Vie de Jésus (Strauss) 1/Préface de l’auteur, troisième édition

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PRÉFACE

DE LA TROISIÈME ÉDITION.



J’étais occupé de la composition de mes écrits polémiques, dont le second volume devait être consacré à l’examen, par ordre de matières, des objections présentées, dans des écrits étendus, contre certains points de ma critique évangélique, lorsque j’ai été interrompu par la nécessité de publier une troisième édition de la Vie de Jésus. J’ai transporté dans l’ouvrage même la discussion avec les adversaires les plus considérables, et, par conséquent, j’ai rendu superflue la continuation ultérieure de mes écrits polémiques.

On trouvera que je n’ai pas traité légèrement les objections de mes adversaires ; loin de là, je me suis pénétré de toute la force et de toute l’importance de leurs arguments, pour faire, sans ménagements, des corrections là où ils me paraissaient avoir raison, mais pour persister avec plus de constance dans mes premières opinions là où ils ne les avaient pas ébranlées. Je me suis efforcé d’apprendre de chacun d’eux autant que possible. J’ai déjà déclaré ailleurs combien à cet égard je suis redevable à De Wette. Neander, dont le sens moral est si profond, m’a souvent aidé à trouver l’unité que les oppositions m’avaient cachée ; d’un autre côté, je dois dire que lui ne tient pas toujours, devant l’unité, assez compte des oppositions. Mais combien la réserve avec laquelle il retient ce qui est ancien, la sincérité avec laquelle il reconnaît ce qui est douteux, combien enfin son amour désintéressé de la vérité ne fait-il pas honte au zèle trouble de ceux qui, comme Hoffmann, se montrent partout moins occupés à découvrir ce qui est vrai qu’à tenir leur promesse présomptueuse de ne pas céder un pouce de terrain à leur adversaire ! Cependant je reconnais devoir à ce critique instruit et sagace plusieurs rectifications, surtout dans l’histoire de l’enfance ; j’ai aussi rencontré plusieurs justes observations dans Kern, malgré son ton doctoral et boursouflé. Et Tholuck, qui embrasse toutes choses, mais dont la démarche est parfois incertaine, m’a fourni, çà et là, quelque aperçu plus juste. L’écrit même de Theile, quoiqu’informe et dicté en partie par la passion, ne m’a pas été sans utilité. Le livre d’Osiander est le seul où, au milieu des fumées de l’encens et de l’adoration, je n’ai pu trouver aucune lumière, aucune du moins qu’il n’eût pas empruntée à des prédécesseurs plus habiles que lui. Le livre de Weisse sur l’histoire évangélique, que j’ai accueilli comme une apparition satisfaisante à beaucoup d’égards, a été publié trop tard pour servir à l’amélioration de mon premier volume.

Le Commentaire de De Wette et la Vie de Jésus-Christ de Neander à la main, j’ai recommencé l’examen du quatrième évangile ; et cette étude renouvelée a ébranlé dans mon esprit la valeur des doutes que j’avais conçus contre l’authenticité de cet évangile et de la créance qu’il mérite : de là dépendent plus ou moins les changements que cette nouvelle édition présente. Ce n’est pas que je sois convaincu que le quatrième évangile est authentique, mais je ne suis plus autant convaincu qu’il ne l’est pas. Les caractères de ce qui est digne de foi et de ce qui ne peut être cru, de ce qui s’approche et de ce qui s’éloigne de la vérité, se heurtent et se croisent d’une façon si singulière dans cet évangile, le plus remarquable de tous, que, dans la première rédaction de mon livre, j’avais, avec le zèle d’une polémique exclusive, mis uniquement en évidence le côté défavorable, qui me semblait avoir été négligé ; mais, peu à peu, le côté favorable a repris ses droits ; seulement je ne puis pas, comme le font presque tous les théologiens actuels jusqu’à De Wette, sacrifier, sans plus ample informé, toutes les objections. Par cette position, mon livre comparé avec la rédaction première et avec les écrits dictés par une opinion opposée à la mienne, paraîtra avoir perdu en unité ; mais il a gagné, j’espère, en vérité.

Quant à la forme, j’avais vécu dans la sécurité la plus complète, parce qu’elle avait été louée par des juges qui ne m’étaient pas d’ailleurs favorables ; mais tout récemment Ewald, parmi beaucoup d’autres dures accusations, m’a reproché l’abus des mots étrangers. En conséquence, j’ai fait attention à ce reproche, et j’ai trouvé réellement qu’à cet égard je m’étais donné trop de licence ; j’ai donc extirpé, dans cette dernière édition, une foule de ces mauvaises herbes, et je n’ai conservé ces mots étrangers que là où la brièveté et la précision de l’expression ou même la variété du style paraissait l’exiger. Je parle de mots étrangers qui s’étaient glissés à tort dans le texte allemand, mais non des mots et des phrases du Nouveau-Testament que j’ai souvent intercalés, en original, dans mon livre ; car ce n’est pas à cela que j’ai dû rapporter le blâme d’Ewald, puisque cette espèce de mélange des langues doit être permise à un homme qui écrit sur un ouvrage rédigé dans un idiome étranger. En terminant, je crois devoir remercier l’auteur, à moi inconnu, de l’apologie de ma personne et de mon livre, pour la bonne volonté avec laquelle il a essayé de se mettre à mon point de vue, quoiqu’il ne soit pas le sien, et pour l’indépendance de vues et la libéralité d’esprit avec laquelle il a su dissiper plusieurs malentendus et écarter plusieurs fausses interprétations.


Stuttgard, le 8 avril 1838.

L’AUTEUR.