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Voyage dans la Guyane française/01

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Première livraison
Le Tour du mondeVolume 13 (p. 273-288).
Première livraison

L’Alecton. — Dessin de Riou d’après une aquarelle de M. Rodolphe, enseigne de vaisseau.


VOYAGE DANS LA GUYANE FRANÇAISE,


PAR M. FRÉDÉRIC BOUYER, CAPITAINE DE FRÉGATE.


1862-1863. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




Départ de Toulon. — L’Alecton. — La mer. — Les côtes d’Espagne. — L’Océan. — Le poulpe géant.

L’Alecton est un joli aviso à vapeur de la force de 120 chevaux, long comme une frégate, étroit comme une yole. Il est en bois, à roues à aubes, à cylindres oscillants ; il a été construit, coque et machine, par la compagnie industrielle des forges et chantiers de la Méditerranée.

Ce n’est pas un marcheur de première force ; ses 120 chevaux ne sont pas des plus fringants ; mais son allure est satisfaisante, douce et modérée, et s’il se ménage, c’est sans doute pour mieux fournir une longue carrière.

Alecton, sa patronne, est, comme on le sait, la première de ces trois furies dites par antiphrase Euménides, et qui avaient pour mission dans la théogonie païenne de taquiner les humains dans ce monde et de leur être particulièrement désagréables dans l’autre. Oreste eut de vilains rapports avec ces dames qui se coiffaient de couleuvres ; il est vrai qu’il le méritait quelque peu, et que de nos jours, il eût été traduit à un autre tribunal que celui de sa conscience.

Les bâtiments à vapeur ont quelque chose de surnaturel et de fatal dans leur essence. Le noir panache de fumée qui les couronne, le foyer générateur de l’élément vital qui circule dans leurs veines de cuivre, tout donne une figure diabolique à ces étranges créations du génie de l’homme.

Dans ce bas monde, on est, plus ou moins, l’esclave de son nom ; aussi l’Alecton a-t-il été tout naturellement désigné pour la station navale de Cayenne, un pays où la France a depuis quelques années établi une colonie pénitentiaire.

Le 21 novembre 1861, l’aviso à vapeur l’Alecton, sur lequel, en écrivain consciencieux, nous avons donné au lecteur tous les renseignements historiques désirables, quittait le port de Toulon et la France pour se rendre à sa destination, et se lançait dans la haute mer.

La mer ! que de poëtes, d’historiens et de savants, ont, depuis quelques années surtout, exploité cette mine féconde ! Jusqu’à ces derniers temps, la mer avait été respectée dans cette grande recherche de l’inconnu. Mais dans ce siècle interrogateur où semblent marcher de front le positif et l’idéal, l’imagination et le réalisme, les grands phénomènes de la nature font éclore sur la harpe d’or les fleurs les plus rayonnantes de la poésie, et éveillent chez les penseurs et les philosophes le désir de sonder leurs mystères les plus cachés et de dévoiler leurs lois les plus intimes.

On avait depuis longtemps déterminé d’une manière mathématique les règles des marées ; on avait reconnu l’influence immédiate des astres sur les mouvements de l’Océan ; on savait les raisons des intermittences régulières d’avance et de recul ; on avait étudié quelques courants généraux ou particuliers ; on connaissait les trombes, les ouragans, les tempêtes par leurs terribles effets ; la sphère céleste avait dit presque tous ses secrets ; la mer avait gardé les siens.

Il appartenait à une nation jeune et qui marche à pas de géant vers l’avenir, à une nation qui doit sa force et sa vitalité puissante à la mer, d’établir les bases et les lois organiques de ce milieu inconnu. Il est un fleuve au sein de l’océan, jamais il ne tarit, jamais il ne déborde. Ses rives et son lit sont des couches d’eau froide à travers lesquelles coulent à flots pressés, ses ondes tièdes et bleues. Il est plus rapide que l’Amazone, plus impétueux que le Mississipi et la masse de ces deux fleuves ne représente pas la millième partie du volume d’eau qu’il déplace.

Ce fleuve, c’est le Gulf-stream.

C’est par l’étude de cette merveille de la mer, que le savant Américain Maury est arrivé à pénétrer dans tous les phénomènes de l’océan. Dans son livre des vents et des courants, il désigne clairement le Gulf-stream comme le grand régulateur de tous les mouvements qui se manifestent au sein des eaux de l’Atlantique.

Ce prodigieux fleuve océanique, puise des trésors de chaleur dans le golfe du Mexique, et les répand généreusement dans le monde, de l’Amérique vers l’Europe, tandis que les eaux froides refoulées et modifiées par cette force irrésistible se frayent à leur tour des chemins dans la mer, arrivent par des circuits plus ou moins longs à cette même source de calorique, et vont, par une chaîne sans fin et une circulation éternelle alimenter le foyer générateur.

Ainsi se conserve le grand équilibre des mers. Ainsi viennent se compenser les degrés d’évaporation et de saturation saline que les différences de latitude et de profondeur ont établis dans les mers. Ainsi chaque flot, chaque vague participe au mouvement général de la masse infinie.

La goutte d’eau qui a reflété le Vésuve, qui s’est embaumée aux senteurs de Sorrente, après avoir parcouru le monde comme un éternel voyageur, ira, quelque jour, se congeler aux abords sombres du pôle, et former le sommet d’albâtre de quelque îlot glacé.

En même temps que les preuves les plus éclatantes se groupaient pour prouver cette vérité du mouvement des mers, l’ingénieux appareil de sondage de Broocke permettait de tracer en tout lieu le profil de la mer, et d’en étudier la constitution physique. La mer sans fond était un mot à rayer du dictionnaire des impossibilités. La nature de ce fond, dont la sonde rapportait des échantillons, permettait de raisonner sur des certitudes. L’horizon des mystères s’éclaircissait.

Piddington développait les lois circulaires des tempêtes et des ouragans, établissait leurs zones et leurs phases diverses, leurs rapports avec les courants trop heurtés quelquefois des eaux chaudes et des eaux froides. Il semblait prédire le moment de leur naissance, l’heure de leur chute, le chemin probable parcouru par ces cyclones tourbillonnants.

Et tous ces phénomènes, tous ces prodiges reliés entre eux, constituent les lois immuables de l’univers et concourent, dans un merveilleux accord, à rendre hommage à la sagesse suprême du Créateur qui a permis que les règles du mouvement des mondes fussent tôt ou tard connues des hommes, et n’a voulu laisser dans les limbes impénétrables que les mystères de sa divine essence, tout en révélant à chaque instant sa puissance infinie.

Déduisant des règles pratiques de ces précieuses découvertes, Maury guide les navires dans leur marche indécise et leur indique la meilleure route à suivre pour profiter de certains courants, pour éviter les autres.

Des lois des tempêtes, l’illustre marin tire de lumineuses conséquences. Assis dans son cabinet de travail à l’observatoire de Washington, il calcule le point où l’on doit rencontrer cette épave qui s’appelait le San-Francisco, et qui broyée par l’ouragan flottait éperdue à la merci des vents et des flots. Il détermine par des chiffres la courbe qu’avait dû suivre ce vent et la dérive que la mer, le vent et le courant avaient dû imprimer au navire, et au point exact indiqué par Maury, on arrachait six cents malheureux à la mort. Une heure après ce miraculeux sauvetage, l’épave s’engloutissait dans les flots.

Jamais la Méditerranée n’a revêtu physionomie plus placide qu’au jour de notre départ ; jamais novembre n’a vu des ondes plus tranquilles, une nappe plus bleue, s’ouvrir plus facilement sous la proue d’un vaisseau. La tigresse a rentré ses griffes, et n’a pour nous en ce jour que des caresses de jeune fille.

Ce calme qui pour un navire à voiles serait un sujet de désespoir et d’ennui, est une bonne fortune pour un navire à vapeur. Le panorama de la côte d’Espagne se déroule devant nous avec rapidité. Nous autres marins, nous comptons notre chemin de cap en cap, de promontoire en promontoire, comme le voyageur terrestre compte de ville en ville, de village en village. Ce sont les jalons qui nous servent à couper la longueur de ces routes immenses que nous traçons sur les océans.

Nous avons franchi successivement le golfe de Lion, où la mer dresse d’habitude une crinière d’écume ; nous passons le golfe de Valence, et laissant à notre gauche les îles Baléares, nous défilons devant le cap Saint-Martin où le paladin Roland, tranchant les monts de sa redoutable épée, a laissé cette étrange coupure connue dans le pays sous le nom de Cuchillada de Rolon.

Voici le cap Palos. Là-bas, c’est Carthagène, la ville d’Asdrubal et de Scipion, tombeau pour l’un, triomphe pour l’autre, quatrième port de la côte sud d’Espagne qui, d’après le dicton populaire, en possède encore trois autres : juin, juillet et août. Le cap de Gate se reconnaît à ses grandes taches calcaires qui ressemblent à des draps étendus au soleil ; nous voyons les montagnes de Malaga, et le 25 novembre de grand matin, quatrième jour depuis notre départ de Toulon, nous sommes devant Gibraltar.

L’Océan est pour nous aussi aimable que la Méditerranée.

Il est des navires prédestinés, devant lesquels les flots s’apaisent et les tempêtes reculent. Les vaisseaux ont leur étoile comme les hommes. Ils subissent comme eux des chances heureuses ou malheureuses. On serait parfois tenté de croire que ces grands corps de bois et de fer auxquels notre existence est attachée, sont animés d’un certain esprit ; que tous les petits lutins frappeurs, tourneurs, parleurs, des planches ou des tables, se rassemblent parfois dans une grande individualité. Je n’ose m’embarquer dans cette théorie, de peur de m’échouer sur un paradoxe.

Appuyé sur le plat-bord de l’Alecton, à demi songeur, à demi éveillé, je pensais à cette inégalité de répartition dans les destinées, tout en contemplant cette mer qui déroulait avec majesté ses volutes d’azur. Un incident vint m’arracher à ma rêverie.

« Commandant, la vigie signale un débris flottant, par bâbord.

— C’est un canot chaviré.

— C’est rouge, ça ressemble à un cheval mort.

— C’est un paquet d’herbes.

— C’est une barrique.

— C’est un animal, on voit les pattes. »

Je me dirigeai aussitôt vers l’objet signalé et qui était si diversement jugé, et je reconnus le poulpe géant dont l’existence contestée semblait reléguée dans le domaine de la fable.

Je me trouvais donc en présence d’un de ces êtres bizarres que la mer extrait parfois de ses profondeurs comme pour porter un défi aux naturalistes. L’occasion était trop inespérée et trop belle pour ne pas me tenter. Aussi, eus-je bien vite pris la résolution de m’emparer du monstre, afin de l’étudier de plus près.


Le poulpe géant. — Dessin de Riou d’après un croquis de M. Rodolphe.

Aussitôt tout est en mouvement à bord ; on charge les fusils, on emmanche les harpons, on dispose les nœuds coulants, on fait tous les préparatifs de cette chasse nouvelle.

Malheureusement la houle était très-forte et dès qu’elle nous prenait par le travers, elle imprimait à l’Alecton des mouvements de roulis désordonnés qui gênaient les évolutions, tandis que l’animal lui-même quoique restant toujours à fleur d’eau, se déplaçait avec une sorte d’instinct et semblait vouloir éviter le navire.

Après plusieurs rencontres qui n’avaient permis encore que de le frapper d’une vingtaine de balles auxquelles il paraissait insensible, je parvins à l’accoster d’assez près pour lui lancer un harpon ainsi qu’un nœud coulant, et nous nous préparions à multiplier le nombre de ses liens, quand un violent mouvement de l’animal ou du navire fit déraper le harpon qui n’avait guère de prise dans cette enveloppe visqueuse ; la partie où était enroulée la corde se déchira et nous n’amenâmes à bord qu’un tronçon de la queue.

Nous avions vu le monstre d’assez près et assez longtemps pour en faire une exacte peinture. C’est un encornet gigantesque. Il semble mesurer dix-huit pieds de la tête à la queue. La tête, qui a la forme d’un bec de perroquet, est enveloppée de huit bras de cinq à six pieds de longueur. Sa couleur est d’un rouge brun ; ses yeux glauques ont la dimension d’une assiette ; la figure de cet embryon colossal est repoussante et terrible.

Officiers et matelots me demandaient à faire amener un canot pour essayer de garrotter de nouveau le monstre et de l’amener le long du bord. Ils y seraient peut-être parvenus si j’eusse cédé à leurs désirs ; mais je craignais que dans cette rencontre corps à corps, l’animal ne lançât un de ses longs bras armés de ventouses sur le bord du canot, ne le fît chavirer, n’étouffât plusieurs hommes dans ses fouets redoutables, chargés, dit-on, d’effluves électriques et paralysantes, et comme je ne pouvais pas exposer la vie de mes hommes pour satisfaire une vaine curiosité, je dus m’arracher à l’ardeur fiévreuse qui nous avait saisis tous pendant cette poursuite acharnée, et j’ordonnai d’abandonner sur les flots le monstre mutilé qui nous fuyait maintenant et qui sans paraître doué d’une grande rapidité de déplacement, plongeait de quelques brasses et passait d’un bord à l’autre du navire, dès que nous parvenions à l’aborder.

La partie de la queue que nous avions à bord pesait quatorze kilogrammes. C’est une substance molle répandant une forte odeur de musc. La partie qui correspond à l’épine dorsale commençait à acquérir une sorte de dureté relative. Elle se rompait facilement et offrait une cassure d’un blanc d’albâtre. L’animal entier, d’après mon appréciation, devait peser de deux à trois tonneaux, quatre à six mille livres. Il soufflait bruyamment ; mais je n’ai pas remarqué qu’il lançât cette substance noirâtre au moyen de laquelle les petits encornets que l’on rencontre à Terre-Neuve, troublent la transparence de l’eau pour échapper à leurs ennemis.

Des matelots m’ont raconté qu’ils avaient vu, dans le sud du cap de Bonne-Espérance, des poulpes pareils à celui-ci, quoique de taille un peu moindre. Ils prétendent que c’est un ennemi acharné de la baleine. Et de fait, pourquoi cet être qui semble une grossière ébauche, ne pourrait-il atteindre des proportions gigantesques ? Rien n’arrête sa croissance, ni os, ni carapace ; l’on ne voit pas à priori de bornes à son développement.

Quoi qu’il en soit, cet horrible échappé de la ménagerie du vieux Protée, me poursuivra longtemps dans mes nuits de cauchemar. Longtemps je retrouverai fixé sur moi ce regard vitreux et atone, et ces huit bras qui m’enlacent dans leurs replis de serpents ; longtemps je garderai la mémoire du monstre rencontré par l’Alecton, le 30 novembre 1861 à deux heures de l’après-midi, à quarante lieues de Ténériffe.

Depuis que j’ai de mes yeux vu cet animal étrange, je n’ose plus fermer dans mon esprit la porte de la crédulité aux récits des navigateurs. Je soupçonne la mer de n’avoir pas dit son dernier mot, et de tenir en réserve quelques rejetons des races éteintes, quelques fils dégénérés des Trilobites, ou bien encore, d’élaborer dans son creuset toujours actif, des moules inédits pour en faire l’effroi des matelots et le sujet des mystérieuses légendes des océans[1].


Poisson (au quart de la grandeur naturelle) pris à Saint-Vincent, îles du cap vert (décembre 1861). — Dessin de Rapire d’après une aquarelle de M. Rodolphe.


La Guyane. — La déportation. — Coup d’œil rétrospectif.

… Le 23 décembre, une certaine perturbation dans les eaux de la mer annonce l’approche des Guyanes. L’eau perd de son amertume ; elle a pris cette nuance sombre, puis jaunâtre qui signale le voisinage des rivières. L’influence des grands courants se trahit par des signes manifestes ; sans avoir vu se dessiner aucun profil à l’horizon, on pressent que la terre est proche. Nous sommes en un mot sous l’impression de ce même phénomène qui, en 1498, frappa Christophe Colomb.

Jusque-là, l’illustre Génois n’avait vu que des îles ; cette fois, il devina un continent. Son génie lui démontra que les fleuves qui apportaient ce trouble dans les eaux de l’océan devaient traverser un monde.

« Là, dit-il, en étendant la main vers la rive américaine, là est une terre qui s’étend plus loin que ma pensée ne peut le préciser. »

La sonde nous annonçait effectivement les dégradations successives du fond : j’eus connaissance dans la nuit du rocher le Connétable ; puis des îles Rémire, et le 24 au matin, je mouillais aux Îles du Salut, près de la frégate à vapeur la Cérès, qui venait d’amener un convoi de cinq cents transportés.

Me voilà donc à la Guyane, en ce pays dont le décret du 8 avril 1852 a fait la terre d’expatriation des déportés de toute catégorie ; ce décret n’a fait, du reste, que consacrer une vieille habitude. Il y a toujours ainsi des lieux choisis vers lesquels les gouvernements des sociétés, sous quelque forme qu’ils soient constitués, dirigent ceux qui portent ombrage ou atteinte à la loi. Le Directoire n’a pas été moins dur que la monarchie française aux malheureux bannis.

Les mots déportation, bannissement, relégation, ostracisme, sans être entièrement synonymes, représentent cependant les variations d’une même peine ; l’exil, c’est-à-dire l’expulsion hors du pays.

La déportation qui a frappé de grands citoyens, des ambitieux, des adversaires politiques, des ministres disgraciés, des factieux, des rebelles, des suspects, des sectes religieuses, des familles, des races entières, la déportation qui a été une arme aveugle et cruelle entre les mains de la royauté, de l’aristocratie ou du peuple, a revêtu de nos jours l’appareil de la légalité. Elle s’est substituée à une autre pénalité pour atteindre les criminels vulgaires, pour punir les attentats contre les personnes, pour frapper les voleurs, les faussaires et les assassins, tout en conservant la destination première que lui donnait l’antiquité : celle de punir les attentats contre le gouvernement établi.

Les Anglais sont nos prédécesseurs dans cette voie et leurs colonies pénitentiaires de Botany-Bay nous ont encouragés à tenter l’épreuve.

C’est une société à fonder avec des matériaux étranges. C’est en même temps une colonie à relever de ses ruines un cadavre à ressusciter, un principe à reproduire, un avenir à créer avec un élément infécond.

Sans pénétrer jusqu’au fond de ces questions capitales, j’espère pouvoir trouver encore à la surface d’un pays vierge, où la nature est si riche et si bizarre, quelques sujets de récits intéressants et neufs. Et si par hasard l’histoire de la transportation se présente sous ma plume, illustrée de ses drames lugubres et sanglants dont le bruit a passé la mer, je tâcherai de concentrer la morale de mes faits divers dans la sphère exclusive des intérêts de la société coloniale.

On donne le nom de Guyane à cette vaste contrée de l’Amérique équinoxiale qui est comprise entre l’Orénoque, l’Amazone, le Rio-Negro et la mer. Le Rio-Negro qui la limite à l’ouest sert en même temps de trait d’union aux deux grands fleuves qui la bornent au nord et au sud.

Aujourd’hui, ce grand territoire est partagé entre quatre nations : le Brésil, qui, en sa qualité d’héritier du Portugal possède la rive gauche de l’Amazone, et revendique la propriété du pays compris entre ce fleuve et l’Oyapock ; la France, dont les possessions s’étendent de l’Oyapock au Maroni ; la Hollande, du Maroni au Corentin ; et l’Angleterre enfin, du Corentin à l’Orénoque.

Ces quatre Guyanes, brésilienne, française, hollandaise, anglaise, formaient jadis une seule colonie appartenant à la France, et qui s’est appelée la France équinoxiale ; mais les malheurs de nos guerres maritimes et les fautes de nos gouvernements ont fini par réduire des deux tiers notre ancien territoire colonial, et les puissances rivales ont profité de nos désastres pour se faire leur part dans ce domaine immense, choisissant de préférence les provinces les mieux disposées pour le commerce et la colonisation.

Christophe Colomb eut le premier connaissance des Guyanes, lorsqu’à son troisième voyage, il aborda vers les bouches de l’Orénoque, en 1498.

Alphonse d’Ojéda et Jean de la Cosa atterrirent au même point un an plus tard ; mais les uns et les autres continuèrent leur route vers le nord ; aussi peut-on attribuer justement tout l’honneur de la découverte de la Guyane à Vincent Yanes Pinçon, qui n’y aborda cependant qu’après ces premiers explorateurs.

Ce Vincent Yanes Pinçon et ses deux autres frères, avaient été les compagnons de Colomb, lors de son premier voyage. Enhardi par le succès de la première entreprise, Vincent Pinçon tente l’aventure pour son propre compte, et part de Palos, au commencement de décembre 1499, avec une flottille de quatre caravelles.

Après avoir touché aux Canaries et aux îles du cap Vert, il fait route au sud-ouest, passe l’équateur et perd de vue l’étoile polaire, ce qui déroute singulièrement ses habitudes nautiques. Ayant cependant continué bravement son chemin, il reconnaît le continent américain le 20 janvier 1500, vers le cap Saint-Augustin.

Il suit la côte pour chercher à entrer en relation avec les naturels ; il mouille dans une baie, et expédie ses embarcations à terre. Elles sont attaquées par les Indiens qui leur tuent une dizaine d’hommes.

Pinçon s’empresse de quitter cette plage inhospitalière, et après quarante lieues de navigation, faites sans perdre la terre de vue, il repasse l’équateur et trouve l’eau de la mer si douce qu’il en remplit ses futailles. Surpris de ce phénomène, il s’approche de terre et mouille près d’un groupe d’îles verdoyantes placées à l’entrée d’une rivière dont l’embouchure avait plus de trente lieues de largeur, et dont les eaux pénétraient à quarante lieues au large avant de perdre leur douceur.

Il éprouve à ce mouillage un phénomène de courants et de marées qui met ses navires dans le plus grand péril.

Remettant rapidement sous voiles, il gagne la haute mer en doublant un cap, revoit l’étoile polaire, et continue à côtoyer le continent pendant 300 lieues environ. Il arrive à l’Orénoque, et touche encore en quelques points sur lesquels il oublie de nous laisser d’intéressants détails.

Quand on suit, la carte à la main, l’itinéraire du voyageur espagnol, on penche à croire que le point où il a subi l’agression des sauvages doit être la baie de Cayèté, et que la grande rivière dont il parle est le fleuve des Amazones. En effet, quarante lieues séparent ces deux points, et le fleuve des Amazones réunit seul, dans ces parages, les particularités sur lesquelles Pinçon s’appesantit, c’est-à-dire, de modifier l’amertume de la mer à une grande distance, d’avoir à sa large embouchure un groupe d’îles verdoyantes, enfin d’être soumis à ce dangereux phénomène de marée, connu sous le nom de Prororoca.

Il semblerait donc rationnel de placer dans l’ouverture de l’Amazone même, cette baie ou cette rivière de Vincent Pinçon qui, diversement placée sur les anciennes cartes, oubliée par les uns, méconnue par les autres sert cependant de base à un traité sur les limites. Il faut dire en effet que cette difficulté géographique, non résolue jusqu’à ce jour, a amené entre le Portugal, le Brésil et la France, des échanges de notes officielles et de protocoles, de traités ébauchés et de conventions avortées, qui ont usé, depuis le traité d’Utrecht, plusieurs générations de diplomates.

Je reviendrai plus tard sur ce procès de mur mitoyen qui est encore entre les mains des juges, et qui sera peut-être tranché brutalement quelque jour, comme tous les nœuds gordiens que la légalité ne peut débrouiller.

On sait que les aventuriers qui envahirent l’Amérique centrale au commencement du seizième siècle, s’attachèrent surtout à la conquête des grands empires du Mexique et du Pérou, et laissèrent de côté les plaines marécageuses, les forêts impénétrables de la Guyane qui ne passaient pas pour recéler de l’or, unique objet de l’éternelle convoitise.

À côté de la réalité, déjà splendide, la fiction ne tarda pas à apporter ses exagérations et ses fables.

Sur le rapport d’un prisonnier, Gonsalo Pizarre, frère du conquérant du Pérou, se met à la recherche d’un grand prince qui était couvert d’or, de la tête jusqu’aux pieds. La poudre d’or était fixée sur sa peau au moyen d’une résine odoriférante. La haute température du pays autorisait ce genre de vêtement ; mais il paraît qu’il était peu commode pour le sommeil de la nuit ; car, suivant la chronique, le prince s’en débarrassait chaque soir par un bon bain, et comme sa garde-robe était fort riche en ce genre d’étoffe, il s’habillait de neuf chaque matin. On l’appelait El Dorado, l’homme doré, et par suite, le pays que gouvernait ce prince métallique, prit le nom d’Eldorado.

Il est avéré que les Indiens se fixent parfois des paillettes de mica sur quelques parties du corps, sur le front et dans la chevelure. Cette ornementation brillante, usitée encore de nos jours, doit découler d’une mode ancienne.

Les États du monarque étaient à l’avenant de la livrée royale. L’homme d’or, le roi resplendissant, habitait une ville aux palais de métal. Autour de cette fantastique cité, la terre avait jeté sans ordre les pierres les plus précieuses de son écrin, et le lac Parimè, du sein duquel sortait la capitale de l’Eldorado, roulait ses ondes sur des perles ; les cailloux étaient des diamants.

Hélas ! Pizarre ne trouva pas le chemin de cet éblouissant royaume, que l’on croyait situé vers les limites des Guyanes ; mais cette fiction séduisante attira vers cette contrée, jusqu’alors inexplorée, des milliers de chevaliers errants, dont la vaillance et l’audace n’ont pu mettre à fin l’entreprise, ni détruire l’enchantement qui dérobe aux regards le lac Parimé et la ville de l’Or.

Toutefois la poursuite de cette merveilleuse chimère ne fut pas entièrement abandonnée, et elle a conservé des adeptes jusqu’à nos jours.

L’illustre Walter Raleigh, ce galant favori de la reine Élisabeth, fit dans l’Orénoque plusieurs voyages infructueux pour pénétrer au foyer de tant de richesses. Un autre Anglais, Keymis, fit en 1596 une expédition qui ne fut pas plus heureuse.

Ce voyageur s’était dirigé vers l’Oyapock où il supposait que se trouvait la ville de l’Or, qu’il ne put atteindre. Il nous apprend que dès cette époque, les Français allaient à la Guyane pour y chercher des bois de couleur.

L’opinion de Keymis, sur la position de l’Eldorado, est adoptée par un des gouverneurs de Cayenne, M. d’Orvilliers, qui, en 1720, envoie un détachement dans le Camopi, principal affluent de l’Oyapock. Ce détachement met six mois à faire son voyage et, au lieu d’or, rapporte des échantillons de cacao, pris dans une vaste forêt de cacaoyers sauvages.

Il y avait là une haute leçon et un ingénieux apologue. En effet, la mine la plus riche, la plus féconde de la Guyane, c’est l’agriculture. C’est le trésor dont parle le fabuliste, éternelle vérité qui montre la fortune dans le travail. Les baumes, les essences, les bois d’ébénisterie et de construction, en un mot le règne végétal et ses mille produits, voilà les vrais trésors d’un Eldorado réel, à la portée de tout courage et de toute persévérance.

Le premier point de la Guyane où l’Alecton jetait l’ancre était aux îles du Salut.

Les îles du Salut forment un groupe de trois îlots situés à neuf lieues dans le nord-ouest de Cayenne, en face de la rivière de Kourou dont elles sont distantes de trois lieues environ.

La principale se nomme l’île Royale, la seconde l’île Saint-Joseph et la dernière l’île du Diable, nom sous lequel l’archipel était connu jadis jusqu’au moment ou l’on jugea convenable de lui donner une appellation moins effrayante.

La France venait de perdre le Canada et la plus grande partie de ses possessions du nord de l’Amérique ; on résolut de coloniser la Guyane sur une large base, afin de regagner dans un hémisphère ce qu’on avait perdu dans l’autre.

MM. de Choiseul et de Praslin avaient obtenu la concession des terrains compris entre la rivière de Kourou et la rivière de Maroni, concession convertie en fief héréditaire avec les droits y attachés, et l’autorisation de donner les noms de leur famille aux lieux principaux.

M. de Chanvallon, nommé intendant général de la colonie, avait envoyé à l’avance M. de Préfontaine pour préparer les logements des émigrants ainsi que les vivres et provisions qui devaient leur être nécessaires à leur arrivée. Mais cette mission si importante ne fut malheureusement pas bien exécutée.

Après les fatigues d’une traversée pénible, ces massifs de verdure, ces trois corbeilles de feuilles et de fleurs qui sortaient du sein des flots, se présentaient aux voyageurs sous l’aspect le plus séduisant. On les acclama comme la terre promise ; on les appela les îles du Salut.

Ce fut une première illusion qui dura peu et leur fit paraître la réalité plus triste.

La halte passagère que l’on dut faire sur les îles, avant de débarquer sur les plages de Kourou, les initia aux misères qu’ils devaient subir par la suite.

Sous l’ombrage de ces arbres toujours verts, des myriades d’insectes troublaient le sommeil des émigrants, et de ces rochers qui formaient la charpente des îles, ne coulait aucune source, aucun ruisseau pour apaiser leur soif.

Les convois d’émigrants qui devaient s’espacer à des intervalles réguliers, arrivaient coup sur coup, et rien n’était disposé pour les recevoir.

M. de Chanvallon était arrivé avec le gros de l’expédition porté sur onze navires. Plusieurs convois l’avaient précédé ; d’autres se succèdent rapidement, tant par des navires de commerce que par les frégates la Fortune, la Ferme et le Centaure. On ne comptait plus les arrivants, qui débarquaient tant sur les îles que sur les plages de Kourou ; femmes, enfants, malades, sans abris, sans outils, sans vêtements. La confusion était à son comble, le désordre complet. Les distributions de vivres étaient irrégulières et insuffisantes, la fraude et l’incurie étaient partout.

Qu’on se représente l’horrible position de ces infortunés, provenant pour la plupart de la Lorraine et de l’Alsace, transportés dans un pays et sous un climat si nouveaux pour eux, entassés dans des lieux malsains, inondés par des pluies torrentielles, brûlés par un soleil torride, attaqués par ces mille petits ennemis, qui, rampant et volant, pullulent sous la chaleur humide des tropiques ; souffrant de la faim, de la soif, en proie à la maladie, à la fièvre qui abat le courage et engendre le désespoir, les hallucinations folles, la misère et la mort.

Et pendant les sombres scènes de ce drame réel et lugubre, dont les péripéties fatales se déroulaient devant ses yeux, M. de Chanvallon, insoucieux et sceptique, montait un théâtre et faisait jouer des comédies et des arlequinades, ou bien passait son temps en de vaines discussions avec le gouverneur de Cayenne.

Ce chef écrit cependant en France le fâcheux état de la colonie et dévoile la conduite de M. de Chanvallon. Le chevalier Turgot est envoyé à la Guyane ; mais sa mission, au lieu d’être efficace pour les colons, n’a pour résultat que la destitution de M. de Chanvallon et la recherche de ses fautes. Au bout de trois mois, M. Turgot part pour la France avec le fonctionnaire disgracié, et les émigrants restent plus que jamais abandonnés à eux-mêmes.

Pour résumer cet épouvantable épisode, qui a valu à la Guyane son sinistre renom dans l’histoire coloniale, il suffit de dire qu’égarés par le désespoir, des mères jetaient leurs enfants du haut des rochers de Kourou dans la rivière et s’y précipitaient ensuite, que sur les 14 000 individus qui arrivèrent de 1753 à 1754, tant aux îles du Salut qu’à Kourou, 918 seulement survivaient encore en 1755, et malades, amaigris, moribonds, fuyaient une terre détestée.


Îles du Salut et battures de Malmanoury, vues du large. — Dessin de Riou d’après M. Bouyer.

Après ce sinistre, les îles du Salut restèrent longtemps inhabitées ; puis on y établit une Léproserie qui fut ensuite transportée à Mana. Enfin, lorsque la loi du 8 avril 1852, fit de la Guyane la terre de la transportation, ces îlots parurent merveilleusement disposés pour un grand établissement pénitentiaire.

Ce fut là qu’on plaça le dépôt central sur lequel les navires venant de France évacuèrent les bagnes de Brest et de Rochefort, et où l’on verse momentanément les convois annuels venant de Toulon. Classés ensuite par catégories, les transportés restent définitivement sur les îles ou sont dirigés sur les autres établissements de la colonie.

L’île Royale centralise le commandement des trois îles dont elle est la plus grande ; c’est là que sont les forçats proprement dits. L’île Saint-Joseph reçoit les repris de justice, et les déportés politiques sont internés sur l’île du Diable.


Pointe nord de l’île Royale. — Dessin de Riou d’après une photographie de M. Masson, lieutenant de vaisseau.

Escarpée sur la plus grande partie de ses abords, sur un périmètre de trois milles au plus, élevée d’une soixantaine de mètres, l’île Royale présente un sol singulièrement accidenté. L’aspect en est des plus pittoresques. Le déboisement a été opéré, peut-être d’une façon trop exclusive. La couleur rouge brun des terres alterne avec le vert foncé, qui est la nuance de la végétation guyanaise. Le clocher et le phare qui dominent l’île, les établissements plaqués aux flancs de la montagne, ressemblent à ces maisons massives, jouets d’étrennes avec lesquels les enfants composent des villes et des villages.

Ici nous sommes en plein bagne ; ici l’on retrouve ces figures où le vice a marqué son empreinte, mais pâlies par l’anémie, mais ayant abdiqué sous un ciel énervant cette énergie sauvage qui les rendait si dangereux en France. C’est une patiente résignation qui a de rares révoltes contre l’autorité, et qui se concentre pour l’évasion.

Que faire, dit-on, en un gîte à moins que l’on y songe ? mais, que faire dans une prison à moins que d’y songer à s’en échapper ?

Les transportés, c’est le nom officiel substitué à celui de forçats, et par lequel ils sont tous désignés, les transportés travaillent aux routes, aux constructions de l’île, au déchargement des navires, aux ateliers de confection où l’on fait sabots, chapeaux, effets, meubles pour le service général. Ils sont employés aux forges, à la menuiserie, à la fonderie, et acquièrent des grades dans le travail avec une rémunération qui varie de cinq à dix centimes par jour.

De plus ils ont leurs heures de liberté pendant lesquelles ils travaillent à leur propre compte.

On a même trouvé parmi les transportés les éléments d’un corps musical.

L’uniforme des transportés se compose d’une chemise et d’un pantalon de toile grise et d’un chapeau de paille. Le peloton de correction seul porte la chaîne et le costume traditionnel rouge et jaune. Il se recrute dans les hommes incorrigibles, les évadés, les paresseux ; il est chargé des travaux les plus pénibles, des plus rudes corvées. C’est une punition plus ou moins longue, qui, avec le cachot et les coups de corde, forme le système répressif au moyen duquel on cherche à assouplir les natures rebelles.

Pour approprier l’île Royale à sa nouvelle destination, il a fallu exécuter de grands travaux de terrassements. Pour trouver sur les plateaux supérieurs l’emplacement nécessaire, il ne fallait rien négliger. Le camp, c’est-à-dire l’ensemble des baraques dans lesquelles les transportés sont parqués par escouades ou chambrées, les casernes des soldats et des surveillants, la gendarmerie, les logements du commandant particulier, des officiers, des agents divers, l’hôpital, l’église, les magasins et ateliers de confection eurent bientôt absorbé tout l’espace.

Dans la partie inférieure de l’île, on installa un quai, un dépôt de charbon, des chantiers, des forges et des ateliers d’ajustage pour les réparations des bâtiments à vapeur.

Quand tout cela fut fait, il ne resta aucune place pour le cimetière. Il n’eût même pas été possible d’en construire un, vu la mince épaisseur de terre qui recouvre la charpente osseuse de l’île, et l’étendue qu’il fallait donner à ce champ de repos. En effet, outre la mortalité spéciale aux îles où se trouve rassemblé un personnel de près de 2 000 personnes, le chiffre des décès s’augmente de ceux des malades de Kourou, qui sont transportés à l’hôpital de l’île Royale ; et Kourou est un des points les plus malsains de la Guyane.

C’est donc la mer qui est le cimetière des détenus aux îles du Salut, comme au château d’If. Seulement, ici, on ne précipite pas du haut des rochers les prisonniers décédés.

Malgré cette différence, ou peut-être à cause de cette différence, un détenu, qui avait lu sans doute Monte-Cristo, prit au génie inventif de M. A. Dumas le projet d’une étrange évasion.

Quand un transporté est mort, il est enfermé dans un linceul de toile à voile, alourdi par quelques pierres. Un cercueil, le même pour tous, reçoit le corps. Une clochette sonne quelques glas ; à cet avertissement une embarcation part du môle et se rend à la pointe ouest de l’île où l’on descend le cercueil par un sentier qui serpente au flanc de la montagne.

Le canot embarque son funèbre chargement et prend le large. Arrivé à une certaine distance, il s’arrête ; le cercueil s’ouvre et laisse glisser à la mer son contenu qu’attendent les requins, puis canot et bière vide reprennent le chemin de l’île.

Un transporté, donc, eut l’ingénieuse idée d’utiliser le cercueil pour sa fuite. Il était au courant de l’état sanitaire et savait, qu’à moins d’accidents, il avait quelques jours devant lui.

On ne garde pas une bière comme un coffre-fort, on ne met pas sous clef ces sortes d’objets, ne pensant pas qu’ils puissent tenter la cupidité d’un voleur. Aussi le forçat put-il, sans être inquiété en aucune façon, pénétrer dans le hangar sous lequel la bière était remisée, et eut toute facilité pour faire ses préparatifs.

Il calfata avec soin cette étrange nacelle, c’est-à-dire qu’il garnit d’étoupe les joints des planches pour qu’elle ne fît pas d’eau ; il y mit une sorte de banc, il façonna deux palettes en forme de pagayes indiennes, se munit de quelques petites provisions, et pendant une nuit obscure, trompant l’œil des sentinelles, marchant ou rampant, portant ou traînant son cercueil, il le descendit au rivage.

Là, il lança à la mer cette sorte de barque à Caron, s’y étendit et se livra courageusement à la merci des flots, comptant principalement sur le vent et le courant pour conduire le funèbre esquif vers les côtes de la Guyane anglaise où le droit d’asile est scrupuleusement respecté.

Il avait cent cinquante lieues à parcourir ; mais cette énorme distance l’inquiétait médiocrement, il voulait fuir et mettait résolument sa vie pour enjeu dans la partie.

Malheureusement pour lui, il avait compté sans l’instabilité et l’innavigabilité de son navire.

Le lendemain, on s’aperçut bien qu’il manquait un homme à l’appel, mais aucune embarcation n’était absente, on supposa qu’il s’était noyé par accident ou volontairement ; on ne songea pas à le poursuivre, ne croyant pas à une évasion. Ce fut le hasard qui amena sur sa route une goëlette qui vit flotter une épave à demi submergée. Une foule d’oiseaux de mer volaient à l’entour et venaient la frôler de leur aile, tandis que deux énormes requins la heurtaient par moments et semblaient convoiter une proie.

Le bâtiment se dirigea vers cette singulière caisse, et l’on fut fort surpris d’y trouver un homme à demi noyé, à demi évanoui, à demi mort, et qui, pareil à Lazare, semblait sortir du tombeau.

Je ne sais si en vertu du mérite de l’invention, on lui fit grâce des cinquante coups de corde et autres punitions qu’entraîne toute tentative d’évasion. Dura lex, sed lex.

Quelques mois plus tard, l’aviso l’Abeille, entrant dans le Maroni, vit flotter un tronc d’arbre qui dérivait au courant. Sur cet arbre encore garni de ses feuilles, il y avait quelque chose d’indéterminé. Des religieuses, passagères à bord, vinrent tout émues trouver l’officier de quart, lui assurant que cette chose était un homme. Leur zèle humanitaire fit réintégrer au pénitencier ce déserteur incorrigible, toujours le même, non rebuté par un premier échec, et qui n’avait trouvé que ce moyen extrême de fuir à tous risques un lieu maudit.


Atterrage de Cayenne. — Jusqu’à quel point la Guyane mérite-t-elle sa mauvaise réputation.

Du haut de l’île Royale, la vue se promène sur la côte de la Guyane qui se développe sur une ligne uniforme de palétuviers que n’interrompent pas d’une manière sensible les rivières de Kourou, de Sinnamary et de Conanama. Quelques sommets de moyenne hauteur, situés à quelques lieues du rivage, servent seuls de points de reconnaissance pour attaquer l’entrée de ces rivières qui ne sont accessibles qu’à de très-petits navires.

Conanama, Sinnamary partagent avec le Kourou une triste célébrité. C’est là que furent internés les proscrits du 18 fructidor an v (4 septembre 1797).

Certes, il y avait là des bourreaux et des victimes, et les ordres sévères du Directoire furent interprétés par des agents inhumains et exaltés par les passions politiques. Cependant, il y a de l’exagération dans les récits des transportés qui ne voyaient les choses qu’à travers le crêpe lugubre assombri par leur imagination.

Parmi les déportés de Sinnamary, il n’y avait guère que des hommes appartenant à une haute position sociale, des hommes âgés, des prêtres, des gens d’étude et de cabinet, qui changeaient le bien-être d’une vie confortable contre les maux de l’exil. Séparés brutalement de leur famille, emportant avec eux ce ver rongeur du désespoir qui tue plus sûrement encore sous ce pays brûlant et insalubre, ils subissaient l’influence du moral sur le physique, alors que les ressources ordinaires de la vie leur faisaient défaut, alors qu’ils souffraient à la fois dans leur cœur, dans leur esprit et dans leur corps.

Hommes de plume et de loisirs, étrangers aux soins matériels, à la vie pratique, à l’agriculture, en un mot, ne connaissant de l’existence que son côté spirituel, c’étaient là de tristes colons pour résister au climat de la Guyane. Sur 328 déportés dont 252 prêtres insermentés, 161 succombèrent. Quelques-uns, parmi lesquels Pichegru, Villote, de Larue, Aubry, Barthélemy, Letellier, Ramel, Dossonville parvinrent à s’évader et gagnèrent les États-Unis. D’autres tels que Barbé-Marbois et Lafont-Ladébat obtinrent leur rappel en France. Il n’est pas étonnant que tous aient gardé un triste et douloureux souvenir des plages inhospitalières de la Guyane et que l’amertume déborde de leurs récits quand ils parlent du lieu de leurs souffrances.

À ces deux saisissants épisodes de 1754 et de 1797, de Kourou et de Conanama, vint s’ajouter la terrible épidémie de fièvre jaune de 1848 et l’opinion publique égarée par la lecture de ces sombres pages de l’histoire coloniale, a pris pour niveau général la mortalité de ces jours tout d’exception et a considéré la Guyane comme un vaste tombeau, comme un ossuaire. Cette opinion est fort accréditée. On plaint le sort des fonctionnaires que leur service désigne pour la Guyane et on leur conseille charitablement de faire leurs dispositions testamentaires avant le départ.

Essayons de ramener les faits dans le domaine de l’exactitude et de combattre la prévention avec les chiffres de la statistique.

Malgré sa position, la Guyane, située presque sous la ligne équinoxiale, n’a pas à souffrir d’un climat aussi brûlant qu’on pourrait le croire. La moyenne du thermomètre à l’ombre y est de 27 degrés centigrades, hauteur qui dans les grandes chaleurs de l’été, monte à 30 ou 32, et baisse pendant les nuits de 2 à 3 degrés.

La constitution physique du pays explique cette bizarrerie. En effet, il n’y a ici ni sable, ni pierres, ni rochers couvrant des surfaces d’une grande étendue, seules propres à augmenter les effets du rayonnement. Le sol argileux, est couvert de plantes, de forêts, d’où la chaleur ne jaillit pas comme d’une plaine sablonneuse La direction des rayons solaires approche toujours de la ligne verticale ; mais leur feu est tempéré par les brises continues qui pendant le jour soufflent de la pleine mer. La fraîcheur est entretenue par les brises de terre qui leur succèdent, ainsi que par la longueur des nuits à peu près égales aux jours et souvent mouillées de rosées et de brouillards.

Les conditions climatériques d’un pays ne dépendent pas d’une façon exclusive de sa position géographique ; elles sont aussi sujettes aux influences locales inhérentes à la nature du sol.

Vue à vol d’oiseau, la Guyane apparaît comme une mer de feuillage. C’est l’expression la plus complète de la puissance de la séve tropicale.

À part quelques reliefs, contre-forts éloignés de la grande chaîne des Andes, à base schisteuse et calcaire qui coupent à angle droit les rivières et en interrompent le cours navigable à une vingtaine de lieues de leur embouchure, la Guyane est un pays de plaines d’où s’élèvent quelques sommets isolés qui ressemblent à des îles sortant de la mer.

La saison de l’hivernage amène des pluies torrentielles qui d’après le calcul fait au moyen du pluviomètre, couvriraient le pays d’une nappe liquide de quatre à cinq mètres de hauteur si les eaux ne trouvaient issue vers les nombreuses rivières qui déversent ce trop-plein à la mer.

Peu de contrées offrent un réseau hydrographique plus complet, plus multiplié ; outre ces trois grandes artères nommées l’Oyapock, l’Approuague et le Maroni, une foule de rameaux secondaires, les uns indépendants, les autres, ramifications des branches principales, sillonnent en tous sens cette partie du continent américain. Ces rivières ont un aspect particulier ; elles ne coulent généralement pas entre des berges déclivées et verticales et leurs bords ne sont indiqués le plus souvent que par les arbres des forêts noyées qui viennent y baigner leurs racines.

Toutes les fois que ces rivières ont leur cours renouvelé par le flux et le reflux, que les affluents s’écoulent d’une manière régulière, que des canaux naturels ou factices réglementent et activent l’expulsion de cette inondation annuelle, que les brises de mer viennent corriger l’air vicié par les exhalaisons de senteurs végétales trop énergiques pour nos organes, alors la salubrité générale n’est pas compromise.

Mais quand la nature des lieux arrête l’écoulement des eaux, quand de vastes marécages n’attendent leur dessèchement que de l’évaporation et de l’absorption, les miasmes délétères des détritus végétaux en putréfaction, les émanations des limons boueux des lacs et des marais stagnants amènent tout le cortége fatal des fièvres et des affections paludéennes. Alors, malheur aux lieux placés sous le vent de ces foyers épidémiques dont l’influence se fait sentir à de grandes distances.

C’est ainsi que dans la Guyane, certains endroits jouissent d’une santé publique très-florissante, tandis que d’autres séjours sont mortels sans que la cause du mal soit immédiate, sans que l’on voie l’ennemi dont on ressent les coups.

C’est ainsi que l’on a dû renoncer à coloniser certains quartiers qui par eux-mêmes ne paraissaient présenter aucun danger, mais qui subissaient des influences étrangères. Les sommets, que l’on avait crus beaucoup moins malsains que les plaines, ont été également soumis à ces lois, avec d’autant plus de force que les miasmes tendent toujours à monter. L’habitation de la Gabrielle, par exemple, située en terre haute, un des points les plus élevés de la colonie et où le gouvernement voulut faire une habitation modèle, s’est trouvée un des lieux les plus malsains, étant sous le vent des grands marais de Kaw qui l’inondent de leurs effluves pestilentielles.

Les essais que l’on a dû faire pendant les dernières années pour chercher un point favorable à la transportation, ont amené bien des mécomptes de ce genre et augmenté d’une manière bien sensible le chiffre de la mortalité, tant parmi les détenus que parmi les soldats et le personnel libre affectés à leur garde, et qui jadis bornaient leur service à l’île de Cayenne.

L’île de Cayenne jouit d’un état sanitaire des plus satisfaisants. Le Maroni est dans des conditions à peu près identiques, malgré les défrichements récents, et cet état ne pourra que s’améliorer, car ce n’est jamais impunément que l’on remue les terres vierges, et généralement les premiers pionniers laissent bien des morts sur la place.


Vue de la rade de Cayenne. — Dessin de Riou d’après une photographie de M. Masson.

Les effrayants épisodes que nous avons retracés ne doivent pas entrer en ligne de compte dans une statistique consciencieuse, pas plus que l’on ne doit prendre, pour base, avec son chiffre réel la mortalité des transportés. Usés par une vie malheureuse ou coupable, ainsi que par le régime des prisons, agglomérés sur des points en défrichement, subissant l’empire de causes morbides étrangères au pays, ces hommes sont en dehors des lois générales. La statistique ne doit se fonder que sur la garnison européenne.

Or, les observations de 1838 à 1847, c’est-à-dire dans un espace de neuf ans, donnent les résultats suivants pour les colonies françaises.


Mortalité annuelle.
Guyane 2.53 p. cent.
Bourbon 3.05
Martinique 9.04
Guadeloupe 8.90
Sénégal 6.17


Cette statistique serait des plus favorables à la Guyane, et cela s’explique. Les fièvres de la Guyane, à moins qu’elles ne revêtent le caractère pernicieux, usent l’homme mais ne le tuent pas. La dyssenterie n’est pas commune, et la fièvre jaune n’y apparaît qu’à de rares époques, tandis qu’elle est endémique aux autres colonies.

Les grandes contagions suivent des lois presque immuables dans leur déplacement et leur propagation. Composées d’atomes insaisissables, champignons ou insectes invisibles et impalpables, ces effluves arrivent sur les nuages ou dans les flots avec les grands courants du ciel et de la mer. Il est bien rare que les maladies qui sont le fléau du golfe du Mexique, arrivent à la Guyane française. La Guyane anglaise, qui en est plus voisine, en subit parfois l’influence, tandis que la Guyane française est tributaire des épidémies du Brésil qui remontent la côte américaine avec les vents et les courants généraux. C’est ainsi que l’épidémie qui décima le Brésil vint s’abattre à Cayenne en 1848 et y fit de nombreuses victimes.

De 1819 à 1847, la moyenne annuelle de la mortalité des troupes de la Guyane anglaise fut de 8, 40 pour 0/0, tandis qu’à la Guyane française, pendant le même laps de temps, elle ne dépassa pas 2, 81. Cette différence énorme est expliquée par le caractère essentiel des deux peuples. Si l’odeur des végétaux en floraison ou en décomposition est un poison mortel pour l’Européen, l’abus des plaisirs et l’intempérance le frappent tout aussi sûrement. L’homme n’a souvent d’autre ennemi que lui-même.’En résumé, de l’insalubrité indéniable de certains points de la Guyane, il serait injuste de conclure à l’insalubrité absolue et universelle du pays, comme il serait absurde de juger de l’Italie par les marais Pontins, de la France par la Sologne. Il y a dans la Guyane des lieux insalubres et des lieux fort sains. Il s’agit de borner la colonisation à ces derniers points et de n’attaquer les autres que partiellement et avec une extrême réserve.

Somme toute, on peut vivre à la Guyane comme ailleurs. On y voit des vieillards dans toutes les classes de la société et dans toutes les couleurs, parmi les créoles et parmi les Européens. Il faut observer dans l’hygiène quelques précautions, mener une vie sobre et régulière, ne pas s’exposer au grand soleil, ce qui n’exclut pas même le travail de l’agriculture, attendu qu’on peut utiliser les heures du soir et du matin, essayer même du travail de la nuit. Si enfin la constitution se trouve attaquée par le climat, il faut faire comme le géant Antée qui luttait avec Hercule, il faut aller toucher la terre de France pour y puiser de nouvelles forces afin de continuer le combat.

La traversée des îles du Salut à Cayenne se fait en quatre heures avec un bâtiment à vapeur de marche moyenne ; il faut refouler le courant qui porte toujours vers l’ouest, et qui à l’époque des Doucins est très-violent. On nomme Doucins ces envahissements de la mer par les eaux douces des rivières qu’ont grossies outre mesure les pluies de l’hivernage.

La zone des ouragans qui désolent les Antilles ne s’étend pas jusqu’à la Guyane. Les vents y soufflent généralement du nord-est à l’est, mais rarement avec violence. La mer épaisse, opaque, y est d’une couleur jaune qui, vers la côte anglaise, prend des tons de sépia ; ce ne sont plus les eaux bleues et limpides de l’Atlantique. Parfois on voit flotter des îlots de branches et d’herbes arrachées au rivage et sur lesquelles les oiseaux de mer fatigués trouvent un repos d’un instant.

Les côtes ne sont pas d’un abord facile ; les bancs s’étendent fort loin au large, et souvent, on ne voit que très-imparfaitement la terre, alors que le peu de profondeur de l’eau défend de s’en approcher davantage. La sonde devient alors le guide le plus infaillible et le meilleur pilote.

Il s’est produit depuis quelques années un singulier phénomène. Autrefois, si grand que fût le vent, il soulevait à peine ces eaux boueuses ; aujourd’hui, les dépôts des vases se sont solidifiés en plusieurs endroits et ont formé des bancs de vases dures qui gênent le mouvement de la mer.

Sur cette arène inégale et accidentée, les courants qui charrient le limon bourbeux des rivières luttent avec les lames de l’Atlantique, et de cette rencontre résultent des ressacs tumultueux qui se traduisent en ras de marée et en barres partielles. Les petits navires s’y trouvent parfois compromis, et petits et grands y subissent des roulis et des tangages qui donnent le mal de mer aux navigateurs les plus aguerris. Les bâtiments passent successivement des vases molles aux vases dures, c’est-à-dire du calme à l’agitation, et la connaissance de ces divisions maritimes, de ces gisements de repos et de trouble, n’est point indifférente pour régler l’heure des repas quand on aime à manger tranquillement.

Les îles du Salut reposent sur un banc de vases molles ; mais de chaque côté de ce banc, se rencontre la mer la plus dure de toute la côte de la Guyane. Le banc de Macouria, le Trou du Diable et les battures de Malmanoury, ont un renom qui fait l’épouvante des pauvres passagers.

Les ras de marée commencent en décembre pour finir en avril : ce qui ne veut pas dire qu’ils ne troublent pas l’assiette des eaux pendant le reste de l’année, mais durant les mois que je cite, c’est un état chronique.

Nous étions à la fin de décembre et l’Alecton, grand rouleur, s’en donnait à cœur joie. Jamais la mer océane ne l’avait autant secoué depuis Toulon. Il semblait se tordre et tressaillir jusqu’à la quille, avec des soubresauts brusques et des rappels à arracher l’âme, tandis que des lames courtes, sourdes, traîtresses, montaient le long de ses flancs et faisaient irruption sur le pont.

C’était un vilain avant-goût de la navigation des parages guyanais.

Voici l’Enfant-Perdu[2], écueil isolé, dominant la mer de quelques mètres et sur lequel déferlent les embruns des lames. Les parents de cet enfant sont là-bas à l’horizon ; ce sont les îles Rémire, le père, la mère et les filles, qui portaient jadis les noms indiens assez durs à prononcer de Sannaoum, Spénésary, Eporcérégémérœ. Nous voyons aussi les montagnes de l’île de Cayenne, anciennement appelée Moccumbro d’après les uns et Matoury d’après les autres. Quant au mot Guyane, il vient du mot indien Guainia qui dans la langue des Marsitans aussi répandue que le caraïbe dans l’Amérique équatoriale, est donné au Rio-Négro et aux terres adjacentes.


Phare de l’Enfant-Perdu. — Dessin de Riou d’après une photographie.

Les grands navires, c’est-à-dire ceux dont le tirant d’eau dépassait cinq mètres, mouillaient jadis à l’Enfant-Perdu, ne pouvant entrer dans le port de Cayenne. Aujourd’hui ils ne peuvent tenir à ce mouillage et vont aux îles du Salut.


Vue de Cayenne, prise du fort Saint-Michel. — Dessin de Riou d’après une photographie de M. Masson.

L’entrée du port de Cayenne n’est pas des plus faciles. Beaucoup de navires doivent attendre la marée, attendu que le chenal à basse mer n’a que trois mètres de fond ; de plus il y a une barre qui est parfois extrêmement grosse. Par suite du déplacement des bancs, le port de Cayenne a été une fois bouché après un violent ras de marée. Les bâtiments n’eurent d’autre sortie que la rivière du Tour de l’île, qui n’est praticable que pour de petits navires à vapeur. Un autre mouvement sous-marin ouvrit le passage un moment fermé. Toutefois ces variations donnent certaines inquiétudes pour l’avenir déjà triste d’une colonie qui ne peut subsister par elle-même, qui ne vit que par la mer et qui périrait si la mer lui faisait défaut.


Cayenne vue de la rade. — Dessin de Riou d’après une aquarelle de M. Touboulic, capitaine de frégate.

L’aspect de Cayenne vue de la rade est des plus pittoresques.

Ces montagnes accidentées et verdoyantes, ces bouquets de palmistes et de cocotiers qui s’emmêlent aux maisons, la façon des édifices, la bordure de palétuviers qui termine le panorama, tout cela réalise l’idée qu’on se fait d’une ville créole.

Frédéric Bouyer.

(La suite à la prochaine livraison.).


  1. Témoin l’étrange poisson pêché par l’équipage de l’Alecton dans les eaux de l’archipel du cap Vert (Voy. p. 5). Ses dimensions décuplées, — et qui peut affirmer que les profondeurs de la mer ne peuvent pas les développer plus encore, — en feraient un effroyable monstre.
  2. En 1863, un phare à charpente de fer a été élevé sur l’Enfant perdu. C’est un excellent relèvement pour atterrir et entrer de nuit à Cayenne (voy. p. 281).