Voyage de l’Océan Pacifique à l’Océan Atlantique, à travers l’Amérique du Sud/04

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DEUXIÈME ÉTAPE.

D’AREQUIPA À LAMPA.


La Pampilla et les charbonniers. — La poste d’Apo. — Ce qu’on découvre et ce qu’on éprouve en y arrivant. — El soroche. — Causerie à bâtons rompus. — Huallata. — Une tempête à quinze mille pieds au-dessus de la mer. — L’hospitalité du sépulcre. — Coup d’œil rétrospectif sur la nation aymara. — Le lac d’or et le lac d’argent. — Élégie au sujet d’un coq. — Une nuit passée à Compuerta. — Paysage et choses diverses.

Au nord de la ville d’Arequipa, à l’extrémité de son faubourg de San Isidro, renommé pour ses buvettes, s’étend un désert de sable appelé la Pampilla. Les Indiens charbonniers, qui vont et viennent de la montagne à la vallée, l’ont choisi pour lieu de campement et y ont édifié leurs huttes. On dirait d’autant mieux une bande de gitanos, campée aux portes de la ville, que ces Indiens, par leur idiome[1], leurs vêtements et leur chevelure en queue de cheval, qui leur donne un aspect étrange, diffèrent complètement de la caste métisse d’Arequipa, avec laquelle ils n’ont d’ailleurs que les relations passagères nécessitées par leur commerce.

Soldat et rabona.

Une demi-heure de marche au pas ordinaire d’une mule suffit pour franchir ce désert, à l’extrémité duquel commence le chemin en zigzag qui conduit sur les hauteurs. Après une lente et pénible montée, pendant laquelle on a eu tout le temps d’étudier la configuration du volcan Misti et la perspective aérienne des villages et des cultures de la vallée d’Arequipa, on atteint le tampu de Cangallo, élevé de dix mille cinq cent cinquante-quatre pieds au dessus de la mer ; trois mille quarante-six pieds plus haut, on relève le monceau d’ossements de chevaux et de mules, connu dans le pays sous le nom de el Alto de los huesos, et l’on arrive enfin, courbatu de fatigue et le visage bleui par les effets de l’air autant que par le froid, à la poste d’Apo, première étape de la Sierra Nevada.

Là, le voyageur qui s’arrête pour passer la nuit et laisser reposer ses bêtes, peut admirer à loisir les splendeurs d’une nature hyperboréenne. Au nord, devant lui, la neige durcie recouvre le sol, les ruisseaux muets dorment sous la glace, les cascades ne présentent qu’un amas confus de stalactites dont les cristaux s’effilent par le bas, et, du nord-est au nord-ouest, quelques pitons neigeux de la chaîne des Andes se dressent à l’horizon comme de blancs fantômes. Le thermomètre marque de douze à quatorze degrés au-dessous de zéro.

Cette poste d’Apo que je venais d’atteindre à la chute du jour, n’est, comme tous les établissements de ce genre au Pérou, qu’une hutte plus ou moins grande divisée en deux ou trois pièces, et plus ou moins délabrée selon qu’on s’éloigne ou qu’on se rapproche des lieux civilisés. Un espace carré, sub Jove crudo, bordé d’éclats de pierre superposés, sert de remise et d’écurie aux montures des voyageurs. Quant à ceux-ci, ils s’établissent comme ils peuvent dans un des compartiments de la hutte, dorment sur la terre nue, s’ils ont négligé de se pourvoir d’un matelas ou de peaux de mouton, grelottent de froid pendant toute la nuit, et se lèvent d’aussi bonne heure que possible pour échapper à un supplice qui doit recommencer à la poste suivante.

En m’éveillant le lendemain après avoir rempli les conditions de ce programme, je priai l’arriero qui m’accompagnait et que j’avais eu pour camarade de chambre de seller promptement nos bêtes. Pendant qu’il s’exécutait avec cette activité nonchalante qui caractérise les gens de sa profession, ]’allai dans la cuisine de l’établissement où brûlait un petit feu de déjections de lama (takia) préparer moi-même le chocolat à l’eau dont se compose invariablement le déjeuner du voyageur dans une traversée des Andes. Ñor Medina, mon muletier, achevait sa besogne comme j’avalais la dernière gorgée de mon breuvage. Nous n’eûmes plus qu’à régler nos comptes avec les postillons et à nous mettre en selle. Le soleil s’était levé dans un ciel pur ; la journée promettait d’être magnifique. Nous poussâmes nos montures, et la masure postale disparut bientôt derrière nous.

Au bout d’une heure de marche, qui nous avait élevés de quelques centaines de mètres, je commençai à ressentir un malaise général que j’attribuai à l’insuffisance de la pression atmosphérique. Ce phénomène, que les Quechuas des hauteurs appellent soroche, et dont ils n’ont pas à souffrir, doués qu’ils sont par la nature de poumons d’un tiers plus volumineux que ceux de l’Européen, est attribué par eux à des gaz méphitiques produits par l’antimoine — en quechua soroche — même aux endroits où ce métal n’existe pas. Une contraction du diaphragme, de sourdes douleurs dans la région dorsale, des élancements dans la tête, des nausées et des vertiges sont les prodromes de ce mal singulier, quelquefois suivi de syncope. Mais je n’allai pas jusque-là. Ñor Medina, averti de ce que j’éprouvais par ma pâleur livide et par mes efforts pour rester en selle, me remit une gousse d’ail en m’engageant à la croquer comme une praline. J’obéis, mais non sans grincer des dents. Cet antidote, que mon Esculape prétendait être souverain contre le soroche, n’ayant produit aucun effet, il me conseilla de m’appliquer sur le nez quelques coups de poing, qui, en déterminant une hémorragie, devaient, selon lui, amener un prompt soulagement ; mais le moyen me sembla par trop héroïque et j’aimai mieux grignoter une seconde gousse d’ail, malgré mon peu de prédilection pour l’odeur et le goût de cette liliacée.

Aspect général de la Pampilla.

Vingt minutes environ s’écoulèrent, et soit que le remède commençât à opérer, soit que mes poumons s’accoutumassent par degrés à cet air subtil, je sentis mon malaise se dissiper. Bientôt je fus en état de consulter mon compagnon sur le chemin qu’il faudrait prendre pour arriver à Cuzco, l’itinéraire que je m’étais tracé s’écartant de la ligne droite et des étapes qui la divisent assez irrégulièrement. L’homme énuméra les postes disséminées entre Arequipa et Cuzco, calcula leur distance respective, et conclut en m’annonçant que le chemin de Lampa, que j’avais choisi de préférence à la grande route qu’on nomme dans le pays : Carrera real de los Andes, avait sur celle-ci le désavantage d’offrir sept postes de moins et vingt-six lieues de plus, ce qui signifiait, en d’autres termes, qu’après de laborieuses journées à travers les casse-cou d’une contrée dont l’élévation varie entre dix mille pieds et dix-huit mille, nous ne trouverions d’autre abri qu’une misérable pascana[2] de berger où nous serions réduits à dormir ramassés en boule, faute d’espace suffisant pour étendre nos jambes.

En achevant, il voulut savoir pourquoi je faisais un pareil détour pour atteindre mon but, quand la ligne droite et le grand chemin m’y conduisaient tout naturellement. Je lui répondis qu’à la veille de quitter ce pays pour n’y plus revenir, je ne craignais pas d’allonger mon voyage de quelques lieues pour voir en passant certain ministre du Seigneur dont j’avais entendu vanter l’aptitude à croiser la race camélienne. L’arriero ouvrit de grands yeux étonnés.

« Est-ce du curé Cabrera que monsieur veut parler ? me demanda-t-il.

— Précisément, dis-je, de ce digne prêtre, autrefois curé de Macusani dans la province de Carabaya, et maintenant domicilié à Cabana, dans la province de Lampa.

— Et monsieur va faire vingt-cinq lieues pour voir ce vieux bonhomme qu’on dit un peu fou ?

— Mon cher, répliquai-je à Ñor Medina, celui dont vous parlez si légèrement est un de ces hommes à qui dans mon pays on eût élevé depuis longtemps une statue en fonte avec piédestal de grès rouge, comme à un bienfaiteur de l’humanité. Je ne saurais donc regretter les vingt-cinq lieues que je vais faire pour lui serrer la main. Ces vingt-cinq lieues, je les rattraperai d’ailleurs en abrégeant mon séjour à Cuzco.

— Comme il plaira à monsieur, dit le muletier. Une drôle d’idée ! » ajouta-t-il plus bas, mais pas si bas que je ne l’entendisse. Je jugeai convenable de ne rien répliquer.

Nous continuâmes de chevaucher au milieu des neiges, mon compagnon pinçant son nez pour le réchauffer, et moi soufflant dans mes doigts pour les préserver de l’onglée. Vainement la grandeur des lignes de l’horizon, l’azur étincelant du ciel et ce parfum de liberté qu’on respire avec l’air sur les hauts sommets, donnaient au paysage je ne sais quoi de grandiose et d’immatériel qui élevait l’âme et commandait l’enthousiasme, l’abaissement de la température me rendait toute extase impossible. À ce grand livre de la terre et du ciel, ouvert devant mes yeux, j’eusse préféré une chambre bien close et la chaleur d’un poêle.

Morceau de la Pampilla.

La journée se passa sans que nous eussions vu d’autres êtres vivants que des condors dans les hauteurs de l’air ou des vigognes sur les escarpements. À cinq heures, nous découvrions, cachée dans les rochers, la poste de Pachaca, où je m’étais proposé de passer la nuit ; mais c’est surtout en voyage que l’homme propose et que Dieu dispose ; la poste était close et muette, et malgré les clameurs sauvages que nous poussâmes pour annoncer notre arrivée, nul postillon coiffé du serre-tête national ne vint nous recevoir au seuil. Force nous fut de doubler l’étape et de pousser jusqu’à Huallata, où nous arrivâmes à neuf heures du soir.

Cette poste de Huallata, édifiée sur un mamelon isolé, entourée de neiges et de précipices, assiégée par tous les vents, battue par toutes les tempêtes, souvent voilée par des brouillards glacés, est un des sites les plus effroyables que m’ait offerts la chaîne des Andes depuis la Terre de Feu jusqu’à l’Équateur. Cinq fois les hasards de ma vie m’ont conduit en ce lieu farouche, et chaque fois, en y abordant, j’ai regretté de n’avoir pas, comme Josué, la faculté d’arrêter le soleil pour prolonger le jour et pouvoir passer outre.

Cette sixième fois, la sensation que j’éprouvai à son aspect fut moins désagréable que de coutume ; la fatigue, le froid, la faim, et surtout la peur de passer la nuit à la belle étoile, me disposaient à voir les choses d’un bon œil. L’accueil des postillons acheva de me réconcilier avec la poste. Quand j’eus soupé d’une tasse de chocolat et d’un morceau de pain grillé, je passai dans le compartiment de la hutte affecté aux voyageurs, où je procédai à ma toilette nocturne, pendant que Ñor Medina calfeutrait de son mieux les trous et les lézardes des murailles. Un feu de déjections de lama fut allumé ensuite au centre de la pièce, et un Indien de la poste se chargea, moyennant une rétribution modique, de veiller à son entretien pendant toute la nuit. Grâce à la vigilance de notre vestale en caleçon, nous jouîmes d’une température assez convenable.

Le lendemain, par un de ces froids qui cerclent le front d’un bandeau de fer et provoquent une sécrétion des glandes lacrymales, nous quittâmes la poste de Huallata, et laissant à notre gauche la route de Cuzco, nous marchâmes au-devant du soleil levant. Après avoir descendu une suite de talus assez rapides, nous entrâmes dans la grande plaine dite des Dragées (pampa de los Confites), à cause de son sol jonché de petits galets arrondis par le travail des eaux primitives. Cette plaine, dont la traversée nous coûta deux heures de marche, est bornée du nord-est au sud-est par un entassement de pics trachytiques, roides, aigus, contrefaits. Sous la neige qui les recouvrait en partie, on apercevait de longues zébrures, jaunes, noires, rousses, qui produisaient par le contraste un effet singulier. Qu’un peintre eût placé sur sa toile un fond de pareilles montagnes, et la critique n’eût pas manqué de lui rire au nez, en vertu de cet axiome harmonieusement formulé par Boileau : « Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable. »

Une maison dans la Sierra Nevada.

Une traversée de la chaîne des Andes peut être tentée en toute saison, puisque nous-même l’avons effectuée quelque trente ou quarante fois, sur différents points et à divers mois de l’année ; mais les époques les plus favorables pour un voyage de ce genre sont les mois d’avril et de septembre. En avril, la neige ne tombe pas encore et n’apparaît que dans les régions où elle est éternelle. En septembre, la neige sporadique, qui de juin à août recouvre les chemins, est déjà fondue, et après avoir fait déborder torrents et rivières, est allée porter son tribut annuel aux deux Océans.

Comme on était alors en juillet, c’est-à-dire au cœur de l’hiver, nous devions nous attendre à être surpris par une de ces tempêtes qui éclatent communément dans l’après-midi, à moins que le ciel — et c’était peu probable — ne se montrât clément à notre égard pendant un jour ou deux. En ce moment nous traversions une région pierreuse et très-accidentée où, aidé de mes seules connaissances topographiques, je me fusse infailliblement égaré ; mais Ñor Medina était un pilote expérimenté, et la façon dont il louvoyait à travers les ravins et les fondrières bannissait toute crainte de mon esprit. Dans les passages étroits et périlleux, il marchait devant sans parler et je le suivais, imitant son silence ; quand la largeur du chemin nous permettait de trotter côte à côte, nous charmions l’ennui du voyage en devisant, non pas de faits d’amour et de guerre, comme la Môle et Coconnas, mais de la probabilité de trouver à la fin du jour une cahute hospitalière et quelque chose à mettre sous la dent.

Sur les deux heures, quelques jolis nuages blancs, de l’espèce que les marins nomment balles de coton, et les savants cirro-cumuli, apparurent dans le ciel comme un vol de colombes. En peu d’instants ces nuages grandirent, se rapprochèrent et finirent par voiler le disque du soleil. Un orage se préparait. Nous cherchâmes des yeux un abri quelconque. Le site en était dépourvu. Les montagnes mêmes n’offraient ni grotte, ni crevasse où nous pussions nous réfugier ; alors nous précipitâmes le pas de nos mules, ne sachant trop où nous conduirait cette marche forcée, et mus seulement par cette frayeur du danger et ce besoin de s’y soustraire qui caractérisent toutes les créatures. Au moment où du trot rapide nous passions au petit galop, le vent se mit à souffler par brusques bouffées, amoncelant les uns sur les autres, comme des glaçons dans une débâcle de fleuve, les nuages qui se rembrunissaient à vue d’œil. L’éclair et le tonnerre, qui se mirent aussitôt de la partie, semblèrent nous avertir que l’orage était proche et que les pieds de nos mules, fussent-ils doués de la légèreté de ceux d’Achille, lutteraient vainement de vitesse avec lui. Nous n’en continuâmes pas moins de fuir devant la tempête, levant parfois le nez pour juger de l’état du ciel, et l’enfouissant presque aussitôt dans l’immense cravate appelée tapacara, qui est d’uniforme obligé sous ces latitudes. Cependant les roulements du tonnerre se succédaient à de plus fréquents intervalles ; les éclairs traçaient dans l’air de flamboyants lozanges ; les nuages, entraînés par leur propre poids, s’abaissaient rapidement vers le sol ; un jour livide éclairait le paysage qui se détachait en clair sur le fond de teinte neutre de l’horizon.

À un coup de tonnerre qui nous remplit d’épouvante et fit trembler sur leurs jarrets nos mules lancées à fond de train, les nuages crevèrent comme des outres trop pleines, et une pluie de grêlons s’abattit sur nos têtes. Pour nous garantir autant que possible de l’effroyable douche, nous nous pelotonnâmes sur nous-mêmes. Nos malheureuses bêtes, qui ne pouvaient faire de même, hennissaient de douleur au contact brutal de ces projectiles qui leur meurtrissaient les naseaux. Tout en nous apitoyant sur leur sort, nous les excitions de la voix, de l’éperon et de la bride. À la pluie de grêlons succéda une pluie de neige comme on n’en voit qu’à ces hauteurs. Cette neige tombait si dru qu’on ne découvrait rien à dix pas de soi. En un instant tout le paysage fut recouvert d’un linceul uniforme. Les mules profitèrent de la stupéfaction que nous causa cet incident pour ralentir le pas et marcher à leur guise. Nous cheminions à tâtons depuis un quart d’heure, quand une masse sombre se dessina à travers le rideau mouvant. « Dieu soit loué ! › exclama Ñor Medina en tournant bride du côté de cette construction dont je ne pouvais encore m’expliquer la nature. En arrivant près d’elle, il me cria de mettre pied à terre. J’obéis avec d’autant plus de promptitude que la porte de ce logis était grande ouverte. Seulement, elle était si basse, que pour entrer je fus contraint de me mettre à genoux. Pendant que je prenais possession des lieux, Ñor Medina débarrassaait les mules de leurs harnais qu’il recouvrait d’une toile cirée, et, se glissant par la chatière, ne tardait pas à me rejoindre. La neige tombait toujours à flocons pressés.

L’abri que nous venions de découvrir si à propos était une manière d’édifice formé de blocs énormes et recouvert d’un plafond monolithe. Une petite fenêtre pratiquée à hauteur d’homme et orientée au levant en éclairait à peine l’intérieur. Ce sépulcre, car c’en était un, pouvait avoir dix pieds carrés sur huit pieds de hauteur. Ses murs, en talus comme ceux des constructions égyptiennes, et d’une épaisseur formidable, avaient probablement vu passer bien des siècles et supporté bien des tempêtes. Je demandai à mon guide ce qu’il en pensait, et si quelque tradition se rattachait à ce sépulcre ; mais la neige, en pénétrant les vêtements de l’homme, avait tari sa loquacité habituelle ; il me répondit avec un bâillement : « C’est l’œuvre des païens aymaras. »

Je dus me contenter de cette réponse. Toutefois, en songeant que si quelque jour il m’arrivait, comme à tant d’autres, de raconter au public ce que j’avais vu en chemin, le public ne se contenterait pas, comme moi, de l’explication laconique de Ñor Medina, je battis le briquet, j’allumai un bout de bougie et, à la clarté de sa flamme, j’écrivis les lignes suivantes :

« Quand les Fils du Soleil vinrent s’établir au Pérou, la grande nation des Aymaras était en possession de la contrée qui s’étend de Lampa aux confins du Desaguadero et comprend, sous le nom de Collao, la région des Punas ou plateaux situés à l’est de la chaîne des Andes occidentales. Cette contrée, d’une longueur d’à peu près quatre-vingt-dix lieues sur une largeur moyenne de trente lieues, offrait en maint endroit des temples, des palais, des monuments divers, les uns intacts, les autres déjà en ruine, et dont l’architecture et la statuaire témoignaient d’une civilisation avancée. Les Aymaras, qui donnaient à ces constructions une date très-reculée, les attribuaient à la nation des Collahuas, dont ils se vantaient d’être issus. Suivant eux, cette nation était venue jadis d’un pays lointain, situé au nord du Pérou, et avait stationné longuement en différents lieux avant d’atteindre la région des plateaux péruviens, qui, en souvenir d’elle, avait porté depuis le nom de Collao.

« Ces ancêtres des Aymaras, toujours au dire de ceux-ci, croyaient, d’après des peintures hiéroglyphiques dont leurs chefs avaient seuls le secret, qu’avant le soleil qui les éclairait, il y en avait déjà eu quatre qui s’étaient éteints successivement, par suite d’une inondation, d’un tremblement de terre, d’un embrasement général et d’un ouragan, anéantissant avec eux les espèces créées. Après la disparition du quatrième soleil, le monde avait été plongé dans les ténèbres pendant vingt-cinq ans. C’est au milieu de cette nuit profonde, et dix ans avant l’apparition d’un cinquième soleil, que le genre humain avait été régénéré. Le grand Ouvrier, en façonnant de nouveau un homme et une femme, avait allumé, pour les éclairer, ce cinquième soleil, qui comptait déjà mille ans de durée.

« Au reste, cette fiction astrologique, que les Aymaras tenaient des Collahuas et qui a servi de base à un sysstème particulier de cosmogonie, était commune à tout un groupe de peuples parlant la même langue : les Toltèques, les Cicimèques, les Nahuatlaques, les Acolhues, les Tlascaltèques, les Aztèques, etc., qui, vers les premiers siècles de notre ère, habitaient le pays d’Anahuac, dans la Nouvelle-Espagne. Ces peuples disaient l’avoir reçue, ainsi que leur civilisation, leur architecture, leurs quippus[3] et leurs hiéroglyphes, des Olmèques et des Xicalanques, deux nations puissantes qui les avaient précédés et qui, elles-mêmes, se vantaient de remonter à une haute antiquité.

L’hospitalité du sépulcre.

« Pour en revenir aux Aymaras, l’établissement des Incas au Pérou, en déterminant un déplacement chez la plupart des nations andéennes, eut pour effet de déposséder ce peuple du pays qu’il occupait depuis longtemps. Déjà, sous Sinchi-Roca, deuxième empereur péruvien, il avait abandonné les Condesuyos[4] de Cuzco et se reculait de plus en plus à l’ouest, pour se soustraire à la domination des Fils du Soleil. Le troisième Inca, Lloque-Yupanqui, porta ses armes vers cette partie du Collao, dont le lac de Titicaca et ses monuments sont le centre historique ; occupé à subjuguer les Aymaras établis dans le sud, il laissa reposer ceux d’entre eux qui vivaient à l’ouest. Mayta-Capac, son successeur, attaqua cette nation sur deux points opposés de son territoire. Après avoir soumis les Aymaras de Tiahuanacu, dans le haut Pérou, il marcha contre ceux de Parihuanacocha, le lac des Flamants, situé presque sous le quinzième degré, et les asservit également.

Panorama des Andes, entre le lac supérieur de Titicaca et le lac inférieur de Parihuanacocha.

« Ce cercle de conquêtes, successivement agrandi par chaque empereur, avait, en touchant aux points que nous venons d’indiquer, refoulé vers la côte du Pacifique les Aymaras, qui étaient encore libres. Quelques familles de cette nation s’étaient arrêtées à l’entrée des vallées occidentales, où leurs restes se voient encore[5] ; d’autres s’étaient avancées jusqu’à la mer et s’étaient mêlées aux peuplades ichtyophages qui, à cette époque, habitaient les rivages de l’océan, entre le quatorzième et le vingt-quatrième degré[6]. Au quinzième siècle, les conquêtes que l’Inca Capac-Yupanqui étendit jusqu’au Chili ayant amené l’extinction presque totale de ces peuplades, les Aymaras disparurent avec elles du littoral. Seuls, les individus de cette nation qui avaient subi antérieurement le joug des Incas continuèrent d’occuper dans la Sierra une partie de l’ancien territoire de leurs pères. Aujourd’hui on compte environ deux cent mille de ces indigènes disséminés sur la frontière bolivanio-péruvienne, et dans les sept départements du haut Pérou.

Parmi les anciennes coutumes de cette nation, une des plus singulières, et qui peut aider l’ethnographe à retrouver les traces de son passage à travers les deux continents, cette coutume était de déformer en naissant la boîte osseuse de ces individus et de lui donner une forme conique au moyen de planchettes rembourrées de coton et comprimées par des ligatures. Les squelettes d’Aymaras qu’on trouve dans le voisinage de la mer, entre le seizième et le dix-huitième degré, sont parfaitement reconnaissables à leur tête oblongue ou obovalée. Un œuf dont une des pointes formerait le facies peut en donner une idée assez exacte.

Vue intérieure d’une chulpa.

« Le mode d’inhumation usité chez ces Indiens au temps de leur splendeur est aussi fort étrange, et ne se retrouve chez aucune des nations de l’Amérique du Sud Leurs tombeaux, appelés chulpas, avaient la figure d’une pyramide tronquée de vingt à trente pieds d’élévation. Cette pyramide, construite en briques de terre non cuites (tapias), avait plusieurs assises en retrait, et rappelait, par sa configuration générale, les téocallis mexicains dont l’idée première paraît empruntée au temple de Bel. Quelquefois les tombeaux des Aymaras étaient de simples monuments bâtis dans l’appareil cyclopéen, recouverts d’un plafond monolythe, se composant à l’intérieur d’une chambre carrée — celle où j’écris ces lignes — avec une porte basse au couchant et une petite fenêtre orientée au levant. Parfois encore ces tombeaux avaient la forme d’un obélisque dont l’élévation, de huit à dix mètres, était deux fois la largeur de leur base. Ces derniers étaient couverts d’un toit incliné et bâtis en simple torchis. Chaque tombeau du genre de celui où nous nous trouvons était affecté à une douzaine d’individus dont les corps, embaumés avec le chenopodium ambrosioides des vallées voisines et revêtus de leurs habits ou affublés d’un sac tissé avec les feuilles du totora et échancré à l’endroit du visage, étaient assis en cercle et se touchant par les pieds, figuraient les jantes d’une roue. Chaque mort avait près de lui, à titre de provisions et d’ustensiles de ménage, des épis de maïs, un pot de chicha, une gamelle et une cuillère. Si c’était un homme, on ajoutait à ces objets une fronde, une macana ou massue, des engins de chasse ou de pêche et un rouleau de tresses de laine. Si c’était une femme, on plaçait près d’elle une petite corbeille façonnée avec les tiges du jarava, des pelotons de laine de lama, des navettes et des aiguilles à tricoter fournies par les longues épines noires du cactus quisco[7]. Une fois ce tombeau en possession du nombre d’hôtes qu’il devait contenir, on en murait la porte. La fenêtre seule restait ouverte, probablement pour que les passants à qui l’idée viendrait d’y appliquer leur œil, pussent puiser un enseignement ou une consolation dans le calme spectacle de ces morts assis côte à côte, et se regardant avec leurs orbites creuses. Chaque matin, le soleil levant dardait un rayon d’or dans l’intérieur de ces sépulcres, et réchauffait un moment, mais sans les ranimer, ces parchemins jaunis qui autrefois avaient été des hommes. Quelques-unes de ces chulpas existent encore aujourd’hui, mais vides et profanées. Français, Anglais, Allemands ont mis de concert la pioche dans ces monuments, et les momies qu’ils renfermaient, arrachées à leur sommeil séculaire, ont été transportées dans les musées d’Europe, où elles grimacent derrière quelque vitrage en attendant le jour de la résurrection… »

Comme j’achevais d’écrire cette ligne, Ñor Medina, qui n’avait cessé d’observer l’état du ciel, me dit que la neige ne tombait plus et qu’il fallait nous remettre en route. Il était quatre heures. Nous allâmes rejoindre nos montures dont les crins, roidis par le verglas, me rappelèrent Rifax et Stinfax, ces coursiers d’Odin à la crinière gelée. Les pauvres bêtes n’avaient pas bougé de l’endroit ou nous les avions laissées. Mon guide leur tapota la croupe pour les consoler du mauvais quart d’heure qu’elles venaient de passer ; puis, quand il les eut sellées et harnachées, nous nous éloignâmes du sépulcre aymara.

Après une heure de marche, je découvris à ma droite, cachée dans les plis du terrain, une jolie rivière qui serpentait toute joyeuse à travers des roches qu’elle frangeait d’un liséré d’écume. Je la montrai à Ñor Medina, qui me dit que cette rivière était le filet d’eau que j’avais vu sortir du creux d’un rocher, près de la poste d’Apo. Vingt lieues de cours au milieu des neiges de la Sierra avaient opéré ce prodige. « Ainsi naissent et grandissent les sociétés et les empires, » dis-je à mon guide, qui sourit en manière d’approbation. Le chemin que nous suivions se rapprocha bientôt de la rivière et nous permit d’en côtoyer les bords. Aux endroits dépourvus de pierres, sa nappe s’étalait doucement sur un lit de sable quartzeux si blanc, si fin, si doux à l’œil, qu’un moment je fus tenté de mettre pied à terre, d’ôter ma chaussure et de marcher avec elle vers le gouffre inconnu qui devait l’engloutir. Le jour qui déjà tirait à sa fin m’empêcha de donner suite à cette idée. Je me contentai d’y plonger, à l’aide d’un bout de ficelle, le gobelet d’étain qui, en voyage, me servait de verre, de bol et de tasse, et je bus quelques gorgées de son eau limpide et glacée.

Comme les environs n’offraient ni poste ni pascana ou nous pussions nous arrêter pour passer la nuit, et que le hameau de Compuerta, seul endroit habité au dire de mon guide, était encore éloigné de deux lieues, nous éperonnâmes vivement nos montures. La tempête de l’après-midi avait balayé du ciel jusqu’à son plus petit nuage. À cette heure, rien ne tachait l’immense coupole d’azur que le soleil couchant teignait d’une pourpre orangée. Chemin faisant, nous trouvâmes une lagune d’un quart de lieue de circuit, bordée de totoras à larges feuilles — juncus peruvianus. — Cette « goutte d’eau limpide où se mirait le ciel, » comme dit un poëte, servait d’asile à des palmipèdes, grèbes, plongeons, sarcelles, qui s’ébattaient et nasillaient en attendant la nuit. Une entaille pratiquée à la vasque de ce bassin laissait fuir le trop plein de ses eaux dans un ravin qui communiquait avec la rivière. À deux cents pas de cette lagune, j’en découvris une autre exactement pareille, mais située sur la rive droite du cours d’eau que nous côtoyions. Ñor Medina s’empressa de m’apprendre qu’à partir de ces deux lagunes, dont la première se nommait Ccoricocha, — le lac d’or — et la seconde Colquecocha — le lac d’argent — la rivière que nous avions vue naître à Apo, et qui jusqu’alors s’était appelée Rio de Cuevilla, prenait le nom de Rio de Compuerta. Je notai le renseignement, et comme je demandais à l’homme si le hameau de Compuerta était encore bien éloigné, il me montra, à quelques jets de flèche de la seconde lagune, un groupe de masures appuyées contre une colline. Nous traversâmes la rivière sur un banc de sable qui semblait placé là tout exprès pour faciliter le transit d’une rive à l’autre, et nous nous dirigeâmes vers ces demeures, qu’à leurs pans de mur tombés par places ont eût pu croire inhabitées, si le filet de fumée qui s’échappait du toit de l’une d’elles n’eût révélé la présence de l’homme.

Au bruit que nous fîmes en arrivant, la porte de cette habitation s’entr’ouvrit, une Indienne avança la tête, nous examina d’un air effaré, et rassurée apparemment par notre extérieur pacifique, demanda à mon guide quel bon vent le poussait en ces lieux ; de moi, il n’en fut pas plus question que si j’eusse été une des sacoches attachées au dos de nos mules ; mais j’étais habitué aux manières des Quechuas, et cette indifférence pour ma personne ne m’émut nullement. Après quelques mots échangés avec cette femme, mon guide m’engagea à mettre pied à terre et à chercher dans le logis un endroit à ma convenance. Je regardai l’Indienne pour lire dans ses yeux si la chose lui agréait ou non, mais en surprenant mon regard, elle fit volte face et me montra son dos. « Qui ne dit mot, consent, » pensai-je, et je passai fièrement auprès d’elle.

Le lac d’or et le lac d’argent.

Ce que Ñor Medina, par égard sans doute pour le sexe de notre hôtesse, venait d’appeler un logis était un espace carré, noir, enfumé, sordide ; des vêtements en lambeaux pendaient de toutes parts, accrochés aux perches du toit ; La couleur primitive de ces haillons avait disparu sous un enduit de suie. Un feu de déjections de lama brûlait au centre de la pièce, répandant une odeur de musc qui, jointe à l’épaisse fumée qui s’en échappait, affectait à la fois la vue et l’odorat. Une marmite placée devant ce feu annonçait les préparatifs d’un souper quelconque. J’en levai le couvercle et je vis un de ces brouets composés d’eau claire et de farine de maïs dont les Indiens des hauteurs s’alimentent, faute de mieux. Le régal me parut médiocre. Je traînai un escabeau devant le feu, et comme je réfléchissais en remuant les braises à la maigre chère qui m’attendait, un coq, domicilié dans un coin de la hutte, éleva sa voix éclatante. Je tressaillis à ce bruit insolite, puis je fis signe à Ñor Medina, qui entrait suivi de l’Indienne, de s’approcher de moi :

« Je n’aime pas l’élagua, lui dis-je tout bas en lui montrant le brouet lacédémonien qui mijotait dans la marmite ; mais le coq qui vient de chanter ferait bien mon affaire ; n’y aurait-il pas moyen de me le servir à souper ?

— Rien n’est plus facile, » me répondit-il sur le même ton. Alors, se tournant vers la femme : « Mamita, lui dit-il, va donc voir si les mules ne se sont pas écartées » L’Indienne sortit et resta un moment dehors. Quand elle revint, elle poussa un cri effroyable à l’aspect de Ñor Medina assis devant le feu, les jambes écartées et en train de plumer son coq favori, dont la jugulaire était déjà tranchée.

« Mamita, ce coq est bien maigre, » lui dit mon guide en réponse au cri qu’elle avait poussé.

« Ah ! fils du diable, s’écria la femme en quechua, chien de métis, assassin et voleur ! Tuer un coq que j’avais élevé et qui chantait si bien les heures ! Que t’avait donc fait cette pauvre bête ? » Là-dessus la malheureuse se mit à fondre en larmes.

« Paix ! femme, interrompit gravement Ñor Medina, l’élagua que tu cuisines n’est pas du goût de ce voyageur, et comme il lui fallait quelque chose à manger, ton coq s’est trouvé là fort à propos. D’ailleurs, on te le payera, ton coq maigre ! Combien peut-il valoir, un réal, deux réaux ? »

L’Indienne accoutumée, comme ceux de sa caste, aux exactions souvent accompagnées de voies de fait des descendants des Espagnols, parut si surprise et si charmée en même temps qu’on offrît de lui rembourser ce que jusqu’alors on s’était contenté de lui prendre, que ses larmes tarirent subitement. Néanmoins, à l’air singulier dont elle regardait Nor Medina, je jugeai qu’elle considérait comme dérisoire l’offre qu’il venait de lui faire, et pour mettre un terme à son anxiété, je tirai de ma poche une pièce de quatre réaux, que je lui remis en la priant d’excuser les façons un peu brusques de mon guide. Elle reçut la pièce d’argent avec un étonnement craintif, la tourna et la retourna comme pour s’assurer qu’elle n’était pas fausse, puis, lorsqu’elle parut convaincue de la bonté de son aloi, elle sourit et la glissa dans l’ourlet de sa jupe.

Le hameau de Compuerta.

« Au fait, dit-elle en s’essuyant les yeux, j’aime mieux qu’il en soit ainsi ; l’apuhualpacuna[8] empêchait Juan de dormir, et tôt ou tard il eût fini par lui tordre le cou. » Et pour montrer à l’arriero qu’elle ne lui gardait point rancune, elle s’accroupit à côté de lui, prit une aile du volatile et se mit à en arracher les rémiges, pendant que Ñor Medina pratiquait sur l’autre aile la même opération. Grâce à l’émulation dont se piquèrent nos personnages, le coq fut dépouillé en un instant de sa chape multicolore, flambé, vidé, démembré et jeté dans une terrine que la femme fournit de très-bonne grâce, ainsi que de la graisse de bœuf et quelques oignons qu’elle alla chercher dans un trou de mur qui paraissait lui tenir lieu d’office et de garde-manger. Quelques paroles gracieuses que je lui adressai en manière de remercîment et deux ou trois tapes amicales que Ñor Médina lui donna sur le dos rendirent à l’Indienne toute sa bonne humeur.

Paul Marcoy.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Ils ne parlent que le quechua, mais ils comprennent l’espagnol. Le premier de ces idiomes, que M. Huot, continuateur de Malte-Brun, dit être à Lima l’idiome de la galanterie et de la bonne société, y est non-seulement inusité, mais déprécié et tourné en ridicule comme tout ce qui se rattache aux us et coutumes de la Sierra. On peut même assurer qu’à Lima, à Arequipa et dans les autres villes du littoral, il ne se trouve pas dans la bonne société de chacune de ces localités cinq personnes en état de comprendre et surtout de parler le quechua, à moins que ces personnes ne soient originaires de la Sierra, ce qu’elles n’ont garde d’avouer après quelques années de séjour sur la côte, mais ce qu’on découvre sans peine à leur accent guttural et à leur prononciation vicieuse de l’espagnol.
  2. Du verbe quechua pascani, paître.
  3. Les quippus ou fils de laine de couleur dont se servaient les Péruviens pour conserver les dates et les traditions, n’avaient pas été inventés par eux, comme on l’a cru longtemps. L’usage des quippus existait chez les Canadiens et très-anciennement chez les Chinois. Les nations mexicaines que nous avons citées s’en servaient également et les appelaient nepohualtzitzin (Vide Botturini).
  4. Du quechua cunti ouest, suyu direction. Une des quatre divisions de l’empire établies par Manco-Capac.
  5. L’ossuaire aymara, dont le premier nous avons révélé l’existence, est situé à quatre lieues sud-sud-est d’Islay, au milieu de la zone de cendres trachytiques qui s’étend de ce port à l’entrée du val de Tambo appelée l’Arenal.
  6. Les Queltcas (hodiè Quilcas), les Moquehuas, les Llipi, les Chancus (hodiè Changos).
  7. Les collines de Cocotea, de Tambo et de Mejillones, les alentours d’Iquique, le morro d’Arica, etc., offrent en maint endroit des huacas ou sépultures d’Indiens Changos, Aymaras, Quechuas, d’une époque antérieures à la conquête espagnole et dans lesquelles on retrouve des objets de même nature. La nationalité des momies se dénonce à première vue, tant par la construction des huacas qui les renferment que par la position donnée aux individus dans le tombeau. Ainsi, les huacas des Changos ont jusqu’à huit pieds de profondeur et le mort y est couché sur le dos. Celles des Aymaras sont des cavités circulaires, au fond desquelles l’individu, enveloppé d’une mante de laine, d’une natte ou d’un sac de jonc, est simplement assis. Les huacas des Quechas, qui ont à peine quatre pieds de profondeur, sont de figure ellipsoïde et revêtues à l’intérieur de petites pierres plates. Le cadavre y est placé comme l’enfant dans le sein de sa mère, c’est-à-dire accroupi sur les talons, les genoux ramenés au niveau du menton, les coudes posés sur les cuisses et les poings fermés emboîtés dans les yeux.

    Les vêtements et les tissus de laine qui enveloppent ces momies, ainsi que les divers objets placés à côté d’elles, se ressemblent et sont généralement fort grossiers. Dans la plupart de ces huacas, nous avons trouvé des épis de maïs et de la chicha. Le grain de mais était devenu couleur de vieil acajou, mais avait conservé son lustre. Le peu de chicha qui restait au fond des cantaros de terre cuite, hermétiquement clos, avait la teinte et la consistance de la mélasse.

  8. Littéralement, seigneur des poules.