Vingt-quatre heures d’une femme sensible/Lettre 39

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Librairie de Firmin Didot Frères (p. 124-125).



LETTRE XXXIX.

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Grâces, grâces te soient rendues, ami ! Je t’avais consacré toute mon existence ; je passais ma vie à t’attendre, à t’écrire, à m’occuper de toi. Quand tu paraissais, une folle joie bouleversait mes sens : mon âme amollie semblait se fondre dans la tienne, et, misérable esclave privée de ses plus nobles facultés, je cherchais à lire sur ton front mes désirs, mes sentiments, mes moindres sensations. Grâces, grâces te soient rendues ! Emportée, par un fol amour, dans un monde idéal dont je t’avais fait la divinité, tout le reste de l’univers était anéanti pour moi. Les lumières de l’esprit, les grandeurs de la nature, tout ce qui élève et ennoblit l’homme n’était plus à mes yeux que de vaines jouissances abandonnées aux âmes vulgaires ; et sur ce trône d’amour où je t’avais placé, la mort dans tes bras (combien de fois ne te l’ai-je pas répété !), la mort dans tes bras m’eût paru mille fois préférable à de longs jours de gloire et de prospérité. Grâces, grâces te soient rendues ! tu m’as lâchement trahie ; tu t’es mis à ta place ; tu m’as remise à la mienne !

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