vous connaissez trop bien le prix
Des douceurs de l’aimable vie
Qu’on vous voit mener à Paris
En assez bonne compagnie ;
Et vous pouvez bien vous passer
D’aller loin de nous professer
La politique en Italie.


31. — À MONSEIGNEUR LE DUC DE SULLY[82].

1717

Monseigneur, M. de Basin, lieutenant de robe courte, m’est venu arrêter ce matin[83]. Je ne puis vous en dire davantage. Je ne sais de quoi il est question. Mon innocence m’assure de votre protection. Je serai trop heureux si vous me faites l’honneur de me l’accorder.



32. — A. MONSIEUR LE LIEUTENANT DE POLICE[84].

À Châtenay, vendredi saint 1718.

Monsieur, souffrez que le premier usage que je fasse de ma liberté soit de vous remercier de me l’avoir procurée. Je ne pourrai vous marquer ma reconnaissance qu’en me rendant digne, par ma conduite, de cette grâce et de votre protection. Je crois avoir profité de mes malheurs, et j’ose vous assurer que je n’ai pas moins d’obligation à M. le Régent de ma prison que de ma liberté. J’ai fait beaucoup de fautes ; mais je vous conjure, monsieur, d’assurer Son Altesse royale que je ne suis ni assez méchant, ni assez imbécile pour avoir écrit contre elle. Je n’ai jamais parlé de ce prince que pour admirer son génie, et j’en aurais dit tout autant quand même il eût été un homme privé. J’ai toujours eu pour lui une vénération d’autant plus profonde que je sais qu’il hait la louange autant qu’il la mérite. Quoique vous lui ressembliez en cela, je ne puis m’empêcher de me féliciter d’être entre vos mains, et vous dire que votre intégrité m’assure du bonheur de ma vie.

Je suis avec beaucoup de respect et de reconnaissance, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

Arouet.



33[85]. — À M. LE COMTE DE MAUREPAS.
Châtenay, 2 mai 1718[86]

Monseigneur, mes malheurs et mon innocence m’assurent de votre protection, et je me flatte que la lettre que j’ai l’honneur de vous écrire sera bien reçue, puisque je vous demande une grâce. Je ne vous importune point pour abréger le temps de mon exil, ni pour avoir la permission de passer une seule heure à Paris ; l’unique grâce que j’ose vous demander, c’est de vouloir bien assurer Son Altesse royale que je lui ai autant d’obligation de ma prison que de ma liberté, et que j’ai beaucoup profité de l’une et que je n’abuserai jamais de l’autre.

Toutes les apparences étant contre moi, je n’ai point eu à me plaindre de la justice de monseigneur le Régent, et je me louerai toute ma vie de sa clémence ; mais je ne me consolerai jamais d’avoir été assez malheureux pour avoir été soupçonné d’avoir écrit contre un si bon prince. Je puis vous assurer sur ma tête qu’il n’y a pas un seul homme en France qui puisse prouver, je ne dis pas que j’aie fait cette abominable inscription[87] dont on m’accuse et que je n’ai jamais vue, mais que j’aie jamais eu la moindre part à aucune des chansons faites contre la cour[88]. J’espère d’ailleurs justifier par ma conduite les bontés dont vous m’avez honoré autrefois.

Je suis avec beaucoup de respect et de reconnaissance, etc.



34[89]. — À M. LE COMTE DE MAUREPAS.
Châtenay, 20 mai 1718.

Monseigneur, si vous avez quelque pitié de mes malheurs, et si vous daignez faire usage avec moi de l’inclination que vous avez à faire du bien à tout le monde, je vous conjure de me faire avoir la permission de venir à Paris pour deux heures seulement ; je ne veux qu’avoir l’honneur de vous entretenir un moment, et me jeter aux pieds de Son Altesse royale. J’attends de la justice et de la bonté d’un prince si clément qu’il aura quelque égard à ce que j’aurai l’honneur de lui représenter, et qu’il sera touché de la perfidie affreuse dont j’ai dans ma poche la preuve convaincante. L’intérêt de mon honneur et de ma vie, et j’ose dire celui du public, m’engagent à vous presser de m’accorder cette grâce, et votre générosité ne me permet pas de douter que vous ne me l’accordiez. Je n’ai point de termes assez forts pour vous marquer le besoin que j’ai de cette faveur et la reconnaissance éternelle que j’aurai pour vos bontés[90].

Je suis avec le dévouement le plus respectueux, etc.



35. — À MONSEIGNEUR LE DUC D’ORLÉANS, RÉGENT.
1718.

Monseigneur, faudra-t-il que le pauvre Voltaire ne vous ait d’autres obligations que de l’avoir corrigé par une année de Bastille[91] ? Il se flattait que, après l’avoir mis en purgatoire, vous vous souviendriez de lui dans le temps que tous ouvrez le paradis à tout le monde.

Il prend la liberté de vous demander trois grâces : la première, de souffrir qu’il ait l’honneur de vous dédier la tragédie[92] qu’il vient de composer ; la seconde, de vouloir bien entendre quelque Jour des morceaux d’un poëme épique[93] sur celui de vos aïeux auquel vous ressemblez le plus ; et la troisième, de considérer que j’ai l’honneur de vous écrire une lettre où le mot de souscription ne se trouve point.

Je suis avec un profond respect, monseigneur, de Votre Altesse royale le très-humble et très-pauvre secrétaire des niaiseries,

Voltaire.



36. — À M. LE COMTE DE MAUREPAS[94].

Châtenay, 4 juillet 1718.

Monseigneur, les obligations que je vous ai m’encouragent à vous demander de nouvelles grâces. Vous concevez bien ce que c’est que le supplice d’un homme qui voit Paris de sa maison de campagne et qui n’a pas la liberté d’y aller. Je vous supplie de me permettre d’y passer trois jours pour des affaires qui sont très-importantes pour moi, et parmi lesquelles une des plus intéressantes est de vous faire ma cour et de vous remercier de toutes vos bontés. Un petit voyage à Paris, dans la situation où je suis, ressemble assez à la goutte d’eau que demande le mauvais riche[95] ! Serais-je assez malheureux pour être refusé comme lui ? M. le baron de Breteuil[96], qui doit vous rendre cette lettre, vous dira peut-être que je ne suis point indigne de la clémence de monseigneur le Régent ; mais il ne vous dira jamais combien je vous suis dévoué et avec quelle sincère vénération je suis, etc.[97].


37. — À MADAME LA MARQUISE DE MIMEURE.

1719.

On ne peut vaincre sa destinée : je comptais, madame, ne quitter la solitude délicieuse où je suis[98] que pour aller à Sully ; mais M. le duc et Mme  la duchesse de Sully vont à Villars, et me voilà malgré moi, dans la nécessité de les y aller trouver. On a su me déterrer dans mon ermitage pour me prier d’aller à Villars ; mais on ne m’y fera point perdre mon repos[99]. Je porte à présent un manteau de philosophe dont je ne me déferai pour rien au monde.

Vous ne me reverrez de longtemps, madame la marquise ; mais je me flatte que vous vous souviendrez un peu de moi, et que vous serez toujours sensible à la tendre et véritable amitié que vous savez que j’ai pour vous. Faites-moi l’honneur de m’écrire quelquefois des nouvelles de votre santé et de vos affaires ; vous ne trouverez jamais personne qui s’y intéresse autant que moi.

Je vous prie de m’envoyer le petit emplâtre que vous m’avez promis pour le bouton qui m’est venu sur l’œil. Surtout ne croyez point que ce soit coquetterie, et que je veuille paraître à Villars avec un désagrément de moins. Mes yeux commencent à ne me plus intéresser qu’autant que je m’en sers pour lire et pour vous écrire. Je ne crains plus même les yeux de personne ; et le poëme de Henri IV et mon amitié pour vous sont les deux seuls sentiments vifs que je me connaisse.



38. — À MADAME LA MARQUISE DE MIMEURE.

1719.

Je vais demain à Villars ; je regrette infiniment la campagne que je quitte, et ne crains guère celle où je vais.

Vous vous moquez de ma présomption, madame, et vous me croyez d’autant plus faible que je me crois raisonnable. Nous verrons qui aura raison de nous deux. Je vous réponds par avance que, si je remporte la victoire, je n’en serai pas fort enorgueilli.

Je vous remercie beaucoup de ce que vous m’avez envoyé pour mon œil : c’est actuellement le seul remède dont j’aie besoin car soyez bien sûre que je suis guéri pour jamais du mal que vous craignez pour moi ; vous me faites sentir que l’amitié est d’un prix plus estimable mille fois que l’amour. Il me semble même que je ne suis point du tout fait pour les passions. Je trouve qu’il y a en moi du ridicule à aimer, et j’en trouverais encore davantage dans celles qui m’aimeraient. Voilà qui est fait ; j’y renonce pour la vie.

Je suis sensiblement affligé de voir que votre colique ne vous quitte point ; j’aurais dû commencer ma lettre par là. Mais ma guérison, dont je me flatte, m’avait fait oublier vos maux pour un petit moment.

S’il y a quelques nouvelles, mandez-les-moi à Villars[100], je vous en prie. Conservez, si vous pouvez, votre santé et votre fortune. Je n’ai rien de si à cœur que de trouver l’une et l’autre rétablies a mon retour. Écrivez-moi, au plus tôt, comment vous vous portez.



39. — M. DE GÉNOMVILLE À M. DE VOLTAIRE[101].

1719.

Ami très-cher, si l’humeur noire,
Que dans l’esprit jettent les maux,
N’a point obscurci ma mémoire,
En vers faciles et nouveaux
Tu nous avais promis l’histoire
De ton voyage, et quatre mots
Du coche et des maigres chevaux
Qui t’ont conduit aux bords de Loire.
Je t’y crois en un plein repos
Entre ton duc et ton héros.
Là, tu vas acquérir la gloire
Que nous disputaient nos rivaux.
Ranime tes premiers travaux,
Réveille ton heureux génie ;
Ne souffre plus que l’Italie,
Étalant l’orgueil de ses sons,
Nous fasse admirer sa folie,

Et nous permette la saillie
Du madrigal et des chansons.
Quitte Anacréon pour Virgile,
Laisse là ce voluptueux :
Il fit le portrait de Bathile ;
Mais jamais son pinceau facile
N’eût su peindre nos demi-dieux.

Que Hénault, sur sa musette,
Chante les Jeux, les Amours ;
Qu’il dérobe la houlette
Au petit berger La Tour ;
Que toujours tendre, infidèle,

Hypocrite du sentiment,

Il amuse chaque belle
Du récit de son tourment,

Chacun exerce son talent.
Pour toi volant à tire-d’aile,
Tu suis la muse qui t’appelle ;

 
Dans les moments les plus doux,
Si tu nous peins Gabrielle,
Je vois Mars à ses genoux.

La fièvre qui m’a dicté ces vers vient, heureusement pour vous, les interrompre. Vous ne serez pas surpris que je vous écrive avant votre départ, vous qui faites l’éloge funèbre de l’abbé de Chaulieu avant sa mort ; quoique muni d’épitaphe et de sacrement, il vit encore, et n’est pas sans espérance[102]. Adieu, je suis au lit et ne sais point de nouvelles ; faites ma cour à notre duc, et lui cachez mes extravagances.

Bientôt aux rives chéries.
Où vous passez d’heureux jours,
À vos utiles discours

J’irai mêler mes rêveries :

Nous parlerons de bons mots et d’amour,

De prose et vers, de raison même.
De tout enfin, hors du système.


Faites-moi réponse et brûlez ma lettre ; je devais le faire moi-même, et je vous avoue que je ne croyais pas vous écrire en vers : brûlez vite et ne vous moquez guère de moi.



40. — À M. DE GÉNONVILLE[103].

Ami, que je chéris de cette amitié rare
Dont Pylade a donné l’exemple à l’univers.

Et dont Chaulieu chérit La Fare ;

Vous pour qui d’Apollon les trésors sont ouverts,

Vous dont les agréments divers,
L’imagination féconde,

L’esprit et l’enjouement, sans vice et sans travers,
Seraient chez nos neveux célébrés dans mes vers,
Si mes vers, comme vous, plaisaient à tout le monde :
Votre épître[104] a charmé le pasteur de Sully ;
Il se connaît au bon, et partant il vous aime ;
Votre écrit est par nous dignement accueilli.

Et vous serez reçu de même.

Il est beau, mon cher ami, de venir à la campagne, tandis que Plutus tourne toutes les têtes à la ville[105]. Êtes-vous réellement devenus tous fous à Paris ? Je n’entends parler que de millions ; on dit que tout ce qui était à son aise est dans la misère, et que tout ce qui était dans la mendicité nage dans l’opulence. Est-ce une réalité ? Est-ce une chimère ? La moitié de la nation a-t-elle trouvé la pierre philosophale dans les moulins à papier ? Lass est-il un dieu, un fripon, ou un charlatan qui s’empoisonne de la drogue qu’il distribue à tout le monde ? Se contente-t-on de richesses imaginaires ? C’est un chaos que je ne puis débrouiller, et auquel je m’imagine que vous n’entendez rien. Pour moi, je me livre à d’autres chimères qu’à celle de la poésie.

Avec l’abbé Courtin je vis ici tranquille,

Sans aucun regret pour la ville
Où certain Écossais malin,

 Comme la vieille sibylle
Dont parle le bon Virgile,

Sur des feuillets volants écrit notre destin.

Venez nous voir un beau matin,
Venez, aimable Génonville ;

Apollon dans ces climats

Vous prépare un riant asile :
Voyez comme il vous tend les bras,

Et vous rit d’un air facile.

Deux jésuites en ce lieu,
Ouvriers de l’Évangile,
Viennent, de la part de Dieu,
Faire un voyage inutile.

Ils veulent nous prêcher demain ;
Mais pour nous défaire soudain
De ce couple de chattemites,
Il ne faudra sur leur chemin
Que mettre un gros saint Augustin
C’est du poison pour les jésuites.



41. — À MADAME LA MARQUISE DE MIMEURE.

À Villars, 1719.

Auriez-vous, madame, assez de bonté pour moi, pour être un peu fâchée de ce que je suis si longtemps sans vous écrire ? Je suis éloigné depuis six semaines de la désolée ville de Paris ; je viens de quitter le Bruel, où j’ai passé quinze jours avec M. le duc de La Feuillade[106]. N’est-il pas vrai que c’est bien là un homme ? Et, si quelqu’un approche de la perfection, il faut absolument que ce soit lui. Je suis si enchanté de son commerce, que je ne peux m’en taire, surtout avec vous, pour qui vous savez que je pense comme pour M. le duc de La Feuillade, et qui devez sûrement l’estimer, par la raison qu’on a toujours du goût pour ses semblables.

Je suis actuellement à Villars : je passe ma vie de château en château, et, si vous aviez pris une maison à Passy, je lui donnerais la préférence sur tous les châteaux du monde.

Je crains bien que toutes les petites tracasseries que M. Lass a eues avec le peuple de Paris ne rendent les acquisitions un peu difficiles. Je songe toujours à vous, lorsqu’on me parle des affaires présentes ; et, dans la ruine totale que quelques gens craignent, comptez que c’est votre intérêt qui m’alarme le plus.

Vous méritiez assurément une autre fortune que celle que vous avez ; mais encore faut-il que vous en jouissiez tranquillement, et qu’on ne vous l’écorne pas. Quelque chose qui arrive, on ne vous ôtera point les agréments de l’esprit. Mais, si on y va toujours du même train, on pourra bien ne vous laisser que cela, et, franchement, ce n’est pas assez pour vivre commodément et pour avoir une maison de campagne où je puisse avoir l’honneur de passer quelque temps avec vous.

Notre poëme[107] n’avance guère. Il faut s’en prendre un peu au biribi, où je perds mon bonnet. Le petit Génonville m’a écrit une lettre[108] en vers qui est très-jolie : je lui ai fait réponse, mais non pas si bien. Je souhaite quelquefois que vous ne le connaissiez point, car vous ne pourriez plus me souffrir.

Si vous m’écrivez, ayez la bonté de vous y prendre incessamment : je ne resterai pas si longtemps à Villars, et je pourrai bien venir vous faire ma cour à Paris dans quelques jours.

Adieu, madame la marquise ; écrivez-moi un petit mot, et comptez que je suis toujours pénétré de respect et d’amitié pour vous.



42. — À M. THIERIOT[109]

1720.

Je vous confie, mon cher ami, ce que j’ai de plus cher au monde. Vous trouverez les six premiers chants[110] copiés, et les trois derniers de ma main. Je vous supplie de faire copier le tout exactement pour M. le Régent, et les trois derniers chants pour moi. Vous recevrez incessamment vos instructions, de Richelieu ; je vous donnerai des lettres pour M. de Fargès[111]. Adieu, mon cher ami, je vous embrasse mille fois. Je n’oublierai de ma vie l’obligation que je vous ai de vouloir bien vous charger de tout cela. Adieu.



43. — À M. THIERIOT.

À Richelieu, ce samedi 25… 1720.

Voici une lettre pour M. le duc d’Orléans ; elle est décachetée, afin que M. de Fargès la voie. En voici une autre pour M. de Fargès, que vous aurez la bonté de lui rendre la première. Quand il l’aura lue, vous lui donnerez celle pour le Régent, et le prierez de la cacheter lui-même. Vous lui donnerez ces lettres avec mon poème, quand il sera écrit ; et, comme on ne voit que difficilement M. de Fargès, je vous conseille de lui écrire un petit mot la veille du jour que vous le voudrez voir. Vous lui manderez qu’ayant bien voulu vous charger, en mon absence, de remettre mon poème entre ses mains, vous lui demandez audience pour le lendemain matin, et qu’il fasse dire à sa porte qu’on laisse entrer M. Thieriot. Vous lui recommanderez, quand vous lui parlerez, sur toute chose de ne faire voir mon poème à qui que ce soit, et vous lui ferez entendre combien il m’est de conséquence qu’on n’en tire point de copie. Cela fait, vous aurez la bonté de mettre l’autre copie de mon poëme dans une cassette, et d’en charger La Brie, avec ordre de partir sur-le-champ pour Sully, où je serai dans quatre jours. Écrivez-moi donc à Sully, mon cher enfant, dès que vous aurez reçu ma lettre.

Comptez que je brûle de revenir à Paris, pour m’y acquitter de toutes les obligations que je vous ai dans cette affaire.

Je suis actuellement dans le plus beau château de France. Il n’y a point de prince en Europe qui ait de si belles statues antiques, et en si grand nombre. Tout se ressent ici de la grandeur du cardinal de Richelieu. La ville est bâtie comme la Place-Royale. Le château est immense ; mais ce qui m’en plaît davantage, c’est M. le duc de Richelieu, que j’aime avec une tendresse infinie, pas plus que vous cependant. Écrivez-moi vite à Sully des nouvelles de votre santé. Si vous aviez besoin d’argent, j’écris à mon frère de vous en faire donner.



44. — À M. THIERIOT.

Au Bruel, 13 novembre 1720.

Je n’entends parler ni de vous ni de M. de Fargès ; peut-être m’avez-vous écrit à Sully, où je ne suis plus. Je n’attends qu’une de vos lettres pour retourner à Paris. Écrivez-moi donc au Bruel, chez M, le duc de La Feuillade, par Orléans, sitôt la présente reçue. S’il y a quelque nouvelle à Paris, faites-m’en part. Je grille de vous revoir dans cette bonne santé dont vous me parlez. Comme la ressemblance de nos tempéraments est parfaite, je me porte aussi bien que vous. Je crois cependant que vous avez eu hier mal à l’estomac, car j’ai eu une indigestion[112].



45. — À M. DE FONTELLE.

De Villars, juin 1721.

Les dames qui sont à Villars, monsieur, se sont gâtées par la lecture de vos Mondes. Il vaudrait mieux que ce fût par vos églogues ; et nous les verrions plus volontiers ici bergères que philosophes. Elles mettent à observer les astres un temps qu’elles pourraient beaucoup mieux employer ; et, comme leur goût décide des nôtres, nous nous sommes tous faits physiciens pour l’amour d’elles.

Le soir sur des lits de verdure,
Lits que de ses mains la nature.
Dans ces jardins délicieux,
Forma pour une autre aventure,
Nous brouillons tout l’ordre des cieux :
Nous prenons Vénus pour Mercure ;
Car vous saurez qu’ici l’on n’a
Pour examiner les planètes.
Au lieu de vos longues lunettes,
Que des lorgnettes d’opéra.

Comme nous passons la nuit à observer les étoiles, nous négligeons fort le soleil, à qui nous ne rendons visite que lorsqu’il a fait près des deux tiers de son tour. Nous venons d’apprendre tout à l’heure qu’il a paru de couleur de sang tout le matin ; qu’ensuite, sans que l’air fût obscurci d’aucun nuage, il a perdu sensiblement de sa lumière et de sa grandeur : nous n’avons su cette nouvelle que sur les cinq heures du soir. Nous avons mis la tête à la fenêtre, et nous avons pris le soleil pour la lune, tant il était pâle. Nous ne doutons point que vous n’ayez vu la même chose à Paris.

C’est à vous que nous nous adressons, monsieur, comme à notre maître. Vous savez rendre aimables les choses que beaucoup d’autres philosophes rendent à peine intelligibles ; et la nature devait à la France et à l’Europe un homme comme vous pour corriger les savants, et pour donner aux ignorants le goût des sciences.

Or dites-nous donc, Fontenelles,
Vous qui, par un vol imprévu,
De Dédale prenant les ailes,
Dans les cieux avez parcouru
Tant de carrières immortelles,
Où saint Paul avant vous a vu
Force beautés surnaturelles.
Dont très-prudemment il s’est lu :
Du soleil, par vous si connu.
Ne savez-vous point de nouvelles ?
Pourquoi sur un char tout sanglant
A-t-il commencé sa carrière ?
Pourquoi perd-il, pâle et tremblant,
Et sa grandeur et sa lumière ?

Que dira le Boulainvilliers[113]
Sur ce terrible phénomène ?
Va-t-il à des peuples entiers
Annoncer leur perte prochaine ?
Verrons-nous des incursions,
Des édits, des guerres sanglantes,
Quelques nouvelles actions,
Ou le retranchement des rentes ?
Jadis, quand vous étiez pasteur,
On vous eût vu sur la fougère,
À ce changement de couleur
Du dieu brillant qui nous éclaire,
Annoncer à votre bergère
Quelque changement dans son cœur[114].

Mais à présent, monsieur, que vous êtes devenu philosophe, nous nous flattons que vous voudrez bien nous parler physiquement de tout cela. Vous nous direz si vous croyez que l’astre soit encroûté, comme le prétend Descartes ; et nous vous croirons aveuglément, quoique nous ne soyons pas trop crédules.


46. — À M. THIERIOT[115].

1721.

[116]Je suis encore incertain de ma destinée. J’attends M. le duc de Sully pour régler ma marche. Comptez que je n’ai d’autre envie que de passer avec vous beaucoup de ces jours tranquilles dont nous nous trouvions si bien dans notre solitude.

Je viens d’écrire une lettre à M. de Fontenelle, à l’occasion d’un phénomène qui a paru dans le soleil, hier jour de la Pentecôte[117]. Vous voyez que je suis poëte et physicien. J’ai une grande impatience de vous voir, pour vous montrer ce petit ouvrage dont vous grossirez votre recueil.

Avez-vous toujours, mon cher ami, la bonté de faire en ma faveur ce qu’Esdras fit pour l’Écriture sainte, c’est-à-dire d’écrire de mémoire mes pauvres ouvrages[118] ? S’il y a quelque nouvelle à Paris, faites-m’en part. J’espère de vous y revoir bientôt dans cette bonne santé dont vous me parlez. Comme la ressemblance de nos tempéraments est parfaite, je me porte aussi bien que vous ; je crois cependant que vous avez eu hier mal à l’estomac, car j’ai eu une indigestion.

Adieu ; je vous embrasse de tout mon cœur.



47. — À M. THIERIOT.

1721.

J’irai à Châtenay, mon cher Thieriot, de dimanche en huit. Si vous êtes de ces héros qui préfèrent les devoirs de l’amitié aux caprices de l’amour, vous viendrez m’y voir. J’ai retrouvé votre livre vert ; Génonville vous l’avait escamoté. Renvoyez-moi ma lettre à M. de Fontenelle, et ses réponses. Tout cela ne vaut pas grand’chose ; mais il y a dans le monde des sots qui les trouveront bonnes : ce n’est ni vous ni moi. Adieu. J’ai été saigné de mon ordonnance : je m’en suis assez mal trouvé. Un médecin n’aurait pas fait pis. Renvoyez-moi vite les papiers que je vous demande. Adieu, mon cher ami.



48. — À M. J. B. ROUSSEAU[119].

23 janvier.

M. le baron de Breteuil m’a appris, monsieur, que vous vous intéressez encore un peu à moi, et que le poëme de Henri IV ne vous est pas indifférent ; j’ai reçu ces marques de votre souvenir avec la joie d’un disciple tendrement attaché à son maître. Mon estime pour vous, et le besoin que j’ai des conseils d’un homme seul capable d’en donner de bons en poésie, m’ont déterminé à vous envoyer un plan que je viens de faire à la hâte de mon ouvrage : vous y trouverez, je crois, les règles du poëme épique observées.

Le poëme commence au siège de Paris, et finit à sa prise ; les prédictions faites à Henri IV, dans le premier chant, s’accomplissent dans tous les autres ; l’histoire n’est point altérée dans les principaux faits, les fictions y sont toutes allégoriques ; nos passions, nos vertus, et nos vices, y sont personnifiés ; le héros n’a de faiblesses que pour faire valoir davantage ses vertus. Si tout cela est soutenu de cette force et de cette beauté continue de la diction, dont l’usage était perdu en France sans vous, je me flatte que vous ne me désavouerez point pour votre disciple. Je ne vous ai fait qu’un plan fort abrégé de mon poëme, mais vous devez m’entendre à demi-mot ; votre imagination suppléera aux choses que j’ai omises. Les lettres que vous écrivez à M. le baron de Breteuil me font espérer que vous ne me refuserez pas les conseils que j’ose dire que vous me devez. Je ne me suis point caché de l’envie que j’ai d’aller moi-même consulter mon oracle. On allait autrefois de plus loin au temple d’Apollon, et sûrement on n’en revenait point si content que je le serai de votre commerce. Je vous donne ma parole que, si vous allez jamais aux Pays-Bas, j’y viendrai passer quelque temps avec vous. Si même l’état de ma fortune présente me permettait de faire un aussi long voyage que celui de Vienne, je vous assure que je partirais de bon cœur pour voir deux hommes aussi extraordinaires dans leurs genres que M. le prince Eugène et vous. Je me ferais un véritable plaisir de quitter Paris, pour vous réciter mon poëme devant lui, à ses heures de loisir. Tout ce que j’entends dire ici de ce prince à tous ceux ; qui ont eu l’honneur de le voir me le fait comparer aux grands hommes de l’antiquité. Je lui ai rendu, dans mon sixième chant[120], un hommage qui, je crois, doit d’autant moins lui déplaire qu’il est moins suspect de flatterie, et que c’est à la seule vertu que je le rends. Vous verrez par l’argument de chaque livre de mon ouvrage que le sixième est une imitation du sixième de Virgile. Saint Louis y fait voir à Henri IV les héros français qui doivent naître après lui ; je n’ai point oublié parmi eux M. le maréchal de Villars ; voici ce qu’en dit saint Louis :

Regardez dans Denain l’audacieux Villars
Disputant le tonnerre à l’aigle des Césars,
Arbitre de la paix que la victoire amène,
Digne appui de son roi, digne rival d’Eugène.

C’était là effectivement la louange la plus grande qu’on pouvait donner à M. le maréchal de Villars, et il a été lui-même flatté de la comparaison. Vous voyez que je n’ai point suivi les leçons de Lamotte, qui, dans une assez mauvaise ode à M. le duc de Vendôme, crut ne pouvoir le louer qu’aux dépens de M. le prince Eugène et de la vérité.

Comme je vous écris tout ceci, Mme  la duchesse de Sully m’apprend que vous avez mandé à M. le commandeur de Comminges que vous irez cet été aux Pays-Bas. Si le voisinage de la France pouvait vous rendre un peu de goût pour elle, et que vous pussiez ne vous souvenir que de l’estime qu’on y a pour vous, vous guéririez nos Français de la contagion du faux bel esprit, qui fait plus de progrès que jamais. Du moins si on ne peut espérer de vous revoir à Paris, vous êtes bien sûr que j’irai chercher à Bruxelles le véritable antidote contre le poison des Lamotte. Je vous supplie, monsieur, de compter toute votre vie sur moi comme sur le plus zélé de vos admirateurs.

Je suis, etc.



49. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES[121].
chez madame la marquise de lézeau, rue de la seille, à rouen.

Paris, mercredi au matin… 1722.

J’attends votre retour avec la plus grande impatience du monde. Je prends du Vinache[122] et ne vas point à Villars ; voilà trois choses dont je vous ai vue douter un peu, et qui sont très-vraies. Je ne puis vous pardonner votre absence que par l’idée flatteuse que j’ai que vous allez nous préparer une retraite où je compte passer avec vous des jours délicieux. Préparez-nous votre château[123] pour longtemps, et revenez au plus vite. Si vous conservez pour moi encore quelque bonté, soyez sûre que mon dévouement pour vous est à l’épreuve de tout.

Vous m’avez laissé en partant votre mari au lieu de vous : voilà qu’il me vient prendre dans le moment que je vous écris, pour me mener chez des gens qui veulent se mettre à la tête d’une nouvelle compagnie. Pour moi, madame, qui ne sais point de compagnie plus aimable que la vôtre, et qui la préfère même à celle des Indes, quoique j’y aie une bonne partie de mon bien, je vous assure que je songe bien plutôt au désir d’aller vivre avec vous à votre campagne que je ne suis occupé du succès de l’affaire que nous entreprenons. La grande affaire et la seule qu’on doive avoir, c’est de vivre heureux, et si nous pouvions réussir à le devenir sans établir une caisse de juifrerie, ce serait autant de peine épargnée. Ce qui est très-sûr, c’est que si notre affaire échoue, j’ai une consolation toute prête dans la douceur de votre commerce, et s’il fallait opter entre votre amitié et le succès de l’affaire, assurément je ne balancerais pas.

Quittez pour un moment vos maçons et vos serruriers, pour me faire l’honneur de m’écrire un petit mot. Mandez-moi si vous êtes bien fatiguée, si vous reviendrez samedi, comment vous vous portez, et si vous avez toujours un peu d’amitié pour moi. Voilà M. de Bernières qu’on annonce ; adieu, comptez que je vous suis attaché pour toute ma vie.



50. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Villars, 1722.

Si j’avais eu une chaise de poste, madame, je serais venu à Paris par l’envie que j’ai de vous faire ma cour plus que par l’empressement de finir l’affaire ; je ne l’ai pas négligée, quoique je sois resté à Villars. On m’a écrit que M. le Régent a donné sa parole, et comme j’ai celle de la personne[124] qui l’a obtenue du Régent, je ne crains point qu’on se serve d’un autre canal que le mien ; je peux même vous assurer que, si je pensais qu’ils eussent dessein de s’adresser à d’autres, mon peu de crédit auprès de certaines personnes serait assez fort pour faire échouer leur entreprise. Ces messieurs se moquent du monde de s’imaginer que le succès de l’affaire dépende de me voir arriver à Paris le 15 plutôt que le 20 ; quelques jours de plus ou de moins ne gâteront rien à nos arrangements.

Je pars jeudi, demain au soir, avec M. et Mme  la maréchale de Villars. Quand je serai arrivé, il faudra que j’aille sur-le-champ à Versailles, dont je ne partirai qu’après avoir consommé l’affaire, ou l’avoir entièrement manquée. Vous me mandez que, si je ne suis pas à Paris aujourd’hui jeudi, la chose est manquée pour moi. Dites à vos messieurs qu’elle ne sera manquée que pour eux, que c’est à moi qu’on a promis le privilège, et que, quand je l’aurai une fois, je choisirai la compagnie qui me plaira. J’aurai l’honneur de vous voir vendredi et de recevoir vos ordres. Soyez toujours persuadée de mon attachement pour vous et pour M. de Bernières.



51. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Villars, … 1722.

Je resterai encore sept ou huit jours à Villars, où je bois du cidre et mange du riz tous les soirs, dont je me trouve fort bien. Messieurs des gabelles peuvent bien retarder leur affaire de huit jours. La personne que vous savez a parole réitérée de M. le Régent pour la plus grande affaire. Vous devriez bien remettre le souper à mon retour. Je suis fâché de la justice qu’on a rendue à la petite Livry[125]. Si on faisait dans tous les corps ce qu’on vient de faire à la Comédie, il me paraît qu’il resterait peu de monde en place. Je fais à peu près la même réforme dans mon poème ; je suis occupé à en chasser tous les mauvais vers. C’est une opération un peu longue ; mais j’espère que je la terminerai à la Rivière-Bourdet. Je vous fais mes compliments de la vie dissipée que vous menez. Je voudrais bien en pouvoir faire autant ; mais dans le malheur où je suis d’avoir une santé et une tête de linotte, je ne pouvais avoir de plus grande consolation que la bonté que vous avez eue d’égayer mon régime par la compagnie que vous m’avez tenue à Paris. Vous pouvez compter que je n’oublierai de ma vie les marques que j’ai reçues de votre amitié, et que je vous serai toujours très-tendrement attaché.



52. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES

Villars, le jeudi… 1722.

J’ai assez bonne opinion de vous, madame, pour croire que vous vous souviendrez de m’écrire parmi les embarras de votre déménagement. J’attends avec impatience la nouvelle de la conclusion du traité avec M. de Banville. Je vous déclare d’avance que je veux avoir un pot-de-vin de cette belle affaire, qui sera, s’il vous plaît, un bon souper avec milord Bolingbroke et M. de Maisons, dans votre nouveau palais. Je crois que la proposition ne vous déplaira pas.

Et vous, mon cher Thieriot, mandez-moi si vous êtes déjà en possession de votre taudis. Je vous demande instamment un Virgile et un Homère (non pas celui de Lamotte). Envoyez cela, je vous prie, au suisse de l’hôtel de Villars, pour me le faire tenir à Villars ; j’en ai un besoin pressant. Envoyez-le-moi plutôt aujourd’hui que demain. Ces deux auteurs sont mes dieux domestiques, sans lesquels je ne devrais point voyager. Ayez donc la bonté, mon cher ami, d’user, en cette occasion, de toute la diligence que peut avoir un aussi grand paresseux que vous.

Adieu, madame ; adieu notre ami : aimez-moi un peu. Faites mes compliments au maître de la maison, si vous le rencontrez.



53. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

1722.

Vous avez grand tort de vous imaginer que je ne vous ai écrit

que parce que j’avais besoin de livres : je vous assure que je penserais à vous quand il n’y aurait jamais eu de Virgile ni d’Homère au monde. J’ai une impatience bien vive de venir habiter les murailles ébranlées de mon grenier, que je préfère de tout mon cœur au palais doré où je suis, et surtout à la cohue qui y est au moment que je vous écris. Je ne mande rien à notre cher Thieriot aujourd’hui, parce que les gens de M. de Richelieu, qui va partir, me pressent. J’ai reçu ses livres avec votre lettre ; je l’exhorte à persister dans son indignation contre les modernes et à écrire ce qu’il m’a promis. Si ma chambre était prête, je serais déjà chez vous. Mandez-moi si je peux y trouver un lit, et je vous réponds de partir sur-le-champ. Je vous aime de tout mon cœur.

54. — LE MARÉCHAL DE VILLARS À VOLTAIRE.

À Villars, le 28 mai 1722.

Personne ne connaît mieux que vous les Champs-Elysées, et personne assurément ne peut s’attendre à y être mieux reçu : ainsi les consolations que vous m’y faites espérer doivent vous flatter plus que moi. Vous trouverez d’abord Homère et Virgile, qui viendront vous en faire les honneurs et vous dire avec un souris malicieux que la joie qu’ils ont de vous voir est intéressée, puisque, par quelques années d’une plus longue vie, leur gloire aurait été entièrement effacée. L’envie et les autres passions se conservent en ces pays-là ; du moins il me semble que Didon s’enfuit dès qu’elle aperroit Énée ; quoi qu’il en soit, n’y allons que le plus tard que nous pourrons.

Si vous m’en croyez, vous ne vous abandonnerez pas à Vinache, quoique ses discours séduisants, l’art de réunir l’influence des sept planètes avec les minéraux et les sept parties nobles du corps, et le besoin de trois ou quatre Javottes, donnent de l’admiration.

Venez ici manger de bons potages à des heures réglées, ne faites que quatre repas par jour, couchez-vous de bonne heure, ne voyez ni papier, ni encre, ni biribi, ni lansquenet ; je vous permets le trictrac : deux mois d’un pareil régime valent mieux que Vinache.

Je vous rends mille grâces de vos nouvelles ; le marquis[126] a vu avec douleur le théâtre fermé, et sur cela il prend la résolution d’aller à son régiment ; ma chaise de poste, qui le mènera à Paris samedi, vous ramènera ici dimanche.

Nous avons ouvert un théâtre ; la marquise l’a entrepris avec une ardeur digne de ses père et mère[127] ; elle s’est chargée de mettre du rouge à deux soldats du régiment du roi, qui disaient Pauline et Stratonice. et bien qu’ils en fussent plus couverts qu’un train de carrosse neuf, elle ne leur en trouvait pas assez. Mme  Ludière, qui est la modestie même, a été assez embarrassée à mettre des paniers sur les hanches nues des deux grenadiers parce que[128]

Nos nouvelles ne sont pas si intéressantes que les vôtres : une pauvre servante s’est prise de passion pour un jardinier. Sa mère, plus dragonne que Mme  Dumay, et qui s’est mariée en secondes noces à Maincv, s’est opposée au mariage. Madame la maréchale s’en est mêlée ; mais elle a mieux aimé gronder la mère que faciliter les noces par payer la dot, ce qui n’est pas de sa magnificence ordinaire. Benoît a eu la tête cassée par le cocher du marquis en se disputant la conduite d’un panier de bouteilles de cidre ; Baget a raisonné scientifiquement sur la blessure. Le curé de Maincy est interdit, parce qu’il ne parle pas bien de la Trinité. Voilà, mon grand poëte, tout ce que je puis vous dire en mauvaise prose pour vous remercier de vos vers. Je vous charge de mille compliments pour M. le duc et Mme  la duchesse de Sully, auxquels je souhaite une bonne santé, et qui leur permette de venir faire un tour ici. Il y a présentement bonne et nombreuse compagnie, puisque nous sommes vingt-deux à table ; mais une grande partie s’en va demain.

Villars.



55. — À M. LE CARDINAL DUBOIS.

28 mai 1722.

Monseigneur, j’envoie à Votre Éminence un petit mémoire de ce que j’ai pu déterrer touchant le juif dont j’ai eu l’honneur de vous parler.

Si Votre Éminence juge la chose importante, oserai-je vous représenter qu’un juif, n’étant d’aucun pays que de celui où il gagne de l’argent, peut aussi bien trahir le roi pour l’empereur que l’empereur pour le roi ?

Je suis fort trompé, ou ce juif pourra aisément me donner son chiffre avec Willar, et me donner des lettres pour lui.

Je peux, plus aisément que personne au monde, passer en Allemagne sous le prétexte d’y voir Rousseau, à qui j’ai écrit il y a deux mois[129] que j’avais envie d’aller montrer mon poëme au prince Eugène et à lui. J’ai même des lettres du prince Eugène, dans l’une desquelles il me fait l’honneur de me dire qu’il serait bien aise de me voir. Si ces considérations pouvaient engager Votre Éminence à m’employer à quelque chose, je la supplie de croire qu’elle ne serait pas mécontente de moi, et que j’aurais une reconnaissance éternelle de m’avoir permis de la servir.

Je suis, avec un profond respect, de Votre Éminence le très-humble, etc.

Voltaire.


mémoire touchant salomon lévi.

Salomon Lévi, juif, natif de Metz, fut d’abord employé par M. de Chamillart ; il passa chez les ennemis avec la facilité qu’ont les juifs d’être admis et d’être chassés partout. Il eut l’adresse de se faire munitionnaire de l’armée impériale en Italie ; il donnait de là tous les avis nécessaires à M. le maréchal de Villeroi : ce qui ne l’empêcha pas d’être pris dans Crémone. Depuis, étant dans Vienne, il eut des correspondances avec le maréchal de Villars.

Il eut ordre de M. de Torcy, en 1713, de suivre milord Marlborough, qui était passé en Allemagne pour empêcher la paix, et il rendit un compte exact de ses démarches.

Il fut envoyé secrètement par M. Le Blanc, à Siertz, il y a dix-huit mois, pour une affaire prétendue d’État, qui se trouva être une billevesée.

À l’égard de ses liaisons avec Willar, secrétaire du cabinet de l’empereur, Salomon Lévi prétend que Willar ne lui a jamais rien découvert que comme à un homme attaché aux intérêts de l’Empire, comme étant frère d’un autre Lévi employé en Lorraine et très-connu.

Cependant il n’est pas vraisemblable que Willar, qui recevait de l’argent de Salomon Lévi pour apprendre le secret de son maître aux Lorrains, n’en eût pas reçu très-volontiers pour en apprendre autant aux Français.

Salomon Lévi, dit-on, a pensé être pendu plusieurs fois, ce qui est bien plus vraisemblable.

Il a correspondance avec la compagnie comme sous-secrétaire de Willar.

Il compte faire des liaisons avec Oppenhemer et Vertembourg, munitionnaires de l’empereur, parce qu’ils sont tous deux juifs comme lui.

Willar vient d’écrire une lettre à Salomon, qui exige une réponse prompte, attendu ces paroles de la lettre : « Donnez-moi un rendez-vous, tandis que nous sommes encore libres. »

Salomon Lévi est actuellement caché dans Paris pour une affaire particulière avec un autre fripon nommé Rambau de Saint-Maur. Cette affaire est au Châtelet, et n’intéresse en rien la cour.



56. — À M. THIERIOT[130].

Vendredi, juillet 1722.

M. le duc de Sully vient d’arriver à Villars, et m’emmène avec lui dimanche. Je compte vous mander incessamment dans quel temps vous pourrez venir remplir avec moi nos grands projets de solitude. Portez-vous bien, mon cher Esdras ; songez toujours à moi, à la réparation de notre gros livre, et surtout à votre santé. Mes compliments à toute votre famille. Envoyez par le porteur le second tome de Cromwell à madame la maréchale, et à moi Tacite. Adieu.



57. — À M. LE CARDINAL DUBOIS[131].

De Cambrai, juillet.

Une beauté qu’on nomme Rupelmonde[132],

Avec qui les amours et moi
Nous courons depuis peu le monde,
Et qui nous donne à tous la loi,
Veut qu’à l’instant je vous écrive.

Ma muse, comme à vous, à lui plaire attentive,
Accepte avec transport un si charmant emploi.

Nous arrivons, monseigneur, dans votre métropole, où je crois que tous les ambassadeurs et tous les cuisiniers de l’Europe se sont donné rendez-vous. Il semble que tous les ministres d’Allemagne ne soient à Cambrai que pour faire boire la santé de l’empereur. Pour messieurs les ambassadeurs d’Espagne, l’un entend deux messes par jour, l’autre dirige la troupe des comédiens. Les ministres anglais envoient beaucoup de courriers en Champagne, et peu à Londres. Au reste, personne n’attend ici Votre Éminence : on ne pense pas que vous quittiez le Palais-Royal pour venir visiter vos ouailles. Vous seriez trop fâché, et nous aussi, s’il vous fallait quitter le ministère pour l’apostolat.

Puissent messieurs du congrès,
En buvant dans cet asile.
De l’Europe assurer la paix !
Puissiez-vous aimer votre ville,
Seigneur, et n’y venir jamais !

Je sais que vous pouvez faire des homélies,

Marcher avec un porte-croix,
Entonner la messe parfois,
Et marmotter des litanies.

Donnez, donnez plutôt des exemples aux rois ;
Unissez à jamais l’esprit à la prudence ;
Qu’on publie en tous lieux vos grandes actions :

Faites-vous bénir de la France,

Sans donner à Cambrai des bénédictions.

Souvenez-vous quelquefois, monseigneur, d’un homme qui n’a, en vérité, d’autre regret que de ne pouvoir pas entretenir Votre Éminence aussi souvent qu’il le voudrait[133], et qui, de toutes les grâces que vous pouvez lui faire, regarde l’honneur de votre conversation comme la plus flatteuse.



58. — À M. THIERIOT,

CHEZ M. HÉRAUT, PRÈS DU CHAGRIN DE TURQUIE, VIS-A-VIS LE CHEVAL DE BRONZE, À PARIS.

Ce 6 septembre 1722.

Mon cher Thieriot, le plaisir de voyager avec Mme  de Rupelmonde ne m’empêche point de songer dès le premier gîte à vous remercier de tous les soins obligeants que vous prenez pour moi. J’aurai mon tour quelque jour, je vous en réponds, et j’en ferai tout autant. Envoyez-moi la lettre de Gandin pour ce banquier et pour sa femme, et des nouvelles. Adressez votre lettre à Bruxelles, chez M. le comte de Morville, plénipotentiaire.



59. — À M. THIERIOT.

À Cambrai, 10 septembre.

Je ne sais si je vous ai bien donné mon adresse : c’est à Bruxelles, chez Mme  de Rupelmonde.

Je suis dans le moment à Cambrai, où je suis reçu beaucoup mieux que je ne l’ai jamais été à Paris. Si cela continue, j’abandonnerai ma patrie assurément, à moins que vous ne me promettiez de m’aimer toujours. S’il y a des nouvelles, écrivez-m’en bien vite, et faites un peu venir qui vous savez avec des menottes[134].

  1. Publiée par M. H. Beaune dans Voltaire au collége. Paris, Amyot, 1867.
  2. Né à Dijon le 12 août 1694, fils d’un président à mortier du parlement de Bourgogne, Claude-Philippe Fyot, marquis de La Marche, comte de Bosjan, baron de Montpont, avait été condisciple du jeune Arouet au collége de Louis-le-Grand.
  3. 1711.
  4. Le P. Polou ou plutôt Paullou, jésuite, professa la rhétorique au collége Louis-le-Grand jusqu’en 1711, époque à laquelle ses supérieurs l’envoyèrent à Rennes pour y tenir la même classe. C’était un homme érudit et fort versé dans la connaissance des langues orientales. On a de lui un opuscule intitulé Réponse du P. Paullou, recteur du collége de Caen, à M***, sur un article des Nouvelles ecclésiastiques du 11 mai 1737. In-4°, 15 pages ; voyez la bibliographie des PP. de Baecker. (H. B.)
  5. À Dijon ou au château de la Marche en Bresse, arrondissement de Châlon-sur-Saône, qui appartenait au président Fyot de La Marche. (H. B.)
  6. Nous n’avons pu découvrir dans les mémoires du temps le moindre renseignement sur cet abbé Poirier, répétiteur de Voltaire. Un sieur Henri Poirier a publié en 1703 un petit volume in-12 sous le nom de Projet pour l’histoire du père Maignan et la doctrine de ce philosophe. Est-ce le même ? (H. B.)
  7. Publiée dans Voltaire au collége.
  8. 1711.
  9. Les jésuites donnaient de fréquentes retraites à leurs élèves. Voltaire nous apprend lui-même que celle-ci a duré huit jours. (H. B.)
  10. Voiture et Balzac avaient déjà dit quelque chose de semblable. On sent l’imitation de l’écolier qui, tout en s’appelant un peu plus bas philosophe, n’a pas encore essayé ses propres ailes. Cette lettre d’ailleurs a, d’un bout à l’autre, un tour aisé et facile qui annonce le style de Voltaire. (H. B.)
  11. Quel est ce monsieur Feydau ? Peut-être le futur intendant de Rouen, qui fut père de Feydeau de Brou. (H. B.)
  12. Ou autrement l’abbé d’Olivet, qui fut quelque temps chez les jésuites. Il témoignait beaucoup d’affection à Voltaire et au jeune Fyot de La Marche. (H. B.)
  13. Publiée dans Voltaire au collége.
  14. 1711.
  15. Publiée dans Voltaire au collège.
  16. 1711.
  17. Dauphin, condisciple de Voltaire et de M. de La Marche. Le 2 juillet 1711, dans une lettre adressée à son ancien élève de La Marche, le P. Paullou raconte l’histoire de ces couplets auxquels fait allusion Voltaire : « Quelque temps auparavant, M. Dauphin s’étoit fait renvoyer du collège pour avoir fait une satyre de trois à quatre cents vers françois, dont la matière surpasse de beaucoup tout ce que les ennemis les plus envenimés de Rousseau luy ont jamais attribué. Il semble que ses meilleurs amis ayent été le but principal de ses fureurs et de ses calomnies ; mais ce qui a sauvé ses amis n’a servi qu’à mettre le comble à sa perte. On se persuade icy que sa famille ne le renverra point à Paris ; mais comme il pourroit encor oser vous écrire, il est bon que vous sçachiez qu’il est désormais absolument indigne de votre amitié. » De son côté, un autre condisciple de M. de La Marche, nommé Pellot, parent des Leclerc de Lesseville, lui écrivait à la date du 25 juillet 1711 : « Pour l’affaire de Dauphin, je n’en sçay pas plus que vous. Je n’ay ny vu ny lu les vers qu’il a faits ; tout ce que je sçay, c’est qu’il est sorty du collège assez promptement, et qu’Arouet depuis ce temps-là m’a paru fort triste. » (Lettres inédites.)

    Ces vers du jeune Dauphin lui avaient été évidemment inspirés par l’affaire des fameux couplets imputés à Rousseau. Celui-ci suivait alors en effet sa procédure contre Saurin, à qui il attribuait la satire colportée au café Laurent, afin de se décharger des accusations dont il était l’objet lui-même. C’est seulement le 7 avril 1712 qu’un arrêt du parlement de Paris déclara Jean-Baptiste Rousseau dûment atteint et convaincu d’avoir composé et distribué des vers « impurs, satiriques et diffamatoires », et le bannit à perpétuité du royaume. Rousseau s’était déjà volontairement expatrié dès l’année précédente. L’abbé Chérier a été soupçonné d’être l’auteur des couplets dont nous parlons.

    Arouet connaissait déjà J.-B. Rousseau à cette époque. Ce dernier raconte lui-même avoir assisté au mois d’août 1710 à la distribution des prix du collège Louis-le-Grand, et y avoir remarqué un jeune écolier « d’assez mauvaise physionomie, mais d’un regard vif et éveillé, qui vint l’embrasser de fort bonne grâce». C’était Voltaire. (H. B.)

  18. C’était l’épreuve publique qui terminait l’année scolaire pour l’écolier qui se disposait à quitter le collége. La famille, les amis, les protecteurs, étaient conviés à ces solennités littéraires, qui avaient un certain retentissement dans le monde de l’Université et quelquefois au delà. M. Edmond, dans son Histoire du collége Louis-le-Grand, a cité un compte-rendu de la thèse soutenue par le fils de Louvois en 1681. (H. B.)
  19. Pour : vais. Voltaire, comme vous voyez, est bien loin de son orthographe.
  20. Publiée par M. H. Beaune dans Voltaire au collége.
  21. Cette lettre n’est pas datée, mais elle est évidemment du 6 ou du 7 août 1711. On sait en effet que le 3 de ce mois, à l’occasion de la distribution des prix du collége Louis-le-Grand, le P. Lejay fit représenter « à midy précis » une tragédie intitulée Crésus, et un ballet : Apollon législateur, ou le Parnasse réformé, ballet meslé de chants et de déclamation, qui sera dansé à la tragédie de Crésus, le mercredi 5 août 1711. C’est le titre de la seconde pièce, imprimée, comme la première, à Paris, chez Louis Sévestre, in-4°, pages 8 et 14.
  22. Gabriel-François Lejay, petit-neveu de Nicolas Lejay, premier président du parlement de Paris, naquit dans cette ville en 1657 ou 1662, selon la Biographie universelle. Il passa dans la société de Jésus cinquante-sept années, dont dix-neuf furent consacrées à professer la rhétorique au collège Louis-le-Grand. En quittant la chaire d’éloquence, il fut nommé préfet de la congrégation établie dans le même collège, et mourut dans ces fonctions le 21 février 1734. On a de lui un certain nombre de tragédies, dont les PP. de Baecker donnent la liste complète, des discours et des traductions, entre autres celle des Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse, qui fut vivement critiquée par l’abbé Bellenger, devancé dans ce travail par le P. Lejay. Le Mercure de France, à partir de l’année 1717, renferme de curieuses analyses des nombreuses pièces que ce savant rhéteur faisait représenter par les écoliers de Louis-le-Grand. Le P. Lejay était un bon professeur et un excellent homme ; mais il ignorait l’art de se faire aimer de ses élèves, et notamment de Voltaire, qui ne se lassait pas de se moquer de lui. (H. B.)
  23. Tout le monde connaît le P. Porée. Il me suffira de rappeler ici qu’il naquit à Vende, près Caen, le 4 septembre 1667, et mourut à Paris le 10 janvier 1741. Les pères jésuites, ses confrères, ne crurent pas lui rendre un plus grand honneur qu’en inhumant son corps dans l’église du collége Louis-le-Grand, où il professait la rhétorique, alternativement avec le P. Lejay, depuis 1708. (H. B.)
  24. Les quatorze lettres de Voltaire à Mlle  Olympe ou Pimpette Dunoyer (voyez tome XV, page 127) ont été publiées pour la première fois dans l’édition de 1720 des Lettres historiques et galantes de Mme  Dunoyer. On les comprit dans le tome V d’une Collection complète des Œuvres de M. de Voltaire, Amsterdam, 1704 ; mais elles n’étaient point dans les éditions faites à Kehl. M. Renouard les admit, en 1821, dans son édition des Œuvres de Voltaire. Les lacunes qu’elles présentent donnent à penser que Mme  Dunoyer a supprimé les passages qui n’étaient pas flatteurs pour elle. (B.)
  25. Il faut lire : Monsieur l’Ambassadeur, le marquis de Châteauneuf. Ces abréviations furent faites par la mère de Mme  Dunoyer, qui publia ces lettres d’amour.
  26. Le père de Mlle  Dunoyer vivait en France. La fille avait suivi sa mère, qui, protestante, s’était expatriée.
  27. La sœur avait épousé un lieutenant de cavalerie déjà âgé, M. Constantin.
  28. Ou Scheveningen, village à une lieue et demie de la Haye, sur le bord de la mer. (Cl.)
  29. Les lettres au père, à l’oncle et à la sœur d’Olympe.
  30. Amphitryon, acte I, scène II.
  31. Mme  Dunoyer s’était mise aux gages des libraires de Hollande, et coopérait au Lardon et à la Quintessence, titres de journaux.
  32. Je présume qu’il faut lire marâtre, ou mégère. (B.)
  33. L’ambassadeur.
  34. Beuchot pense qu’il faut lire : vous a battue, ou frappée ; voyez la lettre 16, page 21.
  35. L’ambassadeur.
  36. L’édition des Lettres historiques et galantes de Mme  Dunoyer, qui parut en 1713, a six volumes. La première édition est de 1710, cinq volumes petit in-12.
  37. Publiée par M. Desnoiresterres avec la note suivante :

    « C’est à l’obligeance de notre savant ami M. Paul Lacroix, que nous sommes redevable de l’indication de cette curieuse pièce, perdue dans un ouvrage tout à fait oublié, le Miroir des Salons, de Mme  de Saint-Surin (2e édition, 1834), p. LXXVII, LXXVIII, LXXIX. Cet autographe provenait de la collection de M. de Monmerqué, qui devait épouser plus tard l’auteur du Miroir. Il paraîtrait, à en croire la note placée en tête de ce billet, que Voltaire le portait sur lui quand il fut mis à la Bastille (1717). Mme  de Saint-Surin nous avertit qu’elle a rétabli l’orthographe, car Olympe en était aussi complètement dépourvue que toutes les femmes de son temps. C’est là une peine dont on l’eût volontiers dispensée. »

  38. Secrétaire de l’ambassade de France.
  39. Mme  Dunoyer publiait, sous le titre de la Quintessence, une gazette anecdotique.
  40. Voyez page 18.
  41. René-Joseph de Tournemine, jésuite, né à Rennes en 1661, mort le 16 mai 1739, à qui sont adressées trois lettres en 1735. Il écrivit, en 1738, au P. Brumoy, une Lettre sur la tragédie de Mérope ; voyez, tome IV, page 177.
  42. Il est nommé dans la lettre du 20 janvier.
  43. L’ambassadeur.
  44. Sœur de Mme  Dunoyer, qui s’était mariée en 1708, et était revenue à Paris.
  45. Le marquis de Châteauneuf, frère de François de Castagnier, abbé de Châteauneuf et parrain de Voltaire.
  46. Maître Alain, cité plus bas. C’est chez ce procureur que Voltaire se lia d’amitié avec Thieriot, et avec un M. Bainast, à qui la lettre du 9 juillet 1733 est adressée. (Cl.)
  47. Madelène de Carvoisin d’Achy, d’une famille distinguée de Picardie, mariée à Jacques-Louis Vallon, marquis de Mimeure (qu’on prononce Mimûre), reçu à l’Académie française le 1er  décembre 1707, mort le 3 mars 1719. Elle était intimement liée avec Voltaire, comme on le voit dans sa lettre de novembre 1724, à Mme de Bernières. (Cl.)
  48. Anne-Marie Châteauneuf, connue au théâtre sous le nom de Duclos, était née à Paris. C’était à elle que Voltaire avait d’abord adressé son Anti-Giton, conte (voyez tome IX, page. 561), qu’il adressa ensuite à Mlle Lecouvreur. Mlle Duclos avait débuté en 1693, se retira du théâtre en 1733, et mourut en 1748. Voltaire, à qui elle avait préféré le duc d’Uzès, mort en 1736 (voyez, tome X, page 220. l’Épitre à Mme  de Montbrun), fit en 1720, sur Mlle  Duclos, un couplet qui est dans les Poésies mêlées, tome X, page 471.
  49. Probablement la sœur ou la belle-sœur de Mme  de Montbrun-Villefranche, à qui Voltaire adressa une épitre. (Cl.)
  50. L’Important, comédie de Brueys, jouée en 1693, fut reprise le 8 juillet 1715 ; ce qui donne la date de cette lettre.
  51. Tragédie-opéra de Duboulai, musique des fils de Lulli (Jean-Louis et Louis), représentée en 1688, et reprise en 1715. (K.)
  52. Dissertation critique sur l’Iliade d’Homère, 1715, 2 vol. in-12.
  53. Poésies chrétiennes, héroïques et morales, par l’abbé Juillard du Jarry, 1715, in-12. Du Jarry avait, en 1714, remporté le prix de poésie ; voyez tome XXii, page 1.
  54. Le grand-prieur était Philippe de Vendôme, mort le 24 janvier 1727, frère de Louis-Joseph, duc de Vendôme. — L’abbé de Bussy fut plus tard évêque de Luçon. Voyez l’année 1719. (Cl.)
  55. Vin nouveau d’Aï. C’est le sujet d’un petit poëme de Chaulieu.
  56. Gassendi avait élevé la jeunesse de Chapelle, qui devint grand partisan du système de philosophie de son précepteur. Toutes les fois qu’il s’enivrait, il expliquait le système aux convives ; et lorsqu’ils étaient sortis de table, il continuait la leçon au maître d’hôtel. (Note de Voltaire.)
  57. Louis-Antoine de Brancas-Villars, né en 1682, aïeul du comte de Lauraguais, à qui Voltaire dédia l’Écossaise (voyez tome V).
  58. C’est celle dont il est question plus haut, dans la lettre 22.
  59. Louis Bernin de Valentiné, marquis d’Ussé, gendre du maréchal de Vaubau, veuf dès novembre 1713.
  60. Voyez la note 2, tome XIX, page 478.
  61. Maximilien-Henri de Béthune, duc de Sully ; duc et pair en 1713 ; mort en 1729. Son château de Sully-sur-Loire est à cinq lieues de Gien. (Cl.)
  62. Voyez, à la date de 1716, dans les Poésies mêlées, le triple madrigal intitulé Nuit blanche de Sully.
  63. Père de Mme  du Châtelet. La lettre de décembre 1723 lui est adressée.
  64. Au poëte Roi.
  65. Michel-Celse-Roger de Rabutin, comte de Bussy, nommé évêque de Luçon octobre 1723 ; reçu à l’Académie française en mars 1732 ; mort le 3 novembre 1736. Second fils de Bussy-Rabutin, cousin de Mme  de Sévigné. (Cl.)
  66. Sans doute Julie-Christine d’Antraigues, mariée, en 1709, à Paul-François, duc de Béthune-Charost. Citée sous le titre de duchesse de Béthune, dans la lettre du 20 juillet 1724, à Thieriot. (Cl.)
  67. L’abbé de Chaulieu.
  68. C’est le frère du duc de Vendôme. Il était grand-prieur de France. L’abbé Courtin était un de ses amis, fils d’un conseiller d’État, et homme de lettres. Il était tel qu’on le dépeint ici. (Note de l’édition de 1748.)
  69. Voyez Pantagruel, livre IV, chapitre xlviii.
  70. Ces vers ont été, avec quelques variantes, reproduits dans la Pucelle, cliant XI.
  71. L’abbé de Chaulieu demeurait au Temple, qui appartient aux grands-prieurs de France. C’était autrefois la demeure des Templiers. (Note de l’édition de 1748.)
  72. Variante :

    Fait ici notre unique affaire :
    Nous buvons à votre santé ;
    Dans ce beau séjour enchanté,
    Nous faisons excellente chère.
    Et voilà tout : en vérité,
    Vous avez la mine d’en faire
    Tout autant de votre côté.

  73. Voyez tome XIV, page 84.
  74. Cette lettre, dont l’auteur parle dans celle de juillet 1732 à Formont, est sans date dans une édition de 1732. Les allusions qu’elle contient autorisent à croire qu’elle est de 1716, ou des premiers mois de 1717. Quant aux premiers vers de cette lettre, on les retrouve, avec de légers changements, dans la Fête de Bélébat, où ils sont adressés au président Hénault. (Cl.) — Sur La Faye, voyez la note 4. tome XIV, page 88.
  75. Sur Ferrand, voyez tome XIV, page 71.
  76. Sur ce café, voyez tome XXII, page 333.
  77. Voyez tome XXII, page 16.
  78. Il est intitulé Lettre à M. de La Fosse, poète tragique, écrite de Rouen ; en vers de huit syllabes.
  79. À Sully-sur-Loire, lieu de son exil.
  80. Mauvaise pièce de Rousseau qu’on voulait mettre au théâtre, mais qu’on fut obligé d’abandonner aux répétitions. (Note de Voltaire.) — Cette note est de 1732. Le Capricieux avait été joué le 17 décembre 1700.
  81. M. de La Paye était nommé envoyé extraordinaire à Gênes. (Note de 1732.) — La Faye figure dans l’Almanach royal de 1716 et de 1717 comme envoyé extraordinaire à Gênes, et non dans celui de 1718. (Cl.)
  82. J’imprime ce billet inédit d’après une copie qui m’a été communiquée par le prince A. Labanoff. (B.)
  83. Voltaire a été arrêté en 1717, le jour de Pentecôte (voyez, tome IX, page 353. la pièce intitulée la Bastille). Or, en 1717, le jour de Pentecôte était le 16 mai : c’est donc la date de cette lettre. (B.)
  84. Marc-René d’Argenson : voyez les notes, tome XIV, page 503, et XVI, 60. Cette lettre est du 15 avril 1718. Publiée pour la première fois par Beuchot, d’après une copie qu’il tenait du prince A. Labanoff.
  85. Revue rétrospective, 1834, Détentions de Voltaire.
  86. Voltaire était alors exilé à Châtenay, où le Régent l’avait fait reléguer après sa sortie de la Bastille (11 avril 1718).
  87. Le Regnante puero. Voyez (manuscrit de la Bibliothèque nationale) le Recueil de chansons, vaudevilles, sonnets, épigrammes, épitaphes, et autres vers satiriques et historiques avec des remarques curieuses, années 1717-18, vol. XIV (mars 1717), folio 47.
  88. Voyez tome X, pages 473-474.
  89. Revue rétrospective, 1834, Détentions de Voltaire.
  90. Voltaire obtint, le même jour, permission de venir à Paris pour vingt quatre heures seulement.
  91. M. Ancelot, dans son voyage intitulé Six Mois en Russie, dit avoir vu, en 1820, à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, le portefeuille enlevé à Voltaire, lors de sa détention à la Bastille. Ce portefeuille, d’où proviennent les lettres 31 et 32, est à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, sous le no 725 ; il contient quatre-vingt-cinq pièces de Voltaire ou relatives à Voltaire ; mais, parmi ces pièces, il en est qui sont de 1755. Ce portefeuille est donc un dossier concernant Voltaire. ( B.)
  92. Œdipe. Cette tragédie a été dédiée, non au Régent, mais à sa femme ; voyez tome II, page 8.
  93. « Croiriez-vous, dit Frédéric II, que ce fut à la Bastille même que le jeune poëte composa les deux premiers chants de la Henriade ? »
  94. Revue rétrospective, 1834, Détentions de Voltaire.
  95. Saint Luc, xvi, 24.
  96. Père de Mme  du Châtelet.
  97. Voltaire obtint, le 11 juillet 1718, permission de venir à Paris pour huit jours ; le 23 juillet, permission de rester à Paris encore un mois ; le 8 août, permission de rester pendant un mois seulement ; enfin le 12 octobre, permission de venir à Paris quand bon lui semblerait.
  98. Au Bruel, chez le duc de La Feuillade.
  99. Allusion à la passion violente qu’il venait d’avoir pour Jeanne-Angélique Roque de Varangeville, mariée au maréchal de Villars en 1702. Voltaire ne commença à connaître cette dame que dans la seconde quinzaine de novembre 1718, après l’une des premières représentations d’Œdipe. Il conserva pour elle beaucoup d’attachement et de respect, quoiqu’elle fût devenue très-dévote il la qualifie d’aimable sainte, de sainte duchesse, dans sa lettre du 1er  février 1743 à Moncrif, et dans quelques autres de 1745 et de 1746. (Cl.)
  100. Château à trois quarts de lieue de Melun. Il a successivement porté les noms de Vaux-Fouquet, Vaux-Villars, et Vaux-Prâlin, ayant appartenu au surintendant Fouquet, au maréchal de Villars, et au duc de Choiseul-Prâlin, l’un des correspondants de Voltaire. (Cl.)
  101. Pièces inédites de Voltaire, 1820.
  102. Chaulieu mourut le 27 juin 1720.
  103. Le Fèvre de La Faluère de Genonville, conseiller au parlement de Paris, mort vers 1720. Quelques personnes pensent que c’est à lui que furent adressées les Lettres sur OEdipe ; voyez tome II, page 11.
  104. Celle qui précède.
  105. Le système de Law ou Lass ; voyez, tome XV, le chapitre ii du Précis du Siècle de Louis XV.
  106. Louis d’Aubusson, duc de La Feuillade, né en 1673, maréchal de France en 1724, mort en janvier 1725.
  107. La Henriade.
  108. Elle est dans les Pièces inédites de Voltaire, publiées par M. Jacobsen en 1820, page 157. Nous l’avons donnée sous le no 39.
  109. Voyez, sur Thieriot, la note 1 de la pape 59.
  110. De la Henriade.
  111. Conseiller d’État.
  112. Cette lettre et les deux précédentes ont été publiées, pour la première fois, par MM. de Cayrol et François.
  113. Le comte de Boulainvilliers, homme d’une grande érudition, mais qui avait la faiblesse de croire à l’astrologie. Le cardinal de Fleury disait de lui qu’il ne connaissait ni l’avenir, ni le passé, ni le présent. Cependant il a fait de très-belles recherches sur l’histoire de France. (Note de l’édition de 1748.) — Dans les éditions antérieures, elle se composait de partie de la première phrase. Voyez tome XIV, page 45.
  114. La fin de cette lettre se lit ici telle qu’elle a été imprimée en 1726 dans le tome II des Mémoires de Desmolets. Dans l’édition de 1738-39 des OEuvres de
    Voltaire, au lieu de l’alinéa en prose on lit :

    Mais depuis que votre Apollon
    Voulut quitter la bergerie
    Pour Euclide et pour Varignon,
    Et les rubans de Céladon
    Pour l’astrolabe d’Uranie,
    Vous nous parlerez le jargon
    De l’abstraite philosophie,
    De calcul, de réfraction.
    Mais daignez un peu, je vous prie,
    Si vous voulez parler raison,
    Nous l’habiller en poésie ;
    Car sachez que, dans ce canton,
    Un trait d’imagination
    Vaut cent pages d’astronomie.


    Toutefois le vers imprimé en italique a été ajouté par moi, d’après un manuscrit. C’est aussi d’après les Mémoires de Desmolets que j’ai daté cette lettre de juin 1721. Dans toutes les impressions faites du vivant de Voltaire, elle est datée du 1er septembre 1720. (R.)

  115. Ce fut chez le procureur Alain, en 1714, que le goût de la littérature et des spectacles commença à lier Voltaire avec Thieriot. La véritable orthographe de son nom est Thieriot, et non Thiériot. Voltaire écrivait toujours Tiriot. Né en 1696, mort en novembre 1772. (Cl.)
  116. Dans la correspondance inédite publiée par : MM. E. Bavoux et François, cette lettre commence ainsi : « Comment vont vos craintes sur la paralysie (il s’agit du père de Thieriot) ? Informez-moi, je vous en prie, de votre santé. Si monsieur votre père n’était pas à Boissette, j’irais vous y voir. Je suis encore, etc. »
  117. Cette fête, en 1721, fut le 1er juin. Cette lettre est donc du 2.
  118. Ici finit la lettre publiée par MM. de Cayrol et François. Ce qui suit se trouve aussi dans la lettre no 44.
  119. Alors à Vienne.
  120. Devenu le septième depuis 1728.
  121. Éditeurs, Cayrol et François. Sur Mme  de Bernières, voyez page 73, note 3.
  122. Célèbre médecin du temps. (A. F.)
  123. La Rivière-Bourdet, château situé sur la rive droite de la Seine, près de Rouen, dans la commune de Quévillon.
  124. Le duc de Richelieu sans doute. (A. F.)
  125. Cette ancienne maîtresse de Voltaire avait dû se retirer de la Comédie-Française, le 27 mai 1722. Voyez, tome X, page 269, l’épître des Vous et des Tu.
  126. Le fils du maréchal.
  127. La marquise de Villars était née Noailles ; mais par ses père et mère le marechal entend ici lui-même et la maréchale.
  128. Sainte-Beuve, qui a publié cette lettre dans ses Causeries du lundi tome XIII, a supprimé ici une gaillardise que nous ne rétablissons pas.
  129. La lettre à Rousseau est du 23 janvier
  130. Éditeurs, Bavoux et François.
  131. Cette lettre est de 1722. Elle a été imprimée plusieurs fois ; mais on la donne ici sur l’original. Mme  de Rupelmonde était fille du maréchal d’Alègre, mariée à un seigneur flamand, et mère du marquis de Rupelmonde tué en Bavière. (Note de l’édition de 1752.)
  132. 2. Marie-Marguerite-Élisabeth d’Alègre, fille du maréchal de ce nom, mariée, en 1705, à Maximilien-Philippe-Joseph de Recourt, comte de Rupelmonde, tué à Villa-Viciosa en 1710. Elle mourut le 2 juin 1752, dans sa soixante-quatrième année. C’est à cette dame que Voltaire adressa l’Èpître à Uranie, ou le Pour et le Contre (Voyez tome IX). Sa bru, née Grammont, se fit carmélite le 8 octobre 1751.
  133. Variante : Parce qu’il vous regarde comme l’homme du monde de la meilleure conversation. La seule chose que je vous demanderai à Paris sera de vouloir bien me parler.

    Je ne désire rien au monde
    Que d’entendre Dubois et de voir Rupelmonde.

    (La Ligue, édit. in-12 de 1721, page 164.)
  134. Beauregard, officier français, ayant, dit-on, frappé Voltaire de coups de bâton, sur le pont de Sèvres, était l’objet de poursuites criminelles de la part du poète.